Préface
Lorsque la section française de l’OIP a décidé de se lancer dans l’élaboration de ce premier Guide du sortant de prison, des visages me sont revenus en mémoire : celui de Kamel, qui s’est émasculé quelques jours avant sa remise en liberté ; celui de Fernand, qui s’est suicidé au fond de sa cellule à l’approche de sa libération ; celui de Christophe, décédé quelques mois après la fin d’une longue détention ; ou encore celui de Momo, qui s’est supprimé peu de temps après sa sortie. Mais aussi les visages de centaines de prisonniers que j’ai rencontrés durant mes dix-sept années de détention, qui, à la perspective d’être remis en liberté, éprouvaient une profonde angoisse, voire même une véritable frayeur. Pour tous ces hommes, comme pour nombre de femmes détenues, la sortie de prison constituait une plongée dans le « dehors », perçu comme un univers d’incertitude, d’absence totale de références et de repères. L’impossibilité de se représenter leur avenir autrement que comme une succession d’épreuves a dépassé, pour certains, ce qu’ils pouvaient supporter. Cette souffrance réelle a été, et est encore aujourd’hui, la cause de beaucoup de drames passés sous silence. Sous l’étouffoir de la pénitentiaire ou dans l’indifférence de l’anonymat de nos cités. Pour chacun d’entre nous, « honnêtes gens » du « monde libre », la vie au quotidien est un combat permanent. Nous savons qu’avoir une place dans la collectivité et vivre décemment requiert une énergie de tous les instants, tout autant qu’une connaissance précise des règles du jeu de la vie en société. Au risque, sinon, de sombrer inéluctablement dans l’enfer de la marginalisation et de l’inexistence sociale. Pour qu’aucune personne détenue ne connaisse plus un tel destin, et pour qu’elle ait la capacité de mener ce combat - celui de la dignité hors des murs -, il faut que deux principes soient respectés : lui donner les moyens d’être acteur de sa propre vie, la reconnaître dans sa citoyenneté, dans son statut d’être de droit. Qu’en est-il de ces éléments constitutifs de la dignité derrière les murs ?
Le respect du libre arbitre me paraît très hypothétique. En effet, pléthore de rapports et de travaux de diverses natures nous apprennent, depuis fort longtemps, que le fonctionnement même de l’institution carcérale, honteusement arc-bouté sur la déresponsabilisation, l’infantilisation, et l’oisiveté pour le plus grand nombre, crée une situation aux antipodes de ce que le bon sens exige en matière de préparation d’un parcours de réinsertion, et des conditions de sa réussite. La prison ne fait qu’infliger des handicaps supplémentaires à celles et ceux dont la vie est déjà marquée - bien souvent depuis l’enfance - par une litanie de facteurs de désocialisation. Pour beaucoup, la prison ne fait qu’achever le processus d’élimination sociale, avec l’efficacité de la lame de l’échafaud s’abattant sur le corps du supplicié.
Quant à la reconnaissance en tant que sujet de droit, là encore, l’homme ou la femme qui y séjourne n’est pas à bonne école en prison. Loin s’en faut. Combien de fois n’a-t-on pas constaté les abus, les mauvais traitements, comme les atteintes aux droits élémentaires des personnes détenues ? Combien de fois n’a-t-on pas vérifié l’absence pure et simple de respect du droit commun, de cette loi que nul n’est censé ignorer mais que l’on accepte de voir bannie des geôles de la République ? En ce début de troisième millénaire, l’État de droit s’arrête encore au seuil des portes des prisons.
Dans ces conditions, et par fidélité à ses engagements, l’OIP a voulu mettre à disposition ce Guide du sortant. L’ouvrage se veut un vade-mecum pour celles et ceux qui sortiront un jour de prison, bien sûr, mais gageons qu’il sera aussi un outil de base pour toute personne en lien avec le milieu carcéral. Je pense aux parents ou autres membres de la famille des personnes incarcérées, comme aux professionnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation, aux avocats, aux personnels des lieux d’accueil pour sortants de prison, des services sociaux responsables du suivi des personnes placées sous main de justice, etc.
Connaître ses droits et les moyens de les faire respecter est l’une des conditions sine qua non du combat pour la reconnaissance et la défense de la dignité de la personne détenue. C’est aussi le meilleur moyen pour que, sur l’autel d’une réinsertion rendue impossible, on ne sacrifie plus d’autres Kamel, Fernand, Christophe et autres Momo.
Gabriel Mouesca
Président de la section française de l’Observatoire international des prisons