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Un an ferme

Mise en ligne : 17 octobre 2010

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Texte de l'article :

Elodie a vingt-et-un ans depuis peu et, si la vie n’a pas été spécialement tendre avec elle les années précédentes, la fin 2007 et le début 2008 sont en revanche assez heureux et chargés d’espoir : elle a continuellement pu travailler, petits boulots certes, mais en continu, ses relations avec ses parents se sont normalisées, elle a rencontré un homme – le bon cette fois, Patrick, qui travaille lui aussi, et a connu les mêmes galères autrefois, n’en étant que plus gentil maintenant.

En avril 2008, c’est un peu l’apothéose : Patrick a hérité d’une maison, ils pourront y emménager dès leur retour de la "saison" qu’ils ont tous deux, courageusement, été faire dans les Alpes, en tant que serveurs ; mais ce qui la rend plus heureuse encore, c’est qu’elle vient de découvrir qu’elle attend leur enfant.

Il n’y a qu’un minuscule point noir : à l’âge de dix-huit ans, elle a commis un délit, une unique erreur, un vol, qualifié de "simple" par la loi et parce qu’il l’est : sa vie était mouvementée à l’époque, un type l’avait "ramassée" avec deux copines dans une boîte et tout le monde s’était retrouvé chez lui – il a essayé de draguer, est devenu "lourd", et les filles sont reparties, mais pas les mains vides : il était ivre et n’a pas vu grand-chose, et elles en ont profité, Elodie ayant quant à elle cru pouvoir lui voler une console de jeu et quelques CD.

Evidemment il s’en est aperçu le lendemain et a porté plainte, Elodie a été entendue, et a reconnu son méfait sans difficultés, en expliquant qu’elle avait agi ainsi par bêtise, et aussi un peu par colère parce que le type était devenu grossier et ne pensait qu’à ça…

Mais tout ceci se passait en 2005, Elodie n’en a d’ailleurs qu’un vague souvenir, et elle a été très surprise, en février ou mars dernier, de recevoir une convocation à comparaître devant le Tribunal Correctionnel ; elle a aussitôt été voir un avocat, qui a consulté le dossier et l’a rassurée : elle ne risquait pas grand chose pour des faits bénins, anciens, uniques dans sa jeune vie, et au vu aussi de son parcours et de sa bonne insertion actuelle ; si la victime se présentait à l’audience, il faudrait simplement l’indemniser – ce qu’Elodie trouvait effectivement normal – moyennant quoi il était impossible qu’on lui inflige autre chose qu’une peine de principe, voire plausible qu’on la dispense de peine purement et simplement, comme la loi le permet parfois.

Elodie avait trop de revenus pour qu’un avocat puisse la défendre sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle, et trop peu pour le rémunérer elle-même : dans ces conditions, l’avocat consulté lui concédant d’ailleurs qu’un défenseur ne lui était probablement pas indispensable (elle est adorable et "présente" très bien, et il lui avait indiqué de quelles pièces justifier, et à peu près quoi dire), elle décidait d’aller seule à l’audience, prévue le 25 avril 2008 – ce qui tombait assez bien, son contrat de travail dans les Alpes se terminant le 24.

Elle rentrait effectivement à LILLE le 24, et se présentait le 25 à l’audience correctionnelle de la Chambre concernée, où il lui était indiqué que si son nom ne figurait pas sur le "rôle" (le listing des affaires affiché à l’entrée de la salle), c’est qu’elle faisait erreur, que ce n’était pas la bonne date : terrifiée, Elodie, qui reste une petite fille, s’emparait de la feuille pliée en quatre depuis deux mois dans son portefeuille, pour bien montrer à l’huissier qui lui indiquait cela que c’est lui qui se trompait… Et ne pouvait que constater qu’elle avait effectivement confondu : son audience se tenait la veille, le 24, et elle n’y avait pas été…

Elle pleurait en rentrant chez elle, ne sachant absolument pas quoi faire, et s’en voulant à mort d’une erreur aussi stupide : sa mère, femme simple, la rassurait en lui disant que de toute façon et puisqu’elle avait raté l’audience, on ne pouvait plus rien y faire, et que la décision allait sûrement arriver par la poste ; et sinon, on irait demander à un avocat ou au Tribunal pour savoir ce qui s’était passé.

Elodie était au beau milieu de son emménagement avec Patrick, et allait commencer un nouveau travail : elle laissait passer quelques jours.

Le 30 avril à sept heures, trois gendarmes se présentaient chez elle, la menottaient et l’emmenaient, en larmes, en Maison d’Arrêt, informant sa mère du contenu de la décision, qu’ils venaient de signifier à Elodie et mettaient immédiatement à exécution : le Tribunal, statuant à juge unique, l’avait condamnée en son absence, et pour les faits précités de vol simple commis en 2005, à la peine d’une année d’emprisonnement ferme, avec mandat d’arrêt.

Elle est incarcérée depuis.

J’ai reçu sa mère immédiatement après son arrestation, dans l’état que vous pouvez imaginer ; nous étions encore, fort heureusement, dans le délai de dix jours à compter de la venue des forces de l’ordre dans lequel nous pouvions faire appel, ce qui a été effectué immédiatement, tandis que je déposais le jour même auprès de la Cour une demande de mise en liberté, qui sera "exceptionnellement" jugée "rapidement", à la suite d’une démarche écrite que j’ai également effectuée, c’est à dire… En fin de mois (Elodie aura effectué un mois de détention le jour de l’audience).

La loi permet, dans notre pays, dans ce cas-là comme dans maints autres, qu’une telle demande de remise en liberté, dans l’attente d’un nouveau jugement, alors que l’on est encore présumé innocent, et en tout cas absolument pas condamné définitivement, qu’on ne le sera, en appel, que dans de nombreux mois, et que de toute évidence la peine n’a été d’une telle incroyable lourdeur qu’à raison de l’absence d’Elodie, soit examinée dans un délai de deux mois – une éternité pour la petite fille concernée, une aberration en droit – exactement comme elle permet de décerner un mandat d’arrêt SI une lourde peine, d’un an au moins, est prononcée, ce que la loi, enfin, permet de faire dans tout dossier de vol simple, même ancien, même sans précédents judiciaires, même en l’absence de toute victime…

Je revois Elodie cette semaine, je lui dirai que j’ai écrit cette histoire, à elle qui ne peut pas la lire encore, et je vous dirai évidemment si elle redevient libre…

Je rappellerai (entre autres !) à la Cour à cette occasion (entre autres !) ce qu’elle-même, parfois, a heureusement pu écrire à ce sujet :

"Le condamné bénéficie de la liberté fondamentale de contester le jugement qui le frappe en exerçant une voie de recours. Les décisions de maintien ou de placement en détention peuvent avoir pour effet de réduire ce droit à néant, notamment lorsque le délai d’examen du dossier par la Cour d’appel est plus long que la peine prononcée. Cette considération doit ou devrait conduire les juges répressifs à s’interroger sur la " raisonnabilité " de ce type de décision" ( CA DOUAI, 23 avril 1992 ).

Mais en attendant, souvenez-vous : ça peut vous arriver.

Un an ferme (suite) : non !

Les trois lecteurs de ce blog ne peuvent que se souvenir de la petite Elodie, invraisemblablement emprisonnée pour rien, ou presque, en tout cas de façon particulièrement inique : j’ai le plaisir de vous indiquer que la Cour a mis fin hier à cette énormité, et qu’Elodie, cette nuit, enfin, a dormi chez elle, avec les siens.

J’avais hier, outre le plaisir de cette libération lui-même, l’impression que nous revenions enfin, tout simplement, à la réalité : l’avocate générale a requis sa libération, la Cour s’est scandalisée de la décision attaquée, et a immédiatement ordonné sa remise en liberté, sur le siège et sans délibérer : ouf, il reste des gens normaux dans le monde judiciaire !

Et le cadeau supplémentaire était la présence de toute la famille à l’audience : tout le monde pleurait, Elodie pleurait, son avocat avait les yeux qui piquent… Et je ne suis pas près d’oublier l’émotion de la salle, et par-dessus tout celle du jeune papa de l’enfant qu’elle porte depuis trois mois : à l’issue de l’audience, l’escorte de gendarmes l’a laissé (Heureusement : elle est LIBRE ! Même s’il lui fallait encore effectuer les formalités de levée d’écrou…) s’approcher d’elle : il était en larmes lui aussi, il n’a rien dit, ils se souriaient, il a posé une main sur le ventre de sa compagne …

Un temps de bonheur pur dans le malheur et la complexité du monde : j’adore décidément ce métier !

http://maitremo.fr/2008/05/30/un-an...