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09 Chapitre IX : Nicolas Sarkozy et les victimes : entre exhibition et confusion

CHAPITRE IX Nicolas Sarkozy et les victimes : instrumentalisation et confusion

L’instrumentalisation des victimes

« Les droits de l’homme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime » (3 juillet 2006).

« Vous vous souvenez de Mme Cremel ? Cette jeune femme de 42 ans assassinée à coup de bâtons sur la tête, parce que, pour 20 euros en poche, elle allait faire son jogging. Je vais à l’enterrement, je suis à côté de son mari, admirable de dignité et de sa fille de 11 ans... » (A vous de juger, France 2, 30 novembre 2006).

« Comment on s’assure qu’on n’ait plus de situation comme celle que nous avons connue avec Monsieur Fofana, celui qui est suspecté d’être l’assassin du petit Ilan qu’on a retrouvé avec le corps recouvert de 80% de torture ? Comment on peut arriver à avoir un comportement aussi barbare ? Est-ce qu’il ne faut pas s’occuper de la détection précoce chez les enfants des troubles du comportement pour éviter ça ? » (Europe 1, 11 avril 2006).

« Je veux que les victimes soient mieux considérées dans la procédure judiciaire. Il existe un juge pour les condamnés, c’est le juge de l’application des peines. Il faut créer un juge pour les victimes, chargé de veiller tout d’abord à la pleine et entière exécution de la condamnation. 18 mois après leur prononcé, 45% des peines de prison ferme ne sont pas exécutées. Ce juge des victimes aurait également pour tâche de suivre la victime, de l’assister dans son processus de reconstruction, voire parfois de réinsertion dans la vie normale. Ce qu’on fait pour les auteurs, c’est bien le moins que de le faire aussi pour les victimes. »

L’exhibition des victimes

Un des premiers droits des victimes est qu’on respecte leur dignité. Celle de leur souffrance qui n’appartient qu’à elles. Pendant longtemps elles n’ont appartenu à personne, noyées d’indifférence. On peut se demander parfois si elles ont beaucoup gagné à se retrouver soudain exhibées sur la place publique, portées en étendard de combats de toute sorte, décorant les programmes et les professions de foi. L’instrumentalisation des victimes a été portée à son comble par Nicolas Sarkozy. Passe qu’une affaire soit évoquée, passe qu’un nom soit cité. Mais lorsque la référence devient systématique, que le sordide de l’affaire est étalé régulièrement, comment ne pas ressentir, pour le moins un malaise ? Combien de fois n’a-t-on entendu le ministre-candidat évoquer dans le détail le meurtre de Nelly Cremel (utilisé pour attaquer le laxisme des magistrats ou justifier sa politique face aux récidivistes), ou celui de Mama Galédou, brûlée dans un autobus à Marseille (utilisé pour justifier ses propositions répressives face aux mineurs) ou, celui d’Ilan Halimi (découvert agonisant après avoir été torturé) utilisé d’une façon totalement absurde pour justifier la détection précoce des troubles du comportement de l’enfant ! Le 10 février 2007 il recevait Place Beauvau des institutrices qui se s’étaient fait agresser et dont les coupables ont été sanctionnés par des peines de prison ferme (7 mois d’emprisonnement ferme pour l’un, 6 mois dont 5 avec sursis pour l’autre) il en profitait - c’est alors le candidat qui parlait ?- pour marteler “sa ferme volonté d’imposer des peines plancher” (communiqué du ministère)

Comment ne pas être choqué cette exploitation de la souffrance d’autrui à des fins de propagande ? Qu’un ministre de l’intérieur aille aux obsèques d’une victime d’un crime de droit commun ? Pourquoi pas, dès lors qu’il le fait avec recueillement et discrétion. Mais le faire ostensiblement devant les caméras ! Qu’il en fasse état ensuite dans des discours électoraux, est simplement indécent. Heureusement toutes les victimes ne se plient pas à ce cérémonial médiatique et électoral et infligent quelques rebuffades au ministre candidat. Ainsi lorsque les parents des jeunes de Clichy sous Bois électrocutés en octobre 2005 refusent de se rendre au ministère de l’intérieur. Siyakah Traoré, frère d’un des deux jeunes électrocutés dans un transformateur à Clichy sous bois explique son refus par “l’incompétence” de Nicolas Sarkozy, préférant obtenir un rendez-vous chez le premier ministre qui était alors son concurrent direct.

Feu le secrétariat d’Etat des victimes

Les motifs de cet engouement pour les victimes sont aisées à comprendre. Elles ont été très longtemps les grandes oubliées, non seulement de la justice mais de la société dans son entier. Leur réhabilitation est - sur l’échelle de l’histoire - très récente et l’analyse de ce retour en force a déjà fait l’objet de plusieurs analyses pertinentes. La victime a l’évidence de sa souffrance, indiscutable ; elle est devenue une référence sûre. L’émotion qu’elle suscite peut être comprise et partagée par tous et elle suscite la compassion et le respect. Chacun peut s’identifier à elle. Cette nouvelle légitimité de la victime est une des rares qui fassent presque l’unanimité dans une société dont les valeurs et les repères idéologiques sont devenus plus que flous voire invisibles.

Pour capter cette sympathie, le gouvernement Raffarin III avait, le 30 juin 2004, créé un secrétariat d’Etat aux victimes. Nicole Guedj, nommée à ce poste, célébrait l’événement avec une certaine solennité. Cette création, pour elle, s’inscrivait “à l’évidence dans la culture française de promotion, de respect et de sauvegarde des droits de l’homme. C’est un geste éminemment politique et républicain”. La gauche, elle, y voyait “un vrai gadget de démagogie absolue” (Christine Lazerges, député PS, rapporteur de la loi de juin 2000, renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes) rappelant que Robert Badinter avait développé le réseau d’associations d’aide aux victimes que l’on trouve aujourd’hui dans tous les tribunaux et qui apportent une aide indispensable. Nicole Guedj et son secrétariat d’Etat n’ont pas résisté plus d’un an. Ils ont sombré lors du remaniement ministériel suivant, le 2 juin 2005. Les terribles batailles qui ont alors marqué la composition d’un gouvernement où il fallait assurer un équilibre plus que délicat entre les partisans de Nicolas Sarkozy et l’équipe emmenée par Dominique de Villepin, ont eu raison du “geste politique et républicain”. Le bilan de 11 mois de fonctionnement était plus que modeste. Au moins ce secrétariat avait-il le mérite d’être rattaché à son tuteur normal : le ministre de la justice. Il a fallu attendre quatre mois - octobre 2005 - , après de longues promesses pour qu’une simple délégation aux victimes soit créée, annexée au ministère de l’intérieur.

Le 11 octobre 2005, Nicolas Sarkozy a installé solennellement cette délégation. Son programme ? Exactement celui du ministre de la police, à quelques virgules près. Première et en fait unique proposition : lutter contre la récidive avec le catalogue habituel de mesures répressives que l’on connaît. Seconde mesure : resserrer les liens entre le ministère de l’intérieur et les associations de victimes et, sur le terrain, être plus attentif à l’accueil des victimes ! Au terme d’un long discours, on cherche désespérément une mesure concrète. Si le secrétariat d’Etat aux victimes avait pu être qualifié de “gadget”, la délégation aux victimes, elle, se rapproche du néant. À l’image des idées sur lesquelles elle s’appuie, car la base de l’action en faveur des victimes ne peut être la répression. À ce tarif là, on pourrait dire que le code pénal est un immense programme en faveur des victimes, que les agents de police sont les meilleurs thérapeutes et que la prison la meilleure arme pour soigner les victimes. L’allongement des peines de prison n’a jamais permis la “reconstruction” d’une victime, pas davantage que la création d’un nouveau fichier.

Lors de son discours prononcé le 3 juillet 2006 à l’occasion d’une rencontre avec les associations d’aide aux victimes et de victime, le ministre avait bien du mal à indiquer ce qu’avait accompli faire cette délégation. Le bilan était vite tiré. Une charte d’accueil du public a été élaborée ! Mais elle date de 2004. Des correspondants départementaux ont été créés. Belle affaire !

Le juge des victimes, les victimes-juges : la confusion.

Si le bilan du ministre se lit rapidement, les propositions du candidat, celles qu’il n’a pas eu le temps de mettre en oeuvre depuis cinq ans, méritent l’attention. Nicolas Sarkozy propose donc un “juge des victimes”. Le parallélisme qu’il établit alors entre le juge “pour” les condamnés (le juge de l’application des peines, le “JAP”) et le juge “pour” les victimes qu’il propose est une magnifique trompe l’oeil. Le JAP n’est pas un juge “pour” le délinquant : s’il s’occupe de ce condamné, ce n’est pas en raison d’une sympathie particulière pour l’individu mais simplement parce qu’il surveille une “peine”. Il le fait parce qu’il cherche à éviter une récidive. L’action de la justice en faveur de la victime doit s’inscrire dans une démarche nécessairement moins intrusive. Elle s’est longtemps cantonnée à la simple réparation : on se contentait de l’indemniser. Le système actuel est d’ailleurs assez performant puisque pour les infractions les plus graves, un fonds de garantie prend directement en charge cette réparation sur décision d’une commission judiciaire (la “CIVI”, commission d’indemnisation des victimes d’infractions). L’autre type d’action, plus récente, est l’accompagnement de la victime pendant le temps du procès pénal. Elle est le fait, aujourd’hui, d’associations d’aide aux victimes, financées essentiellement par l’Etat. Faut-il aller plus loin et demander à la justice de s’occuper de la “reconstruction” de la victime ? Le voudrait-on que les moyens ordinaires de la justice l’en empêcheraient. Pourquoi promettre ce qui ne peut être tenu ? Mais l’essentiel n’est pas là. En aurait-elle les moyens, la justice n’a pas à ce mêler de cette tâche. Essayer de mêler les juges à la reconstruction de la victime, c’est, une fois de plus, se tromper de registre et confondre les genres. Le juge doit essayer de comprendre et d’évaluer, mais ce n’est pas à lui de s’occuper de soins, ou de thérapie, sauf, exceptionnellement, lorsque des exigences impérieuses l’imposent comme en matière de délinquance sexuelle et encore sous de strictes conditions.

Nicolas Sarkozy propose par ailleurs de mettre des représentants des victimes dès la première instance dans le tribunal qui statue sur la libération conditionnelle. Autrement dit, le juge de l’application des peines se verrait adjoindre un représentant d’association de victime. Aujourd’hui déjà un responsable d’une association d’aide aux victimes est présent dans la juridiction d’appel qui statue en matière de libération conditionnelle (article 712-13 du code de procédure pénale). Il siège aux côtés de trois magistrats et d’un responsable d’une association de réinsertion des condamnés. Cet équilibre est judicieux. Pourquoi aller au-delà, en essayant de mettre la victime dans une place où elle n’a pas à être ? Le fait d’avoir été victime ne prédispose personne à juger. La justice est un équilibre entre des intérêts contradictoires, entre ceux de la personne soupçonnée et ceux de la personne qui porte plainte. Tout doit être fait pour que le principe de “l’égalité des armes” qui est généralement conçu comme une égalité entre l’accusation et l’accusé concerne également la victime. Mais pour autant la victime ne doit pas devenir juge. “J’estime que la situation de victime ne saurait s’arrêter à la fin du procès”, dit Nicolas Sarkozy alors qu’en réalité son intérêt est de quitter au plus vite la scène de la justice sur laquelle elle a été conduite contre son gré.