L’aube s’étire, plus lascive, plus molle. La brume, le ciel plombé sont déchirés, balafrés par le faisceau blafard du balai incessant, soutenu, inquisiteur, du mirador. L’obscurité est mise à nu, à jour en coupes sombres. C’est big brother... Même la nuit leur appartient ! Les oiseaux se sont tus, l’humidité saisie, ralentie, endolorie, la bête est engourdie...
C’est l’automne.
Les verroux claquent dans la détention, ce sont les premières conduites au palais, autres transferts ou encore les détenus travailleurs affectés aux services généraux dans la prison. Cuisiniers, boulangers, services des repas, entretien, etc.... pour des salaires de 400 francs. L’exploitation de la misère, valeur marchande sûre ! Les prisons sont privatisées, faut rentabiliser ! C’est la mondialisation, l’économie de marché ! Je reste au fond de mon lit afin de retarder le plus possible ce retour au réel ! Rêvons nos vies, vivons nos rêves... Ce brouhaha, bruit sourd qui enfle, gonfle comme une vague de fond qui déferle, gronde, grossit... Les premiers éclats de voix aboiements injonctions accompagnent les bruits le fracas des clés qui percutent, fouillent, maltraitent les serrures en même temps que claquent les loquets condamnant les portes. La porte de la cellule s’ouvre enfin. Le surveillant contrôle la présence du détenu qui doit se manifester par un mouvement. Certains surveillants vont jusqu’à pousser le zèle, le sadisme, à nous réveiller plusieurs fois au milieu de la nuit, pendant les rondes de surveillance. Ceci se manifeste par des coups dans les portes, la lumière qu’ils allument de l’extérieur jusqu’au réveil des détenus ! Les rondes nocturnes commencent à 19 heures jusqu’au réveil 7 heures. Je me lève et giflé par l’eau glacée je suis complètement réveillé. A Fresnes, nous n’avons toujours pas d’eau chaude en cellule... Le QI est au bout de la détention, au rez-de-chaussée. Isolé des autres étages du bâtiment par une dalle de béton servant de plafond dans la détention ainsi qu’une grille condamnant l’accès. L’humidité s’imprègne, s’incruste partout du fait de la non-exposition à la lumière, au rayonnement du soleil. Le QI est l’ancien QHS. Les structures, l’aménagement restent les mêmes. Double grille porte barreautée intérieure placard en béton coulé dans le mur, tabouret en plastique fenêtre en hauteur protégée par une double rangée de barreaux ainsi qu’une double rangée de grilles. Le manque de luminosité nous condamne à laisser la lumière du béton même le jour. Le manque de perspective, d’horizon, de champ de vision en plus de cette lumière vacillante perpétuelle et surtout trop faible fait que bon nombre de détenus soumis à ces conditions ont de graves problèmes de vision.
7 h 30. La porte s’ouvre. Distribution de " café ". Un chariot où trônent deux grosse gamelles, des surveillants déployés, disposés en arc de cercle plus deux autres derrière la grille en position de sécurité. Au QI chacun de nos mouvements ou déplacement, chaque ouverture de cellule un surveillant gradé et plusieurs surveillants assurent la sécurité. Seul le surveillant gradé, le " chef ", est en possession de la clé ouvrant la porte grille intérieure des cellules. Les surveillants en poste au QI ne possèdent que la clé de la première porte de la cellule. Sécurité maximum... à l’occasion de cette distribution de café, breuvage tiède et infect. Le surveillant vous demande si vous souhaitez vous rendre à la promenade. Il vous annonce premier ou deuxième tour. Pour des raisons sécuritaires, nous ne savons jamais à l’avance les heures des sorties. La durée des promenades 1 heure le matin, 1 heure l’après-midi. En détention normale, les détenus bénéficient de deux fois 1h30.
8h30. La porte s’ouvre pour la promenade. Le surveillant chef ouvre la grille intérieure. Je suis invité à sortir de ma cellule. Les surveillants me font face, en nombre. Je dois subir une première fouille à corps par palpation. Ces fouilles sont effectuées à chacune de nos sorties et retours en cellule. Les fouilles à corps complètes " mise à nu " ont lieu quant à elle à chaque retour de parloirs familles, avocats, visiteurs. Mais elles peuvent aussi bien être effectuées à tout moment de la journée de même que les fouilles des cellules. Le but affiché de l’AP étant de créer chez les détenus un climat d’insécurité permanent. Des réflexes conditionnés, une dépendance totale, la peur, la terreur qui paralyse... Les transferts réguliers impromptus la déportation l’éloignement, les refus de permis de communiquer, la censure draconienne, les détournements ou pertes de courrier... L’environnement inconnu hostile le bruit la malbouffe sont autant d’agressions qui conduisent aux névroses, états dépressifs permanents. Bon nombre ne supportent pas, c’est la folie. Pour les plus solides, les plus lucides c’est la lutte, le suicide ou l’évasion. La non-acceptation, le combat pour la vie la non résignation. Mourir OK, mais debout et vivant ! La promenade s’effectue dans un enclos de 5m X 6m recouvert d’une grille sur le dessus. Grille sur laquelle les détenus des étages déversent leurs détritus, où viennent également crever des pigeons, s’y décomposer...
La promenade s’effectue seul, comme toutes les autres activités au QI. En totale infraction avec les dernières directives qui imposent à la France d’aménager ces lieux de détention. De telle sorte que des détenus en manifestant l’intention puissent se retrouver à deux en promenade ainsi qu’à la salle de sport. A Fresnes, ici même, nous avons mené plusieurs mouvements de contestation afin que ces directives soient appliquées. Ce fut toujours la même réponse : les quartiers sont en cours de réaménagement. Une salle d’activités communes est prévue de même que l’agrandissement de la salle de sport qui n’est autre qu’une cellule dans laquelle se trouve un vélo d’appartement, un banc, deux barres d’haltères plus une barre fixée au mur. Ces séances de sport peuvent se pratiquer deux fois par semaine. Des jours et des heures nous sont attribués. Deux séances d’une heure trente, toujours seul, voici les deux seules activités du QI. Les détenus indigents reçoivent sur leur demande le nécessaire d’entretien pour eux-mêmes et leur cellule. L’accès à la bibliothèque nous est interdit. Pour se procurer des livres, nous devons faire une liste. Celle-ci étant le plus souvent indisponible, des bouquins de leur choix nous sont attribués. A l’occasion des parloirs, les familles peuvent donner bouquins et linge de corps. Pour les détenus ayant encore de la famille et si celle-ci peut se déplacer... Les parloirs se déroulent dans ceux de la détention normale. Seule différence, c’est qu’étant isolés, nous sommes accompagnés. Nous passons les premiers et remontons les derniers. Nous ne devons croiser aucun autre détenu. Bien évidemment à l’occasion de ces parloirs, nous passons dans un portique détecteur de métaux et nous et nous devons nous soumettre à une fouille à corps minutieuse, mise à nu...
L’accès au centre scolaire nous est interdit. Les cours par correspondance sont autorisés. A nos frais.
Le culte est proscrit au QI. Nous pouvons toutefois rencontrer leurs représentants. Les soins médicaux et psychologiques sont assurés par les hôpitaux de l’assistance publique depuis la réforme de 1994. L’assistance publique s’est donc substituée à la pénitentiaire... Transition notable... de santé publique ! Malheureusement ce n’est pas encore le cas partout, loin s’en faut... Au moins dans l’esprit ! Les mentalités et les esprits ne changent pas toujours aussi vite que les lois ! Si globalement le personnel soignant, les médecins psy sont des personnes formidablement humaines, proches des individus et de leurs souffrances, nous sommes loin de la règle absolue... de l’éthique parfaite ! Beaucoup de vocations contrariées ! de serments mal interprétés... Quoi qu’il en soit, les détenus ont su se réapproprier un statut de citoyen face à leur santé. C’est une avancée considérable vers une reconnaissance sociale.
Un médecin nous visite deux fois par semaine au QI. La visite s’effectue en présence des surveillants en nombre. Quand le médecin entre dans la cellule, les surveillants restent sur le pas de la porte et dans la coursive... Prêts à bondir... Faisant fi du secret médical ! Heureusement des médecins respectueux d’eux-mêmes et de leur éthique nous convoquent en consultation dans leur cabinet en détention. Ainsi la confidentialité est respectée, et par là même les individus que nous sommes. Trois douches hebdomadaires sont autorisées.
11 h 30. Le déjeuner est servi. Même cérémonie que pour le café du matin. Sur le chariot, deux grandes gamelles de ferraille découvertes. Il est aisé d’imaginer l’hygiène, avec la poussière, la terre et autres vermines et détritus qui tombent des étages des coursives dans ces gamelles découvertes. La distance, les retards dans la distribution, ces gamelles non protégées font que nous sommes systématiquement servis froid.
13 h. Relève de surveillants. Contrôle. A cette occasion ils vous demandentsi vous sortez en promenade.
17 h 30. Dîner.
18 heures. Fermeture jusqu’au lendemain matin 7 heures....
19 heures. Service de nuit. La ronde infernale peut commencer... Il fait nuit...
QI de Fresnes, octobre 2000.
Thierry Chatbi