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05 Chapitre V : Nicolas Sarkozy et la récidive, simple, inefficace et dangereux

Publié le mercredi 25 avril 2007 | http://prison.rezo.net/05-chapitre-v-nicolas-sarkozy-et/

Chapitre V LA LUTTE CONTRE LA RECIDIVE : SIMPLE INEFFICACE ET DANGEREUSE

Nicolas Sarkozy criminologue, théories et statistiques

« Et la deuxième remarque que je voudrais faire, que je changerai, c’est l’affaire des multi-récidivistes. Est-ce que vous savez que 50% des crimes et délits sont commis par 5% de délinquants, les mêmes ? ».« Je suis bien décidé à mener ce combat jusqu’à ce que la société française se dote des moyens de tourner la page de la récidive »

Chacun de ce demander où ce subtil utilisateur de la statistique policière qu’est le ministre de l’intérieur a trouvé ce chiffre de 50%. Chiffre accablant certes pour les récidivistes et tout à fait propre à justifier une politique d’une plus grande fermeté encore contre ce « fléau ». Mais chiffre qu’aucun spécialiste de la récidive n’avait jamais découvert et qui ne figure sur aucune répertoire de la police nationale ou de la gendarmerie.

Curieusement présenté à l’égal des autres chiffres minutieusement collationnés dans les discours officiels, ces 50% paraissent non seulement faux mais absurdes. De modestes mais sournois adeptes de l’arithmétique font en effet remarquer que la police n’a identifié les auteurs que de 34 infractions sur 100 (le taux d’élucidation étant, officiellement, de 34,3% pour 2006). Elle ne sait donc pas, et son ministre pas davantage, qui a commis 66% des infractions. Il est donc impossible d’affirmer de façon péremptoire que 50 infractions sur 100 sont commis par des récidivistes, que donc 1 862 794 crimes et délits sont de leur seul fait ! Des âmes perverses vont jusqu’à souligner que, chaque année, sur les 34,3% d’ infractions élucidées (1 280 000 environ) et qui donnent lieu à une réponse pénale (poursuites ou procédures alternatives) 110 000 seulement donnent lieu à des condamnations de récidivistes (en prenant la récidive dans sens très large et non juridique). Condamnations très sévères d’ailleurs selon toutes les études du ministère de la justice : ils vont deux fois plus souvent en prison que les autres. Nous nous éloignons beaucoup des 50% du ministre. Dire que la récidive représente 5% environ de la délinquance et non 50%, ce n’est pas nier le phénomène mais permettre de le combattre réellement.

On ne peut tout de même pas imaginer que Nicolas Sarkozy ou ses conseillers aient inventé ces 50%. Mais peut-être s’agit-il seulement d’une théorie ? En cherchant bien la source de cette science personnelle du ministre, nous nous sommes demandés si elle ne se trouvait pas, pour une fois, dans des études de sociologie criminelle et plus particulièrement dans une étude publiée en 2000 qui concerne la délinquance des mineurs. Cette étude est citée dans le rapport du Sénat sur la délinquance des mineurs, rapport publié en 2002 et qui semble avoir tant marqué le ministre de l’intérieur. Il ne s’agit pas, là, d’une étude statistique mais d’un travail de recherche. Ce travail, tout à fait estimable, repose non pas sur une observation de terrain ou un travail policier mais sur des interviews de jeunes. Il a été conduit auprès d’une population 2288 jeunes de 13-19 ans des agglomérations de Grenoble et Saint Etienne . Il s’intitule « enquête sur la délinquance auto-déclarée des jeunes ». Il s’agit de la première recherche de ce type en France.

A partir de ces interviews, Sébastien Roché, le directeur de cette recherche, a avancé une hypothèse selon laquelle la délinquance des mineurs serait concentrée sur un tout petit nombre de mineurs : 5% d’entre eux commettraient 50 à 60% du total des actes commis. Le Sénat, dans son rapport, relate cette recherche avec une prudence de bon aloi, sous la rubrique : « la théorie des 5% ». Cette recherche est évidemment très intéressante mais il n’est pas besoin de longues explications pour comprendre que sa portée est relativement limitée et qu’elle n’avait pas vraiment vocation à devenir la base d’un credo répressif. D’abord parce que sa marge d’erreur est très grande. Elle repose sur une estimation fournie par les jeunes eux-mêmes avec toutes les interférences possibles et sans aucun contrôle possible. Et surtout elle ne porte que sur une délinquance particulière, celle que commettent les jeunes, très différente de celle de l’ensemble de la population. Il n’est donc pas sérieux, ni même honnête d’avancer ce chiffre sans expliquer d’où il vient et quelle sont sa portée et ses limites.

La réalité de la récidive : une criminalité en baisse

Même pour justifier le vote de la loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive, loi sortie tout droit des cartons de Nicolas Sarkozy et de ses amis, personne n’avait osé une référence à la « théorie des 5% ». Et pourtant les chiffres, là encore, avaient été grandement sollicités. Qui veut noyer son chien prétend qu’il a la rage. La récidive en France, telle qu’elle est définie par la loi, ne représente que 5% des condamnations prononcées par les tribunaux. Ce chiffre était évidemment insuffisant pour sonner le tocsin. Il a donc fallu avoir recours à un concept plus large, utilisé par les chercheurs et non par les tribunaux, celui de réitération de l’infraction, à savoir le simple fait d’être condamné à nouveau, quel qu’en soit le motif juridique. Avec cette définition plus ample, on atteignait un taux de « récidivistes » plus impressionnant de 30% qui pouvait faire suffisamment peur. Mais, même en prenant ce concept là, il était difficile d’affirmer une quelconque urgence à voter de nouvelles lois, car la récidive, en France, n’augmente pas. Les récidivistes criminels sont assez peu nombreux et même de moins en moins nombreux. En 2000 on comptait 117 personnes condamnées pour crime en récidive, en 2004 84. Un chiffre en baisse ! Et que l’on s’est bien gardé de citer pendant le débat. Il faut dire que, en plus, le taux de récidive criminelle est très faible, de l’ordre de 3%. Là aussi, rien qui justifie une fièvre soudaine du législateur. D’autant que les cour d’assises ne sont pas particulièrement tendres avec les récidivistes. Quant aux délits, leur récidive reste préoccupante mais, là encore, des solutions très raisonnables avaient été dégagées par le code pénal entré en vigueur en 1994 et plusieurs modifications étaient déjà intervenues depuis lors. Ces dernières années cette récidive était restée stable ; elle était même en baisse depuis 2000.

Pour créer la confusion, puisque les chiffres étaient difficilement utilisables, la solution était simple : il suffisait de choisir l’un des crimes commis par un récidiviste et de le monter en épingle. Mobiliser l’opinion publique sur ces crimes sordides est d’une facilité dérisoire. Ils font naître, à juste titre, une émotion considérable. Qui ne s’identifierait à ces victimes ? Qui n’éprouverait pas un sentiment de rage à voir l’immense douleur des familles ? La responsabilité du politique est de tenir un langage de raison dans ces affaires et de laisser la police, les experts, la justice faire son travail. Nicolas Sarkozy a fait le choix inverse. Il utilise le meurtre ignoble de Mme Nelly Cremel tuée le 2 juin 2005 près de chez elle alors qu’elle faisait son jogging. Un suspect est arrêté, Patrick Gateau. Il avait été condamné en 1990 par la cour d’assises de Lyon à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d’une femme commis en 1984 alors qu’il était déjà connu pour vols, violences, attentat à la pudeur. En 2003 il avait bénéficié d’une libération conditionnelle, après 16 années et 4 mois de prison, sur décision de la juridiction régionale de libération conditionnelle. Nicolas Sarkozy se déchaîne contre le juge qui a accordé cette mesure, ignorant qu’elle a été décidée en collégialité. Il souhaite que le juge « paye pour sa faute » et demande même des sanctions. Il reviendra ensuite inlassablement sur ce meurtre et ses circonstances avec une insistance choquante en s’en servant pour illustrer ses propositions. Le but de cette campagne est double. Mettre d’abord le projecteur sur la récidive alors que la masse des affaires de récidive n’a aucun rapport avec cette affaire. Puis jeter l’opprobre sur la justice en affirmant haut et fort qu’elle relâche avec inconscience et légèreté des individus dangereux et qu’il faut donc la contraindre à frapper plus durement les délinquants récidivistes.

Chacun sait que le laxisme des juges est une pure invention. Il suffit de fréquenter un tribunal correctionnel pour s’en convaincre. Ou de regarder les chiffres de l’administration pénitentiaire qui doivent être connus même du ministère de l’intérieur : si l’on compte 10 000 prisonniers de plus en cinq ans alors que la criminalité est censée baisser, peut-être n’est pas précisément en raison du laxisme des juges. Si ces chiffres ne convainquent pas les plus sceptiques, il suffira de lire quelques études menées pour le compte du ministère de la justice. On y apprend que les juges sont très sévères avec les récidivistes. Ils les condamnent presque systématiquement à la prison : 80% d’entre eux se voient infliger des peines d’emprisonnement ferme.

Confusion avec les crimes exceptionnels

Pourquoi donc vouloir faire croire qu’une réforme législative est nécessaire ? Pourquoi vouloir à tout prix faire subitement de la récidive une priorité ? Pourquoi ne pas tenir compte de chiffres pourtant éloquents et des réformes récentes qui étaient intervenues sur ce même sujet ? Tout simplement parce que la volonté n’est nullement de s’attaquer à la récidive mais de mener une opération politique : apparaître comme le champion de la sécurité, entonner le chant toujours séduisant de la répression, en proposant encore plus de prison et de sévérité, pour faire pièce à une justice dont il est de bon ton de dire qu’elle est laxiste, là comme ailleurs. Il faut que tout paraisse simple. Les récidivistes ont choisi de l’être. Les comprendre est une perte de temps. La seule réponse efficace est de les laisser en prison le plus longtemps possible. Ce « raisonnement »-là fait mouche sur le zing de n’importe quel bistro.

Mais la principale raison est ailleurs. Si la politique de sécurité de Nicolas ne donne pas les résultats escomptés, il faut bien en trouver un responsable. Une présentation habile permet d’en trouver deux d’un coup : les récidivistes, le « noyau dur » de la délinquance, et les juges qui les encouragent en essayant de leur trouver des excuses. Les solutions sont donc simples. On en trouve un début d’application dans la loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive : interdire au juge de prononcer autre chose que de la prison, le dispenser même de motiver l’emprisonnement, en attendant la prochaine loi sur les peines plancher.

Mobiliser l’intelligence plutôt que la peur

Quelle que soit la passion que l’on peut entretenir pour la prison, elle a ses limites. Nicolas Sarkozy en a reconnu lui-même le rôle néfaste. Il a, plus d’une fois, dans ses dernières interventions repris à son sujet la formule bien connue de « l’école du crime ». Si tel est le cas, il y a quelque contradiction à en faire la solution miracle pour lutter contre la récidive. A moins de renoncer définitivement au moindre espoir de changement du délinquant. Comment dire en même temps que la prison produit de la récidive et qu’elle est la meilleure arme pour la combattre ?

La récidive, telle que le ministre en parle, apparaît un problème lointain. Elle serait le fait de quelques « monstres » commettant des crimes épouvantables. En réalité, la récidive, nous la connaissons tous. Elle est beaucoup plus banale, et fait rarement la une des journaux. L’alcool et la drogue en sont une des causes essentielles, tout comme la maladie mentale ou les troubles de la personnalité. Il y a, malheureusement, en France suffisamment de toxicomanes et d’alcooliques pour que, chacun, au sein de sa famille, ou parmi ses proches, connaisse les immenses difficultés liées à une désintoxication. Les rechutes sont non seulement fréquentes, mais font même partie du parcours ordinaire d’une toxicomanie, parcours long, s’inscrivant le plus souvent sur plusieurs années. N’importe quel thérapeute peut dire qu’une rechute est une étape, non obligatoire, mais fréquente, dans un processus de soins et de réadaptation progressive. Il ne s’agit pas de baisser les bras, loin de là. Cette rechute exige au contraire une plus forte mobilisation. Mais il n’y a pas de recette miracle, pas de trajectoire type. Chaque individu réagit, vit à sa façon. La multiplicité des rechutes ne signifie en rien une fatalité de celles-ci. Il est toujours possible qu’un individu, même après de nombreux échecs, puisse s’en sortir et trouver enfin les ressources nécessaires qui lui avaient fait défaut jusque là.

L’intervention judiciaire obéit à une logique du même ordre. Pour quelques uns rares, un passage en justice peut suffire. Pour d’autres, le temps sera plus long, mais la récidive, même si elle appelle du juge une sanction plus sévère, ne doit en aucun cas, signifier une acceptation de cette délinquance, le renoncement au changement.

La récidive est un sujet grave qui réclame des solutions sérieuses. Le principe d’une aggravation de la peine prévue par le code pénal actuel, le doublement de la peine encourue, apparaît satisfaisant et laisse aux juges une marge de manœuvre satisfaisante. Inutile d’en faire plus du côté de la peine.

Si la recherche de l’efficacité de la peine est le souci premier, c’est exactement la politique inverse de celle de Nicolas Sarkozy qui doit être encouragée. Le pire des solutions, et de loin, face à la récidive est l’automaticité de la peine. La vraie réponse est, tout au contraire, une plus grande individualisation de la sanction. Ce qui ne signifie absolument pas que cette sanction doive être moins sévère.

La récidive est le signe évident d’une personnalité plus complexe qu’on ne le croyait. Ou d’un contexte plus difficile à appréhender. Le devoir de la justice est de rechercher plus précisément les facteurs de cette répétition et le pourquoi de l’échec des précédentes sanctions. La récidive peut être liée à une addiction quelconque (drogue, alcool, jeu...). Elle peut être le signe de troubles de la personnalité ou l’une des expressions d’une maladie d’ordre psychiatrique. Elle peut s’inscrire dans un contexte de bande ou de groupe, voire d’organisation criminelle. Elle peut être la conséquence d’une situation administrative inextricable, s’agissant par exemple de sans-papiers. Autant de cas qui correspondent à des situations différentes et nécessitent des réponses particulières. Quand un médecin constate la persistance de troubles ou une rechute de maladie, son premier réflexe est d’approfondir les examens du patient, pas de doubler la dose des médicaments.

Les Français attendent de la justice qu’elle soit plus humaine et plus efficace. Le traitement de la récidive doit répondre à ces exigences. L’humanité, c’est de ne jamais désespérer d’un être. Combien ai-je vu, comme juge, de ces hommes et ces femmes qui ne demandaient qu’à être crus quand ils affirmaient vouloir enfin changer ? Et qui s’étonnaient qu’on les laisse aller, dans leur discours, jusqu’au bout de leur espoir. Beaucoup de victimes peuvent entendre ces paroles-là. C’est au juge d’apprécier la crédibilité de ces mots de regret, de jauger le chemin parcouru, les garanties offertes. Il n’y a aucun angélisme, aucune naïveté à espérer d’un délinquant qu’il revienne dans le droit chemin, à être à l’affût du changement. La société porte en elle cet espoir. Le juge doit le porter avec elle. Un jour les portes des prisons s’ouvrent de toutes façons. La justice doit sanctionner mais la peine doit être une oeuvre d’intelligence et d’humanité. Répondre systématiquement par la prison est un gage certain d’inefficacité.

Si quelqu’un prétend, comme notre ministre, qu’il va tourner la page de la récidive, c’est qu’il ne l’a jamais lue. Personne ne tournera jamais cette page. Qui peut le croire sérieusement d’ailleurs ? Personne ne fera jamais disparaître la récidive, pas plus que la délinquance. Loin de toute démagogie, la responsabilité du politique est de ne promettre que le possible. Lutter contre la récidive, c’est en rechercher inlassablement les causes et s’attaquer en priorité à elles.