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(2007) Du SIDA, on n’en fait plus une maladie

Du SIDA, on n’en fait plus une maladie

« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître  » [1], mais, pour les plus âgés, vous souvenez-vous, au début de l’épidémie de SIDA, au commencement des années 1980, des campagnes de prévention pour lutter contre cette maladie ? « Le SIDA ne passera pas par moi  » disait-on. Pour les plus jeunes, aujourd’hui, en 2007, « sortez couvert  » est devenu le mot d’ordre. Mais force est de constater que depuis le début de lépidémie à nos jours, le virus du VIH n’a pas cessé de progresser et qu’il est passé par près de 170 mille personnes dans notre pays et plus de 40 millions dans le monde.

Quand j’ai entendu, l’année dernière, les derniers chiffres concernant les nouvelles contaminations au virus VIH, je me suis posé une question : qu’est-ce qu’il fait que le virus VIH, on n’y fait plus attention ? Une question en amène d’autres : pourquoi n’en a-t-on plus peur ? Est-ce seimplement par inconscience ou par insouciance ? Est-ce que les messages de prévention ne sont pas assez percutant ? L’année dernière, il ya eu 40% en plus de nouvelles contaminations par rapport à l’année précédente, ce qui représente tout de même 2.000 personnes. De 5.000 personnes infectées en 2004, on est passé à 7.000. C’est plus qu’effrayant ! Cela fait froid dans le dos. Surtout quand on est soi-même contaminé par ce virus. On sait ce que toutes ces personnes vont devoir endurer. Je suis contaminé depuis 23 ans et j’ai décalré la maladie quand j’ai eu une tuberculose en 2000, alors permettez-moi de dire que je sais de quoi je parle. Voyez le paradoxe, chaque année, le 1er décembre, lors de la journée mondiale de lutte contre le SIDA, les associations se démènent pour diffuser des messages de prévention et, en même temps, on apprend que les contaminations continuent d’augmenter. Y a vraiment pas de quoi se taper le cul par terre ! On pourrait se dire que ça pourrait être bien pire si on ne faisait rien, ce qui n’est pas faut. Mais le problème est que même en faisant quelque chose, c’est chaque année encore plus pire que l’année précédente. Encore et toujours plus de nouvelles contaminations. Alors qu’est-ce qui cloche ? Qu’est-ce qui ne passe pas dans les messages de prévention ? Et d’après ce que j’ai entendu du micro-trottoir qui a été organisé par Sidaction, lors du dernier 1er décembre, je me suis rendu compte que le SIDA ne faisait plus aussi peur qu’au début de l’épidémie. Bien sûr, à cette époque, les craintes n’étaient pas justifiées, on n’était pas contaminé par le VIH en buvant dans le verre d’une personne infectée ou en étant piqué par un moustique (bien que certaines personnes le pensent encore aujourd’hui). En 2006, on connaît les modes de contamination, par le sexe, par le sang et de la mère à l’enfant. Dans le premier cas de figure, seul le préservatif masculin ou féminin peut nous protéger, dans le second, en utilisant son propre matériel d’injection ou de sniff stérile et dans le dernier cas, en suivant un traitement médical bien spécifique. Sachant cela, aucun risque d’être contaminé. Alors, je repose à nouveau la question, pourquoi y a-t-il de nouvelles contaminations ? Et bien parce que l’on pense que le SIDA, on ne meurt plus. « On peut vivre avec  » ai-je entendu dire. Ou encore « il existe un vaccin » faisant référence au traitement d’urgence. Tout d’un coup, je me suis dit « mais c’est peut-être moi le responsable quand je dis que j’arrive à vivre avec ma maladie ? » « Peut-être me suis-je mal fait comprendre ou mal exprimer ? ».
Alors, ni une, ni deux, je saute sur le clavier de mon PC pour vous témoigner de ce que je dois vivre au quotidien avec cette maladie, le SIDA, et croyez moi encore sur parole, ce n’est vraiment pas si facile que l’on pouurait le croire.
Chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, toute ma vie, matin, midi et soir, je vais devoir prendre des dizaines de médicaments. Vous vous imaginez devoir avaler au minimum une bonne vingtaine de cachets et gellules par jour ? Et les effets secondaires de la maladie et des médicaments, en avez-vous seulement conscience ? Lipodystrophie, nausées, essoufflements, fatigue, douleurs musculaires, crampes, maux de tête, troubles digestifs, insomnies, cauchemards, éruptions cutanées, aphtes, neuropathies périphériques (fourmillemnets et diminution de la sensibilité au niveau des pieds et des mains), diarrhée, coubature, trouble hépatique, vertiges, dépression, hallucinations, etc...
Bien entendu, une personne séropositive au virus VIH ou malade du SIDA n’aura pas tous ces effets secondaires en même temps, mais vous pouvez être certain d’y être confronté un jour ou l’autre. Voilà la réalité d’une personne infectée par ce virus. C’est ma réalité depuis plus de 20 ans. Lorsque l’on témoigne à l’occasion du 1er décembre ou lors du Sidaction, on ne veut pas parler de ces problèmes de santé, car on a notre dignité et on ne souhaite pas recevoir de la pitié ou de la compassion, alors on dit que « l’on vit avec », mais cela ne veut pas dire que tout se passe bien dans le meilleur des mondes. Quand je me réveille le matin, j’ai toujours le cœur au bord des lèvres et le soir, je n’arrive pas à dormir. Manger, qui est normalement un plaisir, est devenu pour moi une obligation. Combien de fois, le matin, je suis sorti de chez moi pour aller travailler et, à peine mis les pieds sur le trottoire, d’être obliger de remonter à la maison à cause d’une très grosse envie pressante (je vous passe les détails). Quand vous sentez votre libido diminuer au fil du temps qui passe et que vous ne savez plus quoi répondre quand votre petite amie a envie de faire l’amour avec vous. Alors oui, on arrive à vivre avec le SIDA, mais vous avez vu à quel prix ? Etes-vous prêts à payer ce prix-là ?
Je vous en prie, jeunes demoiselles, mesdames, messieurs, SORTEZ COUVERT ! METTEZ UN PRESERVATIF ! Il en existe pour homme et pour femme, de toutes les tailles et de toutes les couleurs (gaffe au noir ç’a aminci), de tous et pour tous les goûts. Après, il sera trop tard. Combien j’en ai entendu dire « si j’avais su  » ?
Je tiens ma vie dans un pillulier hebdomadaire que je dois remplir chaque semaine et vider à nouveau chaque jour. Je n’ai pas le droit d’oublier. Parce que si j’oublie, la maladie, elle, ne m’oubliera pas et me le fera payer très cher. C’est ainsi que je dois vivre. Je donnerais n’importe quoi pour ne plus à avoir à prendre ces médicaments qui agressent mon corps. Et on ne revient jamais en arrière.
Moi, je dois faire attention à ne pas contaminer une autre personne, vous, vous devez faire attention à ne pas être contaminé. Et qui sait, sans le savoir, en contaminer d’autres. Ce combat nous appartient à tous. Malheureusement, j’ai envie de dire.

Didier Robert, détenu à la M.A. de la Santé, à Paris.

[1] « La Bohème » de Charles Aznavour, 1966