Suicides en série et tensions à la prison de Fleury-Mérogis
En une semaine, quatre détenus se sont donné la mort par pendaison.
Par DOMINIQUE SIMONNOT
Le mercredi 2 juin 1999
Mohamed B., 25 ans, a accroché un drap à la potence de la télévision, il s’y est pendu et il est mort le jeudi 27 mai dans sa cellule de Fleury-Mérogis. Il avait tout fait pour ne pas être renvoyé en Tunisie, son pays d’origine et tout avait raté. Marié à une Française et père de trois enfants, le jeune homme avait été condamné à trois ans de prison pour une affaire de stupéfiants. Les juges y ont ajouté l’interdiction du territoire français. Ils n’y étaient pourtant pas obligés. Le mariage, les enfants, les attaches en France auraient pu l’en protéger. Quand Mohamed B. était sorti de la prison de Fleury-Mérogis, le 6 février dernier, des policiers l’attendaient. Ils l’ont emmené au centre de rétention du Mesnil-Amelot pour un départ en Tunisie trois jours plus tard. Il a refusé de partir. Il a été condamné à nouveau à cinq mois de prison pour "refus de se soumettre à une mesure d’interdiction du territoire". L’éducatrice avait formé pour lui un recours en grâce et une demande d’assignation à résidence, mais il devait quitter la prison le 6 juin prochain pour être expulsé. Il ne l’a pas supporté. C’est ce qu’il a écrit à sa femme dans le courrier qu’il lui a laissé, évoquant également ses difficultés familiales. Quelques jours avant sa mort, Mohamed B. a entamé une grève de la faim et le service médical l’a régulièrement vu, les gardiens avaient renforcé leur surveillance. Cela n’a rien empêché. Comme n’ont pu être évités les trois autres suicides et la tentative qui, depuis dix jours, ont endeuillé la vie de la prison de Fleury-Mérogis. Tous par pendaison.
Manque de douches. Le premier s’est donné la mort le 22 mai dans sa cellule après s’être automutilé. Il avait 24 ans et cinq années de détention devant lui. Après son suicide, ses codétenus ont refusé de regagner leurs cellules. Ils protestent contre leurs conditions de détention réclamant, entre autres, les trois douches hebdomadaires promises par Elisabeth Guigou "et qui sont impossibles à donner", explique Eric Sanchez, représentant de l’Ufap (Union fédérale autonome pénitentiaire) :"Vous imaginez, il y a 250 détenus et 16 cabines de douche par étage, beaucoup sont en panne et, dans celles qui marchent, je ne mettrai même pas mon chien à laver."
Les prisonniers ont aussi raconté, aux magistrats venus sur place les entendre, "que la paupérisation de la population pénale empêche beaucoup d’entre eux de cantiner ou de se payer la télé, ce qui crée d’énormes tensions". Le 26 mai, les gardes mobiles pénètrent dans la prison et obligent les détenus à remonter dans leurs cellules. "Il faut désengorger la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, affirme alors la CGT pénitentiaire, et cela passe par des alternatives à l’incarcération."
Mitard. Quelques jours plus tard, à peine le calme était-il revenu à Fleury, "un calme trompeur", disent alors les surveillants, qu’un autre détenu se pend lui aussi, avec ses lacets de chaussures. Il était depuis trois semaines au mitard, le quartier disciplinaire, pour avoir agressé un gardien. Dans la nuit du 28 au 29 mai, un jeune homme de 25 ans, arrivé quatre jours auparavant dans sa cellule, est retrouvé pendu par les surveillants. Il avait été condamné à six mois de prison ferme pour vol avec violence et c’était la première fois qu’il entrait en prison. Il n’a pas tenu le choc. La mauvaise série s’est poursuivie avec un gamin de 17 ans, multirécidiviste, qui a tenté de se pendre au centre des jeunes détenus dans la nuit de dimanche. Les secours ont pu être appelés à temps, il est hors de danger.
Le substitut du procureur d’Evry, Jean-Michel Bourlès, est allé discuter avec lui : "Il en avait assez d’être en prison", rapporte-t-il. En août dernier, soucieuse de la hausse des suicides, l’administration pénitentiaire a pris quelques mesures pour intensifier la surveillance. La direction de Fleury-Mérogis parle d’une "situation inhabituelle" et a décidé d’intensifier les rondes de nuit. "Malheureusement, remarque Eric Sanchez, même si nous doublons nos rondes, ce qui signifiera 1 200 regards par l’oeilleton de la cellule, cela n’empêchera pas une heure de battement entre chaque. L’administration nous propose d’être autre chose que des porte-clés, mais, avec 100 détenus pour un surveillant, c’est impossible. Pour connaître vraiment les gens, il faudrait moins de détenus par surveillant".