Première partie
La Culture à la rencontre du public pénitentiaire
En bas, un sol recouvert de déchets
Poubelles vidées aux fenêtres
Nourriture, bouteilles ou vêtements
En face, un mur de pierre
Chemin de ronde et caméra
Pointée sur ma cellule
A côté, un gros câble barbelé
Avec fils électriques branchés
Et lames de rasoirs dressées
En haut, enfin, un peu de ciel
Morceau juste assez grand
Pour voir l’humeur du temps
La liberté est là
Sous les bruits de clés
Ou dehors, des grosses cylindrées
Mêlés à celui de la pluie
Ou des gens qui crient
Détenu anonyme
Chapitre 1 Quand la culture passe les murs de la prison
Comment s’est faite la rencontre entre le milieu pénitentiaire et la culture ? Quelle place l’action culturelle peut-elle trouver dans un milieu aussi spécifique, et pour quel(s) public( s) ? Le partenariat entre le ministère de la Culture et celui de la Justice a pris forme à force de patience mais aussi de compromis. Toute la difficulté résidant dans les objectifs visés, différents selon le ministère en question.
1.1 Vers une lente institutionnalisation de la culture en milieu
pénitentiaire Pendant bien longtemps, la prison n’était que le lieu de l’enfermement de celui ou de celle qui devait être puni(e) et qui devait ainsi payer son tribut à la société. La garde des détenus était la mission première du personnel pénitentiaire, pour ne pas dire l’unique mission. Il ne fallait pas que le détenu s’évade ou se donne la mort. Ce n’est que récemment qu’est apparue la notion de réinsertion, et avec elle, celle de culture.
La venue de la culture en prison n’allait pas de soi. Elle ne s’est pas faite du jour au lendemain. À une première approche plutôt caritative a succédé une approche plus militante. Et ce n’est que progressivement que les actions culturelles se sont inscrites dans le fonctionnement ordinaire des institutions.
1.1.1 Détention et culture : l’amorce d’une réflexion
À partir des années 1980 émerge une véritable réflexion sur le développement culturel en milieu pénitentiaire. Elle découle d’un contexte à la fois politique, social et culturel. Jusque là, des expériences étaient menées de temps à autre sur le territoire, au gré de la bonne volonté des intervenants culturels et aussi du personnel pénitentiaire. Le livre et la lecture ont très tôt occupé une place importante en détention. C’est ainsi que la culture s’imposa, en prison, en tout premier lieu par la bibliothèque.
1.1.1.1 La Justice et l’enfermement d’hier à aujourd’hui
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, un individu condamné par la Justice pouvait être banni ou supplicié. D’importants travaux de réflexion ont accompagné les changements économiques et politiques qui ont bouleversé le monde occidental il y a deux siècles. Il s’agissait de promouvoir l’individu face au groupe social et face à l’État. Dans ce contexte de la philosophie des Lumières, les châtiments corporels devenaient aussi insupportables que l’absolutisme royal.
À partir de la fin du XVIIIe siècle la condamnation à mort n’était prononcée que pour un nombre réduit de crimes et était rendue moins cruelle. Ainsi, en France, l’invention de la guillotine visait à atténuer les souffrances du condamné. Les supplices qui n’entraînaient pas la mort ont été remplacés par un dispositif jusque là utilisé de façon ponctuelle et accessoire : l’enfermement. Bien évidemment on enfermait déjà auparavant mais il était exceptionnel qu’un tribunal condamne à l’emprisonnement. « C’est pour son caractère pratique, souple, et moins traumatisant que les supplices antérieurs, que la prison remplaça rapidement les autres formes de châtiments, considérés d’autant plus volontiers comme barbares qu’ils étaient associés à d’anciens régimes dont les nouveaux pouvoirs politiques avaient tout intérêt à ternir l’image » [1].
Depuis lors, la peine d’enfermement ne cesse de susciter des réflexions diverses qui s’opposent et se contredisent. La question de l’utilité de la prison mais aussi de son efficacité demeure actuelle. Malgré les « échecs » constatés, on ne peut lui opposer d’autres mesures qui la remplaceraient complètement. Elle reste, comme le pense Michel Foucault, « la détestable solution dont on ne peut faire l’économie » [2].
Il ne convient pas ici de prendre parti pour ou contre la peine d’enfermement et l’institution qu’est la prison. Mais c’est à partir du constat de l’existence de la peine de prison que doit se mener la réflexion concernant la place de la culture en milieu pénitentiaire.
1.1.1.2 Les bibliothèques : le premier espace culturel de la prison
De tous temps, le livre est symbole de la culture en France, ou plutôt de l’accès à la culture. La représentation de la lecture comme pilier de l’éducation est formulée dans différents textes officiels. On trouve trace de bibliothèques en prison dès le Second Empire, mais ce n’était qu’une simple tolérance pour quelques ouvrages qui servaient de support à une éducation morale ou à une vie religieuse. Partisans de l’adage populaire qui affirme que « l’oisiveté est mère de tous les vices », les personnels des établissements ont toujours craint le désoeuvrement de la population pénale. La lecture fut souvent associée, au cours de l’histoire, à cette peur diffuse et considérée comme l’un des moyens de sa résolution. C’est sans doute pour cela que la lecture, comme loisir, a été très tôt acceptée par les personnels pénitentiaires.
Pendant longtemps, une censure s’effectua lors de l’acquisition des livres qui se faisait selon la règle des trois « po », mettant ainsi à l’écart les ouvrages politiques, policiers et pornographiques.
Il fallut attendre la fin des années 1970 pour qu’une véritable politique de développement des pratiques de lecture et d’écriture en liaison avec les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture soit mise en oeuvre. En 1975, une libéralisation concernant l’entrée et la sortie des écrits apparaît dans le Code de procédure pénale et c’est en 1985 que ce même Code intègre des normes favorisant le développement des bibliothèques, particulièrement l’accès direct à la bibliothèque qui permet à chaque lecteur de prendre le temps de choisir ses livres. Avant, ce choix se faisait uniquement sur consultation d’un catalogue.
Un rapport établi en 1983 a été le cadre de référence de l’essor de la lecture en établissement pénitentiaire. Il a été pensé dans la mouvance d’une réflexion plus large sur la lecture publique. Rappelée à l’ordre par un décret de loi, l’Administration pénitentiaire a commencé, dans le cadre de sa politique d’équipement, à aménager l’accès direct aux lieux-bibliothèques. Ce décret précise de même que « chaque établissement possède au moins une bibliothèque dont les ouvrages sont mis gratuitement à la disposition des détenus. Les livres doivent être suffisamment nombreux et variés pour tenir compte des diversités linguistiques et culturelles des détenus, et pour respecter leur liberté de choix » [3]. Ce décret est important puisqu’il édicte l’obligation pour chaque établissement pénitentiaire d’avoir en ses murs une bibliothèque dont l’accès sera libre et gratuit pour tous les détenus. Colombe Babinet, de la Direction de l’Administration pénitentiaire [4], précise que « la bibliothèque devient alors le premier espace culturel de la prison » [5]. On est passé d’une politique de la lecture fondée sur le « relèvement moral » [6] à celle assise sur une instrumentalisation sociale. La circulaire du 14 décembre 1992 énonçait que « le développement des pratiques de lecture est essentiel pour la structuration de l’individu et la connaissance de son environnement » [7].
Grâce à un cofinancement des ministères de la Culture et de la Justice, un budget annuel d’achat de livres est dégagé. En moyenne, il est acheté un livre par détenu et par an. Ce qui reste un budget dérisoire pour assurer un enrichissement et une actualisation des fonds de livres. Dans les années 1980, des directives donnaient l’espoir que les bibliothèques de maisons d’arrêt soient prochainement aussi bien équipées que les bibliothèques municipales. Cet idéal est loin d’avoir été atteint, et ce que révèle le Rapport sur les bibliothèques des établissements pénitentiaires [8] récemment publié par le ministère de la Culture.
1.1.1.3 Les politiques de décloisonnement
Parler de décloisonnement en prison peut prêter à sourire car, au sens propre du terme, décloisonner c’est l’action de faire tomber des cloisons (ou des murs), ce qui serait dans le contexte carcéral quelque peu subversif. Mais décloisonner signifie ici plutôt supprimer des divisions ou des différences.
On trouve les fondements du décloisonnement dans la célèbre formule du Président Giscard D’Estaing qui, en 1974, à la suite d’une mutinerie dans les prisons de Lyon, affirma que « la prison, c’est la privation de liberté et rien d’autre » [9]. Autrement dit, le détenu doit pouvoir avoir accès à tous les droits non incompatibles avec la privation de liberté et, en particulier, à des prestations de qualité équivalente à celles auxquelles il aurait accès à l’extérieur. Peu à peu, toutes les prestations - ou presque - ne relevant pas de la compétence directe de la Justice ont été mises en place en détention. Cela s’est traduit par le transfert, aux ministères ou institutions de référence, du contrôle des prestations dispensées auprès de la population pénale (par exemple, l’Inspection du travail dans les ateliers ; l’Inspection académique dans les classes ou bien la loi de 1994 sur la santé). C’est un peu l’irruption de la « ville dans la prison ». Pour aller dans le même sens, le Maire siège depuis 1985 à la Commission de surveillance de la prison.
C’est une profonde mutation qu’illustrent parfaitement les domaines de la santé et de la culture. Ainsi, depuis la loi du 18 janvier 1994, le service public hospitalier assure les soins aux détenus qui ont alors accès à une protection sociale et aux politiques de prévention sanitaire de droit commun. Domaine plus délicat que celui de la santé, car moins incontestable et surtout lié à la notion de plaisir dans un milieu où la peine est souvent assimilée à la souffrance, le développement culturel en milieu pénitentiaire a bénéficié du même contexte favorable que les autres prestations d’insertion. C’est dans un souci commun que les deux ministères généralisèrent d’abord la création de bibliothèques en établissements pénitentiaires et mobilisèrent progressivement les services déconcentrés du ministère de la Culture, puis les collectivités territoriales sur l’ensemble des domaines de la culture.
C’est notamment à travers le domaine de la culture que l’on peut percevoir ces nouveaux enjeux des politiques de réinsertion, puisque « ces prestations, dès lors qu’elles répondent à des droits non supprimés par la privation de liberté, peuvent devenir par ailleurs le support à un processus de réinsertion précisément parce qu’elles intègrent le fait que le détenu y a sa place comme un citoyen » [10]. Les années 1980 voient s’opérer une redistribution des données et la création par la loi du 22 juin 1987 du service public pénitentiaire laisse entendre qu’il y a désormais les bases d’une nouvelle politique pénale, où réinsertion et sécurité publique vont de pair.
1.1.2 Naissance du milieu ouvert
Évoquer le milieu pénitentiaire fait immédiatement référence à la détention et aux détenus. Or les personnes incarcérées ne représentent qu’une catégorie de personnes placées sous main de justice. L’emprisonnement n’est qu’une peine prononcée parmi d’autres. Le développement culturel en milieu pénitentiaire se doit de ne pas oublier ces personnes qui bénéficient comme les détenus de mesures de réinsertion.
1.1.2.1 Milieu ouvert/milieu fermé : définitions
Dans le jargon pénitentiaire on oppose bien souvent le milieu dit « fermé » au milieu dit « ouvert ». Ces expressions se révèlent transparentes : la prison renvoie au milieu fermé tandis que l’appellation de milieu ouvert recouvre les décisions de justice devant être exécutées partiellement ou totalement hors des établissements pénitentiaires. Ainsi, en milieu ouvert, les détenus sont hors les murs. Ces mesures peuvent être prises avant ou
pendant le jugement. Parfois, elles sont une modalité d’éxécution de la peine d’emprisonnement (c’est le cas de la semi-liberté).
En droit pénal on emploie le terme de « probation ». Il désigne « la méthode permettant le traitement des délinquants en vue de leur reclassement » [11]. Du latin probatio, épreuve, la probation est donc une mise à l’épreuve ou une sorte de mise à l’essai de la personne condamnée qui devient alors un « probationnaire » [12].
Le nombre de personnes suivies en milieu ouvert augmente chaque année. En 2004, l’Administration pénitentiaire estime qu’elles étaient plus de 120 000 [13] prises en charge par les Spip.
1.1.2.2 Les origines de la probation
Les peines alternatives à l’incarcération n’ont pas toujours été une évidence en matière de sanction pénale. Ces peines qui sont de nos jours fréquemment prononcées sont le fruit d’une évolution lente qui a pris sa source dans le système anglo-saxon avant d’être appliquée en France.
C’est en Angleterre, au XIIIe siècle, qu’apparaissent les prémices de la mesure de sursis avec mise à l’épreuve. Un individu pouvait s’engager devant un magistrat à accomplir un acte déterminé par ce dernier. Plus tard, des ordonnancements royaux devaient laisser le juge libre de statuer ou non dans le sens d’une condamnation ferme. C’est aussi aux États-Unis que se sont développées de manière plus construite les premières pratiques de traitement des délinquants en milieu ouvert. Un corps de surveillants de délinquants fut créé. Ce système a pris de l’ampleur dans les pays anglo-saxons mais il fallu attendre le début du XXe siècle pour que la France commence à appliquer ce type de mesures.
C’est la justice des mineurs qui ouvre la voie à la probation française avec la mise en place d’un suivi des jeunes condamnés pendant leur détention mais aussi après leur libération. En 1885, une loi instaure la mesure de libération conditionnelle pour les majeurs qui donne la possibilité à des délinquants d’être laissés en liberté tout en demeurant surveillés. Au fil des décennies, la probation s’entend alors comme une mise à l’épreuve du
délinquant en liberté au cours de laquelle il est soumis au respect d’obligations strictes, individualisées, décidées par le juge. Les travailleurs sociaux se voient chargés à son égard d’une mission de contrôle et d’assistance.
1.1.2.3 Émergence des peines alternatives
Au fil du temps, l’enfermement ne devient plus la seule réponse sociale à la délinquance. À compter de la Libération, une nouvelle politique criminelle voit le jour et les peines se diversifient tout en changeant. La question qui se pose est « Comment punir ? ». Les peines alternatives - c’est-à-dire celles qui écartent l’incarcération - se multiplient. L’objectif n’est pas de moins punir mais surtout de mieux punir en modulant la peine selon la gravité du délit et la volonté de réparation du condamné. Cette notion de réparation se fait essentielle dans la nouvelle politique pénale des années 1970. Ce qui prime n’est plus la « simple » punition, dont la prison serait l’unique corollaire, mais la volonté de responsabiliser les auteurs de délits en réparant les outrages lorsque cela est possible. Individualiser la peine, personnaliser la sanction, ce sont de nouvelles orientations dans le paysage judiciaire.
A cela s’ajoute une surpopulation carcérale, toujours plus forte, que l’on ne tolère plus aujourd’hui. Les mesures alternatives permettent de désengorger les prisons tout en présentant des avantages économiques : le coût d’une journée de détention est plus élevé que celui entraîné par une mesure alternative.
La première mesure alternative introduite en droit français en 1958 est le sursis avec mise à l’épreuve. Comme son nom l’indique, le sursis avec mise à l’épreuve est une peine de prison avec sursis, où le condamné doit se conformer à certaines obligations, dont l’obligation de contrôle, et envisager sa réinsertion en lien avec les services pénitentiaires. C’est une mesure fréquemment prononcée aujourd’hui. Ainsi, en 2004, sur 135 721 [14] mesures suivies par les Spip, 105 247 [15] sont des sursis avec mise à l’épreuve et 17 990 [16] des travaux d’intérêt général.
Le travail d’intérêt général fut institué par une loi en 1980. Depuis sa création, cette peine est de plus en plus prononcée. Cette mesure, qui requiert la volonté du condamné pour être exécutée, consiste pour ce dernier « à effectuer un travail au profit d’une collectivité publique (par exemple une municipalité) ou d’une association agréée » [17] (comme la Croix-Rouge française). C’est une vraie mesure de réparation puisque le travail effectué n’est pas rémunéré. Elle peut être prononcée à titre principal ou comme substitution à une peine d’emprisonnement, mais aussi en complément d’une peine avec sursis. En cas de non accomplissement, la peine avec sursis devient effective.
En 1997 est établie une nouvelle modalité d’exécution de la peine privative de liberté, celle du placement sous surveillance électronique. Cette surveillance se fait par le biais d’un « bracelet électronique ». Les juges de l’application des peines tentent de privilégier cette mesure à l’incarcération étant donné qu’elle favorise la socialisation du condamné tout en assurant sur lui un contrôle aussi strict qu’en détention, mais les contraintes à sa mise en place sont nombreuses. Ainsi seuls 950 placements sous bracelet électronique ont été accordés au cours de l’année 2003 [18].
1.1.3 Les textes officiels
Quand le ministère de la Culture fut convaincu de la nécessaire introduction de l’idée de développement culturel en milieu pénitentiaire, il chercha à s’associer au partenaire le plus évident mais aussi le plus influent : le ministère de la Justice. Ce partenariat se pense et se formalise à partir des années 1980 grâce à des textes officiels bipartites qui voient alors le jour.
1.1.3.1 Les années 1980 : des années décisives
La politique culturelle en milieu pénitentiaire a été initiée dans les années 1980 en même temps que la mise en place des lois de décentralisation. Depuis une quinzaine d’années, une dynamique s’est développée, ponctuée, entre autres, en 1985 par les Rencontres Internationales de Reims sur la culture en prison, et en 1989 par les recommandations du Conseil de l’Europe qui indiquent qu’« il faudrait donner un rôle important aux activités créatrices et culturelles car elles offrent des possibilités particulières d’épanouissement et d’expression » [19]. Comme le rappelle Colombe Babinet, le premier argumentaire développé par les ministères de la Culture et de la Justice est : « C’est un droit, c’est un service public culturel. [...] Des conditions doivent être aménagées pour que le service public soit assuré de partout, même en prison » [20]. Il est rapidement apparu que, sous l’impulsion des ministères de la Justice et de la Culture, les collectivités et les associations ont été amenées, aux niveaux régional et
local, à participer de manière active à la mise en oeuvre de cette politique. C’est pourquoi, au vu du bilan largement positif des actions déjà conduites, les deux ministères ont élaboré conjointement les accords évoqués en infra. En effet, « les projets mis en oeuvre au cours de cette période furent suffisamment nombreux, intéressants et variés pour que la nécessité d’une réflexion se fasse sentir [...] et que des orientations politiques puissent être énoncées » [21].
1.1.3.2 Les deux protocoles d’accord
Deux protocoles d’accord sont signés entre les ministères de la Culture et de la Justice dans les années 1980-90. Jusqu’à aujourd’hui, ce sont des textes de référence, véritables pierres angulaires du partenariat Culture/Justice. Le premier protocole d’accord date du 25 janvier 1986 et définit les principes de l’action culturelle en milieu pénitentiaire. Cette politique vise principalement quatre objectifs : favoriser la réinsertion des détenus, encourager les prestations culturelles de qualité, valoriser le rôle des personnels pénitentiaires, sensibiliser et associer, chaque fois que possible, les instances locales à ces actions.
Dans le cadre du second protocole, celui du 15 janvier 1990, les deux ministères se rejoignent « dans une volonté commune de lutter contre les exclusions en assurant la rencontre entre un public en difficulté, les créateurs et le champ culturel dans son ensemble » [22]. L’évaluation des actions menées précédemment confirme l’importance de ces interventions culturelles dans un itinéraire de réinsertion pour des publics souvent en échec scolaire et en difficulté d’insertion sociale et professionnelle. Ce protocole affirme quatre principes de fonctionnement : l’instauration de partenariats avec des structures culturelles locales ; le recours à des professionnels ; la mise en place d’une programmation annuelle de qualité et l’évaluation des actions réalisées.
1.1.3.3 Les autres circulaires et chartes
D’autres outils de réflexion concernant les actions culturelles dans leur ensemble précisent les précédents protocoles d’accord.
Deux circulaires élaborées conjointement par les deux ministères énoncent les objectifs et les modalités d’application pour le fonctionnement des bibliothèques et le développement des pratiques de la lecture dans les établissements pénitentiaires. Elles concernent aussi la mise en oeuvre de programmes culturels destinés aux personnes placées sous main de justice.
La circulaire du 14 décembre 1992 relative au fonctionnement des bibliothèques et au développement des pratiques de lecture dans les établissements pénitentiaires affirme trois principes : la compétence, l’extériorité des personnes intervenantes et l’inscription des actions entreprises dans leur environnement local (commune, département, région). Elle fournit des indications de normes de fonctionnement, en ce qui concerne le budget, l’équipement et les collections des bibliothèques de prisons.
Le 30 mars 1995 paraît une autre circulaire, relative à la mise en oeuvre de programmes culturels adressés aux personnes placées sous main de justice. Elle donne notamment des éléments sur l’élaboration d’un projet et rappelle la réglementation sur le droit à l’image et le droit d’auteur. Elle évoque aussi la nécessaire sensibilisation des personnels culturelle dans le cadre de la formation continue.
En 1998 est signée une charte essentielle, celle des missions de service public pour le spectacle, qui vise le rapprochement de l’art avec tous les publics et tend à favoriser la multiplication des manifestations artistiques dans et hors les murs des institutions. Elle concerne les créateurs, les interprètes et les organismes de spectacle vivant à qui l’on attribue des responsabilités territoriales mais aussi sociales. La responsabilité sociale « s’exerce également à l’égard des personnes exclues pour des raisons éducatives, économiques ou physiques. Il est aujourd’hui du devoir civique de chacun des organismes culturels bénéficiant de fonds publics de prendre une part dans l’atténuation des inégalités » [23]. Par ce texte, chaque acteur culturel est investi d’une mission incontournable. La légitimité du développement culturel en milieu pénitentiaire est alors entière.
1.2 Quels sont les acteurs de la culture en milieu pénitentiaire ?
Le développement culturel en direction des personnes placées sous main de justice est le fruit d’une volonté conjointe d’acteurs à la fois culturels et pénitentiaires. Le partenariat entre les ministères de la Culture et de la Justice est formalisé par les protocoles, chartes et autres circulaires. Cependant, au sein de ces institutions, qui fait quoi ?
1.2.1 Les acteurs culturels
1.2.1.1 Le ministère de la Culture et de la Communication
L’administration centrale se compose de plusieurs directions qui élaborent et conduisent l’action de l’État dans les différents domaines culturels. Parmi ces dernières, la Délégation au développement et à l’action territoriale et la la Direction du livre et de la lecture travaillent étroitement avec la Direction de l’administration pénitentiaire. En ce qui concerne le partenariat avec le ministère de la Justice, c’est la Délégation au développement et à l’action territoriale qui a en charge la rédaction et le suivi des protocoles interministériels.
Quant à la Direction du livre et de la lecture, elle a pour mission de soutenir l’ensemble des maillons de la chaîne du livre. Le Bureau de développement de la lecture aide les actions en direction des publics les plus éloignés du livre et de l’écrit en incitant les bibliothèques publiques à mener des actions hors les murs ou plus précisément à créer
des bibliothèques dans les murs de la prison. La Direction du livre et de la lecture a
été la première direction à s’impliquer dans le développement de la lecture en milieu
pénitentiaire. Par ailleurs, les premières interventions et actions culturelles en détention
sont liées au livre et à la lecture. Ce n’est que plus tard que d’autres disciplines artistiques
ont été intégrées aux actions.
1.2.1.2 Les Directions régionales des affaires culturelles
Services du ministère de la Culture et de la Communication au niveau régional, les
Directions régionales des affaires culturelles (Drac) ont en charge la mise en oeuvre des
politiques définies au niveau national. Les principaux axes de travail sont l’aménagement
du territoire et l’élargissement des publics. Ces orientations justifient donc que la Drac
ait un rôle à jouer en ce qui concerne les actions culturelles et artistiques en détention.
Cependant, selon les régions, leur implication et les résultats diffèrent.
1.2.2 Les acteurs pénitentiaires
1.2.2.1 Le ministère de la Justice
Ce ministère réunit et gère les moyens de la Justice. Pour cela, il prépare les textes de lois
et les règlements. Il prend également en charge les populations qui lui sont confiées sur
décision de l’autorité judiciaire. Enfin, il définit les grandes orientations de la politique
publique en matière de justice et veille à leur mise en oeuvre. Le ministère est organisé
selon différentes Directions (dont la Direction de l’administration pénitentiaire) et des
services déconcentrés.
La Direction de l’administration pénitentiaire assure l’exécution des décisions judiciaires
préventives ou restrictives de liberté. À ce titre, elle prend en charge les personnes placées
sous main de justice, c’est-à-dire les personnes incarcérées et celles faisant l’objet
d’une peine alternative à l’incarcération ou d’une mesure d’aménagement des peines.
Elles sont destinataires des actions culturelles et artistiques en question. Cette prise en charge est menée en relation avec les autres administrations et organismes publics ou privés compétents, suivant le droit commun, et ne concerne pas uniquement la culture mais aussi les domaines de la santé, du travail, du sport, de l’éducation et de la formation.
1.2.2.2 Les services déconcentrés
Il existe neuf Directions régionales des services pénitentiaires (DRSP) reparties selon un découpage géographique différent de celui des régions administratives (Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg et Toulouse). Par exemple la DRSP de Dijon recouvre trois régions au sens administratif du terme : la Bourgogne mais aussi la Franche-Comté et la Champagne-Ardenne. Ces neuf Directions régionales animent et coordonnent l’activité des 188 établissements pénitentiaires et des 100 Spip. Les DRSP sont organisées en cinq départements, dont l’un recouvre le domaine « Insertion et probation ». C’est de l’unité d’action socioéducative de ce département que relève le développement des activités culturelles. Le chef de ladite unité est l’interlocuteur régional en matière culturelle.
Quant aux Spip,ce sont les organes déconcentrés de l’Administration pénitentiaire au niveau départemental. Ils ont été créés en 1999 afin d’améliorer les conditions de la prise en charge des personnes placées sous main de justice. Le directeur du Spip travaille en lien avec les chefs d’établissement pénitentiaire. Avec les équipes de travailleurs sociaux dont il unifie les pratiques, il pilote l’ensemble des actions d’insertion et de probation proposées, dont l’action culturelle.
1.2.3 Les chargés de mission pour le développement culturel en milieu pénitentiaire : des médiateurs
Une fois les textes interministériels pensés et rédigés, il était nécessaire de trouver le bon interlocuteur pour les appliquer. Toute la difficulté de ce rôle de médiation était contenue dans la nature bipartite de ces accords. En effet, faut-il confier cette mission à un acteur culturel ou bien pénitentiaire ? Les structures régionales pour le livre se sont vues confier, pour bien des raisons, cette tâche. Une de ces raisons paraît évidente : les acteurs culturels ont une meilleure connaissance dudit domaine.
1.2.3.1 Le rôle des structures régionales pour le livre
Dès 1984, les premières agences de coopération entre bibliothèques furent mises en place dans six régions. À la même période furent créés les premiers offices régionaux du livre, à l’initiative des conseils régionaux, dédiés plus spécifiquement au soutien du livre et à la vie littéraire. La mise en place simultanée de deux structures associatives sur un même territoire a pu entraîner certaines tensions. C’est pourquoi en 1988 les missions de coopération entre bibliothèques et celles concernant l’interprofession du livre ont été le plus souvent confiées à un seul organisme. Actuellement, on ne compte plus que deux régions où il n’existe ni agence de coopération, ni Centre régional du livre (CRL) et six régions dotées de structures différenciées. Outils décentralisés et de statut associatif, les structures régionales pour le livre suscitent et enrichissent les échanges avec l’ensemble des acteurs, publics ou privés, du livre, de la lecture et de la documentation. Elles travaillent également en concertation avec des partenaires d’autres secteurs culturels ou sociaux, et développent, entre autres, des actions en direction des publics éloignés de la culture (dans les prisons mais aussi dans les hôpitaux). Les premières expériences menées concernaient le développement de la lecture en milieu pénitentiaire en Aquitaine. L’expérience s’est étendue progressivement à l’ensemble du champ culturel avec le soutien conjoint de la Direction du livre et de la lecture, de la Délégation au développement et à l’ation territoriale, de la Direction de l’administration pénitentiaire et de la Délégation interministérielle à la ville. Pensées à l’origine autour de la problématique du livre et de la lecture, ces missions se sont progressivement élargies à l’ensemble du champ culturel. Elles sont aujourd’hui pilotées par les DRSP et les Drac dans le cadre de conventions de partenariats. Elles sont prioritairement confiées à des structures régionales pour le livre (de type CRL) ou, à défaut, à une structure régionale reconnue par la Drac, comme les agences de coopération. On les retrouve dans quinze régions. Il existe une coordination nationale de ces missions régionales de développement culturel en milieu pénitentiaire. Soutenue par les ministères de la Culture et de la Communication et de la Justice (Direction de l’administration pénitentiaire), la Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation assure ce rôle en réunissant régulièrement les chargés de mission des structures afin d’échanger sur les différentes problématiques.
1.2.3.2 Les chargés de mission pour le développement culturel en milieu pénitentiaire
En ce qui concerne le développement culturel en détention, les chargés de mission favorisent la médiation entre les services culturels et pénitentiaires, identifient les différents interlocuteurs susceptibles d’intervenir auprès des détenus, apportent conseils et expertise pour la conduite des projets. Avec la déconcentration des années 1980, chaque région administrative se retrouve dans un cas de figure qui lui est propre. L’Administration pénitentiaire a abondé aux budgets des DRSP afin qu’elles financent des postes de chargés de mission. Mais selon les DRSP, il peut y avoir deux ou trois régions administratives et autant de chargés de mission. A l’inverse, certaines grosses régions pénitentiaires comme l’Île de France n’ont pas de chargé de mission. La répartition des chargés de mission pour le développement culturel en milieu pénitentiaire n’est pas homogène et ne suit pas une logique particulière.
Selon les textes, et comme le souligne Bruno Fenayon, directeur du Spip de Dijon : « Le rôle du chargé de mission est de travailler avec le Spip pour la programmation, puis de chercher des opérateurs culturels et des possibilités de financements » [24].
Cependant, l’implication du chargé de mission et surtout sa formation professionnelle initiale influent fortement sur les orientations données aux actions menées en direction des publics sous main de justice. Selon les réseaux qu’il maîtrise, ses choix se porteront plus le livre et la lecture, le spectacle vivant ou encore l’art plastique.