Le témoignage de Marie-Pierre Q. sur les réalités auxquelles sont confrontées les personnes à leur sortie de prison.
Je suis une ancienne détenue.
Je suis réhabilitée depuis déjà une dizaine d’années. (...)
Durant ma période de détention, si courte fût-elle, je n’ai reçu aucune visite, je connais donc la solitude que peut éprouver une personne incarcérée lorsqu’elle se trouve démunie de tout lien avec l’extérieur. (...)
Je pense qu’il est véritablement important de commencer à effectuer certaines démarches bien avant la sortie de prison.
Certains détenus n’ont pas de famille pas de logement et personne pour les accueillir lorsqu’ils ont terminé de purger leur peine.
Ce qui signifie que le jour de leur sortie de prison, ces personnes se trouvent totalement démunies matériellement : sans logement, sans argent... Seules au monde !
J’ai vécu cette situation voici plusieurs années. Je suis sortie de prison avec 5 francs en poche, sans logement, sans même un ticket de bus, avec pour seul point de repère, le numéro d’urgence 115. Et lorsque j’ai téléphoné, la personne que j’ai eue au bout du fil m’a conseillé d’aller dormir dans une entrée d’immeuble ou de me débrouiller pour entrer dans un sas de distributeur automatique de billets, pour y passer la nuit au chaud !!!
La personne qui m’a répondu avait l’air sincèrement désolée, mais n’avait pas la possibilité de me placer où que ce soit pour la nuit, car il y a trop de personnes en difficulté à cette période de l’année.
Nous étions un 28 février et cette année là était particulièrement froide.
... Véridique, je vous le jure !
C’est à ce moment que j’ai vraiment apprécié l’assistance que m’avez fourni l’aide à la réinsertion des services pénitentiaires.
Du cynisme ???...
Certes, je pense que j’ai le droit d’en user un tout petit peu.
De la rancune ???...
Non, car l’histoire se termine bien, en ce qui me concerne... J’ai eu plus de chance que certains.
En outre, j’ai vu des gens effectuer une garde à vue le lendemain ou surlendemain de leur sortie de prison.
J’ai connu des gens qui sont restés en liberté une toute petite semaine et retournés en détention.
J’ai alors entendu quelques réflexions concernant ces personnes, du genre :
"C’est pas possible !... S’il reste si peu de temps en liberté, c’est que la prison lui plaît".
Il est possible que moi-même, j’aie pensé la même chose, fut un temps.
Puis, j’ai compris... J’ai compris la difficulté d’une sortie de détention non préparée.
Car je suis moi-même passée par le même problème.
Ma première nuit à l’extérieur, je l’ai passée dans un manège.
J’ai dormi dans une mini voiture d’enfant, dans un manège que je connaissais pour y avoir emmené mon fils, auparavant.
J’ai eu froid...
Mais, Vraiment... Froid. Quelle idée de sortir de prison en février !
Quand je me suis réveillée le lendemain, si on considère que j’ai dormi cette nuit là, mon corps n’était plus qu’un tas d’os rouillés et... Oh joie, il pleuvait !
Et puis j’avais faim. Je n’avais pas mangé depuis le petit déjeuner de la veille au matin, durant mon dernier jour de détention.
Vous serez d’accord avec moi pour dire, qu’il est impossible d’arrêter de s’alimenter.
S’il y a une chose qu’on ne peut pas arrêter de faire, cela peut vous paraître tellement évident, mais on ne peut cesser de s’alimenter sous prétexte que l’on n’en a pas les moyens ?
J’avais très faim... tellement faim, que je suis allée voler de la monnaie, posée dans le vide poche d’une voiture et je suis allée à la boulangerie du coin m’acheter un pain au chocolat que j’ai partagé avec mon fiancé de l’époque, qui était sortie de détention en même temps que moi. (Nous y étions entrés ensemble, pour les même faits).
Je m’étais pourtant promis de ne plus sortir des limites fixées par la loi.
Marre des gardes à vue depuis dix ans et cette fois-ci, femme ou pas, mignonne ou pas, j’étais entrée en prison.
Je n’en ai pas été traumatisée mais j’aime trop la liberté.
Mais bon là, il était question de survie car s’alimenter reste une nécessité.
Je ne suis pas allée braquer une banque, je n’’ai agressé personne.
Mais si à ce moment là, une patrouille était passée, j’y serais retournée illico. Pour quelques pièces de monnaie.
En plus, de l’humiliation que j’ai ressentie.
Je n’étais jamais descendue aussi bas... Aller voler de la monnaie dans une voiture !!!
Je me suis dit que c’était la suite de la chute.
Que la prochaine étape, serait la clochardisation.
Vous allez me parler des restos du coeur, peut-être.
Mais pourquoi n’est-elle pas tout simplement allée au resto du coeur si elle avait vraiment faim, au lieu de choisir la facilité ?
Et bien... Parce que, pour être accepté au resto du coeur, il faut justifier du manque de revenus.
Cela veut dire qu’on vous demande d’attester d’un paiement de RMI.
Un document qui prouve que vous percevez le RMI, ou un quelconque revenu minimum.
Sidérant, non ???
Oui, on a refusé de me laissée m’alimenter au resto du coeur car j’avais encore moins que le minimum.
C’est à dire, Rien...
Pas de RMI, pas d’allocation de chômage, je ne justifiais d’aucun revenu.
J’ai appris plus tard, qu’en fait j’aurais eu droit de passer par "les camions de sandwich", de la croix rouge.
Les "camions de la croix rouge" passent en ville, certains soirs dans la semaine, en hiver... Seulement l’hiver.
Les "camions de la croix rouge" acceptent même les plus démunis. Alors que les restos du coeur, c’est pour les pauvres, pas trop pauvres... Pour les "demi pauvres", en fait.
Quand on en arrive aux camions de la croix rouge, c’est qu’on est tout en bas.
Quoi qu’il en soit, à cette époque, j’étais vraiment en bas.
Le froid, la faim, la rue,
Voilà une sortie de prison bien préparée.
Une réinsertion bien démarrée, anticipée et donc bien réussie.
C’est de l’humour noir, excusez moi !
Pour moi, maintenant c’est du passé.
Un lointain passé. Cela s’est passé voici dix ans.
Malheureusement, à ce niveau là, il me semble que les choses n’ont pas bougé.
Je voudrais juste aider à ouvrir la porte en sachant que la personne qui en sort ne la repassera pas dans le sens du retour dans les semaines et, pourquoi pas dans les mois et les années à venir.
Je fais partie de ceux qui croient qu’une personne incarcérée peut vouloir s’en sortir et y arriver si on lui en donne les moyens.
Un coup de main de l’extérieur. Car l’avenir appartient à ceux qui sont à l’extérieur.
Même notre propre avenir, lorsqu’on est derrière les barreaux, appartient à ceux de l’extérieur.
Dans la mesure où il y a quelqu’un à l’extérieur, qui se soucie de nous.
Marie-Pierre Q.