J’ai à nouveau l’honneur de me présenter devant vous au nom du
Gouvernement. Vous allez examiner en première lecture le projet de loi
instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Lois
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J’ai à nouveau l’honneur de me présenter devant vous au nom du
Gouvernement. Vous allez examiner en première lecture le projet de loi
instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La République doit montrer qu’elle ne s’arrête pas aux portes des lieux
de privation de liberté.
Elle doit pouvoir s’assurer du respect des droits fondamentaux de ceux
qu’elle a décidé d’isoler.
Elle doit pouvoir garantir l’équité de traitement et le respect de la
personne humaine dans tous les lieux de privation de liberté.
Mesdames et Messieurs les Députés, le projet de loi que vous examinez
aujourd’hui s’attache à répondre à ces exigences.
Je sais que vous souhaitez l’améliorer. Les débats au Sénat ont déjà
permis de clarifier certains points. Votre commission des lois a des
amendements avisés à vous soumettre. Je veux dire au président Warsmann
que je suis très sensible à la qualité des contributions de la
commission. Je veux aussi remercier Philippe Goujon, votre rapporteur :
sa réflexion et sa connaissance du sujet apportent constamment un
éclairage très pertinent. Elles seront fort utiles tout au long de
l’examen du projet de loi.
Ce projet a une genèse. Il porte une volonté. Il fixe des principes.
* 1. La genèse du projet
L’idée d’un contrôle extérieur a mûri depuis une dizaine d’années. Elle
doit beaucoup aux réflexions du Parlement. Elle résulte des engagements
de la France.
Je voudrais rappeler ici les grandes étapes de cette genèse. C’est en
1999 qu’Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, a pris l’initiative
de réunir une commission. Cette commission était chargée d’étudier les
modalités du contrôle extérieur des prisons. Elle était présidée par le
Premier président de la Cour de Cassation. Dans son rapport remis en
mars 2000, Guy Canivet préconisait l’instauration d’un organe de
contrôle indépendant.
Ses conclusions ont nourri vos réflexions. Elles ont donné l’impulsion
à plusieurs initiatives parlementaires.
A l’Assemblée nationale, une commission d’enquête a été créée sur la
situation dans les prisons françaises. Différentes propositions de loi
ont été ensuite déposées, à l’initiative de deux de vos collègues : je
pense aux propositions de Marylise Lebranchu ou à celle de Michel
Hunault.
Au Sénat, les travaux d’une autre commission d’enquête a débouché sur
le vote d’une proposition de loi en 2001.
Toutes ces initiatives ont été déterminantes dans la genèse de notre
projet. Elles ont enrichi la réflexion. Elles ont conduit à
s’interroger sur les autres lieux d’enfermement que les prisons. Elles
témoignent aussi de la qualité de vos investigations, au travers d’une
mission peu connue de nos concitoyens : je pense à la visite des
prisons.
Enfin, ce projet est directement issu des engagements européens et
internationaux de la France.
La France a en effet signé en 2005 le protocole facultatif à la
Convention des Nations-Unies contre la torture, les traitements
inhumains, cruels ou dégradants.
Ce protocole préconise l’instauration d’un « mécanisme national de
visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de
liberté sur décision de l’autorité publique ».
En adoptant ce projet de loi, vous mettrez notre pays en position de
ratifier cet engagement international au premier semestre de l’année
2008.
J’ajoute que nous voulons mettre en œuvre les nouvelles Règles
Pénitentiaires Européennes. Ce sont des recommandations du Conseil de
l’Europe. Parmi elles figure la nécessité d’un « contrôle indépendant,
mené par une autorité qui rendra publiquement compte de ses conclusions
».
Vous le voyez, les conditions sont aujourd’hui réunies pour instituer
dans notre pays un contrôle indépendant et global des lieux de
privation de liberté.
C’est la volonté que porte notre projet de loi.
* 2. La volonté portée par le projet
Il est en effet porteur d’une volonté de transparence et d’humanité.
La transparence, elle est au cœur de notre conception de la République.
La République doit pouvoir rendre compte de ce qu’elle voit et de ce
qu’elle fait.
L’institution du contrôle par une autorité indépendante marque une
avancée de notre Etat de droit. Un Etat de droit n’a pas à craindre le
contrôle d’une autorité indépendante du pouvoir exécutif. Au contraire,
il a tout à redouter du soupçon d’opacité qui pèserait, sans cela, sur
le fonctionnement de ses institutions.
Un soupçon qui serait injuste pour les personnels en charge des lieux
de privation de liberté. Je pense aux fonctionnaires de
l’administration pénitentiaire, aux policiers et aux gendarmes, aux
douaniers, aux personnels hospitaliers, aux militaires. Tous
s’acquittent de missions essentielles, dans des conditions souvent
difficiles, parfois dangereuses.
Je tiens à leur rendre hommage.
Depuis mon entrée en fonction, j’ai rencontré beaucoup de
fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Ils m’ont conforté
dans ce projet ; leurs organisations syndicales me l’ont dit : ils sont
les premiers à souffrir de l’image de leur métier et de leurs missions
qui est parfois dévalorisée.
Ils ont besoin d’un regard extérieur sur un univers par nature isolé.
Un regard extérieur sur un monde intérieur. Cela vaut tout autant pour
les personnes qui sont privées de liberté.
La transparence est au cœur de notre conception de la République.
L’humanité est au cœur de nos valeurs.
La privation de liberté est parfois nécessaire. En contester le
bien-fondé, c’est refuser de voir en chacun un être responsable de ses
actes. Un citoyen. Un être humain. C’est aussi dénier le droit à la
réinsertion et à la réhabilitation qu’elle rend possible.
Pour autant, toutes les personnes privées de liberté gardent des droits
fondamentaux. Il faut les respecter.
Ces droits, je vous proposerai de les renforcer pour les détenus. Ils
feront l’objet du projet de loi pénitentiaire que je vous soumettrai en
novembre.
Sans attendre, nous pouvons nous donner les moyens de les faire
respecter. C’est la mission du contrôleur général que je vous propose
d’instituer aujourd’hui.
Nous n’instituons pas un contrôle, mais un contrôleur des lieux de
privation de liberté. Les mots ont leur importance. Nous allons
conférer une autorité à un homme ou à une femme. L’humanisation des
conditions de vie dans les lieux de privation de liberté commence
peut-être par là.
Notre volonté d’humanité est à l’origine même du projet de loi.
Venons-en aux principes qu’il fixe.
* 3. Les principes du projet de loi
L’examen des articles sera l’occasion de détailler le contenu du texte.
Je veux insister sur les deux principes essentiels que nous avons
retenus :
* 1/ Nous voulons donner au contrôleur général le statut d’autorité
indépendante ;
* 2/ Ses missions s’exerceront à l’égard de tous les lieux de
privation de liberté.
Le contrôleur général, nommé par le Président de la République, aura le
statut d’autorité indépendante. Cela signifie qu’il en aura la
légitimité et l’efficacité.
Son indépendance sera garantie par un mandat de six ans, non
renouvelable. Elle est renforcée par les incompatibilités prévues par
le projet de loi.
Elle se manifestera aussi dans la constitution de son équipe : le
contrôleur général disposera de toute la latitude nécessaire pour
organiser une équipe pluridisciplinaire. Il recrutera les contrôleurs
qui l’assisteront : recrutement par voie de détachement s’il s’agit
d’agents publics ; par voie de contrat s’ils viennent du secteur privé.
Il en aura les moyens.
On le dit souvent : c’est l’homme (ou la femme) qui fait la fonction.
C’est vrai ! La légitimité et l’efficacité du contrôleur général
viendront aussi de son action. Il s’imposera par la qualité de ses
recommandations.
L’exemple du médiateur de la République est parlant : les personnalités
successives qui ont exercé cette fonction éminente ont enraciné le
médiateur dans notre paysage institutionnel. Ils lui ont donné une
notoriété et une efficacité que l’on n’imaginait sans doute pas au
départ. Jean-Paul Delevoye me l’a confié : il apportera toute son aide
au futur contrôleur général. Le projet de loi, amendé par le Sénat,
prévoit d’ailleurs qu’il pourra le saisir.
Le second point sur lequel je souhaite insister, ce sont l’étendue et
les modalités du contrôle : les missions du contrôleur général
s’exerceront à l’égard de tous les lieux de privation de liberté.
C’est, me semble-t-il, la force du projet présenté par le Gouvernement.
C’est son originalité.
La mission du contrôleur général porte bien au-delà des frontières du
monde carcéral.
La sanction pénale n’est pas la seule cause de privation de liberté. On
peut aussi retenir quelqu’un contre sa volonté, pour le protéger de
lui-même et d’une fragilité qui le met en danger à l’extérieur.
C’est pourquoi le projet de loi concerne tous les lieux de privation de
liberté sur le territoire de la République : depuis les zones d’attente
des aéroports jusqu’aux secteurs psychiatriques des établissements
hospitaliers. 5 788 lieux ont été recensés. Le projet de loi évite leur
énumération. Il en donne une définition suffisamment large pour
s’adapter à toute évolution.
Ces lieux dépendent de différents ministères : 219 relèvent du ministre
de la justice. Les autres relèvent des ministres de l’Intérieur, de
l’Immigration et de l’Intégration, de la Défense, de la Santé et du
Budget.
Ces lieux n’ont pas les mêmes raisons d’être.
Leurs populations n’ont parfois rien en commun, sinon un trait
essentiel : la dignité humaine que chacun conserve, malgré sa
situation, malgré la sanction pénale, malgré la maladie mentale.
« Une société se juge à l’état de ses prisons », disait Albert Camus.
En ce début de XXIe siècle, nous devons étendre ce constat à l’ensemble
des lieux d’enfermement. Il sera à l’honneur de la France de faire
respecter les droits fondamentaux partout où se trouvent des personnes
privées de liberté.
Les établissements pénitentiaires ne sont pas les seuls à répondre de
cet impératif.
Les étrangers en centre de rétention doivent être pris en charge avec
dignité. Un interprète doit pouvoir être présent pour les aider à
comprendre leur situation.
Les personnes gardées à vue ont des droits fondamentaux qu’il convient
de respecter.
La vulnérabilité des malades, dans les hôpitaux psychiatriques, appelle
un surcroît particulier de vigilance pour le respect de leurs droits.
Leur faiblesse ne doit pas interdire le maintien de relations avec le
monde extérieur. Ils doivent avoir la possibilité de garder une vie de
famille.
La mission du contrôleur général sera d’y veiller. C’est une mission
globale, confiée à une autorité nouvelle.
Nous aurions pu faire d’autres choix. Le protocole facultatif à la
convention de l’ONU nous en donnait la possibilité.
Je crois sincèrement qu’il était nécessaire de donner une lisibilité à
l’action des différents organismes qui veillent déjà au respect de la
dignité humaine dans les lieux de privation de liberté.
Des mécanismes de contrôle interne existent déjà depuis longtemps. Ils
se doublent de contrôles extérieurs. Je pense par exemple à la
Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité. Depuis 2001, ses
avis et rapports ont eu un impact réel sur les services et les lieux
qu’elle a visités.
Comme la CNDS, les organismes et les inspections qui font du contrôle
accomplissent un travail rigoureux et indispensable. La fréquence
variable des interventions, la diversité des modes de saisine, la
disparité des compétences posent problème. Ils expliquent l’effet
d’éclatement de la perception de leur mission.
Le contrôleur général n’aura pas vocation à se substituer à ces
organes. Il travaillera au contraire en coordination avec eux. En
prêtant un nom et une voix forte à leur cause, il renforcera
l’efficacité de leur action. La voix d’un homme porte plus haut et plus
loin que les conclusions d’un rapport.
J’étais en juillet, avec Philippe Goujon, à Londres. Nous avons
rencontré Mme Anne Owers, inspectrice en chef des prisons britanniques.
ette fonction existe depuis 1981. Mme Owers nous a fait partager ses
observations. Son analyse m’a confortée dans le choix d’un contrôle
concentré autour d’une personnalité unique et d’une équipe
pluridisciplinaire.
Le modèle britannique a inspiré notre projet. Il m’amène à évoquer les
visites et les pouvoirs du contrôleur général.
En Grande-Bretagne, chaque visite de l’inspecteur en chef donne lieu à
une information préalable, puis à un rapport, accompagné de
recommandations aux autorités.
95 % de ces recommandations sont admises par l’administration. 75 % en
moyenne sont suivies d’effet dans les deux ans. L’inspecteur en chef le
vérifie à l’occasion d’une visite inopinée.
Vous le savez, il y a eu un débat en France sur cette possibilité de «
visites inopinées ». Le Sénat a souhaité que toute ambiguïté soit
levée. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cet amendement. Le
contrôleur général pourra, sous réserve de motifs graves et bien
identifiés, effectuer des visites à tout moment.
*
Mesdames et Messieurs les Députés, j’ai conscience des efforts que la
mise en œuvre de ce contrôle demandera aux administrations concernées.
Je suis convaincue qu’un dialogue bénéfique pourra s’établir à
l’occasion des investigations. Ce dialogue est d’ailleurs la meilleure
promesse de résultats concrets.
Je sais que ce projet fait naître une grande attente. Nous avons la
volonté de le faire aboutir rapidement. Si l’Assemblée nationale
l’adopte, le Sénat est prêt à l’examiner en deuxième lecture dès le 23
octobre. Mon souhait est que le contrôleur général puisse entrer en
fonction au début de l’année 2008 pour accomplir la mission que vous
lui aurez confiée.
« L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les
seules causes des malheurs publics », proclame en préambule la
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.
Je vous propose de marquer ensemble un nouveau progrès aujourd’hui, en
veillant au respect des droits fondamentaux jusque dans les lieux où
l’on est privé de liberté.
Je vous remercie.