Madame, Monsieur,
Je vous écris pour vous dire comment on vit aujourd’hui dans cette prison à Tanger.
Parlons vite de notre arrivée en prison. Les chefs vous demandent immédiatement si vous n’avez pas d’argent à donner. Moi personnellement j’avais quelques euros donc je leur ai donné, après ils vous emmènent dans les chambres très peu hygiéniques dans lesquelles les prisonniers vous appellent de tous sens. Les matons sont des vauriens, ils ne savent que vous demander de l’argent. Moi ce n’est pas mon délire. Je n’arrive même pas à vivre avec le peu d’argent que ma mère m’envoie. Je mange avec, mais parfois je n’ai rien à manger. Tout est à notre charge. Il faut tout acheter je vous dis.
Si je vous dis combien on est dans les cellules vous ne me croirez pas : 40, 45, 50 parfois 55 personnes sans hygiène. On a beau laver le sol cinq fois par jour, il a trop de maladies dont je ne connaissais même pas l’existence : la galle leur maladie de prison. J’en souffre beaucoup, j’en avais déjà guéri mais elle est revenue à l’heure où je vous écris cette lettre.
Les consommations des prisonniers sont : héroïne, cocaïne, alcool ainsi que de multiples pastilles, du chite et des tubes de colle. C’est insupportable de vivre cela au quotidien. Les prisonniers sont tous ensemble, il y a beaucoup de meurtriers dans cette prison, des gens qui sont là depuis 20 ou 30 ans. Ils sont avec nous dans quatre chambres.
Je n’ai jamais bien compris comment il faut faire pour être tranquille. Cette corruption est très dangereuse. Il y a trop de drogues dans cette prison, ils ne vivent que de ça.
A l’heure à laquelle je vous écris cette lettre, j’ai un bras dans le plâtre, et beaucoup de boutons sur le corps. J’ai besoin de soins de la France. Je suis français, j’aimerais beaucoup avoir de l’aide. Le Consul ne nous sert à rien. J’ai eu beaucoup d’accidents depuis neuf mois que je suis là, et il me reste 27 mois à finir donc je ne sais pas si je sortirais vivant. J’ai demandé à mon avocat mon transfert en France. Toujours pas de nouvelle. J’en souffre beaucoup et ne suis jamais au calme. Toujours voir du sang sur les gens c’est insupportable. Moi déjà reçu un verre dans la tête et j’ai failli en mourir. Il allait me tuer avec un couteau. Quand on a dit ça au chef, pour lui c’était tout à fait normal de prendre des bouteilles sur la tête. Je n’avais jamais connu cet enfer. C’est pour ça que je vous dis que la corruption est très dangereuse. Il nous faut de l’aide dans l’urgence, le Maroc est un pays de corruption. Il y a beaucoup de petites bestioles qui se cachent dans nos vêtements. Des rats, des chats, des araignées, des gros moustiques et des cafards. Je me gratte tout le temps, c’est insupportable. Les places sont payantes pour un lit, j’ai payé 200 euros au chef de chambre sinon il m’aurait mis en dessous d’un lit. Nous n’avons pas de fenêtres, on n’arrive pas bien à respirer. Je tombe malade très souvent, je respire très mal. Les prisonniers se coupent tous les jours avec des lames de rasoir. Moi j’ai toujours le crâne ouvert à cause du bout de verre que j’ai reçu. J’attends toujours de donner ma lettre à mon avocat qui ne vient jamais me voir. J’ai beau lui téléphoner, il ne viendra jamais.
Madame, Monsieur, je vous prie de bien croire ma lettre, nous vivons un enfer total. Je n’avais jamais vu ça de ma vie.
Madame, Monsieur, avec tous mes sentiments les meilleurs.
2005