Une première pierre pour bâtir le ciel
La sortie nationale en salles de Une part de ciel est révue le 18 septembre. A ne pas rater !
Bénédicte Liénard, réalisatrice belge, s’exprimait ainsi lors de la présentation du film à Cannes : « Une part du ciel a dépassé l’usine et la prison. Il met en question les paramètres qui enferment nos vies. A quoi dit-on oui ou non ? Je m’intéressais au travail d’usine en termes d’enfermement. Il est clair que les femmes qui travaillent neuf heures par jour à l’usine sont bien plus enfermées que « mes » détenues. Sans blague, la vie les enferme beaucoup plus. En termes de pensée, il ne reste pas grand-chose à l’usine. C’est très paradoxale, mais en prison il y a encore une convivialité, une chaleur humaine. Ce lieu est chargé de liens » [1].
La convivialité entre détenu(e)s est-elle si développée ? Pour pouvoir s’en faire une idée plus précise, nous conseillons de se référer au plus grand nombre possible de témoignages de détenu(e)s [2]… Quoiqu’il en soit chaque fois que des taulard(e)s fraternisent, cela représente un danger pour l’Administration Pénitentiaire qui donc développe des stratégies d’isolement.
Un des grands mérites de ce film est de contribuer à (ré)inscrire la prison dans la société, à la sortir de ce trou noir où elle est reléguée parce que cela arrange tout le monde : l’AP d’un côté et la population dite normale de l’autre. Notamment en tournant cette fiction dans la prison pour femmes de Lantin en Belgique, avec la participation de détenues (une telle chose est impensable en France). Ainsi l’expérience vécue par l’article principale Séverine Caneele ’ expérience forte, même si chaque soir elle rentrait chez elle ’ devient un témoignage indissociable du film. Notamment encore en cherchant à montrer la réalité des situations en refusant tout esthétisme.
La mise en lumière de certains éléments qui portent gravement atteinte à notre liberté, même si l’on se trouve à l’extérieur des murs [3], se fait progressivement, dans un mouvement continuel d’allers-retours entre l’usine et la prison. Le choix d’un tel cadre binaire concourt à l’efficacité du propos, mais ce qui est une des forces du film constitue également une de ses limites : de la place de spectateur il n’est pas facile de dépasser le cadre très prégnant de l’usine et de la prison.
Les renoncements et « les compromis qui enferment nos vies » sont partout présents et s’ils affectent chaque être humain c’est qu’ils sont l’émanation de sa réalité psychique même, c’est-à-dire de ce qu’il est profondément, singulièrement.
Mais cette réalité psychique n’est pas innée, elle se construit pour l’essentiel dans le cadre de la famille, de l’école, de toutes les institutions sociales. Le petit d’humains subit un tel processus socio-éducatif, un tel conditionnement qu’il en arrive à faire siens les innombrables interdits socialement imposés. Ainsi chacun d’entre nous devient son propre flic, son propre juge, son propre maton. Très vite chacun est enfermé en soi-même.
Se libérer de cet enferment fondamental, ou plutôt gagner un espace de liberté sur cet enfermement, se construire un coin d’ciel, ne se produit jamais par l’adoption du bon comportement dans un cadre donné. Malheureusement tout est beaucoup plus complexe. Nous ne pouvons ici qu’effleurer cette question essentielle, nous aurons l’occasion d’en reparler dans Combat.
Revenons à La part du ciel. Qu’il nous semble une première pierre ou une construction déjà élaborée, ce film est, de toute façon, incontournable, inévitable. Il sort en salles le 18 septembre.
Ah… encore une petite chose : les matonnes en Belgique sont-elles toutes aussi cool, dans le style « je respecte le règlement et la détenu » ?
Jean-Luc Guilhem
Extrait de Combat n°29 de Septembre 2002