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Point de vue depuis le CP de Liancourt

Publié le mardi 3 avril 2007 | http://prison.rezo.net/point-de-vue-depuis-le-cp-de/

"Incarcéré au Centre pénitentiaire de Liancourt, il m’arrive de recevoir l’Itinérant. Il nous est effectivement agréable de le lire en détention car trop peu de personnes se soucient de l’exclusion. Or, il est toujours difficile d’écrire lorsque nous souhaitons rechercher un dialogue et être entendus.
Ma démarche est personnelle, elle reste malgré tout étroitement liée au travail collectif que nous tentons de réaliser en détention. L’exclusion qu’elle soit exercée en milieu ouvert ou fermé reste ce qu’elle. Elle exige un exige un traitement spécifique qui doit faire appel à toutes les énergies disponibles. Vous qui traitez de l’exclusion sociale des plus démunis, vous savez que la prison nous assure la certitude d’alimenter la liste des exclus, déjà trop nombreux. Etant prédestiné à figurer sur cette liste, je tente d’agir, en fonction de mes faibles moyens, pour échapper à cet avenir programmé.
Ayant par le passé fréquenté l’Université, je recherche aujourd’hui un directeur de mémoire susceptible de s’intéresser à mon travail et qui puisse m’aider à rédiger une thèse de doctorat. Aussi absurde que cela puisse paraître, je suis convaincu qu’en France, selon notre situation sociale, seule l’Université peut nous permettre de nous exprimer avec force et détermination. En détention, c’est notre seule chance ou, tout du moins, ce procédé augmente nos possibilités d’échapper à l’appétit féroce de l’ogre judiciaire.
Incarcéré depuis 30 mois, j’ai tenté de nouer des relations dans ce sens. En vain. N’étant pas résigné, je poursuis ma démarche car je refuse de me conformer à la politique pénale qui ne cesse de nous exclure par tous les moyens.
Je ne peux pas raconter mon histoire car cet exercice serait fastidieux. Plus tard, peut-être. Ce que je cherche, pour le moment, est davantage axé sur une participation collective qu’une demande d’aide et de soutien. J’espère donc à terme pouvoir contacter des personnes susceptibles de s’intéresser à un travail collectif et d’utilité publique. Peut-être pourriez-vous m’aider à trouver cette personne ?
Je m’intéresse essentiellement aux difficultés que nous rencontrons en matière d’insertion sociale car nous devons faire face à un double problème : le droit s’oppose à l’insertion en limitant, de manière drastique, notre accessibilité à l’emploi.
Les possibilités d’étudier et de se former en milieu carcéral sont quasiment nulles, car l’absence de pédagogie rend cet exercice difficile.
Ces problèmes, existant dehors, sont amplifiés par la prison. Il est clair que si l’on parvient à trouver des solutions en milieu carcéral ; celles-ci peuvent bénéficier au exclus du monde libre. En 1989 j’avais rédigé un mémoire de maîtrise sur la stigmatisation du prisonnier en phase d’insertion. Ensuite je m’étais orienté vers la psychologie du travail car mon avenir, en ce temps là, était assuré. J’ai interrompu ma relation avec l’Université en 1993. J’étais alors stagiaire doctorant à L’E.H.E.S.S. de Paris. Aujourd’hui je dois oublier la psychologie du travail et de l’entreprise. Cette option m’est devenue inaccessible. En revanche l’éducation et la formation professionnelles me sont ouvertes. Cette orientation permet d’utiliser la prison comme terrain d’expérience tout en ayant la garantie de ne pas m’enfermer dans cet univers clos qui appartient à un monde surréaliste.
Multirécidiviste, je suis aujourd’hui âgé de 59 ans. Comme beaucoup de détenus, je vis cette récidive comme une mort sociale. Bénéficiant, bien qu’involontairement, d’une longue expérience de la délinquance et de la prison, je souhaiterais apporter mon témoignage et tenter, selon mes moyens et mes possibilités d’engagement, d’inverser le cours des évènements en jouant un rôle actif dans le cadre de lutte contre l’exclusion. Vouloir s’engager ne suffit pas. Encore faut-il bénéficier de soutien et de supports logistiques cohérents. Ce qui est loin d’être évident. La prison est un monde d’autistes et se faire comprendre s’avère extrêmement difficile. En règle générale, pour parvenir à communiquer, nous devons mettre sur pied des projets fastidieux qui, trop souvent, relèvent de l’exceptionnel.
Mon objectif ne consiste pas à critiquer le système ni de m’apitoyer sur mon sort. Bien au contraire, je souhaiterais avoir la possibilité d’engager un dialogue avec des personnes morales préoccupées par la fonction sociale de l’insertion. En fait, nous ne sommes jamais véritablement libérés de prison. Nous sortons avec la prison. Témoigner de la déshérence dans laquelle est laissée la réinsertion sociale en France, vue et vécue en tant qu’acteur, est un devoir civique auquel tout détenu responsable devrait souscrire. Nos voix s’inspirent d’expériences vécues : le détenu ayant un rôle majeur à jouer dans le travail d’insertion qui lui incombe. Il en est l’acteur principal. C’est un fait. Mais tant qu’il est tenu à l’écart du discours qui lui appartient, il demeure le spectateur muet de sa propre déchéance. Cette politique a pour résultat de nous rendre imperméables à une peine qui nous devient étrangère. Nous ne sommes plus des prisonniers sinon les otages d’un système qui se préoccupe uniquement de nous maintenir à l’écart, à l’état de sous-hommes, sans présent ni avenir. Seul semble compter notre passé, omniprésent assurant la perpétuation d’un présent qui ne doit pas finir et auquel nous ne devons pas échapper.
Conscient des énormes difficultés auxquelles nous devons faire face, nous avons entrepris une démarche éducative appropriée à notre situation. Depuis la fin du mois de mars 2006, sur le site de Liancourt, nous animons un cours de français à raison de quatre séances hebdomadaires, de 16 h 30 à 18 h. Depuis le mois de juillet, nous animons aussi une activité informatique afin d’initier nos codétenus à l’utilisation des logiciels de bureautique. Le surveillant-chef de la maison d’arrêt, favorable à cette initiative, souhaitait que nous assurions un cours de mathématique. Je dois souligner le fait que le personnel de surveillance soutenait ces activités. Durant les sept mois qu’ont duré ces activités, tout s’est déroulé dans le calme et l’ordre sans qu’aucun incident disciplinaire ait été signalé. Des progrès notables avaient été enregistrés chez les élèves détenus. Nous étions en passe de démontrer, dans les faits, le bien fondé de notre projet. Malgré ces encouragements, nous savions, nous, détenus, que la partie était loin d’être gagnée. En fonction de cette incertitude, nous nous apprêtions à renouveler notre démarche en reformulant nos intentions et en y ajoutant un autre projet, complémentaire au précédent : la rédaction d’un manuel de français destiné à permettre l’enseignant auxiliaire (qui, bien sûr, n’est pas enseignant de profession) de mieux gérer ses cours. Contre toute attente, en date du vendredi 20 octobre 2006 , nous apprenions que nos cours étaient supprimés sur décision de la Direction Régionale qui n’accepte pas que des détenus animent une activité éducative. Bien que nous ayons été surpris par cette décision, nous n’en sommes pas étonnés. Je constate une nouvelle fois que cette administration reste profondément hostile à toute démarche s’opposant à son esprit ultra répressif. En effet, tout ce qui s’oppose à l’insertion sociale du prisonnier doit être considéré comme une action antisociale. Pourtant, il nous est possible de dialoguer avec cette administration qui semble très satisfaite des difficultés qu’elle génère en terme de punition et d’exclusion. Nous sommes à une époque où il est certain qu’un individu privé d’éducation n’a aucune chance de s’en sortir. Or tous les détenus en sont conscients, mais ne savent pas comment exprimer cette réalité. Ils ont aussi beaucoup de mal à communiquer et l’administration refuse de les entendre. Après trente mois de présence à Liancourt, je m’imagine parfois avoir 25 ou 30 ans et considérer ce que j’aurais pu faire durant ce temps pour me préparer à la libération. Ayant de l’expérience au niveau des études et des conditions d’insertion qui nous sont imposées, j’en arrive à une conclusion horrifiante, car durant ce temps, je n’ai pratiquement rien fait qui ait abouti. Dans cet établissement comme dans beaucoup d’autres, rien, , strictement rien ne nous est proposé sinon des stages qui n’ont que l’avantage de nous tenir occupés. Les mettre à profit, à l’extérieur, semble irréalisable tant l’aspect pédagogique est négligé. En fait, ce qui existe à Liancourt est autant dangereux pour le détenu que pour la collectivité. Il est pourtant possible de modifier ces structures, mais la volonté des organisateurs fait défaut. Le manque de moyens y est sans doute pour quelque chose mais le détenu n’est jamais affranchi des risques qu’il encourt à faire confiance à ceux qui décident à sa place, comment il doit se comporter.
Aujourd’hui je me rends compte qu’en France, pays des « libertés », il existe une minorité de personnes qui n’ont ni la possibilité de se défendre ni d’être entendus : ce sont les détenus. Ce mot est d’ailleurs doté d’une consonance lapidaire, tranchante. Quand bien même le dictionnaire nous informe de sa signification, la réalité y associe l’exclusion, le refus d’exister. En somme, tant que je serai détenu, voire ex-détenu, je devrai considérer que, dans ce pays, je n’ai aucune chance d’avoir le droit de mener une véritable existence sociale.
Je ne peux donc plus croire qu’adresser une requête sensée, à qui ce soit, ait une chance d’aboutir. Je m’en remets donc au hasard et c’est en terme de S.O.S qu’il me faut tenter de communiquer. Je suis effectivement convaincu que sans un changement radical de nos conditions d’existence, un détenu, en France, est une personne à abattre. Pour ma part je reste définitivement attaché à cette démarche qui me semble être la première étape, obligatoire, pour qu’une évolution sociale de notre condition s’amorce.
réitérée auprès de toutes les instances concernées. A toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté, merci d’enrichir et de commenter mes écrits. Dans un tel endroit, où il est quasiment interdit de penser, parvenir à s’exprimer nous permettrait de défendre un principe, une idée, se faire comprendre. Mais comment y parvenir ? Comment le leur dire ? Comment les atteindre ceux qui, du haut de leur tour d’ivoire, considèrent que nous n’existons pas ?"

Alain Draperi

Voir http://insertion.centerblog.net/