B - Le condamné
Le condamné pouvant présenter une telle demande doit répondre à des caractéristiques précises relatives à sa personne (1) et à sa peine (2).
1 - Les conditions liées à la personne du condamné
Le demandeur ne doit pas présenter de caractéristiques spécifiques relatives à son âge (a), mais doit avoir la qualité de condamné et non de simple détenu (b).
a - Un condamné majeur ou mineur
Cette mesure de suspension de peine est applicable tant aux majeurs, qu’aux mineurs [1].
Cependant, au regard des différentes décisions connues ayant été rendues, cette mesure semble n’être appliquée qu’aux adultes. En effet, ces derniers sont d’une part plus nombreux et d’autre part plus des sujets potentiels pouvant remplir les conditions relatives à l’état de santé requis pour bénéficier de cette mesure. Enfin, il est à rappeler que les peines d’emprisonnement prononcées à l’égard des mineurs sont rares par rapport au nombre d’infractions recensées et eu égard aux autres mesures pouvant être prises. Le panel de mesures et de sanctions éducatives [2] dont dispose le Juge des enfants ou le Tribunal pour enfants permet de ne recourir à l’emprisonnement du mineur que dans des cas de dangerosité et de problèmes d’une gravité importante. Pour ces derniers, le but est la rééducation et la resocialisation avant tout [3], encore plus que pour les personnes majeures. Le Juge de l’application des peines sera compétent aussi bien pour les condamnés mineurs que majeurs.
En effet, le Juge des enfants n’occupe les fonctions de Juge de l’application des peines à l’égard d’un mineur que si la mesure décidée par le tribunal est une peine de sursis avec mise à l’épreuve ou de travail d’intérêt général [4].
b - Un condamné
Pour pouvoir bénéficier de cette mesure de suspension de peine, le requérant doit avoir était condamné par une juridiction. Une personne en détention provisoire ne pourra pas se prévaloir de cette possibilité de suspension [5]. A ce stade de la procédure, le seul recours possible est une demande de mise en liberté présentée au Juge d’instruction. Ce dernier examine la demande et en cas de refus de sa part, transmet de sa décision motivée au Juge de la liberté et de la détention qui alors décidera [6]. Aucune procédure spéciale n’est prévue pour les personnes malades se trouvant en détention. En effet, à l’inverse de la garde à vue ou de la condamnation pour lesquelles une suspension peut être envisagée pour motifs médicaux, un « vide juridique [7] » existe. La Cour de cassation a notamment dû se prononcer sur ce point dans un arrêt du 26/02/2003 [8]. Dans cette espèce, un détenu atteint d’une pathologie au niveau des membres inférieurs et l’obligeant à se déplacer en béquilles dépose une demande de mise ne liberté. Le Juge des libertés et de la détention la lui refuse. La Chambre de l’instruction saisie par la voie de l’appel valide à son tour cette décision, ainsi que la Cour de cassation. Cette dernière donne alors deux précisions sur cette procédure. Elle n’est d’une part pas compatible avec la procédure de demande de suspension de peine pour raisons médicales de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale. En effet, le demandeur, n’est ici que détenu et ne purge donc aucune peine. D’autre part, la Haute juridiction précise que l’absence de débat contradictoire en amont de la prise de décision par le juge, n’est pas contraire au droit à un procès équitable et au principe de l’égalité des armes [9]. Elle se justifie en invoquant la possibilité pour le détenu de faire un nombre illimité de demande de mise en liberté [10], mais également, le possible contrôle de la Chambre de l’instruction pouvant être saisie en appel [11] des décisions de refus.
Pour ces derniers donc, seule une demande de mise en liberté [12] est possible. La décision appartient dans ce cas au Juge d’instruction. Cela semble regrettable, car la même personne, en l’espèce le juge d’instruction a à se prononcer sur cette demande de mise en liberté et doit en même temps prendre toutes les dispositions nécessaires à la bonne poursuite de l’instruction [13].
Il en sera de même pour les personnes placées en garde à vue. Ces dernières ne peuvent se prévaloir de cette mesure. Seul un examen médical est possible comme le prévoit l’article 63-3 CPP [14], il peut être fait à partir de la troisième heure de garde à vue et peut être renouvelé si la mesure de garde à vue se prolonge de vingt quatre heures [15]. Le médecin l’examinant devra se prononcer sur la compatibilité de son état de santé avec son maintien en garde à vue [16], s’il estime que cette mesure est incompatible avec l’état du gardé à vue, il pourra être hospitalisé après avis du parquet [17].
2 - Les conditions liées à la peine du condamné
Cette mesure de suspension ne constitue pas une récompense pour un détenu faisant des efforts divers de resocialisation, mais une mesure de suspension exceptionnelle relative à la gravité de l’état de santé du condamné. Ainsi ni la nature de l’infraction à l’origine (a) de la condamnation, ni le reliquat de la peine (b) restant à subir ne seront pris en compte pour accorder cette suspension. Cet aménagement de peine ne répond ainsi pas aux mêmes conditions que les suspensions de peines ordinaires.
a - La non prise en compte de principe de l’origine de l’infraction et de la nature de la peine.
L’article 10 de la loi du 4/03/2002 est humanitaire avant tout. Son but premier est de permettre à des condamnés malades de ne pas finir leur vie en prison ou de leur permettre de recevoir le traitement adéquat à leur pathologie, qu’ils ne peuvent obtenir dans un univers carcéral. Ainsi, les conditions d’obtention de cette mesure de suspension de peine ne sont en principe que relatives à l’état de santé du condamné. L’origine de la condamnation n’a pas à être prise en compte, ni sa durée. Ainsi un condamné à perpétuité pourra en bénéficier [18]. A titre d’exemple, un homme ayant été condamné pour crimes contre l’humanité a pu bénéficier de cette mesure [19]. La Cour de cassation a rappelé que « L’article 720-1-1 du Code de procédure pénale [...], ne fixe aucune condition tenant à la nature des infractions sanctionnées [...] » [20]. La seule précision implicite retenue par le texte tient au fait que cette condamnation doit être une peine privative de liberté définitive.
b - La non prise en compte du reliquat ou de la période de sûreté
Dans le but de permettre l’accessibilité de cette suspension à l’ensemble des condamnés, il n’est pas pris en compte la durée de la peine restant à subir, ou la période de sûreté l’accompagnant [21]. Cela peut paraître surprenant, car la condamnation assortie d’une période de sûreté a pour objectif de ne pas permettre au condamné de sortir avant une période certaine.
Mais au regard de l’esprit humanitaire de la loi Kouchner, cela semble logique [22].
La période de sûreté est une durée pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de sa peine [23]. Elle permet aux autorités de maintenir le détenu en prison pendant une durée précise. Il ne pourra de ce fait bénéficier pendant cette période d’aucune réduction, suspension ou aménagement de sa peine [24].
D’autre part, la durée de la peine restant à effectuer par le condamné n’est d’aucune importance. Ce reliquat n’est aucunement pris en compte dans les conditions d’éligibilité d’un condamné à cette mesure de suspension de peine. Contrairement à la condition de temps de peine déjà effectué pour obtenir une libération conditionnelle [25], celle-ci n’est aucunement retenue à l’encontre d’un détenu souhaitant bénéficier d’une suspension de peine pour raisons médicales. Le reliquat n‘a donc aucun effet sur l’obtention de cette mesure. Cette mesure est donc bien (dans le texte) ouverte à l’ensemble des condamnés [26] et même ceux condamnés à perpétuité. Nous verrons ultérieurement [27] que la réalité est tout autre.
[1] HERZOG-EVANS (M.), Droit de l’application des peines, éd. Dalloz, 2002, p. 277 « [...] La suspension et le fractionnement sont applicables aux mineurs, aucun texte ne l’excluant [...] »
[2] GEBLER (L.), GUITZ (I.), Le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, in Act soc. hebd. ,
septembre 2003, p 31 et suivantes
[3] Ordonnance 2/02/1945, n°45-174 relative à l’enfance délinquante, spe article 2
[4] GEBLER (L.), GUITZ (I.), OP. CIT. « [...] en ce qui concerne le suivi des condamnations à des peines d’emprisonnement ferme, le juge de l’application des peines est compétent, qu’il s’agisse de majeurs ou de mineurs. C’est donc lui qui est amené à statuer sur les remises de peines, les permissions de sortir, les fractionnements ou suspensions de peines, les libérations conditionnelles... [...] »
[5] HERZOG-EVANS (M.), in Actualité du droit de l’exécution des peines, D. 2004, n°16, p.1100
[6] Article 148 du Code de procédure pénale « [...] En toute matière, la personne placée en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté, sous les obligations prévues à l’article précédent.
La demande de mise en liberté est adressée au juge d’instruction, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions. Sauf s’il donne une suite favorable à la demande, le juge d’instruction doit, dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la République, la transmettre avec son avis motivé au juge des libertés et de la détention. Ce magistrat statue dans un délai de trois jours ouvrables, par une ordonnance comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision [...] »
[7] HERZOG-EVANS (M.), in Actualité du droit de l’exécution des peines, op. cit., « [...] C’est cependant l’occasion de souligner le vide juridique qui entoure le sort des malades dont l’état de santé est incompatible avec le maintien en détention au stade de l’information [...] »
[8] Cass.crim. 26/02/2003, n° 02-88131, http://www.legifrance.gouv.fr/ « [...] que les dispositions de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale relatives à la suspension de peine, ne sont pas applicables devant les juridictions d’instruction [...] »
[9] RENUCCI (J.F.), in Droits de l’homme, droit à un procès équitable, l’absence de débat contradictoire lors d’une demande de mise en liberté, Rev.sc.crim, octobre-décembre 2003, p. 883 « [...] L’absence de débat contradictoire préalable à l’ordonnance de rejet de mise en liberté rendue par le juge des libertés et de la détention est-elle contraire au principe d’égalité des armes dès lors qu’un tel débat est prévu pour la mise en détention ou la prolongation de la détention provisoire. Telle était l’une des questions posées à la Chambre criminelle, laquelle a répondu par la négative [...] »
[10] Ibid « [...] elle estime que, dès lors que la personne détenue provisoirement peut déférer à la chambre de l’instruction toute ordonnance rejetant une demande de mise en liberté, laquelle peut être renouvelée à tout moment [...] »
[11] PRADEL (J.), in Procédure pénale, détention provisoire, Pas de débat contradictoire dans le cadre d’une demande de mise en liberté formée en application de l’article 148 du ode de procédure pénale, D. 2003, n° 26, p.1728
[12] Article 148 du Code de procédure pénale « En toute matière, la personne placée en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté, sous les obligations prévues à l’article précédent. La demande de mise en liberté est adressée au juge d’instruction [...] »
[13] PÔLE SUSPENSION DE PEINE, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, 2006, p. 5, « [...] seul le juge d’instruction peut alors ordonner la mise en liberté de la personne détenue. Ainsi, contrairement aux détenus condamnés dont la demande de suspension de peine pour raison médicale dépend du juge d’application des peines, la décision de mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire n’est pas détachée des enjeux liés au travail de l’instruction[...] »
[14] Article 63-3 du Code de procédure pénale « [...] Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin [...] »
[15] COELHO (J.), Garde à vue, examen médical et confidentialité, in AJP, janvier 2006, n°1, p. 35
[16] Article 63-3 du Code de procédure pénale « [...] Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue. Le certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l’aptitude au maintien en garde à vue est versé au dossier [...] »
[17] Circulaire générale C.63-3 1/03/1993 in fine
« [...] Au cas où le médecin déclare que l’état de la personne est incompatible avec la garde à vue ou avec les interrogatoires, ceux-ci ne peuvent se poursuivre ; le certificat médical est annexé au procèsverbal :l’officier de police judiciaire doit alors rendre compte immédiatement au procureur de la République, tout spécialement dans le cas où le médecin prescrit qu’il soit procédé à une hospitalisation d’urgence [...] »
[18] Article 720-1-1 du Code de procédure pénale « [...] quelle que soit la peine initialement prononcée [...] ». « [...] quelle que soit la nature de la peine [...] »
[19] CA Paris 18/09/2002, n° de pourvoi : 2002/09562, http://www.legifrance.gouv.fr/
[20] Cass.crim. 12/02/2003, in Semaine Juridique édition générale, n°13, 26/03/2003, p. 589
[21] Article 720-1-1 du Code de procédure pénale « [...] quelle que soit [...] la durée de la peine restant à subir [...] »
[22] HERZOG-EVANS (M.), Droit de l’application des peines, op. cit., p 273 « [...] Il serait en effet aberrant de tenir compte de ces éléments s’agissant d’une personne hors d’état de récidiver ou de prendre la fuite [...] »
[23] GUILIEN (R.), VINCENT (J.), in Lexique des termes juridiques, 15ème édition, 2005, Dalloz « [...] Mesure d’exécution des peines privatives de liberté non assorties du sursis, selon laquelle le condamné ne peut bénéficier pendant une période variable, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir et la libération conditionnelle [...] »
[24] Article 720-2 du Code de procédure pénale « [...] Les dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle ne sont pas applicables pendant la durée de la période de sûreté [...] »
[25] Article 729 du Code de procédure pénale « [...] Sous réserve des dispositions de l’article 132-23 du code pénal, la libération conditionnelle peut être accordée lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. Toutefois, les condamnés en état de récidive aux termes des articles 132-8, 132-9 ou 132-10 du code pénal ne peuvent bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle que si la durée de la peine
accomplie est au moins égale au double de la durée de la peine restant à subir. Dans les cas prévus au présent alinéa, le temps d’épreuve ne peut excéder quinze années ou, si le condamné est en état de récidive légale, vingt années. Pour les condamnés à la réclusion à perpétuité, le temps d’épreuve est de dix-huit années ; il est de vingt deux années si le condamné est en état de récidive légale [...] »
[26] ROBERT (J.H.), Droit pénal général, 6ème édition refondue, Coll.Thémis droit, ed PUF, 2005, « [...] tout condamné, même à une réclusion criminelle, même assujetti à une période de sûreté, peut bénéficier d’une suspension de peine s’il est « atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que [son] état de santé est incompatible avec le maintien en détention. »
[27] Voir infra, p.74