Pourquoi la sociologie française ne s’est-elle guere interessée à la question des relations familiales des personnes incarcérées ?
Gwénola Ricordeau
Une question sociologique auparavant délaissée peut avoir de « bonnes raisons » de l’avoir toujours été. Il convient donc d’explorer, devant ce terrain encore vierge, les « bonnes raisons » de nos prédécesseurs de ne s’y être jamais risqué. Plus précisément, saisir comment nous est apparue cette question implique de comprendre à la fois les conditions d’émergence de la problématique et les termes dans lesquels elle a été posée.
Le fait que la question ait longtemps été inconcevable s’explique d’abord par des conditions carcérales qui incarnaient une philosophie de la peine excluant une interrogation sur la relation familiale. Néanmoins, il semble que l’occultation contemporaine dépende de représentations sociales de la délinquance - et du rapport des femmes à celle-ci - et d’un tabou sur les questions sexuelles. Cette hypothèse semble particulièrement à l’œuvre lorsqu’on considère la plus grande prise en considération des prisonniers de guerre et des détenus politiques dans les recherches en sciences humaines.
Il apparaît d’autant plus pertinent de s’interroger sur une « histoire » de la problématique des relations familiales des personnes incarcérées que celle-ci a été posée en Amérique du Nord depuis un demi-siècle. Elle s’est nourrie à la fois de réflexions sur la famille « en crise », mais aussi d’études sur la prison et la criminalité. Il est donc important de voir pourquoi une telle question a été posée et en quels termes, notamment en comparaison avec le contexte récent d’émergence de la problématique en France.
Finalement, les enjeux tant méthodologiques qu’épistémologiques d’une part, et d’autre part les apports manifestes pour l’analyse du système carcéral, justifient cette investigation des relations familiales des personnes incarcérées.
D’autant que cette dernière se heurte encore à cette rengaine : « pourquoi n’avez-vous pas plutôt choisi de vous intéresser aux familles des victimes ? »