Dans la nuit du 26 au 27 mars 2006, Zinédine H. souffrant de graves troubles psychiatriques s’est pendu dans sa cellule du centre de détention de Loos. Depuis 8 ans, sa famille se bat pour faire reconnaitre une succession de fautes de l’administration pénitentiaire dans sa prise en charge. Après le rejet de sa demande par le tribunal administratif de Lille et par la cour administrative d’appel de Douai, la famille de Zinédine s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État qui vient de lui donner raison.
Le 11 juin 2014, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative de Douai du 22 mars 2012 qui avait considéré que l’administration pénitentiaire n’avait commis aucune faute susceptible d’engager la responsabilité de l’État dans le suicide de Zinédine H. La Haute juridiction a estimé que la décision de la cour selon laquelle « rien ne pouvait laisser prévoir le geste suicidaire de [Zinédine H.] et qu’aucune surveillance particulière n’était nécessaire », était « entachée de dénaturation ». L’affaire a été renvoyée devant la même cour pour être jugée à nouveau.
Par cette décision, le Conseil d’État rappelle « la gravité » et « l’ancienneté des troubles qui affectaient l’intéressé » ainsi que les « multiples problèmes posés par sa détention ». Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il réaffirme la nécessité de prendre en compte la particulière vulnérabilité des détenus atteints de troubles psychiatriques face au risque suicidaire.
Au moment des faits, Zinédine était détenu depuis quatre ans. Condamné en 2002 à sept ans de réclusion criminelle pour un homicide volontaire, il avait été reconnu responsable de ses actes. Les experts avaient estimé qu’il souffrait d’une pathologie psychiatrique « aux frontières d’un état limite et d’un état dépressif atypique » et que son discernement n’était qu’ « altéré » et non « aboli » au moment des faits. Ils reconnaissaient dans le même temps que « sa fragilité psychiatrique [avait] pu être un facteur favorisant » le passage à l’acte.
Atteint d’ « une forme atténuée de schizophrénie affective, comportant par périodes un état hallucinatoire caractérisé » selon un autre psychiatre, Zinédine a vu son état de santé se dégrader en détention. En septembre 2003, il manque de périr dans l’incendie volontaire de sa cellule et en conservera de graves séquelles. A partir du mois de novembre 2005 où il tente à nouveau de mettre le feu à sa cellule, son état de santé se dégrade à nouveau : il multiplie les incidents disciplinaires, les destructions de matériels, les propos agressifs.
Pourtant pendant plus de deux mois, les soins nécessaires à son état ne lui seront pas administrés. En cause, la décision du Préfet du Nord qui, par six fois refuse de prononcer une hospitalisation d’office malgré les demandes répétées et insistantes des psychiatres de la prison. Dès le 14 novembre 2005, ces derniers affirment dans des certificats médicaux qu’une hospitalisation est « urgente » et « indispensable », car Zinédine n’a « plus sa place en milieu pénitentiaire » et nécessite « des soins en milieu spécialisé » au regard de son état « totalement dégradé » et d’un « risque de passage à l’acte auto-agressif ».
A la place, Zinédine a été maintenu durant deux mois par l’administration pénitentiaire au quartier disciplinaire, ce qui n’a pas manqué de provoquer « une altération de son état général avec amaigrissement » comme l’a relevé un psychiatre de la prison, dénonçant « une situation intolérable ». Le 20 janvier 2006, il est enfin hospitalisé d’office. Durant son séjour à l’hôpital, en raison de son statut de détenu, il est maintenu constamment « en chambre de sécurité » attaché « de trois membres avec possibilité d’aller à la douche et aux toilettes une fois par jour avec une surveillance renforcée ». Pas plus que lorsqu’il était au quartier disciplinaire sa famille ne sera autorisée à lui rendre visite.
Il est renvoyé en prison de façon prématurée le 13 février 2006. Ses « symptômes d’agressivité et de délires » ont disparu, mais Zinédine est amaigri et affaibli et, selon plusieurs témoignages, ne prend plus la peine de s’habiller. Le 25 mars vers 23 heures, il se pend avec une corde de tissu attachée au tuyau des toilettes. Aucune ronde de nuit n’ayant été effectuée, il sera découvert à 5h30 du matin.
Dans sa décision, le Conseil d’État s’est contenté de pointer la faute de surveillance de l’administration pénitentiaire estimant qu’il n’était pas « besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ». Si ce défaut de surveillance constitue une des causes susceptibles d’être retenues dans la survenance du suicide de Zinédine, il apparaît évident que les causes profondes de son passage à l’acte sont à rechercher en amont dans le défaut de prise en charge adéquate et l’incompatibilité de son placement en détention avec son état de santé. L’issue tragique de Zinédine questionne encore une fois sur la tendance massive observée en France à envoyer les malades mentaux dans les prisons qui ne sont pas et ne pourront jamais être des lieux de soins.
L’OIP rappelle :
- Le rapport de visite du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) de 2006 qui dénonçait la situation de certains patients « délibérément privés de toute possibilité de soins psychiatriques appropriés, alors qu’ils souffrent de décompensations psychotiques graves. » Le CPT avait constaté que « cette situation dramatique générait des placements tout à fait inadaptés de patients présentant des affections psychiatriques aiguës dans des quartiers d’isolement, voire des quartiers disciplinaires » et affirmait qu’ :« il ne fait aucun doute aux yeux du CPT qu’une telle situation s’apparente à un traitement inhumain et dégradant »
- La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, s’agissant du risque suicidaire d’un détenu schizophrène, a considéré qu’il était « à double titre vulnérable : en tant que personne privée de liberté et, plus encore, en tant que personne souffrant de troubles mentaux ». La Cour relève par ailleurs que « chez les schizophrènes, le risque de suicide est bien connu et élevé », qu’en conséquence « la gravité – incontestée – de la maladie » dont souffrait le détenu était aussi « un facteur à prendre en compte ». (CEDH, 6 décembre 2011, De Donder et De Clippel c/ Belgique, n°8595/06)
- L’arrêt du Conseil d’Etat du 17 décembre 2008, selon lequel : « eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis à vis de l’administration, il appartient tout particulièrement à celle-ci, et notamment au garde des sceaux, ministre de la justice et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie » (CE 17 déc. 2008, Observatoire international des prisons, N° 305594).