Pierre V. Tournier
DICTIONNAIRE DE DÉMOGRAPHIE PÉNALE
Des outils pour arpenter le champ pénal
Préface de Marc Robert
Procureur général d’Auvergne
Données actualisée au 1er mai 2007
Préface
L’évolution de la délinquance, la montée des attentes qu’elle provoque à l’égard de l’Etat (police, justice, prison), l’émergence de la victime sur la scène publique, ont fait de l’insécurité comme des réponses qui lui sont apportées un enjeu politique comme un sujet médiatique. Rien de plus normal dans une société démocratique.
Ce qui laisse songeur par contre, c’est le caractère parfois assez approximatif des constats qui sont dressés et, plus encore, la difficulté de dégager des solutions tout à la fois consensuelles et pérennes dans le temps, comme l’illustre la cascade de lois qui depuis trente ans se succèdent en matière pénale sur des questions maintes fois débattues.
Et pourtant, à première vue, jamais les chiffres et les appareils statistiques n’ont été autant mobilisés qu’aujourd’hui au soutien d’un constat, d’une prise de position ou d’une proposition de réforme sur cette question, comme, plus récemment, pour construire des indicateurs destinés à évaluer la « performance » des appareils répressifs.
Cette religion du chiffre - parfois erroné ou souvent interprété de manière hasardeuse - masque mal ce que les prises de position, les campagnes de presse, les lois mêmes doivent à la « dictature de l’émotion », au fait divers du 20 heures, à la sur-médiatisation de tel criminel ou de telle victime, au sondage d’opinion, voire au radio-trottoir... comme l’illustrent certains propos sur la détention provisoire ou la récidive.
Pourtant, en ce domaine comme dans les autres, il faut accepter de regarder la réalité en face, de décrypter le réel à travers le tamis des connaissances dont nous disposons - essentiellement les dispositifs statistiques et les travaux des chercheurs -, d’examiner les tendances sur le moyen et le long terme, et enfin de comparer aussi l’existant dans l’espace car les références ne peuvent plus être exclusivement françaises.
Pour cela, encore faut-il se mettre d’accord sur un langage et des concepts permettant de décrire la réalité, tout en étant conscient du caractère encore insatisfaisant de l’appareillage statistique, tant policier que judiciaire.
Démographe de formation et actuellement directeur de recherches au Centre d’histoire sociale du XXème siècle (unité du CNRS de l’Université Paris 1), Pierre V. TOURNIER mobilise toute sa grande expérience acquise à l’occasion de ses nombreuses recherches sur les questions pénitentiaires mais aussi dans le cadre de ses activités d’expert du Conseil de l’Europe pour proposer ces outils d’analyse du champ pénal.
Le terme même d’outil résume bien l’intention de l’auteur : faire partager des connaissances trop souvent confisquées par les seuls initiés, en définissant chaque concept pour faire saisir son intérêt mais aussi parfois ses limites en mentionnant les sources auxquelles se référer, les chiffres les plus récents et en les resituant dans l’espace européen chaque fois que la comparaison avec d’autres pays est possible.
Nécessairement austère, à la mesure du sérieux avec lequel l’on voudrait voir toujours traiter ces questions de sécurité, ce dictionnaire présente l’incomparable avantage de définir des notions au centre du débat public (détention provisoire, taux de récidive, surpopulation carcérale...) tout en offrant aux spécialistes (légistes, magistrats, responsables policiers et pénitentiaires, universitaires...) des entrées plus détaillées. Des renvois fréquents pour signaler les liens entre outils et une table des entrées facilitent la recherche et la lecture.
Nul doute que ce dictionnaire permettra de remettre en cause nombre d’idées reçues, tout en favorisant la connaissance d’un champ pénal et pénitentiaire plus complexe mais aussi plus riche que chacun veut bien le reconnaître.
Marc ROBERT
Procureur Général
« Sors de la route tracée... »
Victor Hugo
Avant-propos
Il arrive que le choix de tel ou tel champ de recherche trouve une explication évidente dans l’histoire personnelle du chercheur, voire dans le secret de son inconscient. Mais ce choix peut être aussi, plus simplement, le fruit du hasard et de la nécessité, hasard des rencontres, nécessité de gagner sa vie, sans plus attendre. Formé aux sciences physiques et aux mathématiques, puis à la démographie, ayant eu une première expérience de l’exercice de cette discipline dans un champ spécifique - la démographie des médecins libéraux - je me suis trouvé, par hasard, à la fin des années 1970, à devoir étudier une population plus inattendue, celle des prisons. La Direction de l’administration pénitentiaire s’informatisait et se donnait les moyens de pouvoir exploiter les sous-produits statistiques attendus de ses nouveaux outils de gestion. C’est aussi un peu par hasard qu’elle recruta, pour ce faire, plutôt un démographe qu’un statisticien.
Ainsi, depuis plus de 25 ans, j’arpente le « champ pénal » tentant d’apporter de nouveaux éclairages, par une approche quantitative, de cette « question pénale » si complexe et si mal connue de nos concitoyens, pourtant fort préoccupés par les problèmes de sécurité. Mes travaux de recherche en démographie pénale - syntagme défini infra ! - ont porté à la fois sur les populations placées sous main de justice (personnes placées « sous écrou » ou suivies en milieu ouvert) et sur les processus de décisions administratives et judiciaires qui les concernent. Ce fut l’occasion de réfléchir aux terminologies et aux concepts auxquels ont recours les initiateurs des politiques pénales et pénitentiaires (ou de ce qui en tient lieu), comme les acteurs directs ou indirects de ces politiques (magistrats, fonctionnaires pénitentiaires, syndicats et organisations professionnelles ou associatives, médias etc.). Taux d’élucidation ou de réponse pénale, inflation ou désinflation carcérale, surpopulation des prisons, peines alternatives, voire substitutives, exécution ou nonexécution des mesures ou sanctions pénales, aménagement des peines ou érosion, taux de récidive, de réitération ou de retour en prison, ce ne sont que des exemples. Tous ces termes du langage politique commun en matière pénale ont dû être revisités avec la rigueur nécessaire à toute approche quantitative sérieuse et ce dans le but de mieux comprendre les transformations du champ pénal, de faire des comparaisons dans le temps et dans l’espace européen, mais aussi de forger des outils d’explicitation, voire d’évaluation, des politiques à mener.
Aussi ai-je entrepris de formaliser les résultats d’un tel travail au long cours qui consiste à la fois à prendre en considération le vocabulaire commun - et ses évolutions dans le temps -, de tenter à préciser les notions qu’il cherche à exprimer, mais aussi à inventer de nouveaux syntagmes (« densité carcérale », par exemple) de nouveaux concepts (« alternatives à la détention de 1ère , 2ème, 3ème catégories par exemple) et à tenter de les introduire dans le domaine public, en France et dans les instances internationales.
D’abord produits sur la base des travaux menés sur les données françaises (de la fin des années 1960 à nos jours), les matériaux nécessaires à une telle réflexion ont surtout été acquis dans le cadre de mon activité d’expert au Conseil de l’Europe (de 1983 à juin 2005 sans interruption) : création, à notre initiative, et développement de la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE) et surtout extension, très complexe, de ce système, au début des années 1990, aux mesures dites de milieu ouvert (SPACE 2.) ; participation au programme Sourcebook de préparation de la recommandation sur l’inflation carcérale et le surpeuplement des établissements pénitentiaires, adoptée le 30 septembre 1999 par le Comité des Ministres ; préparation de la recommandation sur la libération conditionnelle, adoptée le 24 septembre 2003 ; collaboration à un ouvrage au sein du conseil scientifique criminologique sur les « bonnes pratiques » en matière de politiques pénales et pénitentiaires.
Une telle recherche sur les terminologies et les concepts m’a ainsi amené à la constitution de ce dictionnaire qui comprend, dans cette première édition, plus de 200 entrées. Compte tenu des multiples renvois, seules 135 entrées font l’objet d’un article proprement dit (exemple, les entrées « prévenu », « condamné » et « dettier » renvoient à l’entrée « catégorie pénale »). Compte tenu de mes compétences - et de mes travaux de recherche -, j’ai certes privilégié le domaine de l’exécution des mesures et sanctions pénales, en milieu fermé comme en milieu ouvert, sans pour autant négliger les étapes précédentes du processus pénal : activité de la police et de la gendarmerie - et autres sources d’analyse de la délinquance et de la criminalité -, rôle d’orientation des affaires du parquet, instruction et autres mesures pré-sententielles, activité des juridictions de jugement.
Les entrées sont de nature fort différente. On trouve des termes du langage courant (« Prison », « Délinquant », « Enfermement »...), des concepts juridiques (« Ecrou », « Libération conditionnelle »,...) des outils de l’analyse statistique (« Série chronologique », « Interpolation linéaire », « Variations saisonnières »...) ou de l’analyse démographique (« Cohorte », « Analyse longitudinale », « Analyse transversale »...). Mais une grande partie des entrées est constituée de concepts ou d’indicateurs que nous avons nous-même introduits dans nos travaux, en particulier dans le cadre de la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe - SPACE- (« Descriptif du peuplement carcéral », « Indicateur de la durée moyenne de détention »,...). On trouve, enfin, une description des principaux instruments statistiques du champ pénal et des bases de données françaises ou internationales.
De façon systématique, les considérations de définition et/ou de méthode sont accompagnées des données statistiques les plus récentes pour la France mais aussi pour les pays du Conseil de l’Europe quand cela est possible. En lisant un article donné, on rencontre naturellement des termes ou expressions qui font eux-mêmes l’objet d’un article. Ils sont marqués d’une astérix.
A cela s’ajoute, à la fin de l’article, la référence à d’autres articles, ainsi qu’un ensemble de références bibliographiques. Ainsi peut-on partir d’une entrée et aller dans différentes directions, un peu « à l’aveugle ». Par exemple, à l’entrée « catégorie pénale », le lecteur est invité à découvrir dix autres entrées : Catégorie pénale à l’entrée en détention. Catégorie pénale chronologique.
Détention provisoire (DP). Taux de détenus sans condamnation définitive par habitant. Proportion de détenus non encore jugés. Taux de détenus non encore jugés par habitants. Taux d’entrées en détention avant condamnation définitive par habitant. Proportion d’entrées en détention avant condamnation définitive. Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue. Statistique trimestrielle de la population prise en charge en milieu fermé.
Reprenant, à mon compte, l’idée appliquée dans un ouvrage collectif, publié par l’association Pénombre [1], j’ai aussi proposé un certain nombre « d’itinéraires thématiques » qui permettent de lire à la suite, et cette fois-ci dans un ordre logique, un certain nombre d’articles concernant un domaine précis : « Mesures et sanctions pénales », « Systèmes statistiques », « Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe », « Détention provisoire », « Aménagement des peines et des mesures », « Sortie des établissements pénitentiaires » », « Récidive ».
Dans l’avenir, je voudrais pouvoir mobiliser les compétences nécessaires, afin de présenter, en plusieurs langues (anglais, allemand, espagnol) les termes et concepts les plus importants de ce dictionnaire. La confrontation des langues, dans ce type d’approche, est évidemment essentielle.
Elle ne se limiterait pas aux problèmes inhérents à toute traduction, mais aborderait aussi la question des transferts de concept, l’exemple le plus connu étant celui de la probation, en anglais « probation », le terme recouvrant des sanctions bien différentes, en France ou en Angleterre et Pays de Galles.
Je remercie chaleureusement Marc Robert, Procureur général d’Auvergne, de l’honneur qu’il me fait en préfaçant ce texte, ainsi que Pierre Pélissier, Conseiller à la Cour d’appel de Versailles, ancien président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) pour sa très amicale relecture. Si des erreurs sont encore présentes, elles relèvent de ma seule responsabilité.