3 Suggestions
Pour faire face aux immenses besoins encore laissés inassouvis, tenter d’établir un ordre de priorité des réformes et investissements nécessaires, est une oeuvre salubre.
Les difficultés viennent du fait qu’il convient d’apporter en même temps au système actuel un supplément de rigueur et un supplément de souplesse.
La psychiatrie
En tout premier lieu, il faut tenter de réconcilier la médecine avec la psychiatrie ou plus précisément avec l’institution psychiatrique hospitalière publique.
Obtenir une convergence de vue, essayer de se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre, quitte à transiger sur les moyens à employer, mener des actions coordonnées, s’occuper des malades, les rendre à une vie sociale minimale à défaut de les guérir.
Vaste champ où chacun devra se forcer à l’écoute de l’autre, réfléchir aux attitudes qu’il faut adopter pour le bien des malades, accepter de travailler au sein d’équipes pluridisciplinaires, bref, de réformer nos moeurs.
Obtenir un certain degré de cohérence et donner quelques chances d’efficacité aux efforts que fournissent les médecins, les psychiatres, les psychologues cliniciens, les infirmiers psychiatriques et le corps infirmier polyvalent est une véritable urgence ressentie presque partout, quel que soit le mode de gestion des implantations carcérales.
Encourager la constitution de groupes de travail rassemblant tous les personnels concernés, aider au maximum la naissance d’une mutuelle compréhension, appuyer les initiatives locales novatrices, voilà le chemin...
Enfin, et ce sera probablement la partie la plus difficile des aménagements à prévoir, l’établissement de relations avec les responsables d’unités d’hospitalisations psychiatriques qui accepteront de recevoir des malades détenus et de les soigner sinon jusqu’à guérison, au moins jusqu’au rétablissement d’un équilibre minimal compatible avec une vie sociale acceptable.
Difficile d’imaginer une telle réforme des moeurs sans remettre en cause le fonctionnement général de la psychiatrie de secteur et les bastilles qui s’y sont constituées...
Les consultations externes et les hospitalisations
Autre urgence qu’il sera peut-être plus facile de régler à court terme, c’est la question de toutes les hospitalisations ou des consultations externes qui exigent l’extraction du malade.
La parution de textes clairs, précis et sans ambiguïté répartissant les charges et les devoirs des corps concernés doit intervenir à très bref délai. Exiger la mise en application des instructions ainsi données, sans échappatoire, sans tergiversation est également une nécessité.
L’instauration et le maintien d’un partenariat avec l’hôpital public demeure une nécessité, même si le secteur libéral garde un domaine d’intervention qui tient à coeur aux EGPD.
Pour les établissements du programme dit “ 13 000 ”, comme pour les UCSA, il convient de favoriser au maximum les interventions de spécialistes en milieu pénitentiaire.
Pour les hospitalisations, la solution réside à l’évidence dans la mise en oeuvre prochaine du schéma national d’hospitalisation qui constitue le deuxième volet de mise en oeuvre de la réforme instituée par la loi du 18 janvier 1994. Il concerne l’ensemble de la population pénale, qu’elle soit détenue dans des établissements pénitentiaires en gestion directe ou en gestion déléguée.
D’ailleurs, l’article D. 392 du code de procédure pénale relatif à l’hospitalisation, pour des pathologies autres que des troubles mentaux, des personnes détenues dans les 21 établissements du programme dit “ 13 000 ”, reprend les orientations inscrites dans le code de la santé publique.
L’organisation retenue est celle fixée par l’article R. 711-19 du CSP, qui définit deux niveaux d’hospitalisation pour des pathologies autres que des troubles mentaux : les hospitalisations, autres qu’urgentes et de très courte durée, sont réalisées dans les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) implantées dans 7 centres hospitaliers régionaux (Bordeaux, Lille, Lyon, Nancy, Rennes, Toulouse, Marseille) ou à l’EPSNF dans le cadre d’une complémentarité avec l’AP-HP, les hospitalisations urgentes et de très courte durée sont assurées par un établissement de santé qui répond à deux critères :
- être situé à proximité de l’établissement pénitentiaire du programme dit “ 13 000 ”,
- dispenser les soins définis au a) du 1° de l’article L. 712-2 du CSP et participer à l’accueil et au traitement des urgences.
Pour apporter, des solutions aux problèmes soulevés, s’agissant des établissements du programme dit “ 13 000 ”, il a été demandé aux directeurs des agences régionales d’hospitalisation (DARH), de procéder à la désignation, en concertation avec les partenaires intéressés, des établissements de santé devant assurer les hospitalisations urgentes et De très courte durée des personnes incarcérées dans les établissements pénitentiaires du programme dit “ 13 000 ”.
On ne peut évoquer l’avenir de l’hospitalisation des détenus sans évoquer celui de l’EPSNF, Etablissement public de santé de Fresnes.
Cet hôpital de 216 lits a pour mission d’accueillir, en court séjour, les détenus malades de la région parisienne. Il élargit son recrutement à la région de Lille et de Dijon ; il est censé couvrir les besoins d’une population incarcérée de 18.000 personnes. Il comporte d’autre part., une unité de rééducation fonctionnelle à vocation nationale et une unité de moyen séjour. Aujourd’hui, cet hôpital ne rend manifestement pas les services qu’on attend d’une telle structure. Un équipement technique inadapté, une durée moyenne de séjour anormalement longue, même en tenant compte des servitudes pénitentiaires, une sous-utilisation du potentiel existant, un service de chirurgie au sein duquel 80% des interventions relèvent de la chirurgie "mineure" (même si chacun s’accorde à reconnaître qu’il n’y a pas de "petite chirurgie"), un bloc opératoire dont le taux d’utilisation est de l’ordre de 36% (contre 81% à l’AP/HP, par exemple), un taux d’occupation des lits anormalement bas, la non-conformité des locaux et des équipements par rapport aux normes hospitalières, tous ces éléments donnent lieu à de soucieuses supputations. On constate également un suréquipement en personnel, compte tenu du fait que les médecins des UCSA et des EGPD n’envoient guère leurs malades vers l’EPSNF, l’unité de rééducation fonctionnelle étant pratiquement le seul pôle de prospérité de l’établissement.
Des recommandations ont été formulées par une mission conjointe Santé-Justice depuis de nombreux mois. Il est certain que l’EPSNF doit s’inscrire dans le schéma national d’hospitalisation, au prix de drastiques réformes de structure et de fonctionnement, comportant quelques disparitions : celle de l’unité d’hospitalisation pour femmes, celle de l’unité de soins intensifs, celle du pôle chirurgical en particulier et le réorientation De l’activité vers la rééducation fonctionnelle et le moyen séjour.
Il s’agit surtout de la reconfiguration de l’activité de court séjour comportant une restructuration du pôle médical et chirurgical, la transformation de l’unité de soins intensifs en unité de soins continus, la réorganisation de l’unité de dialyse et le renforcement de la psychiatrie de liaison.
Il s’agit enfin de revoir les modalités d’accueil des urgences.
Les conditions de vie
Dans le but de désencombrer les maisons d’arrêt et de modérer les effets délétères pour la santé de la surpopulation de ces établissements, la poursuite et l’intensification du recours aux mesures alternatives qui évitent la primo-incarcération est un élément d’importance majeure. A cet égard, la courbe descendante du nombre des entrées en détention est de
bonne augure.
Pour l’avenir, il faut renoncer définitivement aux localisations par trop ectopiques des établissements à construire, quelles que soient les pressions exercées sur les décideurs.
Poursuite et développement de la féminisation du personnel surveillant au contact des détenus, qui semble apporter un élément stabilisateur et "calmogène".
La création et le développement d’unités de vie familiale s’inspirant d’exemples étrangers (Québec, par exemple).
Appeler à une meilleure compréhension et établir un partenariat solide entre les hôpitaux dits de proximité (administration et soignants) et les centres médicaux des EPGD, dans le but de rendre aux détenus malades le service qu’ils sont en droit d’attendre du service public tel que codifié par la loi.
L’instauration d’un service national civil doit permettre l’affectation de volontaires en milieu pénitentiaire, comme l’a déjà suggéré le rapport rédigé sous la direction de M.Gentilini. Cette présence en milieu carcéral de jeunes citoyens, sélectionnés, bien sûr, après un ou plusieurs entretiens et un stage de formation préliminaire permettra de renforcer l’action des personnels socio-éducatifs, de promouvoir des activités sportives, culturelles, artistiques ou sociales, faciliter le contact avec les associations et les personnes qui portent un intérêt au devenir des détenus ; c’est une démarche de civisme qu’il conviendra de promouvoir et de développer.
Les personnels infirmiers
L’importance des personnels infirmiers a déjà été soulignée.
Leur nombre peut aujourd’hui être considéré comme suffisant, sous la réserve que leurs activités soient précisément définies par la rédaction et la mise en application de profils de poste.
L’encadrement de leur activité, leur participation à l’élaboration et à la mise en oeuvre de protocoles de soins est un facteur de progrès qu’il faut cultiver.
Leur fonction d’écoute et de soutien psychologique n’est pas la moindre de leurs attributions et doit être pris en considération dans l’établissement des profils de poste.
Les urgences
Le traitement des situations d’urgence intra-muros et les éventuelles hospitalisations demeurent des problèmes incomplètement résolus.
- Une formation spécifique des personnels infirmiers sous forme de stages au sein de services d’urgences (SAMU, Services hospitaliers des admissions) est très hautement souhaitable.
- La rédaction de protocoles détaillés de soins urgents et un entraînement à leur mise en oeuvre doivent être réalisés à court terme. Il conviendra d’y associer tous les personnels surveillants qui doivent recevoir une formation aux premiers secours ; cette formation doit faire l’objet de mises à jour et d’exercices (annuel ou bisannuel).
- Les UCSA et les Centres médicaux pour les EGPD doivent constituer une trousse d’urgence dont la composition et le maniement doivent être bien connus de tous les personnels qualifiés, amenés à affronter une éventuelle urgence intra-muros.
- Une suggestion concrète pour les épisodes aigus qui surgissent dans des tranches horaires où aucun soignant n’est présent.
Lorsque apparaît l’appel d’un détenu qui demande un secours médical ou infirmier à une heure où aucun membre du corps des soignants n’est présent dans l’établissement, le gradé de garde est actuellement singulièrement démuni. II aura sur lui un téléphone portable, appareil techniquement agencé de telle sorte qu’il ne peut appeler QUE le service d’urgences hospitalier. Le gradé alerté appelle donc ainsi le SAMU ; il passe alors le téléphone au candidat à la consultation médicale, lequel se trouve donc en contact direct avec le médecin régulateur du SAMU et c’est ce dernier qui prend, ou fait prendre les décisions qui lui apparaissent devoir être prises. Le médecin régulateur dont le métier est précisément de gérer les situations d’urgence médicales, devra avoir reçu une solide initiation aux arcanes de la médecine en milieu pénitentiaire. Il restera en contact avec le gradé responsable pour s’enquérir de l’évolution, et ce dernier sera libéré d’une lourde charge qu’il assume aujourd’hui dans un grave inconfort (pour lui) et dans une relative insécurité (pour le malade).
Le dépistage
- Assurer une proposition généralisée de dépistage des infections à virus à chaque entrant, en sachant qu’il convient, pour ce faire, de convaincre plutôt que d’imposer, quitte à renouveler la proposition en cas de refus, sachant aussi que chaque remise de résultat, quelle qu’en soit la nature doit s’accompagner d’un entretien en colloque singulier.
Les soins dentaires
Plus facile, peut-être, parce qu’uniquement liée à des questions financières, mais urgentissime, le développement des activités de chirurgie dentaire. La surcharge des praticiens, les difficultés de leur recrutement, les délais de rendez-vous extrêmement longs imposés aux malades, tout commande de conforter cet exercice professionnel.
- Dans les EGPD, en particulier la rigidité du cahier des charges excluant l’usage des services d’étudiants à l’issue de leur 5° année d’études, qui seraient pourtant d’une immense utilité est un frein qu’il faudrait pouvoir lever à court terme, ne serait-ce (dans un premier temps) que pour assurer les remplacements des praticiens titulaires pendant leurs absences.
- La généralisation du recrutement d’assistantes dentaires, déjà opéré dans un certain nombre d’établissements, libérera du temps que les praticiens pourront consacrer à ce qui est leur métier, à savoir soigner les patients.
- Assurer dans tous les établissements une présence de chirurgien dentiste correspondant au minimum à un temps plein pour 600 détenus, permettant de raccourcir les délais d’attente pour consultations et les espacements entre séances de soins. Il s’agit là d’un niveau d’équipement en personnel très strictement minimal, en dessous duquel, plusieurs établissements, cependant, naviguent plusieurs mois par an.
- S’assurer de tous les concours financiers possibles pour couvrir la dépense des prothèses lorsque celles-ci sont indispensables, de telle sorte que les indigents puissent également bénéficier de cette thérapie, la totalité de cette dépense étant déjà prise en charge par les EGPD.
- Enfin, alors que les Conseils généraux sont impliqués dans le dépistage de maladies infectieuses, à virus ou à germes figurés, on peut se demander pourquoi le dépistage des affections de la sphère bucco dentaire n’est pas concerné cette participation. Les caries, les infections locales sont des foyers septiques qui ne doivent pas être considérées comme des “ à-côtés ” de la médecine. La couverture financière de tous les dépistages doit être proposée et obtenue.
- “Last but not least”, l’élévation du nombre et/ou du taux de rémunération des vacations facilitera l’obtention de résultats positifs.
- Faciliter la poursuite des soins après la libération en fournissant au sortant une liste des centres où ceux ci pourront être effectués et un descriptif précis des soins jusqu’alors dispensés.
Le personnel médical
Il conviendra que les contrats à venir précisent l’indépendance des services médicaux vis-à-vis de l’administration pénitentiaire et celle des médecins vis-à-vis de leur employeur.
Le bon usage devrait être l’obligation d’un contrat de travail validé par l’Ordre des Médecins. Un tel contrat devra envisager la progression de carrière pour les médecins comportant un descriptif des fonctions auxquelles cette progression donne accès.
L’exercice de la médecine devra naturellement rester en conformité avec les stipulations du code de déontologie et très particulièrement avec le respect du secret professionnel.
Il paraît important de consolider la qualité du recrutement de ces personnels, actuellement opéré via les petites annonces de la presse professionnelle. Recherche de la qualification, formation spécifique des praticiens aux contraintes du milieu carcéral et aux impératifs de sécurité, permettant d’éviter les craintes injustifiées et les exigences irréalistes.
L’engagement d’un médecin chef du service médical d’un établissement devrait raisonnablement s’accompagner d’une rencontre avec le médecin inspecteur de la santé publique (DDASS).
Les cahiers des charges dans le but d’éviter l’apparition d’une médecine au rabais avaient fixé comme règle intangible, le recrutement des médecins, porteurs des même garanties que l’exercice professionnel exige dans le secteur privé. Louable intention qui pénalise cependant les détenus. D’une part, il existe une impossibilité de recruter des médecins étrangers alors que ceux-ci assurent une part très importante de l’activité des services d’urgence dans les hôpitaux publics, où on est aussi bien soigné qu’ailleurs.
Quand on sait l’abondante proportion de détenus originaires d’Afrique du Nord, il conviendrait de favoriser le recrutement de médecins étrangers, parlant l’arabe, qui auraient avec les malades un contact plus facile, une meilleure capacité de donner au colloque singulier sa portée optimale. De la même façon, les internes des hôpitaux, pourtant chargés de lourdes responsabilités dans leurs services ne peuvent pas intervenir au sein des EGPD, autrement qu’en urgence. En remplacement des praticiens, voire en semestre d’activité formatrice, ils doivent pouvoir rendre de grands services.
Chaque centre médical des unités 13 000, après concertation avec les organismes habilités, doit pouvoir accéder au rôle d’antenne toxicomanie et bénéficier des capacités thérapeutiques qui leur sont jusqu’alors réservées.
La participation des SMPR à une telle modification paraît naturellement indispensable mais l’attribution aux services médicaux des établissements d’une possibilité d’initier un traitement substitutif paraît un progrès nécessaire.