PREMIERE PARTIE L’EVOLUTION DU REGIME JURIDIQUE DE LA DETENTION PROVISOIRE : LA RECHERCHE D’UN D’EQUILIBRE
La détention préalable au jugement est apparue au XIV° siècle avec le développement de la procédure inquisitoire. La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame en son article 7 que nul ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes par elle prescrites.
Dans le code d’instruction criminelle de 1808, la détention avant jugement était la règle et la liberté l’exception. Une loi du 14 juillet 1865 a permis à l’inculpé de demander sa mise en liberté aussi bien en matière criminelle que correctionnelle.
Le code de procédure pénale de 1958 proclame en son article 137 le caractère exceptionnel de la détention préventive. Afin qu’elle le devienne réellement, une grande réforme résultant de la loi du 17 juillet 1970 a modifié profondément le régime de la détention avant jugement ainsi que la terminologie, l’adjectif "provisoire" qualifiant désormais la détention et non plus la liberté. Cette loi a créé une solution alternative à la détention, le contrôle judiciaire, et limité les cas dans lesquels la détention provisoire peut-être ordonnée.
Depuis la loi du 17 juillet 1970, une vingtaine de lois se sont succédées dans le domaine de la détention provisoire. La majorité de ces textes ont eu pour objectif de réduire le nombre et la durée des détentions provisoires. Quatre lois font toutefois exception : la loi « sécurité et liberté » du 2 février 1981, la loi du 9 septembre 1986, la loi du 4 mars 2002, la loi du 9 septembre 2002.
Connue et mise en oeuvre par tous les pays, la détention provisoire est possible sur le fondement de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce texte prévoit en son paragraphe 1er les cas où une personne peut être légitimement détenue avant jugement, limite en son paragraphe 3 la durée de cette détention à un délai raisonnable et exige en son paragraphe 4 que la juridiction saisie d’un recours contre une mesure de détention statue à bref délai et ordonne la libération de la personne si la détention est illégale.
Les principes généraux qui gouvernent la détention provisoire sont désormais énoncés dans l’article préliminaire du code de procédure pénale issu de la loi du 15 juin 2000 : "Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie (...) Les mesures de contrainte dont cette personne peut faire l’objet (...) doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne".
1 - Les conditions de fond de la détention provisoire
La mise en détention provisoire doit demeurer exceptionnelle. Le placement en détention provisoire et la prolongation de la détention ne sont possibles que si sont remplies deux conditions préalables et si sont réalisées certaines situations pouvant justifier la détention provisoire.
1.1 - Les conditions préalables
Elles sont au nombre de deux :
- La gravité de la peine encourue ;
- L’insuffisance des obligations du contrôle judiciaire.
Pour certaines personnes, notamment pour les mineurs, s’ajoutent d’autres conditions préalables.
! Le quantum de la peine encourue
Exclue en matière contraventionnelle, toujours possible en matière criminelle, la détention préalable n’est prévue en matière correctionnelle que pour les délits relativement graves.
Le critère du seuil de la peine encourue a fait l’objet de nombreuses modifications législatives. Fixé à un minimum de deux ans par la loi du 17 juillet 1970, ce seuil a été supprimé par la loi sécurité et liberté du 2 février 1981 puis rétabli par la loi du 10 juin 1983.
La loi du 9 septembre 1986 a ramené ce seuil à un an en cas délit flagrant.
Enfin la loi du 15 juin 2000 a fixé un seuil de principe de trois ans, ce seuil étant toutefois porté à cinq ans en cas de délits contre les biens.
La loi du 9 septembre 2002 a opéré un réalignement des seuils à trois ans.
La modification des seuils a t-elle des conséquences pratiques ?
Il convient de souligner que la baisse du nombre des informations s’accompagne d’une augmentation des procédures de comparution immédiate dont le champ d’application a encore été étendu par la loi du 9 septembre 2002. Ces nouvelles dispositions permettent de placer en détention provisoire, jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel, le prévenu qui encourt une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement, seuil réduit à 6 mois en cas flagrant délit.
! La condition de subsidiarité : l’insuffisance des obligations de
contrôle judiciaire
Cette condition restée longtemps théorique est devenue effective depuis la loi du 30 décembre 1996 qui a exigé que la décision de placement en détention ou de prolongation soit spécialement motivée à cet égard. Cette exigence de motivation a été étendue aux ordonnances rejetant une demande de mise en liberté par le nouvel article 137-3 du code de procédure pénale issu de la loi du 15 juin 2000.
! Les conditions liées à la personnalité de la personne poursuivie
- Pour les mineurs les règles ont été profondément modifiées par la loi du 9 septembre 2002.
- Pour les jeunes majeurs (moins de 21 ans), une enquête rapide de personnalité doit être prescrite avant le placement en détention (article 81 du code de procédure pénale).
- Pour les parents d’un enfant mineur , l’obligation créée par la loi du 15 juin 2000 de faire procéder à une enquête sociale lorsqu’est envisagé le placement en détention ou la prolongation de la détention d’une personne exerçant l’autorité parentale sur un enfant de moins de 10 ans a été modifiée par la loi du 4 mars 2002 qui l’a étendue aux mineurs de 16 ans mais l’a limitée aux seuls cas où le parent exerce l’autorité parentale à titre exclusif sur le mineur.
1.2 - Les motifs justificatifs
L’article 144 du code de procédure pénale, issu de la réforme de 1970 et souvent remanié, énumère de manière limitative les cas de détention provisoire. Il distingue trois catégories de cas :
- Les cas correspondant aux nécessités de l’instruction (article 144 1er du code de procédure pénale) ;
- Les cas se rattachant à la notion de mesure de sûreté (article 144 2ème du code de procédure pénale) ;
- Le trouble à l’ordre public (article 144 3ème du code de procédure pénale).
Ce dernier critère est le plus controversé à raison de son caractère trop général. Il ne se retrouve pas dans toutes les législations étrangères.
Pour limiter le recours des juges à la notion de trouble à l’ordre public, la loi du 30 décembre 1996 a exigé que le trouble soit exceptionnel et persistant et précisé que ce trouble devait résulter soit de la gravité de l’infraction, soit des circonstances de la commission, soit de l’importance du préjudice causé.
La loi du 15 juin 2000 a exclu la possibilité de motiver la prolongation de la détention en matière correctionnelle par le trouble causé à l’ordre public, mais cette disposition a été abrogée par la loi du 9 septembre 2002 (article 37).
2 - La durée de la détention provisoire
Deux techniques sont utilisées par le législateur pour limiter la durée des détentions provisoires : la technique des échéances successives qui oblige le juge à renouveler la détention avant chaque échéance et la technique des délais butoirs au delà desquels la détention ne peut plus être prolongée.
En d’autres termes, la détention peut être prolongée à intervalles réguliers à la demande du juge d’instruction par le juge des libertés sans pouvoir dépasser des délais butoirs qui varient selon la gravité et la nature des faits (4 mois, 1 an, 2 ans, ou exceptionnellement 2ans + 4mois en matière correctionnelle ; 2, 3 ou 4 ans et exceptionnellement 4ans + 8mois en matière criminelle).
Il convient en outre de noter que ces « délais butoirs » ne sont applicables que jusqu’à l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement. Après le prononcé de cette ordonnance, le tribunal correctionnel doit examiner l’affaire dans le délai de 2 mois (article 179 du code de procédure pénale) et la cour d’assises dans le délai d’un an mais ce délai est renouvelable (article 215-2 du code de procédure pénale).
La durée de la détention reste en tout état de cause limitée par le délai raisonnable tel que prévu par l’article 5§3 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 144-1 du code de procédure pénale introduit par la loi du 30 décembre 1996.
3 - La procédure de placement en détention provisoire et de
prolongation
! L’évolution législative en cette matière se caractérise par :
- Un renforcement du principe du contradictoire. Le débat contradictoire instauré par la loi du 9 juillet 1984 en matière correctionnelle et du 6 juillet 1989 en matière criminelle est désormais obligatoire avant toute décision de placement en détention ou de prolongation, ce débat pouvant être public si l’intéressé le demande ;
- Des exigences de motivation particulière notamment dans le cas où la durée de la détention excède 8 mois en matière correctionnelle et 1 an en matière criminelle ;
- La création d’une nouvelle juridiction : le juge des libertés et de la détention ;
- L’instauration de nouveaux recours, en particulier le "référé-liberté".
! Les juridictions compétentes pour statuer sur la détention provisoire
Notre droit n’a cessé d’hésiter, pour décider de la détention provisoire, entre le juge d’instruction et une autre autorité.
Initialement attribuée par le code d’instruction criminelle de 1808 à une chambre du conseil composée de trois juges dont le juge d’instruction, le contentieux de la détention a été confié, à partir de 1856, au seul juge d’instruction [1].
Les lois du 10 décembre 1985 et du 30 décembre 1987 ont rétabli une juridiction collégiale, la première comprenant le juge d’instruction et la seconde l’excluant. Mais ces lois ne sont jamais entrées en vigueur et la loi du 6 juillet 1989 est revenue au juge d’instruction.
Les dispositions de la loi du 4 janvier 1993 créant un juge de la détention ont été abrogées par la loi du 24 août 1993.
La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence a dépossédé à nouveau le juge d’instruction d’une partie de ses pouvoirs en matière de détention provisoire.
La détention ne peut plus être décidée par le juge d’instruction. Elle est ordonnée ou prolongée par le juge des libertés et de la détention, magistrat d’expérience puisqu’il s’agit d’un président, d’un premier vice-président ou d’un vice-président d’un tribunal de grande instance (articles 137-1 et suivants du code de procédure pénale). Ce magistrat étant saisi à la demande du juge d’instruction, la détention d’une personne mise en examen suppose donc nécessairement l’accord de deux magistrats du siège. Ce double contrôle et cette séparation des fonctions constituent une garantie pour les libertés individuelles. Il convient de souligner que le juge d’instruction demeure compétent pour ordonner la mise en liberté de la personne mise en examen et pour ordonner son maintien en détention jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel.
A tout moment de la procédure d’instruction, la personne détenue peut demander sa mise en liberté. Les ordonnances de placement en détention, de prolongation de la détention et de refus de mise en liberté sont susceptibles d’appel devant la chambre d’instruction qui doit statuer dans des délais très brefs (10 ou 15 jours), faute de quoi la personne détenue est mise d’office en liberté (article 194 du code de procédure pénale).
Les lois nouvelles ont instauré de nouveaux recours permettant à la personne concernée de voir statuer encore plus rapidement sur l’appel de son placement en détention. Il s’agit des procédures de référé-liberté.
- Le référé-liberté
La loi du 24 août 1993 a supprimé le juge de la détention mais créé, pour la personne placée en détention, un nouveau recours connu sous le nom de référéliberté et permettant au président de la chambre d’accusation (devenu chambre de l’instruction) de déclarer suspensif l’appel de la personne concernée contre l’ordonnance de placement en détention.
La loi du 30 décembre 1996 a donné au président de la chambre d’accusation le pouvoir de prononcer lui-même la mise en liberté de l’intéressé, la chambre d’accusation étant dans ce cas dessaisie.
Enfin la loi du 15 juin 2000 a introduit un second type de référé-liberté qui a pour objet de permettre son examen par la formation collégiale de la chambre d’instruction et non par son seul président. Désormais la personne placée en détention peut choisir entre les deux procédures de référé-liberté. La loi du 9 septembre 2002 a en revanche créé, au profit du ministère public, un "référédétention".
- Le référé-détention (article 187-3 du code de procédure pénale)
En cas de remise en liberté ordonnée par le juge d’instruction ou par le juge des libertés et de la détention contrairement aux réquisitions du procureur de la République, ce dernier peut, en même temps qu’il interjette appel de la décision, former un référé-détention devant le premier président de la cour d’appel qui pourra décider de donner un caractère suspensif au recours de ce magistrat, empêchant ainsi la mise en liberté de la personne concernée jusqu’à ce que la chambre d’instruction statue sur l’appel.
4 - La réparation à raison d’une détention provisoire
Outre la loi d’ordre général du 5 juillet 1972 qui prévoit dans son article 11 que l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service la justice en cas de faute lourde ou de déni de justice, le législateur a pris en matière de détention provisoire des dispositions beaucoup moins restrictives.
La loi du 17 juillet 1970 qui a créé les articles 149, 149-1, 149-2 et 150 du code de procédure pénale, a permis d’indemniser les personnes placées en détention provisoire et qui, à un stade ou un autre de la procédure, ont été mis hors de cause en confiant le soin de statuer sur les demandes à une commission composée de magistrats, réunie à la cour de cassation.
Les lois du 30 décembre 1996, 15 juin 2000 et 30 décembre 2000 ont profondément remanié l’indemnisation des détention provisoires.
Sur le plan procédural, la réparation est désormais allouée par le premier président de la cour d’appel qui statue, au terme de débats en audience publique, par une ordonnance motivée, susceptible de recours devant une commission nationale composée de magistrats de la cour de cassation.
Sur le fond, la loi du 17 juillet 1970 prévoyait que le préjudice fût manifestement anormal et d’une particulière gravité. Ces conditions restrictives ont été supprimées par la loi du 30 décembre 1996. L’article 149 du code de procédure pénale prescrit que la personne a droit à la réparation intégrale de son préjudice matériel et moral, exception faite de trois cas particuliers (cf. cinquième partie).