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2007 N°5 KAMO : Les thérapies pour limiter les risques de récidive n’existent pas

Publié le mercredi 6 juin 2007 | http://prison.rezo.net/2007-no5-kamo-les-therapies-pour/

LES THERAPIES POUR LIMITER
LES RISQUES DE RECIDIVE N’EXISTENT PAS
Le secret professionnel

Monsieur le Président,

Qui pourrait souhaiter la récidive des infractions pénales ? Une nation civilisée ne peut qu’aspirer à la paix et à la sécurité. Les professionnels intervenant en prison, qu’ils soient pénitentiaires ou sanitaires, ainsi que les magistrats ne peuvent que ressentir un profond sentiment d’échec lorsqu’un détenu est libéré le vendredi et réincarcéré le lundi ; les magistrats, ni laxistes ni répressifs, faisant leur travail avec diligence. Ces réincarcérations rapides ne sont malheureusement pas rares, et c’est justement parce que vous le savez que vous avez voulu la loi de prévention de la récidive des infractions pénales.

Etant donné que nous devrions unir nos efforts pour trouver des solutions afin de diminuer la récidive des infractions, étant bien entendu qu’il serait angélique de croire ou de promettre sa disparition complète, je propose de vous parler d’une mesure figurant dans cette loi et qui semble contre-productive à de nombreux soignants intervenant en prison.

L’article 721-1 du code de procédure pénale ouvre à des ambiguïtés gênantes : « Une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès un examen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant l’acquisition de connaissances nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadre d’un enseignement ou d’une formation, en suivant une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ou en s’efforçant d’indemniser leurs victimes ».

Pour obtenir des remises de peine ou des aménagements de peine, les détenus doivent attester d’efforts faits en détention en faveur de leur réinsertion. Ces mesures peuvent être très diverses comme on peut le voir au travers de l’article 720-1. Certains juges d’application des peines font pression sur les services psychiatriques, via les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), pour obtenir de la part des détenus des attestations de suivi. Quelques condamnés formulent après des années de prison au moment de la constitution du dossier d’aménagement de peine une demande de soins auprès des services de psychiatrie (SMPR) pour obtenir des bons points et les faveurs du juge d’application des peines (JAP), alors qu’ils ne se sont jamais manifesté auparavant.

D’autres juges ne se contentent pas d’une attestation de consultation mais souhaitent parfois obtenir un avis détaillé émanant des psychiatres ou des psychologues sur l’évolution mentale du condamné. Cet avis est de la compétence des experts judiciaires. Les praticiens du SMPR dont l’activité thérapeutique hospitalière est couverte par le secret professionnel (article 226-13 du code pénal) ne doivent communiquer aucune information. Comme vous le savez, en tant qu’avocat, profession où le secret professionnel est de toute première importance, celui-ci est une obligation à laquelle sont soumis les personnels hospitaliers et un délit si elle n’est pas respectée. Toute tentative pour inciter à la rupture du secret professionnel est elle-même un délit (article 121-6 et 121-7 du code pénal). Le secret professionnel n’est pas l’indice du pouvoir médical mais crée plutôt une « diminution de pouvoir » puisqu’il interdit au soignant une action (celle de délivrer une information médicale confidentielle). Il existe des tendances permanentes à écorner le secret médical alors que son respect est le gage d’une confiance entre le patient et le thérapeute, préalable indispensable à toute démarche thérapeutique et condition nécessaire à un minimum d’efficacité thérapeutique. J’espère, Monsieur le Président, à propos de la confidentialité et du secret professionnel, que votre connaissance des exigences qui lui sont pénalement dues, sera une garantie de la perpétuation intégrale de ce principe essentiel des valeurs d’un Etat de droit.

La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.
Article 226-13 du code pénal.

Sera puni comme auteur le complice de l’infraction, au sens de l’article 121-7.
Article 121-6 du code pénal.

Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.
Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre.
Article 121-7 du code pénal.

Certains magistrats (heureusement pas tous) semblent percevoir la relation avec le corps soignant comme une lutte de pouvoir pour obtenir des informations sur un condamné. Il s’ensuit parfois une profonde incompréhension qui rend délétères les relations entre deux services publics au détriment de l’intérêt général. D’autres juges de l’application des peines peuvent être réellement convaincus que les soins psychiatriques vont être bénéfiques et qu’ils permettront une diminution des risques de récidive. Le souci, bien compréhensible, d’un juge d’application des peines est d’attribuer des remises de peine (qui permettront une libération plus rapide du détenu) ou une libération conditionnelle, en s’étant assuré que cette remise en liberté se fera sans risques pour la société et dans de bonnes conditions pour le condamné (qui doit en général en cas de libération conditionnelle bénéficier d’un revenu - travail, retraite, allocation d’adultes handicapés etc. - et d’un logement - personnel, familial, social, etc.). Le problème essentiel est que rien ne permet d’affirmer scientifiquement qu’un suivi psychothérapeutique soit un gage de non récidive ou de diminution de la récidive.

Un détenu ne devrait pas demander des soins pour bénéficier d’aménagements de peine mais parce qu’il se sent malade ou en souffrance. Une personne détenue ne consulte pas le médecin généraliste de la prison pour une hypertension, un diabète, un asthme, une appendicite ou toute autre maladie pour avoir des remises de peine, il le fait pour sa santé, pour lui-même. D’ailleurs, les juges d’application des peines ne demandent jamais d’attestation aux somaticiens pour justifier d’efforts sérieux de réadaptation. La psychiatrie reste toujours un phénomène à part, une exception, considérée dans ce cas, non comme une discipline médicale, mais comme un outil de contrôle social.

A l’occasion d’une audition publique sur la prise en charge de la psychopathie (décembre 2005), le jury a émis des recommandations sans ambiguïtés : « la commission d’audition se montre en revanche réservée sur les dispositions visant à subordonner des réductions de peine au suivi d’une thérapie en prison ». Pourquoi ne pas écouter ce que les professionnels disent ? A quoi sert une conférence de consensus ou une audition publique si ses préconisations ne sont pas suivies ?

L’expertise collective de l’INSERM sur l’évaluation comparative de l’efficacité des psychothérapies a suscité bien des polémiques et pourtant il s’agissait de situations cliniques et thérapeutiques « classiques ». Pour la thématique qui nous concerne ici, qui a validé les modalités d’une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ? La récidive délinquante est avant tout une infraction et non pas une maladie. Qui a vu un traité de médecine ayant un chapitre intitulé : « Récidive pénale : Etiologie, tableau clinique principal et formes cliniques, pronostic, évolution, complications, traitements (les divers traitements, leur efficacité, leurs effets indésirables etc.) » ? Si de telles thérapies existaient peut-être faudrait-il envisager de considérer le classement de certaines formes graves de récidive (multirécidivisme, résistant au traitement, au pronostic réservé, et nécessitant peut-être des soins à vie) dans les affections de longue durée avec prise en charge à 100% par la Sécurité sociale, bien que vous ayez souhaité que le traitement des délinquants sexuels soient à leur charge : « Pourquoi d’ailleurs serait-ce à la société d’assumer le coût de ces traitements (des agresseurs sexuels) ? C’est aux délinquants sexuels de le faire » (Discours « Lutte contre la délinquance sexuelle », 16 mai 2006). Les délinquants sexuels éprouvant souvent des réticences à s’engager dans des soins, mettre ces soins hasardeux entièrement à leur charge ne peut que les dissuader encore plus. Soit, ils sont malades et la société doit prendre en charge les soins dans le cadre général de la sécurité sociale ; soit, ils ne sont pas malades et ils doivent être considérés uniquement comme des délinquants et dans ce cas il ne faut pas leur imposer une thérapie.

Monsieur le Président, il y a beaucoup à faire pour prévenir la récidive délinquante. Ce n’est certainement pas du côté de la psychiatrie ou de la psychologie que vous trouverez les mesures les plus efficaces pour la contenir mais plutôt du côté du travail et de la formation en prison, de l’humanisation des conditions de la vie carcérale, d’efforts sérieux de la part de la collectivité pour contribuer à la réinsertion, avec travail ou formation et hébergement garantis à la libération qui doit être elle-même accompagnée au maximum, d’où les recommandations assez unanimes à développer les libérations conditionnelles plutôt que les sorties sèches. La psychiatrie et la psychologie ont une petite part à jouer dans ces accompagnements mais ne doivent pas être considérées systématiquement comme nécessaires, ce qui serait une duperie. Il ne serait d’ailleurs peut-être pas inutile de penser positivement et de considérer l’ensemble de ces mesures comme des moyens destinés à favoriser une réinsertion réussie plutôt que destinés à limiter la récidive.