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Témoignage de Luk Vervaet (interview réalisée par Mohamed Zainabi de Info Sud, presse belge)

Mise en ligne : 16 août 2007

Texte de l'article :

Qu’en est-il de la surpopulation pénitentiaire en Belgique ?
Il y a à peine quinze jours, au début du mois de juillet, le personnel pénitentiaire a mené des actions syndicales contre la surpopulation dans les prisons. Il ne s’agissait pas encore d’une grève, mais la menace reste en l’air si les choses ne changent pas. Les prisons belges hébergent plus de dix mille détenus, alors que leur capacité est d’environ huit mille. N’oublions pas que la Belgique ne compte que dix millions d’habitants et le nombre des prisonniers est le plus élevé depuis la deuxième guerre mondiale. N’oublions pas non plus que quinze à vingt mille enfants ont ainsi un père ou une mère en prison. En outre, quinze mille personnes sont remises en liberté chaque année et près de dix mille sortent pour des congés pénitentiaires provisoires ou conditionnels. Quarante pour-cent de ces détenus sont en détention préventive.

Comment expliquez-vous ce phénomène de surpopulation ?
Les raisons sont multiples. La Belgique est un petit élève dans la grande classe des pays occidentaux qui depuis une vingtaine d’année ont choisi une voie radicalement sécuritaire. La situation s’est aggravée partout après le 11 septembre 2001 avec toute la culture de la peur qui a été développée à cette occasion.
Plus spécifiquement pour la Belgique, l’affaire des enfants disparus a mobilisé des centaines de milliers de parents et de citoyens au milieu des années nonante. Cela a créé un climat plus intolérant et plus sévère par rapport aux libérations conditionnelles, non seulement pour les pédophiles et les assassins d’enfants, mais aussi plus généralement à l’égard de la délinquance. En 1991, on comptait près de1104 libérations conditionnelles ; en 2002, seulement 681 prisonniers ont pu bénéficier de ce régime. D’autre part, les tribunaux ont eu tendance à rendre des peines plus sévères.
Une autre raison est la montée de l’extrême droite, en particulier du côté néerlandophone, où le parti Vlaams Belang est devenu le deuxième parti, et parfois le premier dans certaines villes. C’est l’expression politique d’une opinion publique plus intolérante et plus raciste. Ce parti exige plus de sécurité, plus de policiers, plus de prisons, programme résumé sous le slogan « tolérance zéro pour la délinquance ». Cela a poussé l’ensemble des partis politiques à suivre également cette voie.
En résumé, l’augmentation de la population carcérale provient de l’augmentation de la répression, en particulier de la petite délinquance.

La population immigrée est-elle surreprésentée dans les prisons belges ?
Oui. Selon les chiffres de la Fondation Roi Baudouin de 2004, qui a étudié la fluctuation de la population incarcérée sur une période de dix ans, entre 38 et 43% des détenus n’ont pas la nationalité belge. Si on y ajoute les détenus belges issus de l’immigration, on arrive à bien plus de la moitié des détenus.
Cela s’explique par le fait que les familles issues de l’immigration sont les plus vulnérables dans la société belge. Elles ont subi en premier lieu les grands changements économiques qui ont entraîné chômage, précarisation des emplois, paupérisation. C’est une situation fort différente des années soixante ou septante où les travailleurs immigrés étaient intégrés dans le monde du travail et dans ses combats. En 2006, 46% de la jeunesse d’origine marocaine connaît la précarité. Une étude récente a démontré que 58,9% des personnes d’origine turque et 55,6% des personnes d’origine marocaine vivent en dessous du seuil de pauvreté européen, fixé à 777 euros par mois. 38,7% des personnes d’origine turque, ainsi que 25% des personnes d’origine marocaine sont obligées de vivre avec moins de 500 euros par mois.

La jeunesse de l’immigration constitue un groupe particulièrement vulnérable car ils ne sont en fait ni immigrés, ni acceptés comme citoyens à part entière. Ces jeunes subissent beaucoup de discriminations au niveau de l’emploi, de l’école et de la culture. Pour eux, l’avenir est particulièrement sombre.
Dans la guerre mondiale actuelle contre le terrorisme, la population issue de l’immigration, en particulier en provenance du monde arabe, est spécialement visée. L’amalgame fait entre islam, arabe, terrorisme, insécurité entretient cet état d’esprit général.

Quelles situations vous ont le plus touché dans votre travail ?
Pour moi, la prison est un concentré de misères sociales, et en même temps une zone de non-droit, où les libertés démocratiques ne sont plus d’application. Cela ne veut pas dire que c’est Guantanamo, car cela reviendrait à banaliser ce qui se passe à Guantanmo.
Les délinquants que je rencontre n’ont rien à voir avec le genre de criminels qu’on peut voir en abondance à la télévision. Des « vrais criminels », j’en ai rarement rencontré. Par contre, j’ai rencontré de jeunes hommes qui ont passé leur jeunesse dans des homes, des jeunes issus de famille nombreuse dont tous les frères et sœurs travaillent normalement, mais qui eux ont « déraillé ». Ils ont souvent raté leur parcours scolaire. La plupart des détenus sont là pour trafic de drogues, d’armes ou d’être humains, pour des vols armés ou non (car jacking, home jacking). J’ai rarement vu en prison des gens faisant partie de la classe supérieure. Ce que je vois en prison, c’est cette partie la plus faible économiquement et socialement de la nouvelle classe populaire : sans emploi, sans diplôme, sans logement. Certains jeunes adoptent alors des comportements en rupture totale avec toute forme de morale ou de respect des autres personnes.

Les prévenus côtoient-ils les condamnés, les jeunes les vieux, les malades les personnes en bonne santé ?
Jusqu’à cette année, tout le monde fréquentait tout le monde. La loi Dupont, récemment adoptée, prévoit plus de séparation entre les différentes « catégories » de détenus. IL existait avant déjà des sections pour ce qu’on appelle les « primaires » (ceux qui sont condamnés pour la première fois). Mais même dans ce groupe, les prévenus fréquentaient les condamnés, les plus jeunes les plus anciens... Il y a des malades parmi les personnes en bonne santé. Dans une aile de la prison où se trouvent des détenus en bonne santé, par exemple, on avait enfermé des personnes atteintes de tuberculose au rez-de-chaussée ; elles sortaient pour la promenade seulement avec leur groupe et avec un masque.
Il y a naturellement des annexes psychiatriques dans les prisons, mais il arrive assez régulièrement que des détenus « normaux » deviennent complètement fous du fait de leur enfermement. Dans ces cas, l’intervention musclée et le cachot sont la seule solution. Je ne veux pas nier que des efforts sont faits pour améliorer cette situation mais les marges sont très étroites.

Que répondriez-vous à ceux qui disent que les prisons doivent rester des prisons pour faire payer leur crime aux prisonniers ?

Selon moi, la prison est la mauvaise solution à un problème qui est avant tout social. Si la prison était historiquement un pas en avant par rapport aux supplices, et si elle avait à l’origine une mission de réintégration, on peut dire que cette dernière mission a complètement échoué. Plus personne ne se fait encore beaucoup d’illusions à ce sujet. La seule fonction qui reste est la fonction répressive : enfermer et séparer de la société une question qu’on n’arrive pas à résoudre. Inversement, pour la population en bas de l’échelle sociale, l’investissement le plus grand qui leur est consacré est plus de répression, de police, de prisons, et non plus d’emploi, d’école et de logement.
Pour moi les prisons sont avant tout des écoles du crime et des endroits où des personnes sont brisées psychologiquement. Il suffit de voir le taux de suicide dans les prisons dans tous les pays occidentaux. En Grande Bretagne, avec un chiffre record de 81.000 détenus, on compte dans les prisons d’Angleterre et du Pays de Galles quarante-trois suicides pendant les vingt-deux premières semaines de 2007. Cela signifie deux suicides par semaine. L’organisation « Ban public » a révélé qu’en juin 2007, cinq personnes se sont suicidées en une semaine dans les prisons de France. Le nombre de suicide y est sept fois plus élevé que la moyenne nationale dans le reste de la société. Sarkozy vient d’annoncer que la grâce présidentielle traditionnelle du 14 juillet sera supprimée. Cela ne résoudre ni le problème de la surpopulation dans les prisons, ni les problèmes de société qui sont à la base de la délinquance. Il est urgent de travailler à des solutions plus fondamentales. Pour cela, il faut associer au débat tous les acteurs concernés (représentants des quartiers populaires, travailleurs sociaux, organisations syndicales, enseignants, etc.).
Pour ma part, je voudrais suggérer l’idée suivante. Tous les détenus entre 18 et 25 ans devraient recevoir la possibilité de signer un contrat, sur base volontaire, qui les engage à reprendre des études et à accomplir un travail d’intérêt général ou de réparation des dommages subis par les victimes, et ceci en échange de leur peine de prison. Les modalités pratiques d’une telle mesure devraient naturellement être soigneusement étudiées. Ceci exprimerait aussi de la part de la société qu’elle reconnaît ne pas avoir tout mis en œuvre pour que ces jeunes ne tombent pas dans la délinquance.

Interview réalisée par Mohamed Zainabi de Info Sud (presse belge)

Lien vers l’article http://archives.lesoir.be/t-20070816-00CNAY.html?query=marocains&andor=and&when=-1&sort=datedesc