Conclusion
On ne peut traverser l’univers carcéral sans être marqué par sa violence muette. Et si cette expérience de vertige au bord du précipice vous fait voir autrement la prison elle-même, elle vous amène également à changer votre regard sur l’extérieur.
Olivier Gosse
Une réflexion en cours
S’il est indéniable que les personnes placées sous main de justice forment aux yeux du monde de la culture un public à part entière, la reconnaissance de l’action culturelle dans le milieu pénitentiaire n’est pas encore acquise de manière définitive. Depuis les prémices d’une politique culturelle pénitentiaire dans les années 1980 les avancées sont nombreuses. Les textes fondateurs du partenariat Culture/Justice n’ont jamais été remis en cause, mais restent au contraire une référence à laquelle on revient toujours. Mais au-delà des directives venues des Administrations centrales, leur application se révèle moins évidente. Chacune des institutions doit faire à l’égard de son homologue un effort permanent de communication et d’information. Les ministères de la Culture et de la Justice sont des partenaires en tous points différents, tant dans leur organisation que dans leurs objectifs. Une médiation dont les modalités n’ont pas encore été trouvées à l’heure actuelle s’impose à chaque instant.
Pour que la culture en prison n’étonne plus, ne soit plus exceptionnelle, un autre regard doit être porté sur l’incarcération. Il doit conduire à reconnaître que le détenu est un citoyen, qu’il est certes privé de sa liberté mais qu’il reste un sujet de droit. La politique de décloisonnement a pour objectif d’offrir aux détenus des prestations équivalentes à ce qu’elles seraient en milieu libre. La Justice ne pouvant assurer seule ces prestations, cette politique consiste à mobiliser d’autres institutions, comme la Culture. Le rapport sur la situation dans les prisons françaises affirme que « cette mobilisation permet d’entretenir ou de susciter le sentiment d’appartenance à un groupe social, en sortant le détenu de son statut d’exclu. En ce sens, elle constitue véritablement une ouverture de la prison vers l’extérieur. Mais la politique de décloisonnement traduit également l’exigence d’une manifestation de solidarité envers le monde carcéral ; elle est en ce sens indubitablement un regard extérieur posé sur la prison » [1]. La prison renvoie trop souvent à une réalité que l’on veut ignorer alors même qu’elle est l’affaire de tous, qu’elle peut concerner chacun d’entre nous. De plus, la culture est encore aux yeux d’un trop grand nombre un luxe. C’est une question que l’on se pose quand la société va bien, quand elle a le temps de s’y consacrer, quand elle ne lui préfère plus d’autres problématiques dites prioritaires. Tout comme le monde des prisons, la culture est souvent dénigré dans notre société. Ce qui peut expliquer en partie que le développement culturel en milieu pénitentiaire n’intéresse que des « spécialistes ».
La réflexion sur une politique culturelle à destination des personnes placées sous main de justice ne peut bien évidemment se faire sans celle sur la prison en général. Les conditions de détention ne cessent de se détériorer. Pourtant, Alvaro Gil-Robles rappelle dans un entretien récemment accordé à Libération qu’ « être en prison, c’est être privé de liberté, et non pas vivre dans un lieu indigne d’êtres humains » [2]. Alvaro Gil-Robles, Commissaire européen aux Droits de l’Homme, vient d’achever son tour des prisons d’Europe par une visite des établissements pénitentiaires français. Il décrie les conditions de vie des détenus français, et notamment une surpopulation croissante. Si l’on peut entendre que la Justice privilégie en premier lieu les réponses à ces problèmes très concrets, il ne faut pas sacrifier le développement culturel sur l’autel des causes perdues. Il est urgent que la situation des prisons françaises changent. Et il est essentiel que l’action culturelle se saisisse dans le même temps de ces changements.
Une expérience unique
Traiter d’un sujet aussi complexe que celui du développement culturel en milieu pénitentiaire ne cesse, pour celui qui s’y intéresse, d’interroger, de questionner et d’étonner.
Être au point de rencontre des milieux culturel et pénitentiaire comme peut l’être une étudiante d’un IUP Culture en stage dans un Spip est riche d’enseignements quant aux rapports que peuvent entretenir l’institution culturelle et le ministère de la Justice. La difficulté à légitimer en tant que stagiaire sa place au sein du Service pénitentiaire est très représentative, si ce n’est même symptomatique, de ces relations interministérielles tissées d’incompréhensions et de manque de communication. La nécessité d’instaurer une véritable médiation entre les deux institutions concernées n’apparaît que plus clairement.
Ce stage et la réflexion qu’elle suscite permettent en fin de parcours universitaire de reconsidérer ses certitudes et ses choix professionnels. Ils tendent tous vers une même conviction : celle d’une culture qui ne peut et ne doit que s’inscrire dans la société. Pour ne pas oublier que les publics sont nombreux et différents. Mais laissons l’écrivain Philippe Claudel conclure sur cette expérience unique :
« Ce peut être un témoignage ou, plus exactement, un faux témoignage, car il me manque quelque chose d’essentiel pour parler de la prison, c’est d’y avoir passé une nuit. Je ne sais pas au fond si l’on peut parler de la prison quand on n’y a jamais dormi. Toutes les heures où j’ai été dans ces murs composent bien des jours, oui, des mois même, mais pas une nuit, pas une seule. Et puis, ce qui alourdit mon faux témoignage, c’est que je n’ai connu la prison que d’un seul côté » [3] ;