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04 Chap.1 La télémédecine et les TIC

Publié le mardi 19 décembre 2006 | http://prison.rezo.net/04-chap-1-la-telemedecine-et-les/

IV. LA TELEMEDECINE ET LES TIC

« Le progrès nous condamne à perpétuité »
Alfred Sauvy [1]

Les Technologies de l’Information et de la communication (TIC) ont investi le champ de la santé depuis plusieurs années comme en témoignent en France tous les applications recensées par le ministère de tutelle (cartographie DHOS) et l’exponentielle progression des publications. [63]
Nous avons insisté en début de chapitre sur la nécessaire équité d’accès aux soins des populations. Les TIC offrent aujourd’hui des outils utiles et efficaces pour améliorer l’accès aux soins de populations notamment celles vivant en situation d’isolement.
Par delà sa simple et évidente étymologie, la télémédecine est un concept complexe qu’il convient de bien cerner pour en comprendre les difficultés pratiques.

1. DEFINITIONS
1.1 TIC : Technique ou technologie
Même si la confusion terminologique entre technique et technologie est aujourd’hui irréversible, il convient de réaffirmer que la télémédecine fait appel au concept de « technique » et non de technologie [2]. Cette « contamination franglaise » de l’après-guerre a subsisté aux dires de Jacques Cellard parce que le mot technologie apparaissait « plus noble, plus chargé de science, plus avancé que le substantif qu’il a supplanté. » [3] Pour ne pas nuire à la clarté du propos et satisfaire aux normes de la littérature, nous nous résignerons à utiliser dans ce travail le terme impropre de « technologie » [4]
L’apport des TIC, anciennement dénommées NTIC pour « Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication », dans le domaine de la Santé a fait naître dans les années 50 le concept de télémédecine. Depuis, les termes au préfixe « télé » prolifèrent et cela justifie qu’on en définisse les différentes acceptions.

1.2 Télémédecine et télésanté [5]
Il existe de nombreuses définitions de la télémédecine. Le Collège des médecins du Québec définit d’une façon générale la télémédecine comme « l’exercice de la médecine à distance à l’aide des moyens de télécommunications ». [6]
Le terme télésanté possède un sens plus large puisqu’il inclut en plus de la télémédecine, la formation continue, les services internet, les applications cliniques informatisées comme le dossier médical électronique déjà en service outre-atlantique. [7]

1.3 Les applications de la télémédecine
En considérant la télémédecine comme toute utilisation des TIC dans le domaine de la santé (soins, enseignement, recherche) V. Hazebroucq [8] distingue 5 principales applications de la télémédecine :
- la téléconsultation : un médecin demande un avis à un autre médecin ou téléexpertise entre 2 spécialistes de la même spécialité
- la téléassistance : le patient demande directement assistance à un professionnel de santé (SAMU)
- la télésurveillance ou télésoins à domicile [9] : le patient est surveillé à distance par l’équipe médicale (exemple du monitoring foetal)
- le téléenseignement ou téléformation / e-learning qui permet au praticien l’accès aux données
- la cybermédecine : Réseau informatisé avec une organisation de la santé intégrant les dimensions humaine et technologique
La visioconférence et l’internet sont deux avancées technologiques récentes qui ont bousculé les applications de télémédecine et qui permettent aujourd’hui la transmission à coût raisonnable de grandes quantités d’informations multimédias, voix, sons, images, animations,
données physiologiques. [10]
Dans notre étude, nous présentons aux professionnels de santé l’utilisation des TIC à travers 3 applications :
- Le dossier médical informatisé ou DMP pour Dossier Médical Partagé qui correspond à la constitution d’un dossier informatique regroupant les comptes-rendus médicaux, les examens complémentaires et permettant le « partage » du dossier avec d’autres intervenants bénéficiant d’un accès privilégié.
- La télé-médecine où le terme « médecine » pris au sens large inclut la chirurgie, la radiologie, la biologie....que nous séparons [65]en :
o télémédecine en temps réel (real-time) avec l’utilisation de la visioconférence
o télémédecine en temps différé (store-and -forward) par envoi d’email et defichiers attachés par liaison internet sécurisée ou dans un réseau intranet
Cependant la définition des termes et de leur champ sémantique ne saurait suffire à saisir les avantages et les limites de la télémédecine. Une mise en perspective historique s’impose pour comprendre les vrais enjeux et les difficultés posés par la pratique de la télémédecine.

2. LE CONCEPT DE TELEMEDECINE [11]
2.1 « Un concept qui n’a rien de nouveau »
Si on se limite à l’étymologie du terme télémédecine, et à son préfixe grec « têlé », à distance, la télé-médecine ou médecine à distance, existe depuis l’invention du télégraphe (1843) puis du téléphone (1876) qui autorisa les premières auscultations téléphoniques [66].
La télé-médecine est donc un « concept médical qui n’a rien de nouveau » [12] et jusqu’à preuve du contraire comme l’affirme Pr B.Glorion [13], il n’existe pas de technique mise à la disposition des médecins qui ait été refusée et dont les médecins n’ait pas usé.

2.2 Et pourtant...
Si on considère comme le montre S.Froissart, que la télémédecine n’est pas une discipline mais la réunion de trois disciplines à savoir la médecine, les technologies médicales et les technologies de la télécommunication, on commence à approcher le concept de télémédecine et à entrevoir sa complexité.
Ainsi la plupart des auteurs dans la littérature placent la naissance de la télémédecine dans les années 50 avec les travaux de la NASA (National Aeronautics and Space Administration) [14].
Chacune de ces 3 disciplines a sa propre histoire et la télémédecine qui est au centre ne fait que les réunir.
Avec l’autorisation de S.Froissart, nous reproduisons en annexe à partir de son travail les principaux repères historiques de chacune de ces 3 disciplines (ANNEXE 2) et son tableau récapitulatif sur l’évolution des champs d’étude de la médecine.

Tableau 1 : Récapitulatif : Perspectives historiques sur l’évolution des champs d’étude de la médecine [15]

Cette approche historique de chaque discipline est utile pour comprendre les enjeux soulevés par la pratique de la télémédecine. Non seulement elle permet d’individualiser chaque discipline en tant que telle mais aussi laisse-t-elle apparaître l’influence des technologies sur la médecine. Ainsi, selon S.Froissart, les technologies ont eu 4 impacts sur la pratique médicale [16] :
- séparation du médecin et du patient : la présence du patient n’est plus indispensable pour interpréter ses troubles
- amélioration de la connaissance du corps humain, des maladies et développement de nouvelles thérapeutiques
- gestion des technologies dans un lieu spécifique : l’hôpital souvent
- nécessité d’une spécialisation car les connaissances sont trop vastes
Enfin, le travail de terrain mené par cet auteur a mis en évidence l’impact organisationnel de la pratique de la télémédecine. De la même façon que la télémédecine réunit 3 disciplines, elle met en jeu au sein d’une même structure, l’hôpital, 3 catégories professionnelles : les médecins, les techniciens et les gestionnaires dont la parfaite coordination est nécessaire à l’usage de la télémédecine. Les résultats de son étude montrent que les différences de « culture de métier » [17] et de mode de communication entre ces 3 corps de métier sont à l’origine d’importants problèmes relationnels et organisationnels et gênent considérablement le bon fonctionnement de la télémédecine. [18]

3. ENJEUX DE LA TELEMEDECINE
3.1 L’accès aux soins pour tous
La télémédecine est historiquement et conceptuellement un moyen d’améliorer l’accès aux soins notamment pour les populations vivant en régions éloignées, isolées, rurales ou embarquées en mer. En devenant économiquement et techniquement accessible [68], elle est aujourd’hui un outil essentiel pour assurer l’équité d’accès aux soins pour tous.
Le milieu isolé géographiquement [19] est un terrain privilégié pour les applications de télémédecine qu’elles soient en temps réel ou en temps différé.
Nous ne ferons que citer parmi les nombreuses initiatives, celle de l’association caritative Swinfen Charitable qui contribue efficacement au développement d’une « télémédecine pas chère » (low-cost telemedecine) pour les populations en situation d’isolement ou défavorisées économiquement. [69]
Dans les 3 milieux isolés pris comme référence pour ce travail (île Rachel, TAAF et le Québec), la télémédecine fait partie des moyens de prise en charge médicale.

3.2 Une justification économique ?
La réduction des coûts de transport est un des principaux moyens de rentabiliser le lourd investissement des infrastructures de télémédecine. Aussi plus les populations sont en situation d’isolement comme les insulaires ou les détenus, plus le coût des transferts sanitaires est élevé, plus l’utilisation de la télémédecine est rentable et permet d’amortir les coûts d’investissement. [20]
L’utilisation du transfert d’images de scanner pendant la grande garde de neurochirurgie en Île de France a permis de diminuer de 66% à 20% les « rejets », c’est à dire le déplacement du patient pour simple examen sans qu’il y ait d’indication neurochirurgicale posée, entraînant des réductions de coût substantielles [21].
Néanmoins le risque d’augmenter les dépenses existe à partir du moment où on facilite l’accès aux soins. Ainsi, la transposition de l’application en neurochirurgie en Irlande du sud a eu un effet paradoxal. La population rurale étant géographiquement isolée des centres de soin référents, elle n’avait qu’un accès limité au scanner et aux avis neurochirurgicaux.
L’utilisation de la transmission d’images a accru de façon considérable la demande d’avis neurochirurgicaux et par suite les dépenses de santé. [22] La distance géographique est donc un élément déterminant pour décider de la mise en oeuvre d’un programme de télé-médecine et en assurer la rentabilité. [23]

3.3 Les limites de la télémédecine
Cependant la télémédecine présente un certain nombre d’inconvénients bien documentés dans la littérature. S.Froissart en retient 3 types :
- technologique lié aux infrastructures de télécommunications, aux problèmes d’équipement et de maintenance
- économique posant ainsi la question du rapport coût efficacité de la télémédecine[70]
- humain et organisationnel, ce dernier point étant souvent négligé alors qu’il constitue une cause d’échec majeur [71], « la télémédecine est d’abord un exercice de relations humaines » [24]
Le recours aux TIC et à la télémédecine ne sont pas sans poser de problèmes pratiques pouvant compromettre leur efficacité.
Aussi performante soit-elle, la télémédecine bouleverse la relation médecin-patient et il faut alors pouvoir justifier de soigner un patient à distance plutôt que sur place. La question de la distance est alors essentielle à évaluer avant la mise en oeuvre d’un programme télé médecine.
Aussi pour savoir si la télémédecine est un outil adapté au milieu pénitentiaire et susceptible d’améliorer l’accès aux soins des détenus, chercherons nous dans un premier temps à évaluer la distance entre la prison et l’hôpital,
Puis à partir de l’évaluation du sentiment d’isolement des soignants et de leurs difficultés dans leur mission de soin, nous essaierons de comprendre quelle est la vraie distance qui sépare les prisons du milieu libre.
Enfin nous discuterons en nous appuyant sur le témoignage des soignants de l’opportunité de l’utilisation de ces technologies en milieu carcéral pour améliorer l’accès aux soins des détenus.

[1] Cité par B.Glorion, Table ronde sur la télémédecine, Conseil National de l’Ordre des Médecins

[2] Technique désigne « l’ensemble des objets, des gestes liés à la fabrication et à l’utilisation de systèmes améliorant, amplifiant les performances des corps dans leurs rapports à l’environnement », Encyclopédia Universalis, 41. Froissart, S., La rencontre entre la médecine et les nouvelles technologies de l’information et des communications : implications pour le management, in Thèse HEC Montréal. 1999

[3] Technologie, Encyclopédia Universalis, J.Guillerme, 1990, France S.A

[4] « la surcharge suffixale « ologie » fut pourtant censuré par le comité d’études des termes techniques, considérant qu’elle alourdissait la langue et contribuait en outre à brouiller les significations » Technologie, Encyclopédia Universalis, J.Guillerme, 1990, France S.A

[5] 64. Bonnardot, L., La télésanté au Québec : problématiques et applications en région éloignée, in Laboratoire d’Ethique Médicale, IREB. 2004, Paris 5

[6] Position du collège des médecins du Québec sur la télémédecine, mai 2000

[7] Ainsi en mars 2001, au Québec, la Table ministérielle en télésanté définissait la télésanté comme « les soins et services de santé, les services sociaux, préventifs ou curatifs, rendus à distance par le biais d’une télécommunication, incluant les échanges audiovisuels à des fins d’information, d’éducation et de recherche, et le traitement de données cliniques et administratives. »

[8] Cours 21 janvier 2005, « Problèmes éthiques posés par la télémédecine », Master d’Ethique Médicale, V. Hazebroucq, J.Clavero

[9] Expression employée au Québec

[10] ibidem,V. Hazebroucq

[11] Ce chapitre est rédigé essentiellement à partir du remarquable travail de Thèse de S. Froissart, disponible à la bibliothèque HEC Montréal et au Laboratoire d’Ethique médicale à Paris 541. Froissart, S., La rencontre entre la médecine et les nouvelles technologies de l’information et des communications : implications pour le management, in Thèse HEC Montréal. 1999

[12] 41. Ibid. p 11

[13] B.Glorion, Table ronde sur la télémédecine, Conseil National de l’Ordre des Médecins

[14] Projet Mercure 1958-63 avec surveillance médicale à distance des astronautes, 41. Froissart, S., La rencontre entre la médecine et les nouvelles technologies de l’information et des communications : implications pour le management, in Thèse HEC Montréal. 1999., p 7

[15] 41. Ibid. p 43

[16] 41. Ibid. p 27

[17] 67. Chevrier, Les équipes interculturelles de travail, in Université de Québec, Montréal. 1995. p. 292

[18] 41. Froissart, S., La rencontre entre la médecine et les nouvelles technologies de l’information et des communications : implications pour le management, in Thèse HEC Montréal. 1999. p 184

[19] « ...la rupture de l’isolement des médecins dans les zones rurales devrait être une priorité pour le développement de la télémédecine dans notre pays qui demeure très hospitalocentrique. » A. Lefebvre, Télémédecine et santé, Conseil National de l’Ordre des Médecins

[20] Aspects socio-économiques de la télémédecine, Dr JP Thierry, Conseil National de l’Ordre des Medecins

[21] Transmission inter-hospitalière d’images radiologiques pour la prise en charge des urgences neurochirurgicales, résultat de l’évaluation. Dossier Cedit APHP, 1996

[22] Entretien du 7/10/05 avec le Dr V.Hazebroucq

[23] Telehealth cost justification, Mary Moore, 1996

[24] Rapport sur les résultats du projet de démonstration aux îles de la Madeleine, février 2001, Cloutier A, Fortin JP