Publié le samedi 9 décembre 2006 | http://prison.rezo.net/2006-blog-24-l-interview-interdite/ Laurent JACQUA ’’L’interview interdite’’ Depuis quelque temps, des journalistes ont fait des demandes officielles au ministère de la justice pour m’interviewer dans le cadre du combat que je mène. Mais à chaque fois cela leur a été refusé. Mr JACQUA, comment avez-vous vécu et vivez vous votre détention ? Subir une peine de trente ans lorsque que l’on est sidéen c’est mourir très lentement dans des conditions souvent indignes et en plus il faudrait que je le fasse discrètement et sans rien dire ? Ben voyons ! Comment traite-t-on les sidéens en prison ? Ils effectuent leurs peines sans que l’on tienne compte de leur pathologie jusqu’à épuisement de leurs défenses immunitaires. Un détenu malade n’est libéré avant la fin de sa peine qu’en fin de vie. Les juges d’application des peines sont devenus les nouveaux bourreaux exécutant les plus basses besognes puisqu’ils ne relâchent ces malheureux que lorsqu’ils sont sûrs qu’ils n’ont plus aucune chance de s’en sortir. Double peine, double crime et personne ne réagi face à cette « horreur » judiciaire ? Pourquoi, dans vos textes, vous dites : « quel est encore l’utilité de la sentence lorsque la maladie frappe ? » Parce que je trouve monstrueux de faire exécuter leur peine à des détenus qui sont touchés par la maladie. Ici tous les facteurs sont réunis pour aggraver leurs états de santé, manque de nourriture, de soins, d’hygiène, de soutien psychologique et familiale, les régimes spéciaux de détention et d’isolement, les humiliations, les violences, bref une somme de souffrances inadmissibles accélérant le processus de destructions du système immunitaire qui conduit au déclenchement de la maladie, puis à la mort. Si des détenus se contaminent ou meurent du sida, tout le monde s’en fout ce ne sont que des taulards. Dans l’échelle sociale nous sommes en dessous des chats et des chiens et autres animaux domestiques, notre vie n’a aucune valeur au point que l’on nous cache en ne parlant pas du problème qui, portant, relève du crime contre l’humanité. Aucune loi ne nous a condamné à une telle sentence et je compte bien le faire savoir jusqu’à ce que l’on tienne enfin compte de notre situation et de notre existence. Vous dites « le non espoir est à l’origine de suicides de sidéens et autre malades incarcérés » Dans les années noires du sida début 80 et 90 J’ai connu plusieurs cas de détenus malades condamnés à de lourdes peines qui confrontés au désespoir ont préféré se suicider plutôt que de subir la mort lente. Les trithérapies ont prolongé la vie, mais au fond à quoi cela sert si nous sommes soignés que pour subir notre peine jusqu’à épuisement de nos forces ? Et aussi « les sidéens passent pour des sous hommes » Il y a eu parfois des cas d’exclusions en prison, des cas de détenus sidéens ressemblant à des sac d’os que l’on servait en dernier au repas, qui étaient interdit de douches ou de promenade, avec qui personne ne parlait. Ils ont souffert le martyr au fond de leurs cages dans ce beau pays des droits de l’homme. J’ai traversé durant des décennies un univers carcéral impitoyable où nous étions et sommes toujours considérés comme des « sous-hommes » car, dans cette société, qui s’est élevé pour prendre notre défense et réclamer notre libération urgente ? Personne ! Nous n’existons pas car on nous a volontairement rayé du paysage social, comme si nous n’étions que des déchets. Voilà mon statut social de « sous-homme », je vis avec les rats dans les plus bas fond de notre société et en plus on tente de nous faire disparaître, de nous réduire au silence ! Je vous assure que je n’abandonnerai jamais ce combat pour retrouver cette dignité que l’on nous a toujours refusée. Il m’en a fallu de la force pour résister et survivre, alors ça ne sera pas pour rien et un jour c’est vous qui garderez le silence lorsque je prendrai la parole. Aujourd’hui lorsque j’écris je le fait au nom de ceux qui y sont restés et que l’on a tant méprisés jusqu’à l’oubli. Pourquoi ne libère-t-on les malades qu’en phase terminale ? Parce que les hommes politiques et les hommes de lois n’ont aucun courage et qu’ils ont décidés de détourner de façon froide et réfléchie les textes afin de ne laisser aucune chance de guérison aux prisonniers malades, ceci sous la pression de l’opinion publique et pour des raisons purement électoralistes. Nous n’avons aucun droit même pas celui de la vie, nous sommes les victimes sacrifiées de la répression et de l’inhumanité de lois absurdes, car sachez-le, en prison la première chose qui meurt ce sont nos droits ! Comment les détenus séropositifs sont-ils perçus par les autres prisonniers et les surveillants ? Il est préférable de taire sa séropositivité sous peine d’être exclu. Personnellement je n’hésite pas à dire que je suis malade, car je milite pour l’abolition de la taule pour les séro-prisonniers et autres malades. On doit être officiellement entre 500 et 1000 sidéens incarcérés, mais on peut multiplier ce chiffre par deux, par trois, voir plus car beaucoup de séropositifs, à cause du non respect du secret médical et par peur de l’exclusion, refusent de se soigner ou de se signaler. En fait-on assez pour prévenir la propagation du virus en prison ? Aucune mesure n’est vraiment prise pour prévenir les infections au VIH. L’irresponsabilité et la politique de l’autruche de l’administration pénitentiaire sont les causes premières de la contamination des détenus. Meurt-on encore du sida en prison en 2006 ? Attendre la phase terminale pour bénéficier d’une suspension de peine ou d’une sortie humanitaire c’est l’équivalent de crever en cellule. Sortir les mourants pour dire qu’en France on ne meurt plus du sida en prison n’est qu’une façon hypocrite de faire baisser statistiquement le taux de décès derrière les barreaux. Dans votre livre vous dites : « Ce qui est en phase terminale en prison ce sont les droits de l’homme », pouvez-vous nous en dire plus ? Dés l’entrée en prison on peut laisser sa dignité à la fouille, outre le fait de perdre sa liberté, on est confronté immédiatement à l’arbitraire, qui ici, fait office de règlement intérieur. Ca commence par les fouilles à poil puis c’est le placement en cellule à quatre dont un qui dort au sol, censure du courrier, soins médicaux défaillants, carence alimentaire pour les indigents, abus de pouvoir de la part des matons, etc....Bref tout un tas d’humiliations quotidiennes qui poussent les plus fragiles à la folie ou au suicide. Comment conserver sa dignité de personne face à une telle situation ? La seule façon de garder sa dignité c’est de dire NON ! Non à l’absurde, non à l’arbitraire, non à la soumission. Ne jamais accepter l’inacceptable quel qu’en soit le prix. Lutter, combattre et même se révolter si besoin est. Face à l’institution votre combat n’est-il pas le pot de terre contre le pot de fer ? Oui peut-être que cette lutte est vouée à l’échec, mais cela ne sera pas suffisant pour me faire renoncer, car même si je n’obtiens aucune amélioration de notre sort, au moins j’aurai essayé de faire quelque chose pour mes co-détenus en dénonçant ce scandale. En tout cas l’essentiel pour moi c’est de pouvoir dire un jour que je n’ai jamais été complice de cette ignominie qui consistait à laisser mourir des milliers de détenus et ça c’est déjà quelque chose. Qui dit mieux ! Le 1er décembre c’est la journée mondiale du sida, que pensez-vous du Sidaction et des associations du même genre ? Une fois de plus les séro-prisonniers seront les laissés pour compte de toutes ces opérations qui ne sont devenus qu’une espèce de bisness pour se faire du fric sur le dos des malades. Les associations de lutte contre le sida sont pires que les autres institutions, car elles connaissent parfaitement la situation des malades incarcérés et pourtant elles continuent à garder un silence criminel pour ne pas effrayer les donateurs. Tous les membres de ces associations ou du Sidaction nous ont vendu et nous ont abandonné à notre sort en trahissant la cause qu’ils défendent. Ils sont responsables de la mort de centaines de sidéens incarcérés pour avoir été les complices du silence et parce qu’ils n’ont rien fait pour demander leur libération, ils les ont même niés. À mes yeux ils sont encore plus coupables et plus ignobles que les autres, car eux ils l’ont fait pour l’argent. Ils ne méritent que dégoût et mépris pour le déshonneur de cette trahison mercantile. Pourquoi avoir créé ce BLOG ? Ce nouveau support est un moyen efficace pour diffuser mes textes et mes dessins par de là les murs, c’est ma plus belle évasion ! En effet, je peux être sur n’importe quel écran d’ordinateur de la planète, ainsi je brise le silence, l’indifférence, le tabou dans lesquels sont plongé tous les détenus. Je prends la plume et la parole pour ne pas mourir et par chacun de mes mots lus par vous je reçois un peu de vie, d’espoir et de liberté. Mon combat et ma cause se diffusent partout et chacun de vous peut en prendre connaissance. Désormais plus personne ne pourra dire « je ne savait pas ». Voilà la véritable force et la véritable utilité de ce BLOG, il est là pour informer et aussi peut-être pour déranger. Mr JACQUA après un tel parcours, comment voyez vous votre avenir ? Je serai tenté de dire que je n’en ai pas car un jour la maladie finira par l’emporter sur ma résistance et mon seul problème c’est que cela peut être demain, dans une semaine, dans un mois, ou dans un an... Dans ces conditions il m’est difficile de faire des projets d’avenir à long terme. Cependant, comme je suis un grand optimiste, je veux croire que je serai un jour libéré en ayant un bon état de santé afin de pouvoir continuer le combat pour ceux qui restent, et pour qu’enfin on puisse réellement faire sortir les détenus pour des raisons médicales et sanitaires, non pas pour qu’ils meurent, mais pour qu’ils guérissent. Et aussi pour que l’on puisse ne plus jamais admettre et accepter, par une quelconque loi, la mort lente des détenus au fond des prisons françaises. C’est sur ces mots que prend fin la première « interview interdite », je range mon stylo et mon personnage de reporter, mais rassurez vous je reviendrai pour donner la parole à ceux pour qui on refuse le droit et la liberté d’expression en prison. À bientôt sur le BLOG pour la suite..., Laurent JACQUA , "Le blogueur de l’ombre" |