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Etre surveillant(e) de prison

Témoignage d’une surveillante : ’’J’ai cotoyé la mort’’

Mise en ligne : 3 août 2010

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Texte de l'article :

J’ai cotoyé la mort.

Ce matin, en faisant mon appel, j’ai découvert un détenu qui s’était pendu. Moins de 45 min, entre la dernière ronde et mon appel se sont écoulés et c’est le temps qu’il a eu pour passer à l’acte. Je tape sur mon alarme portative pour prévenir mes collègues, je rentre dans la cellule pour couper la ficelle avec un petit couteau. Mon auxi m’aide en soulevant le corps pendant que je m’acharne sur ce bout de corde. Allongé par terre, je tente de le réanimer. J’écoute son coeur, prend son pouls et décide de lui faire un massage cardiaque.en attendant les secours. Un collègue arrive et prend le relais. Le gradé a déjà pévenu SOS Médecins et l’infirmière de l’établissement arrive en courant. Je recule dans le couloir et reprend mes esprits. Je n’ai pas fini l’appel et je tremble comme une feuille. Je termine le contrôle de mon étage et j’entends des voix qui me demandent : "Qu’est ce qui se passent Surveillante ??" " - Rien" dis-je en pensant que pour une fois, je ne leur demanderai pas de se presser pour prendre la douche.

Mon appel terminé, je reviens vers la cellule où la mort s’est invitée. Le détenu est décédé. Personne n’a rien pu faire, il était déjà mort quand je suis arrivée. Je regarde son corps par terre et son visage tout blanc. Son cou est violacée. Dans sa main il tient une photo. Sa cellule est propre et bien rangée. Ses affaires ne traînent pas. Ses livres sont empilés correctement sur une tablette. Sa cellule sent le propre. Pendant qu’on me parle, je n’arrive pas à détacher mes yeux de cette photo. Je la fixe. Et soudain, je prends peur.

Quelqu’un pose sa main sur mon épaule : "Ca va ?? T’es toute blanche, tu veux qu’on te remplace ?" - Non, ca va aller, je vais donner les douches."

Le disponible vient m’aider. Je suis en retard pour les douches. Il fait la gueule. Je le laisse quelques instants pour aller dans mon bureau, je regarde la fiche pénale du détenu et je rédige mon rapport. J’explique avec précision ce qui s’est passé, mon intervention, celle de l’auxi, de mes collègues ect.. Avec à chaque fois les heures précises. Est ce que je dois parler de la photo ? Je ne sais pas.A quoi ça servirait...

Dans la matinée, je suis reçue par le directeur. Je lui remets mon rapport et lui explique de vive voix ce qui s’est passé. Sa voix est calme et il trouve les mots pour me rassurer et me dire que j’ai fait correctement mon travail. Il voit que quelque chose ne va pas et me demande si je veux voir un psychologue. Je ne sais pas, je n’arrête pas de penser à cette photo. Je ne dis rien. Il insiste pour le psy, je suis d’accord. Malheureusement, le psychologue des personnels est en déplacement pour la journée, il sera là demain. Le rendez-vous est pris. Je termine la matinée la tête dans le brouillard.

Je rentre chez moi et une bonne douche me fait du bien. Je n’arrive pas à manger et encore moins à dormir.

A 16h30, je suis devant l’école et j’attends ma fille. Elle sort en riant comme à son habitude et me saute dans les bras. Sa petite copine arrive près de nous et me dit bonjour. Ma fille me demande si elle peut venir jouer un peu à la maison ce soir.

Je m’agenouille auprès de cette jolie petite fille, je la prends dans mes bras, la serre très fort et lui dis doucement : " Pas ce soir ma chérie, tu dois rester avec ta maman". Et dans ma tête, je finis ma phrase " Car il est arrivé un grand malheur à ton papa...."