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10 Chapitre X : Nicolas Sarkozy, une société sous haute surveillance

CHAPITRE X UNE SOCIÉTÉ SOUS TRÈS HAUTE SURVEILLANCE

Surveillés très tôt : le fichage des bambins turbulents

« Ce n’est pas quand un adolescent de 15 ans est devenu un délinquant multirécidiviste qu’il faut s’occuper de son cas. Il faut donc agir le plus tôt possible, en direction des enfants” » (La Gazette des Communes, 21 novembre 2005).

« Il faut agir plus tôt, détecter chez les plus jeunes les problèmes de violence. Dès la maternelle, dès le primaire, il faut mettre des équipes pour prendre en charge ces problèmes. - Dès la maternelle ? - Oui ! » (Le Parisien, 2 décembre 2005).

Nicolas Sarkozy s’est exprimé souvent sur son souhait de remonter le plus tôt possible dans l’enfance pour mettre en place son système de prévention et des méthodes de surveillance. Mais c’est dans l’avant projet de loi sur la prévention de la délinquance, tel qu’il avait été concocté fin 2005 par ses services au ministère de l’intérieur, (avant qu’il ne soit édulcoré par le gouvernement), que l’on trouve la position exacte du candidat. “Il est acquis, peut-on lire, que plus tôt les enfants ayant des troubles seront pris en charge, moins ils développeront à l’adolescence des comportements auto-destructeurs ou agressifs pouvant conduire à la délinquance”. Tout un chapitre est donc consacré au “dépistage précoce des enfants présentant des troubles du comportement et des signes de souffrance psychique”. Il est proposé notamment la création d’un “carnet de comportement” censé répertorier et garder la trace de ces signes précoces de la naissance à la vie adulte.

Cette intéressante proposition s’appuyait sur un rapport collectif de l’INSERM publié en septembre 2005. Il affirmait qu’en dépistant précocement les enfants présentant des troubles des conduites et en les traitant tôt, il était possible de diminuer beaucoup les risques de délinquance à l’adolescence. Il préconisait “le repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l’école maternelle... Des traits de caractère, tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme, l’agressivité... l’indocilité, l’impulsivité, l’indice de moral bas” étaient présentés comme “associés à la précocité des agressions”. Les “colères et actes de désobéissance” étaient considérés comme “prédictifs” de la délinquance. “Le groupe d’experts recommande de favoriser les interventions dans les familles à risque, en particulier chez les jeunes mères primipares à faible niveau d’éducation et en situation de précarité”. Il était également recommandé “un examen de santé vers 36 mois : à cet âge, on peut faire un premier repérage d’un tempérament difficile, d’une hyperactivité et des premiers symptômes du trouble des conduites”.

Le 8 novembre 2005, Nicolas Sarkozy recevait un rapport sur “la prévention de la délinquance” rédigé par Jacques-Alain Benisti, député UMP, qui reprenait sous un angle juridique les conclusions du rapport de l’INSERM. Ce “rapport Benisti” proposait de “repérer le plus tôt possible les difficultés des jeunes au travers de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) et ce dès la maternelle” et “en liaison avec la médecine scolaire, au-delà de 6 ans et jusqu’à la majorité”. Il était également préconisé “d’initier le corps enseignant aux disciplines permettant de détecter les troubles du comportement de l’enfant, avant de passer le relais aux professionnels”.

« Malhonnête et dangereux »

Il suffit d’être père ou mère pour comprendre l’ineptie de telles propositions. Il suffit même d’être adulte et de se rappeler l’enfant qu’on a été ou imaginer l’adulte qu’on aurait pu être sans le regard bienveillant et tolérant de nos parents ou de nos enseignants. Le juge peut aussi s’étonner de cette vision très partielle, et même très partiale de la délinquance : comment peut-on imaginer que la délinquance n’est qu’un long continuum qui commence à l’enfance et peut se poursuivre sans relâche à l’âge adulte. Comment peut-on ignorer que des actes de délinquance, parfois graves peuvent survenir très tard, sans qu’aucun signe précurseur n’ait jamais alerté qui que ce soit ? Quelle et cette vision de la criminalité polluée par la peur de l’enfance ? Mais pour en rester au domaine de la petite enfance, autant écouter les vrais spécialistes. L’avis, par exemple, d’un des plus grands pédopsychiatres contemporains, le Professeur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Knicker : « personne au monde ne peut prédire qu’un enfant de trois ans qui présente des troubles de conduite sera un délinquant douze ans plus tard. Ce saut épistémologique est inacceptable... Faire croire que l’on peut faire des prédictions de ce genre dans le domaine de la psychiatrie, au mieux c’est illusoire, au pire c’est malhonnête et dangereux ».

Mais supposons qu’un tel dépistage systématique soit mis en place, l’autre question, capitale, est de savoir ce que l’on fait de ce petit enfant ainsi repéré. Nicolas Sarkozy proposera-t-il de l’inscrire dans un Fichier National de Enfants Turbulents (FNET) en se vantant d’épargner ainsi en France des milliers de victimes ? En attendant, il faut regarder ce que propose le rapport de l’INSERM sur lequel il se repose. Or ce qu’il préconise, en cas d’échec des thérapies cognitico-comportementales, ou si elles ne sont pas assez rapidement “efficaces”, c’est d’utiliser des traitements médicamenteux. Citons là encore le Professeur GOLSE : utiliser des psychotropes chez les enfants “avant quatre ans, c’est de la folie. Donner des psychotropes longtemps à un enfant de moins de quatre ans, c’est vraiment jouer à l’apprenti sorcier ; agir à l’aveuglette total. Les antidépresseurs, anxiolytiques ou somnifères vont se fixer sur les cellules nerveuses. Or, avant quatre ans, la structure cérébrale de l’enfant n’est pas encore complètement mise en place. Aucune étude disponible chez l’humain ne nous permet d’affirmer qu’en troublant l’installation de l’appareil cérébral à cet âge-là, on ne risque pas d’induire des effets à long terme”.

0 de conduite pour le ministre de l’intérieur, la condamnation du monde scientifique

Une vraie fronde a éclaté devant ces propositions dangereuses. Une pétition a été lancée par une dizaine de praticiens dont Pierre Delion, pédopsychiatre au CHU de Lille, Boris Cyrulnik, neuropsychiatre... Elle était intitulée “pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans”. Cette pétition a recueilli près de 200.000 signatures. La philosophie pernicieuse du projet est dénoncée : “faudra-t-il aller dénicher à la crèche les voleurs de cube ou les babilleurs mythomanes ?”

Un colloque a finalement été organisé par l’INSERM le 14 novembre 2006 en présence du ministre de la santé. Les plus grands noms de la pédopsychiatrie française étaient présents, en compagnie de psychologues, sociologues, épidémiologistes... Ce colloque a rejeté quasi unanimement les préconisations de dépistage précoce de la délinquance, d’un dépistage centré sur les seuls symptômes, d’un contrôle des familles et d’une approche sécuritaire des difficultés de santé.

Le comité national d’éthique a condamné sans appel le rapport de l’INSERM dans un avis du 6 février 2007. “Devant les colères fréquentes de l’enfant, penser qu’on peut prédire à terme des vols à main armée ou des viols est une vision très étrange”, prévient Jean-Claude Ameisenn chercheur et rapporteur de l’avis. “Il faut marquer nettement la différence entre prévention et prédiction”. Mais c’est la remarque de Claude Kordon, spécialiste en neuro-sciences et co-rédacteur du rapport, qui nous paraît la plus pertinente et que tous les fervents partisans des surveillances de toute sorte devraient méditer : “un regard négatif sur l’enfant peut avoir des effets sur la façon dont il va se comporter. Les comportements peuvent se stabiliser sous l’effet du regard que les autres portent sur soi”, mais, à l’inverse “si un enfant a une image de petit voyou, il peut s’y plier”.

Fichés partout au mépris des lois

Devant la mobilisation du monde scientifique, médical et éducatif, les bébés ont échappé pour un temps à leur carnet anthropométrique mais on aurait tort de penser que ce fichage précoce soit une initiative isolée, un faux pas malheureux. Il s’inscrit dans une vision très précise de la société, une vision très policée. On ne peut qu’être effrayé par le nombre de fichiers que Nicolas Sarkozy a créés depuis son arrivée au ministère de l’intérieur. Une obsession qui n’inquiète d’ailleurs pas que les démocrates ou ceux qu’effraie un quadrillage de plus en plus serré de notre vie quotidienne. Le président de la CNIL, sénateur UMP, déclarait en 2006 : “ ce qui se passe dans notre pays est particulièrement grave. Je constate un dérive du fichage que je considère comme très dangereuse”. Police et gendarmerie disposent de 100 millions de fiches en France. Peut-être est-ce un peu trop. Les erreurs se multiplient. Selon l’Observatoire National de la Délinquance les fichiers actuels contiennent jusqu’à 30% de noms inscrits par erreur.

Quel que soit le sujet qu’ aborde le ministre-candidat, germe aussitôt l’envie de mettre en fiche, comme si l’État qu’il conçoit avait pour mission première de noter tous nos faits et gestes et conserver pieusement la trace de nos habitudes. Jointe à la passion de la vidéo-surveillance, cette malheureuse manie du fichage paraît quelque peu contraire aux principes ordinaires de la démocratie. À chaque problème de société sa réponse-fichier. Délinquance des mineurs ? Carnet de comportement. Maladie mentale ? Fichier national des personnes hospitalisées d’office créé par la loi sur la prévention de la délinquance. Immigration ? Possibilité donné au maire (et largement utilisé) de créer des fichier des attestations d’accueil recensant toutes les personnes qui se propose d’accueillir des étrangers faisant une demande de visa (loi du 26 novembre 2003). Lutte contre la récidive ? Nouveau fichier de police. Est promis aux victimes la création d’un “fichier national des convocations par officier de police judiciaire qui permettra de centraliser et de recouper toutes les informations sur un récidiviste” ! Inutile de préciser que la personne ainsi convoquée devant un tribunal et qu’on veut mettre en fiche est toujours présumée innocente, un principe il est vrai assez “droit-de-l’hommiste”. Peut-être cette fois-ci songera-t-on à respecter la loi avant de le mettre en place. Car il arrive que le ministre, dans son élan, oublie la loi. Tel a été le cas pour le fichier Eloi. Non, ce n’est pas au Saint que se réfère ce fichier-là, mais aux mesures d’Eloi-gnement des étrangers. Il s’agissait d’une des réponses-fichiers à la question de l’immigration clandestine. Le ministre Nicolas Sarkozy a bien demandé son avis à la CNIL (commission nationale de l’informatique et des libertés), mais il n’a pas eu la patience d’attendre. Cette commission, pourtant indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie, n’a pas les moyens de fonctionner ; elle n’a pas pu répondre au ministre dans le délai de deux mois. Son silence valait approbation tacite. Nicolas Sarkozy a alors créé ce fichier par un simple arrêté du 30 juillet 2006.

Ce fichier Eloi recense le maximum de renseignement sur les étrangers en situation irrégulière (l’identité, le nom, les surnoms, le sexe, la nationalité, la filiation, les langues parlées, la photo d’identité, le document d’identité, la situation professionnelle), mais aussi tout ce qui concerne leur entourage : leurs enfants, les personnes qui les ont hébergés, celles qui leur rendent visite au centre de rétention... Tout ceci est théoriquement conservé pendant trois ans. Las ! Cette merveilleuse initiative a été contestée par de mauvais esprits, la Ligue des droits de l’Homme, SOS Racisme, le GISTI (groupement d’information et de soutien aux immigrés), et d’autres groupuscules du même acabit. Le Conseil d’Etat a été saisi. Le 7 février 2007, le commissaire du gouvernement, Claire Landais, a demandé l’annulation de l’arrêté du ministre au motif qu’il n’était pas compétent pour prendre cette décision. Quel que soit le texte légal vers lequel on se tourne, la loi régissant l’entrée et le séjour des étrangers (que Nicolas Sarkozy connaît pourtant sur le bout des doigts) ou sur la loi informatique et libertés du 6 août 204, un tel fichier ne pouvait être créé que par un décret pris après avis du Conseil d’Etat. De plus, ce fichier devait être soumis à une procédure spéciale car certaines données, comme les photos numérisées, sont considérées comme biométriques et donc sensibles.

Dans sa décision du 12 mars 2007, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté pris par “une autorité incompétente”, en l’espèce Nicolas Sarkozy : “seul un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la CNIL, pouvait fixer les modalités de mise en oeuvre du traitement automatisé de ce fichier”. Quel dommage de ne pas pouvoir ficher selon la race !

Nicolas Sarkozy a donc du mal à respecter quelques lois élémentaires en matière de fichier mais ce sont des principes bien plus fondamentaux qui le gênent. Sa grande idée est de pouvoir ficher selon la race. On ressent une certaine gêne à oser écrire ce qui suit mais ce sont les paroles du ministre. “Le fait que l’on ne puisse pas, en France, connaître la diversité de la population parce que l’origine ethnique des délinquants est interdite, participe à la panne de notre système d’intégration”, déclarait-il à RTL le 6 février 2006 avant de déclarer, le 13 février, sur RMC “il faut faire de la transparence. Il n’y a aucune raison de dissimuler un certain nombre d’éléments qui peuvent être utiles à la compréhension de certains phénomènes”. On reste interdit devant de tels propos. Oser dire que ce fichage contribuerait à empêcher l’intégration est totalement absurde. En dehors d’une stigmatisation supplémentaire des étrangers et d’une belle contribution à la xénophobie et au racisme ambiant, on ne voit pas le bénéfice que pourrait en tirer la police dans son action quotidienne. À moins que ce fichier ne soit utilisé, à bon escient évidemment, dans le cadre du futur ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Les policiers, eux-mêmes, n’en reviennent pas. Un représentant d’un syndicat de police (Dominique Achispon, secrétaire général du Syndicat national des officiers de police) s’étonne : “quand on saura qu’il y a vingt, trente, cinquante, je ne sais combien de pour cent de délinquants aux parents ou aux grands-parents d’origine étrangère, comment cela va-t-il aider le policier dans son travail ? Il arrête des délinquants non parce qu’ils sont noirs ou arabes, mais parce qu’ils ont commis une infraction”.

Mais certains policiers n’ont pas cette sagesse. Les renseignements généraux n’ont pas attendu la création de ce prochain fichier ethnique. Dans un rapport du 6 janvier 2005 qui avait eu les honneurs de la presse (Le Monde du 25 février 2006), ce service de police avait répertorié l’origine ethnique des 436 meneurs recensés dans 24 quartiers sensibles, il relevait que parmi ces meneurs “87% ont la nationalité française, 67% sont d’origine maghrébine et 17% d’origine africaine”.

En attendant prospèrent d’innombrables fichiers dans des conditions problématiques. Ainsi l’immense fichier du STIC (système de traitement des infractions constatées), légalisé par la loi n°2003 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure qui contient 4,7 millions de fiches de “mis en cause” et 22,5 millions de victimes et dont une bonne part ne sont pas mises à jour faute de contrôle par des procureurs de la République totalement impuissants. Il a fallu un “programme d’apurement automatique” du STIC en octobre 2004 pour s’apercevoir que 1,2 millions de fiches de mis en cause n’avaient pas lieu d’être. C’est évidemment dommage pour ce million de citoyens qui a pu voir ainsi son sort aggravé s’il avait à faire à la justice ou ses chances compromises s’il faisait l’objet d’une enquête administrative à l’embauche. Les erreurs sont légion. Quant aux non-lieux, relaxes ou acquittements qui peuvent être la suite d’une “infraction constatée”, n’y comptez pas, le fichier n’est pas fait pour les décisions de justice, d’ailleurs les magistrats qui sont chargés de le contrôler n’y ont même pas accès directement !

Les dernières dérives mises à jour dans la campagne électorale sur le fichage de Bruno Rebelle, l’ancien de Green Peace, entré dans l’équipe de campagne de Ségolène Royal, n’a donc rien de surprenant. Au moins peut-on féliciter les Renseignements Généraux d’avoir tenu à jour l’une de leurs 800.000 fiches même si, évidemment l’intéressé n’avait plus depuis longtemps de responsabilité dans son association subversive. D’un point de vue ethnique, il n’y avait évidemment rien à lui reprocher mais son nom, à lui seul, devait constituer un danger pour les intérêts fondamentaux de notre pays.

Prévention-répression-surveillance

Si le volet “surveillance des petits enfants” a heureusement disparu du projet de loi sur la prévention de la délinquance, d’innombrables dispositions du même ordre ont été maintenues dans ce texte voté définitivement en février 2007. Nous avons là, l’une des images les plus achevées de la société sous très haute surveillance dont la réalisation avait été quelque peu freinée jusque là. Devant une gauche impuissante, une opposition de droite laminée, le ministre de l’intérieur a pu faire voter un texte pour une fois assez proche de ses aspirations.

Il s’agit en fait d’un catalogue de mesures répressives qui correspondent à une philosophie exposée inlassablement depuis plusieurs années, sous le slogan “la meilleure prévention, c’est la sanction”. Avec quelques variantes : “vous savez, la meilleure des préventions, c’est que les voyous qui trafiquent sachent et comprennent qu’enfin maintenant ils vont risquer quelque chose”. (France 2, 24 juin 2005).

Il est difficile de trouver quoi que ce soit qui ressemble à de la prévention. Nous sommes essentiellement dans le domaine de la répression ou de la surveillance, au sens le plus étroit : des dispositions concernant les chiens dangereux à la réforme des sanctions et de la procédure concernant les mineurs délinquants en passant par l’extension des pouvoirs des agents des transports publics en matière de police des transports... La Commission nationale consultative des droits de l’homme n’avait évidemment pas été sollicitée mais elle a d’initiative donné un avis : elle “s’interroge sur la philosophie d’un texte dont les finalités ne sont pas véritablement affichées et qui, malgré le titre annonçant un projet de loi sur la prévention de la délinquance, traite essentiellement de mesures de répression ou de moyens de la mettre en oeuvre”.

Plusieurs outils d’étroite surveillance ont pu ainsi être mis en place. Nous ne nous attacherons qu’à l’un d’entre eux car ils préfigure, mieux que tout autre, le quadrillage social qui risque de se mettre en place : le nouveau maire-shérif auquel il ne sera plus possible d’opposer le secret professionnel. Ce nouveau maire est au centre d’un dispositif très resserré et dispose de pouvoirs très vastes. Avec des mots qui rappelle la période de Vichy, il est créé un “conseil pour les droits et devoirs des familles” où siège évidemment le maire. Ce dernier peut aussi créer un fichier des enfants ne respectant l’obligation scolaire, fichier “où sont enregistrées les données à caractère personnel relative aux enfants en âge scolaire domiciliés dans la commune” (article 6).

Mais c’est surtout le secret professionnel de tous les services sociaux qui vole en éclat. Le texte est clair. Il s’agit de l’article 5 de la loi (qui crée un article L.121-6-2 du code de l’action sociale et des familles). Il prévoit dans son dernier état, que “tout professionnel de l’action sociale” (ce qui est extrêmement vaste : assistant social, infirmière de PMI, inspecteur de la DDASS, éducateur de prévention spécialisée...) doit dénoncer au maire et au président du conseil général la situation d’une personne ou d’une famille qui s’aggrave et nécessite l’intervention de plusieurs professionnels. Le texte recouvre en fait tout le champ de l’accompagnement social et concerne tous les cas puisqu’aujourd’hui l’intervention solitaire du travailleur social relève d’un passé révolu. : “lorsqu’un professionnel de l’action sociale constate que l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille appelle l’intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la commune de résidence et le président du conseil général”. Ces professionnels peuvent alors transmettre toutes les informations nécessaires : ils “sont autorisés à révéler au maire et au président du conseil général... les informations confidentielles qui sont strictement nécessaires à l’exercice de leurs compétences”. Un coordonnateur peut également être désigné qui sert de courroie de transmission entre les professionnels de l’action sociale et le maire (ou le président du conseil général). C’est lui qui transmet alors les informations confidentielles.

Le maire est ainsi rendu destinataire de toutes les informations concernant ces familles en difficulté. La vraie rupture est là : nous passons ainsi sans crier gare d’un système d’aide à un système de surveillance. Car le maire a une double casquette. Il n’est pas seulement à la tête de services sociaux, il est aussi, selon les règles du code de procédure pénale, un officier de police judiciaire. Rappelons qu’aux termes du code de procédure pénale, “ont la qualité d’officiers de police judiciaire les maires et leurs adjoints...” (article 16), qu’ils sont chargés “de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs” (article 14). Et le maire, comme tout officier de police judiciaire se doit de signaler les infractions qu’il constate au procureur de la République. Nous sommes donc en pleine confusion. Le maire va pouvoir utiliser toutes les informations recueillies jusqu’alors confidentiellement par les travailleurs sociaux pour engager des poursuites ou faire mener des enquêtes. Ce partage du secret professionnel avec le maire remet en cause l’essence même du métier de travailleur social ou d’assistante sociale. Ces professionnels ont absolument besoin de la confiance des jeunes et de leurs familles pour pouvoir les aider. Si l’on sait qu’il n’y a plus de confidence possible et que tout peut remonter vers le maire, il n’y a plus le travail social, éducatif, sanitaire devient impossible. À l’échelon de la commune se met ainsi en place le même système qu’à l’échelon national, peut-être pire, car les contre-pouvoirs possibles seront encore moins nombreux. [1]

[1] Un Collectif national unitaire de résistance à la délation a été créé, composé de syndicats et d’associations, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans toute la France pour demander le retrait de ces dispositions et de ce texte qualifié de liberticide qui, outre l’incitation à la délation, “met en place le contrôle et le fichage des personnes présentant des difficultés sociales, éducatives et financières”