Contes des mille et une nuits...en enfer
La belle, la bête, la cause et les fées...
Il était une fois, au royaume de France, un valeureux et téméraire jeune homme, pétri de courage qui répondait au nom de Pascal Payet. Il avait réussi l’exploit le 14 Juillet, jour de fête nationale, de s’extraire du ventre de l’hydre pénitentiaire un monstre à plusieurs têtes qui l’avait avalé quelques années plus tôt, à l’issue d’un sabbat judico sécuritaire.
Depuis des années, il pourrissait, comme de nombreux autres prisonniers, dans les méandres de l’intestin de la bête, dans la partie la plus noire, la plus obscure et la plus putride du côlon, le quartier d’isolement.
Il y a quelques jours encore, il tentait de surnager au cœur de la diarrhée démocratique et citoyenne qui l’avait digéré et rejeté là, dans le cloaque carcéral à côté de ses frères d’infortune.
Pendant ce temps, la sécurité érectionnelle, bien au chaud et bien raide, allait et venait dans le vagin de nos peurs, fertilisant de son immonde matière le terreau de la Lolf (loi organique des finances liée à la sécurité) et de la récidive.
Depuis sa cellule, Pascal avait été le premier à entendre les pales de l’hélicoptère ronronner dans la moiteur carcérale, son cœur battait si fort qu’il eut peur qu’on l’entendit à l’autre bout du couloir, là où certains matons immatures taquinaient à coup de fouilles abusives quelques Dps gros poissons.
A bord de l’oiseau de fer, les fées de la liberté avaient pris place à côté de(s) son (ses) ami(s). Il y avait là, la Fée- Stive et la Fée- Tarde qui adoraient la fête comme leur nom l’indiquait, la Fée-minine, la Fée- Romone et la Fée -Conde qui nourriraient ses désirs, et pour finir la Fée- Rari et la Fée- Stivale qui le remettrait à toute vitesse sur l’autoroute de la vie. Toutes ces Fées étaient venues dans un seul et unique but, ramener Pascal à la vie.
Maintenant, la libellule amorçait sa descente vers le toit de la prison et déchirait de son retors le ciel bleu de Grasse, vidé de ses nuages.
Là ,en haut de la colline, Pascal exultait dans cette maison d’arrêt, où depuis belle lurette il n’avait plus lieu d’être. Son cœur pulsait l’incroyable énergie de l’instant. En effet, jugé depuis de longs mois, il aurait dû être en établissement pour peine, en centrale très exactement. Les textes du code pénal étaient très clairs sur le sujet, d’ailleurs la Fée- Odale, la Fée- Tide ainsi que la Fée- cale avaient remanié quelque peu la matière de celui ci, sous l’égide de leur papa, le Père- BEN, deuxième du nom. Ce dernier était le véritable auteur de l’amère loi et de ses codes barrés.
Dans ce nouveau code vénal, l’article 721, à propos des crédits de réduction de peine, avait attiré l’attention des amis de Pascal et de quelques autres. Tel qu’il était rédigé cet article accordait quelques remises de peine supplémentaires à ceux qui pouvaient en bénéficier, là était la voie légale d’une sortie anticipée. Pascal et plusieurs de ses compagnons d’infortune pouvant prétendre bénéficier de cet article à la lumière de son contenu qui dessinait en sa forme initiale, un morceau d’horizon à poser sur des peines à la longueur et à la langueur infinies et s’engouffrèrent dans la brèche légale.
Ils avaient déposé des recours devant les tribunaux administratifs, demandé à faire valoir leurs droits, en terme de réduction de peine, en vain. Les Fées- d’Serre dont la Fée- Odale, la Fée- Tide et la Fée- Cale avaient eu raison des magistrats en remettant les crédules à l’heure. Lorsque l’hydre vous tient elle ne vous lâche plus. Hors de question de donner plus de réduction de peine, malgré ce code pénal qui disait le contraire, le législateur s’était trompé, sa volonté était ailleurs en rédigeant le texte, point barre. Les magistrats eux, semblaient s’en laver les mains sous le robinet de l’indifférence, tandis que les articles de l’amère loi du père BEN, deuxième du nom, étaient interchangeables à volonté. Quant aux avocats, dernière barrière morale du royaume, ils se rebellaient mollement devant le parti pris de la quasi totalité des magistrats qui pliaient devant le pouvoir établi, une fois de plus.
Pendant ce temps, les justiciables continuaient de payer sur avance, dans les cours d’assises ou les tribunaux correctionnels, la pension alimentaire d’un éventuel et supposé futur divorce, entre royaume et magistrature.
Le trio de Fées se sachant tout permis, continuaient de noyer les parquets sous des projets de loi qui débordaient de peines plancher bien cirées et de peines plafond sans autres options que l’oubli.
Pendant ce temps, l’article 721 en question avait été honteusement trafiqué, tronqué et truqué pour finir par être changé. Ce qui confirmait néanmoins la validité du bien fondé de la requête, pour faire valoir les droits de ceux qui pouvaient en bénéficier, à savoir ceux qui en avaient fait la demande devant les tribunaux compétents avant la correction de l’article. Pascal et quelques uns de ses compagnons de galère, avaient tenté le coup en pure perte. L’espoir lui, une fois encore, s’était définitivement envolé, il était retourné à sa place dans la boite de Pandore avec les autres maux...
De son côté l’hydre, retenait dans ses boyaux les miasmes et autres résidus, de l’innocence présumée des forcément coupables, dont elle avait la garde, elle les digérait par petits bouts. Sa voracité était sans limite, maintenant qu’elle avalait les enfants à la chair tendre, ceux que les Fées- Divers appelaient mineurs délinquants, des ados quoi !
Elle était aidée dans ses basses besognes par toute une team de nées- fastes que l’on appelait les Fées- Rosses, spécialistes des plaies et des bosses. Elles étaient si nombreuses à conjuguer leurs mauvaises énergies que l’on ne pouvait faire exactement le compte de Fées, ni dire combien participaient à la curie sécuritaire.
Pourtant, ça et là, un oeil exercé pouvait en reconnaître quelques unes, parmi les plus virulentes. Par exemple on pouvait apercevoir tapies au détour d’un couloir, la Fée- Lure, la Fée- Brile et la Fée- Mur, prêtes à se jeter sur le premier os à casser venu, dés que l’occasion se présentait. Plus loin derrière, la Fée- Ta elle qui faisait tout un fromage du moindre petit incident, aussi futile soit il. Plus loin, se tenait la Fée- selle dont le cerveau s’égouttait encore... Un étage plus haut, on pouvait croiser la Fée- Tichiste celle qui collectionnait les dents des détenus, comme un guerrier sioux les scalps, tandis qu’à sa droite, la Fée- Lonie celle qui aurait vendu père et mère contre le moindre petit avancement, elle qui passait son temps l’oreille collée à la porte du bureau des travailleurs sociaux, ou aux œilletons des cellules. Cette dernière était invariablement acoquinée à la Fée- Cule (comment veux tu...comment veux tu...?) celle qui, la gueule enfarinée cherchait de la came à lors des fouilles de cellules. Au dernier étage, au niveau du rectum de la bête, dans les quartiers disciplinaire et d’isolement, se tenaient les Fées- Tus, un trio d’abjects morts nés, baptisés pompeusement : liberté, égalité et fraternité. Tous trois gisaient depuis des années, au fin fond des entrailles du monstre qui les avait avalé alors que la démocratie venait d’avorter sous les doigts de l’homme...
Au regard de tous ces éléments, Pascal se dit que le seul moyen de s’extraire du ventre de l’hydre, de ces quartiers d’isolement, de ces entrailles excrémentielles et pestilentielles était de s’évader une nouvelle fois, de prendre la liberté d’assaut car, seule, elle ne viendrait pas à sa rencontre. Il lui fallait délocaliser sa dignité seul et unique moyen de mettre fin à toutes ces pratiques humiliantes et dégradantes. Et surtout, ne plus se casser du dedans afin d’assumer le dehors. Tout le reste n’était que poudre aux yeux, ne servant qu’à nourrir une logique financière bien huilée, ainsi qu’à la mission d’épouvante que se devait de tenir la prison, dans la tête des sujets du royaume de France. Les deux entités remplissaient leur rôle à merveille. A chaque évasion, à chaque petit incident elles brandissaient le spectre des victimes pour assouvir et justifier leur soif de vengeance. Les plus intelligents avaient compris depuis longtemps, qu’en agissant ainsi, les deux entités ne respectaient pas ces victimes qu’elles mettaient en avant, mais s’en servaient comme bouclier humain pour accomplir leur triste besogne.
Pascal connaissait fort bien le prix de cette liberté, après s’être extirpé une première fois du ventre de l’hydre quelques années plus tôt, lui qui avait ensuite été chercher ses amis en prison, à l’aide d’un hélicoptère, dans un acte de pure amitié. Ce héros sans médaille, ou plutôt ce chevalier devrais je dire, ainsi que quelques autres, ne connaissaient que les revers de celle ci. Depuis qu’ils étaient retenus dans les boyaux du système digestif carcéral, ils ne voyaient que l’envers du décor et du discours : tortures physiques et psychologiques, humiliations permanentes, fouilles à corps abusives et perverses, tourisme carcéral sans fin, les yeux bandés. Voyage au bout de soi et de la folie, à cause duquel, sa mère et toutes les mères, sa femme et toutes les femmes, ses gosses et tous les autres gosses, s’usaient en des milliers de kilomètres parcourus, pour une petite heure à peine de parloir...hors d’étreinte.
Pascal ne supportait plus de voir ses proches souffrir ainsi. Tous les jours il pensait à sa femme et à sa mère et à ce qu’elles subissaient à l’extérieur. Il ne supportait pas l’idée qu’elles puissent être mises nues, lors d’une visite au parloir, comme cela avait été pratiqué par deux fois, à la prison de Luynes, sur Catherine la maman de Cyril et Christophe Khider, alors que cette dernière allait visiter Christophe son aîné, derrière un double vitrage de plexiglas appelé hygiaphone. Ca, il le refusait de toutes ses forces et son sang se glaçait, à chaque fois que cette image dessinait ses noirs contours, dans son esprit chauffé à blanc. La réaction était la même, son cœur dont le rythme s’accélérait se serrait ainsi que ses mâchoires, ses poils se hérissaient sous les coulées de sueur glaciales qui déboulaient de nulle part, coulaient le long de son dos, puis venaient mourir sur ses reins. Un afflux de sang faisait battre ses tempes, tandis que des images d’une violence inouïe affluaient à son cerveau.
Il avait écrit à Catherine lors d’un turn- over qui l’avait amené en région parisienne, alors qu’elle animait une émission de radio pour les taulard(e)s, afin de la soutenir dans son combat et que son fils Cyril en était à son 50ème jour de grève de la faim. Dans cette lettre qu’elle avait conservé avec celles de nombreux autres gars, il lui parlait de la souffrance de ses proches. Ni couché, ni assis et encore moins à genoux il voulait vivre debout.
Malgré les images qui se comptaient, en à peine quelques dixième de seconde, et qui arrivaient par vagues rapides et incessantes, son cerveau tournait à cent mille tours minutes. Pascal était l’objet d’une concentration inviolable, tous ses muscles étaient tendus vers un seul et unique but et dans un même effort. Il pensait à sa mère, son épouse et ses filles, à tout ce qu’elles avaient subi et rien que ce filigrane, imprimé dans tout son corps, garantissait le succès et la continuité de l’effort.
Dans quelques minutes, il lui faudrait attraper la corde pour sortir coûte que coûte de cette putréfaction, de cet appendice nauséabond de béton, d’acier et de mort, là où le soleil et le jour n’avaient jamais accès.
Rien n’avait été laissé au hasard, ni à son cousin germain aléas d’ailleurs. Maintenant une scie entamait le toit de l’établissement qui s’ouvrait comme une boite de conserve, une boite de sourdine à vrai dire, dans laquelle les gars chuchotent plus qu’ils ne parlent. Alors qu’en se hissant il accédait à celui ci, Pascal n’avait pas vu les Fées- Mères qui étaient venues en renfort. Là, sous son pied droit qui pendait dans le vide se tenait la Fée- Tiche, celle qui lui porterait bonheur, et là, soutenant son pied gauche la Fée- Dère et la Fée- Line qui l’aidaient à rétablir un semblant d’équilibre, tandis qu’elle dynamisaient son projet. Derrière elles, la Fée- Licité encourageait la troupe en lui mettant du baume au cœur, quant à la Fée- Eric grande pourvoyeuse de rêves, elle l’aidait quant à elle, à maintenir ce feu d’artifice et d’étincelles que faisait la scie thermique, en ce 14 Juillet 2007. Apothéose, gloire et magie de l’instant !.
Pendant ce temps, sur les Champs Elysées, la parade annuelle battait son plein les armées déroulaient leurs sempiternelles Fées- d’armes, au pas de lois obscures, ou bien encore à bord de chars brocardés aux couleurs de la patrie, sous le fier regard de Nicolaï, le nouveau petit roi du royaume de France.
Alors qu’il s’accrochait à la corde, Pascal, durant une fraction de seconde, ne put s’empêcher de penser à un tir venant des miradors ou d’ailleurs, de la part des matons qui le voyaient partir, tandis que sa chair embrassait le souffle des pales et que ses yeux brillaient dans le vent. Il avait suivi le procès des frères Cyril et Christophe Khider, comme de nombreux autres, au cours duquel le débat avait tourné autour des tirs des surveillants sur l’hélicoptère, alors qu’un otage était à son bord et que 300 types se trouvaient en bas sous l’appareil. Pourtant, la pilote avait reçu une balle à deux centimètres de son siège et une autre avait frôlé le réservoir de kérosen. Quant à Cyril le petit frère de Christophe, il avait reçu une balle dans la jambe et le surveillant qui avait tiré sur la pilote, des éclats de mur qui l’avaient blessé à la poitrine. Mais, Pascal s’en foutait de mourir là, maintenant, car la force, la densité et l’intensité du moment l’avaient ramené à la vie, et ça valait tous les trésors du monde. L’adrénaline circulait dans toutes les cellules de son corps, emplissait son cerveau, faisait battre ses tempes et envahissait son corps tout entier qu’elle faisait vibrer de son formidable espoir, de son électrique vague, de cet oxygène qui lui avait été refusé durant toutes ses dernières années.
Alors que l’oiseau de fer s’envolait dans le ciel, Pascal ne put s’empêcher de regarder sous lui l’hydre, dont les contours bétonnés s’amenuisaient à une vitesse incroyable. Maintenant, elle n’était plus lorsqu’il la regardait, qu’une petite verrue "plan-terre" sous les pas de sa liberté. Il se mit à serrer ses amis dans ses bras, en remerciant toutes les lampes à souder l’amitié du monde et en se disant qu’il se devrait d’épouser toutes les causes de la terre...pour les Fées...
Soudain, par dessus l’épaule de son ami, juste à côté du pilote, il vit une autre fée qui lui souriait. A bord de l’aéronef, tous restèrent sans voix, tant ses dents de nacre projetaient de lumière dans l’habitacle.
"Je suis La Fée- Nix" dit -elle d’une voie mélodieuse et flûtée. "Pascal je suis venue pour toi car ton esprit chevaleresque et courageux nous a séduit, nous les Fées, et je suis celle qui à partir d’aujourd’hui, va t’aider à renaître de tes cendres...
Tous les gars qui pourrissaient dans les quartiers d’isolement à l’annonce de l’évasion étaient regonflés à bloc : "bonne chance Pascal, force et détermination à toi" pensaient ils en souriant avant de se re mettre à construire dans leur tête, des tas de grappins, d’échelles, d’hélicoptère et autres rêves d’évasion.
Moralité : la sécurité n’abolit pas les rêves de gosses elles les étayent et les renforcent.
Elle ne résout pas la criminalité elle la produit. Le tout avec une logique financière bien huilée qui n’enferme que les pauvres et tous les laissés pour compte...sans Fées.