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Philosophies et politiques pénales et pénitentiaires

Yazid Kherfi réclame des « états généraux » de la violence

Publication originale : septembre 2001

Dernière modification : 23 janvier 2011

Texte de l'article :

Yazid Kherfi, auteur de l’ouvrage autobiographique “Repris de justesse” (Ed. Syros), publié à l’automne 2000, a rejoint l’équipe du psycho-sociologue Charles Rozman après avoir animé pendant dix ans la maison des jeunes de la Noé à Chanteloup-les-Vignes. Commentant une aggravation des faits de violence au Val-Fourré depuis plusieurs mois, il préconise la tenue en urgence d’Etats-généraux associant les premiers concernés, les victimes, la police et les fauteurs de trouble.

Yazid Kherfi, mantais, ancien taulard et ancien délinquant, intervient régulièrement comme consultant “violence” dans les écoles de la police nationale, dans les écoles de la magistrature, et auprès des futurs éducateurs en formation.

Invité des plateaux télé, à Mantes on le croise rarement, excepté dans quelques réunions publiques. C’est un peu ce qu’il reproche aux élus de la majorité et acteurs de la politique de la ville depuis 1995 , “qui ne (l’) ont jamais convié à aucune réunion de travail” dit-il. Inquiet de la situation de “montée de violence”, aujourd’hui il se déclare “triste de (se) sentir inutile dans (sa) ville” alors que la semaine passée encore, il intervenait aux Minguettes à Lyon auprès de médiateurs, alors qu’il est souvent consulté, encore, à Marseille et dans d’autres grandes villes européennes qui rencontrent des problèmes semblables à ceux de Mantes-la-Jolie. “Mêmes les zones rurales commencent à mettre en place des dispositifs éducatifs pour lutter contre le désœuvrement des jeunes et là aussi on me sollicite beaucoup” poursuit-il.

“A Mantes, je constate une incroyable passivité des acteurs de la ville, notamment de la municipalité et du club de prévention, qui ne jouent pas leurs rôles respectifs dans un contexte de violence, qui est pour moi sans précédent” estime-t-il.

En contact avec la population, l’ancien éducateur commente l’impuissance et le désarroi des habitants qui craignent pour leur sécurité et celle de leurs enfants, une situation intolérable quand les aînés eux-mêmes sont de plus en plus victimes d’agressions physiques. “Ces gens sont complètement dépassés, en tous les cas ils ne savent plus du tout comment réagir, sinon en s’enfermant à double tour chez eux”.

Débats jeunes-police

“Sans une véritable volonté de changer les choses, la situation va encore se dégrader jusqu’’’à devenir ingérable” prévoit Yazid Kherfi. En premier lieu, comme Philippe Calmette le dénonçait à gauche il y a quelques mois, ce dernier estime le contrat local de sécurité inopérant et seule la réunion de tous les acteurs de la ville pourrait à son sens permettre de mettre tous les problèmes à plat, dans des “débats conflictuels”. “Mais c’est d’abord à la municipalité d’apporter les moyens de ce type de rencontre”. Autrement dit, Yazid Kherfi lance un appel à Pierre Bédier, maire de Mantes, et se met même “à disposition bénévole”, explique-t-il, pour intervenir partout où sa présence se justifiera.

Ouvrir les centres sociaux la nuit

C’est en effet l’urgence, selon lui, de faire se rencontrer les habitants, quand nombre d’entre eux sont demandeurs d’échanges et de participation active au devenir de leur quartier. “En France, les institutions ont du mal à associer les habitants à la conduite de projets” glisse Yazid Kherfi. Actuellement, une instance de consultation existe à Mantes-la-Jolie, mais les comités consultatifs de quartier demeurent très critiqués par l’opposition (PC, PS et Décil), catalogués souvent comme étant “assez peu représentatifs de la population”.

Proposant des Etats-généraux sur la violence, Yazid Kherfi a acquis une expérience et rodé une méthode particulière de l’ “écoute empathique” qui consiste à animer le conflit entre intervenants adverses ( dans la majorité des cas, il s’agit des jeunes et de la police). “Transformer la violence en conflit, c’est la méthode que j’ai commencée par expérimenter à Chanteloup-les-Vignes. Elle commence à être reconnue aujourd’hui”. “Les rencontres entre les pires des délinquants et les policiers, exaspérés, parfois tombés dans le piège du racisme, apportent souvent les débats les plus positifs, les plus riches d’enseignement pour faire avancer une ville. Quitte à payer les délinquants pour qu’ils assistent à ces réunions, il est essentiel de les valoriser, d’autant qu’ils ont souvent une connaissance unique du quotidien de leur quartier”. Une proposition utopique ? Irresponsable ? Yazid kherfi infirme : “c’est au contraire en valorisant ces jeunes, en les mobilisant par n’importe quel moyen qu’on améliorera le climat des cités”.

La seconde disposition à prendre selon Yazid Kherfi, beaucoup d’éducateurs ou de politiques le proposent depuis longtemps, serait d’ouvrir des lieux d’accueil pour la population la nuit, et notamment pour les jeunes. “Aucun lieu d’accueil ou d’animation n’ est ouvert sur l’ensemble du Val Fourré en soirée et le week-end, alors que statistiquement c’est à ces moments-là que les problèmes de violence et de délinquance sont les plus nombreux. Ne pas reconnaître en tant qu’individus ces jeunes qui peuplent les cages d’escalier le soir est simplement criminogène.” A Chanteloup-les-Vignes, Yazid Kherfi a ouvert sa maison de quartier la nuit. A cette époque, Pierre Cardo, maire UDF, avait soutenu cette mesure qui a depuis porté ses fruits.

“Dans un troisième temps, un effort important de formation des éducateurs doit être fait, c’est évident” poursuit l’ancien éducateur. “Nombreux à Mantes ont envie d’agir pour la prévention. Mais agir pour la prévention, c’est aussi aller chercher les pires délinquants là où ils sont, je le répète, autrement dit travailler avec eux, et ne plus se contenter d’occupationnel avec les bons élèves. Là, c’est certain, il faut des formations solides et des gens à former qui, a priori, n’aient peur de rien. Pourquoi ne pas former à mi-peine les délinquants emprisonnés, et leur offrir cette forme de réhabilitation ?”

A quelques semaines, d’un débat de précampagne électorale qui ne manquera pas d’aborder cette thématique de la violence urbaine, Yazid Kherfi lance une bouteille à la mer, dans une situation qu’il juge “désespérée” si on ne choisit pas dès maintenant de “mettre les moyens et l’énergie nécessaire à l’éradication des causes de la délinquance”. “La délinquance est avant tout le signe d’une carence affective. Souvenons-nous en, en reconnaissant aux délinquants des compétences à changer la ville”. Une position qui ne manquera pas de susciter le débat, et de choquer sans doute. En tout cas en cette rentrée scolaire, le débat, lui, se pose de fait.

septembre 2001

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