Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
2007 N°2 KAMO : L’injonction de soins

Publié le lundi 13 août 2007 | http://prison.rezo.net/2007-no2-kamo-l-injonction-de/

L’INJONCTION DE SOINS VUE
PAR LE POLITIQUE et L’ADMINISTRATIF

L’injonction de soin (IS) est une des mesures possible du suivi socio-judiciaire (SSJ) créé par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. En matière correctionnelle, le SSJ peut être la peine principale tandis qu’en matière criminelle, il ne s’agit que d’une peine complémentaire. 

Les magistrats vont utiliser cette pénalité de manière variable selon les moyens qui permettent de l’appliquer. Par exemple, l’absence de médecins coordonnateurs ou d’un réseau de thérapeutes dans un département rend la loi inapplicable ou difficilement applicable. Il est toujours possible de recourir éventuellement à un médecin coordonnateur d’un département voisin, mais cela rend les démarches plus complexes (notamment pour le condamné), voire impossible dans les régions insulaires comme les nôtres.

Les magistrats font souvent preuve de réalisme et recourent plus aisément à l’obligation de soin, mesures moins satisfaisantes mais réalisables en l’absence de médecins coordonnateurs. Face au manque de moyens, la loi est donc diversement appliquée selon les régions, il peut être intéressant de se pencher sur le regard que portent au fil du temps les administratifs et les politiques sur le SSJ et l’IS.

1) Rapport IGSJ/IGAS « L’organisation des soins aux détenus, Rapport d’évaluation », juin 2001.
Publié trois ans après la loi de 1998, ce rapport qui étudie principalement les soins en prison consacre un chapitre au SSJ et rappelle des conditions de sa mie en place, notamment dans la région parisienne. Dès parution du décret n°2000-412 du 18 mai 2000 définissant les conditions d’établissement de la liste de médecins coordonnateurs et le choix du médecin traitant, le parquet de Paris avec le conseil départemental de l’ordre des médecins ont rédigé une note de synthèse et un article de sensibilisation publié dans le bulletin de l’ordre pour susciter des candidatures. Un groupe de travail siège/parquet a permis de diffuser une information auprès des magistrats. De nombreuses rencontres ont eu lieu avec le milieu psychiatrique toujours pour trouver des candidats. En décembre 2000, 16 candidats s’étaient déclarés pour toute l’Ile France. En avril 2001, la liste de médecins coordonnateurs paraissait.
La réticence des psychiatres est déjà remarquée pour de multiples raisons : secret médical, respect du consentement, séparation des fonctions d’expertise et de soins, crainte d’un transfert de responsabilité.
Les rapporteurs présentent également les différents traitements - chimiothérapies ou psychothérapies - et les initiatives prises ici et là et concluent de manière très pertinente : « Il n’est en effet légitime ni sur le plan scientifique ni sur le plan éthique de rendre obligatoire un traitement dont on ignore l’efficacité et il faut essayer de trouver des batteries de tests et des outils médicaux de toute sorte (questionnaire individuels, registres épidémiologiques, suivi de cohortes, examens cliniques et complémentaires, dosages biologiques éventuellement, etc.) pour mesurer la validité des traitements. Le manque d’outils et d’indicateurs permettant d’apprécier l’efficacité, l’étendue et l’évolution du dispositif de soins constitue en effet l’un des principaux obstacles aux progrès dans ce domaine. La mise au point de ceux-ci pourrait faire l’objet d’appel d’offres en recherche-action ».

2) Rapport d’une mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales de l’Assemblée nationale de juillet 2004 : « 20 mesures pour placer la lutte contre la récidive au coeur de la politique pénale », rapporteur Gérard Léonard et président, l’actuel ministre de la justice, Pascal Clément.
Après avoir abordé « la misère de l’application des peines », les rapporteurs remarquent les « inconséquences du suivi socio-judiciaire » (pp. 55-58). Le SSJ y est considéré comme un instrument efficace de lutte contre la récidive et sur le long terme puisqu’il peut s’étendre sur vingt ans en matière correctionnelle et trente ans en matière criminelle. Malheureusement, le constat est fait que le SSJ et tout spécialement l’IS sont peu prononcés et peu appliqués du fait de nombreuses difficultés. Il est impossible de comptabiliser le nombre d’IS parmi les SSJ dont les chiffres sont les suivants : 1998 : 5 ; 1999 : 75 ; 2000 : 265 ; 2001 : 421 ; 2002 : 645, ce qui représenterait moins de 8% des délinquants sexuels incarcérés. Les rapporteurs remarquent que les délinquants sexuels sont avant tout des criminels devant être punis avant que d’être des malades, mais selon eux l’absence de statistiques connues « illustre la méconnaissance, voire le désintérêt, dont souffrent le SSJ et l’IS et atteste de la défaillance de leur pilotage au niveau central » (on serait en droit d’attendre du passage du président de cette mission d’information aux hautes fonctions de ministre de la justice une reprise en main de cette défaillance de pilotage au niveau central...).
Une autre difficulté dans l’application de l’IS vient évidemment du manque de médecins coordonnateurs que les rapporteurs lient avec la pénurie de psychiatres dans le secteur public. Citant Betty Brahmy notre collègue du SMPR de Fleury-Mérogis, de nombreux psychiatres considèrent que les délinquants sexuels sont des pervers incurables et qu’ils ne peuvent être soignés comme les schizophrènes par exemple. Cette position de principe
qui serait méconnue de l’opinion publique passe mal chez les élus de la nation car les délinquants sexuels feraient souvent l’objet d’une prise en charge psychiatrique pendant leur incarcération et qu’ils ne comprennent pas pourquoi ce qui serait possible en prison ne le serait pas en milieu ouvert.
Toutefois la réticence des psychiatres à s’engager dans les soins est mise en partie sur le compte d’un manque de connaissances dans ce domaine et notamment l’absence d’enseignement spécifique pendant les études de médecine et la spécialisation en psychiatrie. Les rapporteurs souhaitent donc l’inscription d’un tel enseignement dans le cursus universitaire ainsi que l’élargissement aux psychologues de la possibilité d’être thérapeutes dans le cadre de l’IS. Cette dernière mesure deviendra effective avec la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Par contre la recommandation 16 s’apparente à un v ??u pieux : la mission invite les pouvoirs publics compétents à pendre les mesures d’urgence nécessaires afin, à tout le moins, de pourvoir les 800 postes vacants de psychiatres dans les hôpitaux. Comme il faut 15 ans pour former un praticien hospitalier, on imagine la notion de l’urgence pour les politiques. Mais il est vrai qu’il n’y a pas d’urgences en psychiatrie....

3) Rapport de la commission Santé-Justice « Santé, Justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive ». Président : Jean-François Burgelin, juillet 2005.
La commission avait pour mission « d’étudier les voies d’amélioration de la prise en charge médico-judiciaire des auteurs d’infractions qui sont atteints de troubles mentaux ou qui présentent un profil dangereux, et de réfléchir au suivi des personnes qui, ayant fait l’objet d’une condamnation pénale, nécessitent un suivi psychiatrique, en particulier lors de leur détention ».
Avant d’évoquer les avis de la commission sur l’IS, il est intéressant de signaler la recommandation relative à l’obligation de soins. Le sursis avec mise à l’épreuve peut comporter une obligation de soins prononcée par les magistrats sans nécessairement avoir recueillir un avis médical. Cette pratique est régulièrement dénoncée par les médecins. Un juge n’a pas compétence pour prescrire un soin (à moins de se rendre coupable d’exercice illégal de la médecine.... Outre la légitimité de la compétence d’un magistrat sur ce point, la commission fait bien état du caractère incongru et probablement inefficace de cette procédure. En conséquence, il est proposé très rationnellement que l’obligation de soin repose sur un avis médical préalable (proposition n°18).
Concernant le SSJ, après en avoir rappelé le fonctionnement, la commission suggère un élargissement de ses applications à toutes les personnes souffrant de troubles mentaux en lien avec l’infraction commise (proposition n° 20). Cette formulation est importante car elle argumente l’IS à partir d’une caractéristique spécifique de la personne, les troubles mentaux, en lien avec l’infraction mais non à partir de l’infraction elle-même. Evidemment, cet élargissement ne sera pas aisé à mettre en oeuvre sur le plan pratique au vu des difficultés rencontrées dans l’application de l’IS « en raison de l’implantation inégale des psychiatres sur le plan national et de la rareté des médecins disponibles. Peu de praticiens ont une compétence spécifique dans le traitement des conduites sexuelles et semblent prêts à s’investir dans le champ expertal, la coordination et les soins ».
Un fonctionnement harmonieux et cohérent des différents services concernés dans l’application du SSJ n’est possible qu’avec des moyens à la hauteur. Et si les services sanitaires sont à la peine, il en est de même de la justice : « la mise en ??uvre d’une peine aussi spécifique que le SSJ, tant en termes de durée que de coordinations entre les différents acteurs, nécessite que les juges d’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation soient en nombre suffisant. Or, les tribunaux souffrent actuellement d’une pénurie de moyens qui a pu, à juste titre, décourager certaines juridictions d’ordonner des suivis socio-judiciaires qui resteraient inappliqués ».
Pour faciliter la mise en ??uvre de l’IS qui apparaît comme une mesure intéressante, la commission se limite à des propositions modestes (réalistes) : permettre aux psychologues d’intervenir comme thérapeutes (mesure effective avec la loi du 12 décembre 2005) ; permettre aux médecins coordonnateurs d’intervenir au niveau régional et pas seulement au niveau départemental, en cas de pénurie de médecins coordonnateurs, ne pas limiter à 15 le nombre de dossiers d’IS par médecin coordonnateur, espoir dans des projets de centres ressources interrégionaux ayant vocation de diffuser les connaissances auprès des professionnels du soin prévus dans le plan Psychiatrie et santé mentale (2005-2010).

4) Rapport d’information du Sénat « Les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses », juin 2006.
Les sénateurs rangent le suivi socio-judiciaire dans un chapitre intitulé « les mesures de sûreté et leurs limites » à côté du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), la surveillance judiciaire et le bracelet électronique mobile. Ils complètent la comptabilisation du nombre du SSJ donnés par les députés pour les années 2003 et 2004 (cf. Tableau ci-dessous) qui connaît depuis 2003 une significative augmentation.
Comptabilisation du suivi socio-judiciaire
1998 : 5
1999 : 75
2000 : 265
2001 : 421
2002 : 465 (642 autres chiffres donnés par le rapport IGA/IGSJ/IGAS analysé ci-après)
2003 : 853 (795 autres chiffres donnés par le rapport IGA/IGSJ/IGAS analysé ci-après)
2004 : 1063

Le SSJ est considéré comme permettant un contrôle post-carcéral du condamné. Malgré l’augmentation récente des SSJ, son utilisation est rappelée encore comme étant limitée par l’absence de médecins coordonnateurs et de thérapeutes. Les sénateurs proposent de renforcer le suivi des personnes après leur libération mais cet objectif nécessite « à l’évidence une forte mobilisation des moyens - y compris de formation de personnes spécialisées - justifiés, au regard des enjeux de santé publique et de sécurité soulevés par la prise en charge des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux ».
Lors de l’exposé des rapporteurs en commission, au cours du débat, Robert Badinter a très justement « observé que le SSJ illustrait les difficultés du système français, puisque ce dispositif avait été mis en place pou répondre à une forte pression de l’opinion publique mais que, faute de moyens, il n’avait pas répondu aux espoirs. Le législateur était alors conduit, selon lui, à adopter de nouveaux instruments juridiques sans plus de garanties que les moyens nécessaires soient mis en oeuvre. Il a estimé que l’on passait ainsi de la démocratie d’opinion à la démocratie d’émotion et il a souhaité que l’on revienne à la démocratie de réflexion ».

5) Rapport de la commission parlementaire « Réponses à la dangerosité et à la prise en charge des individus dangereux », Rapporteur Jean-Paul GARRAUD, octobre 2006.
L’objet de cette mission demandé par le Premier Ministre était « d’approfondir les suggestions de la commission Santé- Justice qui seraient susceptibles de constituer des outils d’aide à la décision pour les magistrats tout au long de la procédure ».
Etudiant le SSJ dans cette perspective, les rapporteurs remarquent que la commission Santé-Justice avait fait preuve d’originalité en proposant de définir la peine de SSJ en fonction de la personnalité de l’auteur et non pas en fonction de la nature des faits commis. Finalement, ce sera la conception doctrinale classique qui aura été retenue pour élargir le champ du SSJ dans le cadre de la loi du 12 décembre 2005 en intégrant de nouvelles infractions.
La commission Garraud suggère l’extension du suivi socio-judiciaire à l’ensemble des infractions d’atteinte aux personnes tout en ayant bien conscience des « réticences de nombreux médecins à travailler avec la justice » et de l’importance des moyens à mettre en oeuvre pour rendre opérationnel le SSJ. Parmi les mesures « simples », l’annulation du numerus clausus des dossiers suivis par le même médecin est également demandée.
En somme, il faut étendre de manière considérable le champ du SSJ sans prendre en compte les limites de son opérationnalité actuelle.

6) Rapport de l’IGA/IGSJ/IGAS « La prise en charge patients susceptibles d’être dangereux », Février 2006.
L’intitulé de ce travail est en fait plutôt restrictif et ne reflète pas l’étendue et la profondeur des sujets traités par ses auteurs. Il s’agit plutôt sur une vision assez large de la psychiatrie, analysant les tensions qui traversent cette discipline, elle-même immergée dans une société à la recherche de repères.
Parmi les facteurs de risque pouvant potentiellement créer des situations de dangerosité, les auteurs soulignent entre autres la défaillance et les limites des réponses institutionnelles. Le suivi médico-judiciaire serait une illustration des limites des réponses institutionnelles. Les inspections exposent les raisons de la médiocre efficacité des mesures judiciairement imposée telles qu’elles leur ont argumentées par les soignants rencontrés. Parmi elles, on peut relever une piètre collaboration entre soignants et magistrats et le SSJ serait la mesure qui devrait permettre de faciliter ces échanges, notamment en trouvant une ébauche de solution par rapport au secret médical.
Il est néanmoins souligné que le principal obstacle à l’opérationnalité de la loi reste toujours le manque de médecins coordonnateurs. Sur ce chapitre des soins judiciairement imposés, les rapporteurs restent modestes quant à leurs propositions, suggérant uniquement d’élargir cette fonction aux médecins non psychiatres (ce que permet d’ailleurs le code de la santé publique article R. 3711-3 : Peuvent également être inscrits sur cette liste et sous les mêmes réserves, les médecins ayant suivi une formation, délivrée par une université ou par un organisme agréé de formation médicale continue, répondant aux conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la santé).

7) Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé « La santé et la médecine en prison », avis n° 94, octobre 2006.
L’avis du CCNE ne relève pas du politique ou de l’administratif, bien que pour le politique une contribution complémentaire d’un membre du CCNE fait remarquer de manière à susciter un intéressant débat que cet avis consacré à la santé et à la médecine en prison a conduit « le Comité a tendanciellement formulé ses recommandations en termes d’options politiques et de choix de société ». Ce qui rend cet avis si intéressant à lire, relire et méditer et s’impose pour conclure le présent exposé (mais non pour clore le débat et la réflexion comme il se doit pour tout avis du CCNE qui doit inciter les professionnels à trouver eux-mêmes des réponses à leurs questions).
La question de l’obligation ou de l’injonction de soins est considérée par le CCNE, avec la grève de la faim, comme « un problème d’éthique médicale d’une grande complexité ». D’emblée la question du consentement libre et informé en l’absence de contrainte ou de sanction est posée. La mise en balance d’avantages en termes de remises de peine supplémentaires si une thérapie pour prévenir la récidive est suivie ou d’inconvénients avec un maintien ou un retour en détention si le traitement est refusé par le condamné est présentée comme un sérieux problème.
Le CCNE recoure même au mot de « chantage » au traitement pour éviter les sanctions, ce qui « apparaît inacceptable au point de vue éthique ». Le Comité rappelle que les professionnels de la santé en milieu pénitentiaire n’apprécient pas ces mesures. Par contre, la « proposition de soins » reste compatible avec l’exercice d’un véritable consentement libre et informé.
In fine, la question est de savoir si le traitement est réellement un soin au bénéfice d’une personne malade ou uniquement un moyen de protéger la société ? Le CCNE conclue ce passage en remarquant : « On est là aux limites des problèmes éthiques posés par l’ambiguïté et la complexité des relations ente médecine et justice, et des risques de confusion et de pertes de repères qui en découlent ». Cette remarque me donne l’occasion d’insister à nouveau sur l’exigence de qualité de recrutement dans les services hospitaliers qui travaillent sur ces sujets (SMPR - UCSA), ce qui est souvent bien difficile à faire comprendre à certaines administrations hospitalières pour lesquelles les soins aux détenus ne sont pas une priorité et où l’exigence de compétence professionnelle ne semble pas être une perçue.

En conclusion, on peut retenir que dans le temps, la situation du SSJ avec IS n’a évolué que lentement. Les obstacles principaux sont dus aux manques de professionnels impliqués pour des situations cliniques et thérapeutiques qui paraissent encore bien ambigües pour de nombreux soignants. On peut le déplorer si on se place sur un plan très pragmatique. En fait, ces situations cliniques, sociales, juridiques propices à toutes les réflexions ouvrent un large champ d’exploration, de recherche qui ne peut que solliciter la curiosité autrefois vive des psy mais qui en ces temps de désenchantement collectif semble fortement s’émousser. S’engager dans ce champ professionnel, où la vigilance doit être de mise pour naviguer entre les risques d’instrumentalisation de tous bords, devrait plutôt être une aventure stimulante.
MD.