Laurent JACQUA
Maison Centrale de Poissy
17 Rue Abbaye
78300 POISSY
"Tchao Pierrot"
L’hiver a fait au moins une victime cette année, L’Abbé Pierre ! En effet il a cassé sa pipe, fauché par une pneumonie qui a laissé orphelin toute la communauté des chiffonniers d’Emmaüs. Sa mort a suscitée une grande émotion dans tout le pays car c’était l’une des personnalités les plus aimées pour plus de 80% des français, d’après un institut de sondage.
Mais au fond le pierrot, c’était un drôle de numéro, un révolutionnaire, un révolté à la robe de bure, un rebelle au système à sa manière qui n’avait pas sa langue dans sa poche puisqu’il s’en servit la première fois le 1er février 1954 pour faire un appel mémorable sur radio Luxembourg parce que l’on avait découvert, la nuit précédente, boulevard Sébastopol, une femme et son enfant mort de froid tenant encore dans sa main gelée un avis d’expulsion. C’est par cet appel que débuta son combat pour les déshérités qui fut appelé "l’insurrection de la bonté", lutte incessante qui dura plus de 50 ans.
Une barbe de missionnaire, une bible, une canne, un béret, une cape noire il n’en fallait pas plus pour créer le personnage, sorte de super héros volant au secours des plus démunis pour l’amour de Dieu, le salut de son âme et une probable béatification. Voilà comment naissent les icônes, les saints faisant l’affaire d’une église prosélyte toujours en quête de symboles servant à faire vibrer comme un "sex-toy" le cœur des ouailles et des veilles bigotes.
Lors de ses funérailles c’est donc logiquement que l’on a ouvert les grandes portes de Notre Dame comme s’il s’agissait de celles du paradis, suprême récompense d’une vie pieuse et exemplaire. Honneurs sans doute mérités car j’ai toujours pensé que la méchanceté des hommes n’avait été créée que dans le seul but de faire ressortir la bonté de quelques uns.
J’ai donc suivi à la télévision la cérémonie ainsi que l’arrivée de toutes ces personnalités politiques et autres célébrités qui se voulaient, elles aussi, présentent au premier rang pour rendre un dernier hommage à l’Abbé. En fait il s’agissait plus à mes yeux d’une dernière pirouette de ce "Che" en soutane qui a su transformer la cathédrale Notre Dame en tribunal de Dieu, car, en effet, l’assistance n’était composée que de victimes et de coupables assis silencieusement les uns à côtés des autres sur les bancs. Tous rassemblés sous la même voûte pour comparaître et entendre intérieurement le réquisitoire de leur propre conscience.
Le Président Chirac, le chef de bande, était presque au bord des larmes devant la dépouille du défunt, s’en était presque émouvant, pourtant lui et ses complices, l’église, l’état, le gouvernement, les ministres, les hommes de pouvoir, les riches, autres personnalités du show-biz, étaient là, sans même s’en rendre compte, en tant que prévenus dans le box des accusés, pour avoir laissé s’aggraver le sort des plus pauvres à cause de leurs égoïsmes, de leurs incompétences, de leurs démissions et de leurs politiques sociales désastreuses qui ont conduit à la paupérisation et à l’exclusion de millions de citoyens depuis des décennies.
La présence de tous ces hypocrites aux funérailles était comme une indécence et je crois que c’est cette comparution de vauriens que l’Abbé Pierre a réellement voulu, comme un dernier pied de nez aux puissants.
Il y avait aussi, parmi les invités, les victimes représentant la partie civile, "les chiffonniers d’Emmaüs" avec leurs gueules cassés, leurs désarrois sincères et leurs larmes. Les pauvres, les gueux, ces compagnons du malheur, eux, étaient réellement là pour accompagner leur apôtre à sa dernière demeure céleste.
En ce début d’année 2007 L’Abbé Pierre a peut-être cru qu’il était temps de s’en aller quand il a vu enfin qu’une nouvelle génération, "les enfants de Don Quichotte", prenait le relais pour s’occuper des mal logés.
En effet mi décembre un camping sauvage se créa sur les bords du canal St Martin pour protester contre les conditions des SDF et trouver d’urgence des solutions de relogement. Cette opération fut organisée par un certain Augustin LEGRAND comédien de son état, qui étrange coïncidence, ressemblait de façon troublante à l’Abbé Pierre dans sa jeunesse.
Au début ce mouvement semblait vouer à l’échec et fut traité par le mépris par les responsables politiques et en premier lieu par la ministre déléguée à la cohésion sociale la Miss Catherine VAUTRIN qui n’hésita pas à dénigrer ce mouvement de solidarité en déclarant avec une condescendance hautaine qu’il s’agissait là "d’un mouvement insignifiant, d’un leurre et de la poudre aux yeux". Malheureusement pour elle, grâce aux medias et sans doute à la période pré électoral le mouvement et les actions "des enfants de Don Quichotte" sont montés en puissance et quelques semaines plus tard plusieurs camps de tentes rouges sont apparus comme une véritable épidémie de rougeole dans tout l’hexagone. Les pouvoirs publics s’en sont inquiétés et se sont enfin décidés à agir sous la pression médiatique en essayant de trouver des solutions pour arrêter au plus vite cette hémorragie en relogeant tous ce beau monde et en proposant une loi dite de "droit au logement opposable" seulement applicable en 2012, autant dire le prochain siècle pour un SDF. La VAUTRIN qui s’était si bien vautrée au début changea donc radicalement de discours devant l’ampleur du phénomène et proposa une enveloppe de 70 millions d’euros pour parer au plus urgent et surtout pour calmer le jeu en cette période électorale, tout cela avec son petit air de compassion totalement artificielle.
C’est ainsi que l’on nous a fait croire que les problèmes des SDF et des mal logés avaient été réglés en moins d’un mois, alors que tout le monde sait que ce scandale reste entier depuis 1954 et que les choses ne font qu’empirer avec la crise.
Avec l’enterrement de l’Abbé Pierre on a aussi un peu trop vite enseveli sa cause comme si on voulait se débarrasser du problème, personne n’est dupe et ce n’est certainement pas le dernier SDF que l’on enterre ou qui crèvera un soir d’hiver. Avec sa mort c’est aussi le chapitre de la bonté qui se referme pour un retour à l’indifférence, mais sachez-le c’est l’ère de la révolte qui se prépare et qui prendra le dessus pour rendre justice au nom de tous ces malheureux sacrifiés et à cette femme et son enfant retrouvés mort de froid boulevard Sébastopol en 54, ces crimes qui sont restés à ce jour impunis. Un jour, c’est sûr, Messieurs les puissants, il faudra casquer ...
Ça va être dur de trouver un remplaçant à notre "Che" Pierrot, pourtant cet Augustin LEGRAND avait l’air sérieux, mais il s’est empressé de trouver une issue rapide à son mouvement, car il avait un film à tourner ! Il va tout de même pas foutre sa carrière en l’air pour se retrouver à son tour SDF. Bref je ne vois pas qui est capable de reprendre le flambeau et d’en faire autant pour les laissés pour compte de notre société.
N’importe qui ne peut pas s’improviser Abbé Pierre car il faut une sacré dose d’abnégation pour sacrifier une vie entière à une telle cause, personnellement je ne voue pas un culte à ce genre de personnage religieux car j’estime que l’homme de nos jours ne mérite plus Dieu, cependant, même si c’est pas ma tasse de thé, je reste admiratif de ces hommes de foi qui se battent de toute leurs forces, parfois surnaturellement, pour la défense des plus faibles, car il en faut du courage et de la détermination pour faire le bien en ce bas monde où les hommes, comme des bêtes sans âmes, se bouffent le cœur.
Si j’ai écris ce texte c’est parce que j’avais envie, moi aussi, de rendre un petit hommage à ce vieil homme qui s’est éteint et aussi pour deux choses parmi celles qu’il a faite, la première c’est parce qu’il fut le seul à accueillir George, un ex-taulard, avec qui il fonda la communauté d’Emmaüs en 1949 et la seconde c’est un extrait d’un discours provocateur qu’il prononça un jour face à un public médusé et qui révélait sans aucun doute sa vrai nature de révolutionnaire et de défenseur de l’opprimé, je vous laisse donc avec ces quelques mots qui valent le détour :
"Les premiers violents, les provocateurs de toutes violences, c’est vous ! Et quand vous rentrez le soir dans vos belles maisons et que vous allez embrasser vos petits enfants avec vos bonnes consciences, au regard de Dieu vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients que n’en n’aura jamais le désespéré qui a pris des armes pour essayer de se sortir de son désespoir..."
À bientôt sur le BLOG pour la suite...
Laurent JACQUA, "Le blogueur de l’ombre"