L’observation du phénomène criminel permet d’avancer d’idée qu’à chaque type de société correspond un type de délinquance, qui est en relation étroite avec son mode de production, son degré d’évolution et son état de développement économique et social. La société primitive, par exemple, ne pouvait pas connaître les atteintes contre la propriété intellectuelle ou industrielle. La civilisation « MAYA » ou « INCA » ignorait les infractions relatives aux changes comme les bâtisseurs des pyramides le délit de piraterie informatique. Dans ces cas, il y a impossibilité de commettre l’infraction. D’autre part, l’infraction est aussi une entorse portée à la morale sociale et aux valeurs sociales dominantes. La concurrence déloyale ou l’incrimination des trusts, ne peut se concevoir que dans une société capitaliste. De même que les infractions religieuses ne peuvent être sanctionnées dans un Etat laïc. Partant de ces évidences, on peut soutenir que la criminalité est relative. Par conséquent, les remèdes ne peuvent pas être uniformes ou universels ; et on peut avancer sans risque d’erreur qu’à chaque type de société correspond un type de régulation criminelle, mettant en oeuvre ses valeurs, ses principes, ses convictions, ses contraintes et surtout le prix qu’elle est disposée à payer pour enrayer ou atténuer la délinquance. C’est ainsi qu’à travers les âges, l’incrimination, de certains actes de l’homme et leur répression ont connu une évolution marquée par le temps, l’espace et la politique. Parallèlement à l’évolution des idées sur la peine, les institutions pénitentiaires ont évolué à pas de géant depuis le 17° siècle.
1-Les bases théoriques de la régulation de la criminalité
Depuis l’antiquité, les hommes de science se sont penchés sur le phénomène de la criminalité. Leurs travaux ont porté surtout sur la responsabilité ou la non responsabilité des criminels quant aux forfaits dont ils Se rendaient coupables. Plusieurs d’entre eux ont rejeté l’idée de considérer l’auteur du délit comme responsable ou du moins comme totalement responsable de son comportement délictueux. D’autres ont hésité entre la responsabilité des individus et celle des Dieux, tandis que les juges continuaient à condamner les délinquants et à sévir à leur encontre. Même les théologiens ont hésité à trancher entre la part de responsabilité de l’individu et celle de la fatalité de son destin. Ainsi, la fatalité était mise en accusation avec pour complice le caprice des dieux, tandis que les hommes subissaient les conséquences de la condamnation. Cet illogisme ne manqua pas de provoquer des réactions de la part des penseurs du moyen âge en particulier et de leur société en général. Le débat fut très animé et très passionné sur la question de la responsabilité et le degré de responsabilité des individus. La question du "TASSIYR" (fatalité) et du "TAKHIYR" (libre arbitre) fut la pomme de discorde entre philosophes et théologiens musulmans des 8° et 9° siècle. Le débat tournait souvent à la polémique avant d’aboutir sur une victoire musclée des religieux. Les philosophes furent traités de "ZANADIKA" (hérétiques) et acculés au silence. Pour les religieux, l’auteur d’un délit en est entièrement et personnellement responsable, à moins d’une pathologie évidente et de ce fait devait en assumer les conséquences : le châtiment corporel. Aujourd’hui, la peine privative de liberté a remplacé le châtiment, non sans une longue et tumultueuse évolution qui l’a amené à s’imposer à l’échelon universel comme mode de régulation sociale de la criminalité. Cette évolution n’a été ni uniforme, ni rectiligne ou universelle. Chaque société a eu sa (ou ses) conception (s) et ses réactions propres face au phénomène délictueux. Nous retenons, pour éclairer l’évolution du système pénal marocain, deux conceptions de la peine qui ont contribué à le forger, à savoir la conception Islamique et la conception occidentale.
2-L’idée de sanction dans la société Musulmane
Avant l’avènement de l’Islam, les arabes n’ont pas connu d’autre sanction aux délits que la vengeance. Réaction purement instinctive, la vengeance ne s’embarrassait pas d’expliquer les causes de la criminalité ou de définir de degré de responsabilité du délinquant. L’auteur d’une infraction pouvait être confondu pour la réparation avec son fils, son père ou même un membre quelconque de la "AACHIRA" ( clan ou tribu) Le "ta’r " (équivalent de la vendetta sicilienne) ne répondait à aucune norme de proportionnalité ou de logique. Lorsqu’il y avait meurtre, le devoir de vengeance devenait une affaire d’honneur qui concerne tous les hommes de la famille. Si l’agresseur appartient à une autre tribu, celle de la victime se trouvait ipso-facto substituée aux ayant droit du défunt et son honneur était fonction de la diligence que ses membres mettaient à le venger sur une personne de même rang ou de rang supérieur appartenant à la tribu du meurtrier, à moins que cette dernière ne le lui livre, chose qui était très rare et très mal vue par les autres tribus. Cela ne manquait pas d’entraîner des séries de vengeance et de contre-vengeances qui ne se terminaient jamais et qui aboutissaient souvent à des guerres entre tribus. La littérature arabe ante islamique est parsemée de poèmes dédiés au "TA’R" où le vengeur était représenté en héros récupérateur de l’honneur perdu. Le grand poète AL MUTANABI écrivait dans ce sens : "L’honneur raffiné n’est sauf que s’il est baigné par le sang" (des ennemis bien entendu ! L’avènement de l’Islam va opérer un changement radical de la situation. L’idée de venger les victimes restera néanmoins ancrée dans la mémoire collective. Mais la vengeance devient éclairée et ses contours sont tracés. En plus, des peines sont prévues pour sanctionner certaines infractions en fonction de leur gravité et du trouble social qu’elles sont susceptibles d’entraîner. La justice musulmane va s’exercer de façon immédiate et le châtiment corporel constituera le pivot central de l’édifice pénal musulman. Cette conception de la justice que ses détracteurs critiquent vivement aujourd’hui a constitué une étape fondamentale dans le cheminement de la pensée pénale. Elle était justifiée à plus d’un égard à l’époque.
A - Le contenu de l’idée de « sanction » dans le droit musulman
AL MAWARDI (grand théoricien éclairé de la Chariaa et premier auteur d’un traité de Droit Public connu) définit les infractions comme étant "des interdits légaux" dont Dieu a ordonné la sanction par un "Had" ou un "TAAZIR". On entend par "Had" (pl. HOUDOUD) une sanction prévue et déterminée par un texte coranique, qu’il n’appartient pas au juge d’apprécier, de modifier dans un sens ou un autre (aggravation ou atténuation) ni de lui substituer une autre sanction. Entrent dans cette catégorie, les sanctions prévues pour des délits susceptibles de provoquer un trouble social grave tels que l’adultère, le viol, la récidive de vol (en dehors du vol commis pour se nourrir en période de disette ou de famine), le banditisme etc. Les "Houdoud" se subdivisent en deux grandes catégories, à savoir : "HOUDOUD ALLAH", c’est à dire les peines édictées par Dieu dans le texte sacré, pour réprimer un acte délictueux entrepris contre la société dans sa globalité ou menaçant l’ordre établi, et d’autre part le "KISSASS" qui sanctionne des délits commis sur des personnes physiques et qui ne causent de tort qu’à elles seules. Dans le premier cas, la sanction est un attribut de Dieu. Il n’appartient à personne d’en modifier la teneur ou d’en exempter le coupable à partir du moment où sa culpabilité et son accessibilité à la sanction sont établies. Le Droit Musulman ne reconnaît pas le Droit de grâce étant donné que la souveraineté appartient à Dieu. Le Commandement temporel n’a aucune prérogative dans ce domaine. Dans le 2° cas, la sanction a pour but de calmer la douleur et la rancœur de la victime et de ses ayants droit. Ainsi, ceux-ci ont la faculté d’y renoncer ou d’exiger une réparation matérielle ou pécuniaire du préjudice subi. Le texte du Coran, après avoir institué le "Kissass" (équivalent du talion dans le droit d’essence judéo-chrétien), comme un droit inaliénable des victimes d’actes délictueux a incité les fidèles à en faire l’aumône au délinquant tout en leur reconnaissant la faculté d’exiger une "DIA" ( praetium doloris). Le "TAAZIR", par contre, est la peine dont l’appréciation est laissée au législateur temporel ou à la jurisprudence, qui sont ainsi habilités à légiférer dans toute la matière pénale non prévue expressément par un texte du Coran ou du Hadith. Comme il vient d’être signalé, la sanction dans le Droit Pénal musulman consiste en une souffrance physique infligée à l’auteur du délit à titre de répression. Elle peut aussi consister en une vengeance organisée et exécutée par les pouvoirs publics aux lieu et place de la victime ou de ses ayant droit. Enfin elle peut consister en une réparation du préjudice subi. En règle générale, elle doit répondre à trois critères dégagées par la doctrine et admis par les quatre tendances de la SUNNA et par les penseurs chiites.
1 - La sanction doit être proportionnelle au délit (oeil pour oeil, dent pour dent, âme pour âme etc.)
2 - Elle doit tenir compte du trouble social provoqué par l’infraction (adultère, ivresse publique, défection etc.)
3 - La sanction doit avoir un effet dissuasif pour empêcher la récidive et intimider les candidats au crime (publicité du châtiment).
A titre d’illustration, nous citons quelques sanctions préconisées par la "CHARIAA" :
1°- La peine de mort. Avec des variantes de l’exécution en fonction de la gravité du crime commis (lapidation en cas d’adultère, crucifixion ou décapitation dans d’autres délits).
2°- L’amputation d’un ou plusieurs membres (une main en cas de vol répété, hors les périodes de disette et de famine, une main et le pied opposé pour le crime de banditisme de grands chemins ou les hors la loi, sauf amendement de leur part avant d’être arrêtés).
3°- La flagellation (80 coups de fouet pour l’ivresse publique, 100 coups pour la fornication entre célibataires etc.).
La justice musulmane est sévère, rapide voire instantanée. Mais, rapide ne veut pas dire expéditive. Nul ne peut être condamné en l’absence de preuves, nul n’est obligé de se trahir ou de se confesser. La charge de la preuve incombe toujours à l’accusation. Le doute doit profiter systématiquement à l’accusé. De même, le principe de l’antériorité, clef de voûte de tout le système se retrouve dans la définition d’AL MAWARDI proposée ci-dessus qui stipule que le délit est un "interdit légal", et qui ajoute que cet interdit doit faire l’objet d’un ordre de Dieu pour sa "sanction par un Had ou Taazir". On en déduit que si l’interdiction d’un acte est nécessaire pour sa répression, elle n’en est pas pour autant suffisante. Il faudrait en plus qu’un texte en prévoit la sanction. Ainsi se trouve formulé le principe dégagé plus tard sous la dénomination de principe de légalité des délits et des peines. Cette disposition exclut la sanction d’infractions religieuses dont la punition n’est pas prévue et qui font plus partie de la sphère spirituelle que temporelle. Certaines sanctions doivent être infligées en public (et qu’un groupe de croyants assiste à leur châtiment ’ Coran). Cette publicité qui fait partie du châtiment revêt un caractère préventif. Une fois le châtiment subi, le délinquant est réintégré dans le corps social sans autre formalité. Il a subi sa peine et il ne doit plus rien à la société. Il n’est pas permis aux autres membres de cette société de faire allusion à son passé délictueux. Cette disposition correspond à une sorte de réhabilitation post pénale automatique et immédiate. Il n’y a pas de casier judiciaire et l’infamie n’a pas droit de cité. La société musulmane originale n’a pas connu les prisons, ou plutôt n’a pas connu les peines privatives de liberté. Du temps du prophète, les prévenus arrêtés étaient confiés à l’un de ses compagnons qui se chargeait de leur garde jusqu’à leur jugement, lequel jugement intervenait rapidement. La première prison fut fondée par le Calife OMAR IBN AL KHATTAB, qui acquit une maison et l’affecta à l’emprisonnement provisoire des suspects dans
l’attente du jugement qui établira leur culpabilité ou leur innocence. Les fonds nécessaires à l’entretien des prisonniers étaient prélevé sur les deniers du BAIT AL MAL (Trésor Public) et la surveillance confiée au commandant de la police (SAHIB CHOURTA).
B - Les justifications
La sanction dans le Droit Musulman pénal est très sévère. parfois elle revêt un caractère cruel qui peut paraître aujourd’hui inhumain. Les défenseurs de la chariaa mettent en relief deux séries de justification à cette sévérité. L’accent est mis tout d’abord sur l’aspect dissuasif du châtiment.
Connaissant à l’avance les risques qu’il encourt, le candidat au crime serait amené à y réfléchir et par conséquent à renoncer à l’accomplissement de son forfait. Il s’agirait donc de sanctions plus "préventives" que "curatives". En second lieu, le mal causé aux individus et la souffrance qui leur est infligée sans le châtiment, et qui ne manqueraient pas d’avoir des impacts sur d’autres membres du corps social sont un mal et une souffrance bénéfiques qui doivent être assimilés à un breuvage médicamenteux ; plus il est amer, plus il est efficace. A la limite, l’élimination de certains criminels de la société est assimilée à l’ablation par le chirurgien d’un membre atteint par la gangrène pour empêcher la propagation du mal au reste du corps. Cette dernière acception de la peine ressort des préceptes de la religion. En effet, le texte coranique précise que la sanction n’a pour objectif que la survie de la société. Aussi et en dernière analyse, le châtiment n’est plus perçu comme une vengeance ou une souffrance inutile, mais comme une nécessité pour la survie du corps social, et c’est dans cette nécessité et cette utilité sociale que le châtiment puise sa légitimité et sa justification. La souffrance infligée au supplicié n’est pas destinée uniquement à assouvir une quelconque soif de vengeance ; elle a aussi et surtout pour but d’assurer la pérennité et la quiétude sociales. La punition en elle même ne permet aucune réparation du dommage causé. Tuer un meurtrier ne rendra pas la vie à sa victime, mais il permettra d’exercer par contre une action dissuasive sur ceux qui seront tentés par d’autres meurtres. S’il permet aux ayants droit d’exorciser leurs démons instinctifs par une triste jouissance du spectacle du supplice, cela n’est pas l’objectif du châtiment. Une autre série de justifications de la sévérité du châtiment sera avancée par l’Ecole Malékite de Médine (Ecole de pensée et de rite sunnite, fondée par Anas Ibnou Malik ). Partant de son célèbre postulat qu’il faut d’abord écarter le mal avant de se mettre en quête du bien, cette école tient le raisonnement suivant : La sanction est une souffrance imposée au délinquant. Intrinsèquement, il s’agit d’un mal qu’on lui inflige. A travers lui, on fait souffrir le corps social tout entier ; car la UMMA est comme une construction compacte dont les pierres se soutiennent les unes les autres. Tuer le meurtrier, revient à amputer la société de deux de ses membres, la victime et son agresseur. S’il est exempté du châtiment, il est probable qu’il ne revienne plus au crime, comme il est aussi probable qu’il récidive. Les chances de son auto-amendement et de sa récidive sont égales et donc nulles. Ce qui n’est pas le cas pour le risque qu’il présenterait en cas de récidive. D’autre part certains autres membres de la société pourraient prendre exemple sur lui, de même que la victime ou ses ayants droit pourraient être tentés de rendre l’agression. L’impunité étant génératrice d’abus et les abus générateurs de désordre, l’impunité présente donc un mal potentiel pour la société. En face de ce mal potentiel le mal résultant de l’exécution d’un membre est réel. Il y a un mal pour la société dans les deux cas. Il y a donc lieu d’appliquer le principe dégagé par l’Imam MALIK et qui consiste à risquer le moins en optant pour le moindre mal. Le mal résultant pour la société de l’exécution du coupable qui consiste en son amputation d’un de ses membres lui permet d’épargner plusieurs autres. Il s’agit donc d’un mal utile. Cette utilité légitime le châtiment. La pensée pénale musulmane promettait des débats consistants et enrichissant si, en plein essor, les religieux s’érigeant indûment en clergé, n’avaient érigé l’obscurantisme en système de pensée en fermant la porte de l’interprétation. En avance de plusieurs siècles à ses débuts sur la pensée occidentale en la matière, la pensée pénale musulmane tente aujourd’hui de reprendre le train en marche après plus de 10 siècles de léthargie. En Droit positif, la pénétration coloniale va influencer considérablement le système pénal des Etats arabes et musulmans en imposant durant plusieurs
décennies le modèle occidental. Cette influence sera marquée par l’adoption par les Etats devenus
indépendants de la peine privative de liberté comme mode de régulation de la criminalité et des idées développées par les courants de pensée en occident comme fondement total ou partiel de leur système pénal.
3-L’idée de peine dans les sociétés occidentales
Le mouvement de réforme pénale en occident date du 18° siècle. Avant, le châtiment était considéré comme la peine idéale et universelle pour tous les délits. La mentalité médiévale n’avait pas manqué d’imagination dans la variation et la multiplication des supplices. En 1670, une ordonnance de Louis XIV retient comme sanctions pénales dans l’ordre de gravité :
- La peine de mort ;
- La question avec réserve de preuves ;
- Les galères perpétuelles ;
- Le bannissement perpétuel ;
- La question sans réserve de preuves ;
- Les galères à temps ;
- Le fouet ;
- L’amende honorable ;
- Le bannissement temporaire ;
- Le blâme.
Les peines n’avaient aucun lien de parité ou de proportionnalité avec les délits qu’elles punissaient. En vertu d’une série d’ordonnances de l’Ancien Régime, édictées entre 1556 et 1586, le vol, le "Lèse majesté", le "libellé diffamatoire" et "le recel de grossesse et d’enfantement " étaient punis de mort. Le juge avait la possibilité de cumuler ou d’aggraver les peines sans avoir à s’en expliquer. Il pouvait aussi les moduler suivant la situation ou le statut social du coupable. Ainsi, pour l’exécution d’une peine capitale, le "noble" sera décapité au sabre et le "vilain" pendu à une potence. Dans l’esprit des rédacteurs de ces ordonnances, le châtiment était assimilé à une vengeance publique ; une vengeance collective qui doit s’abattre sur le délinquant pour apaiser la vindicte sociale ou le courroux divin. Ainsi conçu, le châtiment avait le caractère exclusif d’une souffrance expiatoire. La peine n’avait d’autres objectifs que l’expiation et l’intimidation. Cette situation va susciter les critiques des lumières. Ils s’élèveront systématiquement contre l’arbitraire des juges et la barbarie des supplices. MONTESQUIEU stigmatisera l’idée de vengeance sociale, ROUSSEAU, en harmonie avec son postulat du "contrat social" estime que la répression librement consentie doit être contenue dans des limites étroites, tandis que LABRUYERE critique l’atrocité de certains châtiments. Des courants de pensée vont se former à partir du début du 18° siècle. Leur cheminement est dominé par la querelle traditionnelle sur la responsabilité des individus de leurs actes. Les classiques vont s’opposer aux positivistes tandis que d’autres courants de pensée tenteront d’opérer un compromis entre les deux positions ou de dépasser la question.
A - Le courant de pensée classique
Ce courant est formé par les écoles dites classiques d’une part et de l’école positiviste italienne d’autre part.
a-L’école classique
Représentée par KANT et Joseph DE MAISTRE, cette école soutient le libre arbitre de l’individu. Chaque homme est libre de ses actes. Il est doté de raison et peut distinguer ce qui est bien de ce qui ne l’est pas. Donc, en cas d’infraction, il doit en assumer la responsabilité et subir le châtiment. KANT part du postulat suivant : La répression est une satisfaction donnée à la morale. Même lorsque le châtiment ne peut pas profiter à la société, il faut châtier le coupable parce qu’il existe une loi morale supérieure, un impératif catégorique qui exige que le crime ne reste pas impuni. De Maistre défend lui aussi le principe d’une justice absolue. Mais avec une toile de fond religieuse. BECCARIA va critiquer cette conception de la peine allant au delà de l’intérêt social. Si la peine doit être fondée sur l’idée de justice, elle doit l’être sur une justice relative et non pas absolue. Une justice qui varie avec le temps, l’espace et les intérêts de la société. Ainsi, l’idée de la peine - châtiment est tempérée par l’introduction d’une notion d’utilité sociale. La punition du coupable doit servir à quelque chose, en l’occurrence, elle doit détourner du crime. Les critiques de BECCARIA sont partagées par l’anglais Jérémie BENTHAM. Leur apport est d’une grande importance. La notion d’utilité sociale de la peine provoque un changement radical dans la pensée pénale. La peine qui était tournée vers le passé et sanctionnait un fait révolu avant eux, se trouve désormais tournée vers l’avenir pour empêcher d’autres crimes. On n’agit plus seulement sur le coupable, on agit à travers lui sur les autres. Cependant, cet accord sur le principe ne sera pas consacré au niveau des moyens pour parvenir au but fixé. BECCARIA soutient qu’il faut insister sur l’effectivité des peines et non sur leur sévérité. Il préconise l’abrogation de la peine de mort, l’abolition des supplices, l’adoucissement des peines et la suppression du droit de grâce qui va à l’encontre de la certitude de la peine. Il affirme que les infractions et leur sanction doivent être déterminées à l’avance. On retrouvera les idées de BECCARIA dans le code pénal français de 1791. BENTHAM soutiendra que les peines doivent être très sévères pour garder leur pouvoir persuasif. Il préconise le recours à l’emprisonnement comme mode de sanction et conçoit son fameux "PANOPTICON" (une prison modèle qui sera décrite plus loin). On retrouvera ses idées matérialisées dans le code pénal Napoléonien. Plus tard, des voix s’élèveront, notamment à travers l’école classique française, qui a pour animateurs GUIZOT, DE BROGLIE, COUSIN, LUCAS et l’italien ROSSI pour que soit tenu compte des circonstances de la faute et de l’intérêt social de la peine. L’idée d’individualisation de la peine qui apparaît en filigrane, sera l’un des rares points de convergence des différents courants de pensée. L’école classique française va partir en croisade contre la rigueur avec laquelle sont punis les délits politiques et réclamer un adoucissement général des peines, l’établissement d’une échelle des peines politiques distinctes de celles du droit commun et l’abolition de la peine de mort en la matière. Cette école a largement influencé les rédacteurs du texte de la loi du 23 Avril 1832 qui a distingué nettement entre les délits politiques et les autres. La peine de mort en matière politique sera abolie en 1848. L’école classique ne remet pas en question le postulat du libre arbitre. Toutes tendances confondues, cette école part du principe de la responsabilité totale de l’individu et construit sa théorie de la peine sur l’idée de sanctionner une faute. L’école positiviste rejettera cette approche. Partant de bases différentes, elle apportera d’autres explications à la criminalité et proposera d’autres remèdes. Ses idées qui auront un impact certain sur les sciences pénales marqueront un tournant dans l’histoire de la politique criminelle.
b-L’école du positivisme Italien
Fondée par le Dr. Cesare LOMBROSO, cette école va connaître une fortune singulière et influencera irréversiblement la pensée pénale. Professeur de Médecine légale à l’université de TURIN, LOMBROSO va tenter de trouver une explication "physiologique" au comportement délictueux des humains. Les guerres d’unifications de l’Italie et ses fonctions de médecin légiste lui permettront d’examiner des milliers de boites crâniennes et de cadavres de soldat tombés sur le champ de bataille et de suppliciés morts sur l’échafaud. Il sera amené a faire des constatations qui lui permettront de dégager un début d’explication de la criminalité et un début de systématisation de la science criminelle naissante. Le résultat de ses études sera consigné dans un livre qui fit sensation et qui est toujours considéré comme le point de départ de la réflexion criminologiste. On trouve dans "L’homme criminel" ( Di Uomo Delinquante) édité en 1876, les observations et les réflexions qui l’ont amené à conclure que les grands criminels naissent prédestinés au crime. Il se base dans ses affirmations sur la présence d’un stigmate qui consiste en une forte dépression dans la partie occipitale de la boite crânienne déjà étudiée par DARWIN dans son "EVOLUTION DES ESPECES" chez les anthropoïdes préhominiens, ainsi que sur un faisceau d’indices qu’il a dégagés par l’observation. Ces indices sont morphologiques, anatomiques, biologiques ou fonctionnels. En elle même, l’œuvre de LOMBROSO n’apporte point d’idées qui ne soient déjà connues. On y trouve le matérialisme de HEGEL et de MARX, L’évolutionnisme de DARWIN et de SPENCER et le positivisme d’Auguste COMTE. Mais, pour la première fois, ces idées se trouvent habilement assemblées et savamment assorties. Fort de ses constatations, LOMBROSO va nier le libre arbitre et la liberté humaine. Le comportement délictueux de l’homme n’est pas le résultat de sa volonté. Il est fonction d’une combinaison de plusieurs facteurs répartis en deux séries, l’une interne ou endogène (hérédité, tempérament, constitution physique) et l’autre externe ou exogène et tient particulièrement au milieu social dans lequel le délinquant a évolué. L’œuvre de LOMBROSO sera poursuivie et enrichie par deux théoriciens : FERRI et GAROFALO. FERRI nuancera les thèses de LOMBROSO sur le criminel-né en opérant un classement des délinquants en 5 catégories :
1°- Les criminels aliénés, ce sont des délinquants qui agissent sous l’empire d’un déséquilibre psychique. Ils ne sont pas responsables de leurs actes et doivent être traités et non punis.
2°- Les criminels-nés, c’est à dire ceux qui sont pathologiquement prédisposés au crime, sans que leur prédisposition ne constitue une fatalité.
3°- Les criminels par habitude, incorrigibles récidivistes qu’il faut extraire de la société.
4°- Les criminels d’occasion.
5°- Les criminels par passion.
FERRI élaborera les lois statistiques de saturation et de sursaturation criminelle qui consistent en ce qui suit : Un milieu donné produit une quantité constante de criminalité. Tout événement tel que guerre, révolution, famine ou cataclysme provoquent concurremment une flambée de délinquance, mais cette flambée est vite absorbée et on revient au "taux normal" de criminalité. L’observation statistique de la criminalité dans les Etats qui la pratiquent n’a pas démenti cette théorie. L’école positiviste conclut à un déterminisme total. L’homme n’étant pas libre de ses actes la notion de responsabilité est écartée de la pensée positiviste. Elle demande à ce que cette notion soit écartée du droit pénal. La répression doit avoir pour seul objectif de débarrasser la société de ses éléments perturbateurs soit en les éliminant soit en leur enlevant leur "nocivité" par un traitement approprié. Les positivistes proposent d’assurer la défense de la société par des mesures de sûreté ou substituts de la peine qu’ils décrivent avec force détails. De durée indéterminée, la mesure de sûreté peut être prise non seulement à l’encontre du délinquant, mais aussi à l’égard de celui qui, n’ayant pas encore enfreint aux lois, présente des caractéristiques telles que sa délinquance est probable. Pour être efficaces, les mesures de sûreté doivent être prises non plus en fonctions de la gravité du délit, mais plutôt compte tenu de la personnalité du délinquant et du danger qu’il pourrait représenter ou qu’il représente pour la société, car objectivement le crime n’existe pas, il n’y a que des criminels. En conséquence, il faudra substituer au classement classique des infractions en crimes, délits et contraventions la classification de leurs auteurs (Voir supra). FERRI préconise l’élimination de la société des criminels-nés, criminels par habitude ou criminels aliénés. La mesure d’élimination consistera soit en la peine de mort, soit en la déportation perpétuelle, soit l’internement dans un établissement spécialisé ou un hôpital. Il est plus indulgent envers les criminels par occasion ou les criminels par passion. Il propose de prendre à l’encontre des premiers une mesure restrictive de liberté et leur éviter d’être corrompus par le milieu pénitentiaire et d’exempter les seconds de la peine. S’agissant de gens honnêtes, il estime que le remords constituera pour eux le meilleur châtiment. On se limitera alors à exiger d’eux une réparation matérielle du préjudice causé et les obliger à s’exiler temporairement du lieu du crime ou de résidence de la victime ou de ses ayant droit. L’influence de l’école Italienne sur l’évolution ultérieure des sciences criminelles et sur l’évolution du Droit pénal à l’échelon planétaire est indéniable. Plusieurs de leurs idées se sont imposées en doctrine et ont inspiré le Droit positif de la grande majorité des Etats. Leur théorie sur la prévention du crime est au centre de toutes les politiques criminelles dignes de ce nom. Cependant, le déterminisme qui sert de base à la pensée positiviste Italienne ainsi que certains concepts véhiculés par ses théories tels que celui de "L’Etat dangereux" ou "La sanction à durée indéterminée à priori" vont lui attirer les critiques des autres courants de pensée. De nos jours, les cloisons entre les deux écoles ne sont plus aussi étanches qu’au début. Les deux tendances cohabitent dans le courant de pensée
contemporain.
B - Le courant de pensée contemporain.
Il prend naissance entre la fin du 19° et le début du 20° siècle, et est représenté par trois tendances : La tendance néoclassique, la tendance pragmatique et le mouvement de la défense sociale nouvelle. Ce courant de pensée ne s’arrête pas sur la question qui divise les doctrines classiques. Il tente de se frayer un chemin tantôt entre les deux positions qu’il concilie tantôt à côté, en dépassant le problème du libre arbitre.
a-La tendance néoclassique
Elle est formée par l’école néoclassique française et l’école du positivisme critique italienne. Ces deux écoles ont tenté, les premières, d’opérer une sorte de modus vivendi entre les idées classiques et celles dites positivistes. En France, deux auteurs vont illustrer cette tentative. En 1907, CUCHE publiera dans la Revue Pénitentiaire un article intitulé "L’éclectisme en Droit pénal". Plus tard, SALEILLES publiera son ouvrage "De l’individualisation de la peine" . Sans remettre en question leurs convictions et leur appartenance à l’école classique française, ces auteurs vont rejeter l’idée de la "faute objective" et de la sanction proportionnée au délit. Ils proclament la nécessité de lutter préventivement contre la délinquance en admettant une certaine gradation de la responsabilité des délinquants compte tenu de leur personnalité, leur milieu et les circonstances de leur infraction, et en conséquence admettent la nécessité de l’individualisation des peines. Ainsi, une brèche est ouverte dans le mur du libre arbitre. L’homme est toujours libre de ses actes, mais sa liberté est relative et peut être influencée par certains facteurs dont il convient de tenir compte en individualisant la peine. A la même époque, l’école positiviste critique italienne, tout en empruntant au positivisme son déterminisme, admet la peine comme procédé d’intimidation collective. La convergence par interpénétration de ces deux écoles s’arrêtera à un double croisement, sans plus. En effet, si elles sont parvenues à s’emprunter et à se
prêter des solutions pratiques, sur le plan théorique et conceptuel, (Droit de punir, légitimité de la peine etc.) la divergence demeure totale. Leur appartenance à des conceptions philosophiques opposées empêche tout rapprochement sur ce plan. Aussi, de nombreux spécialistes estimèrent qu’il s’agit là d’une controverse idéologique irréductible qu’il convient de dépasser en vue de se consacrer à l’élaboration et à l’organisation de la défense sociale contre la criminalité dans la pratique.
b-La tendance pragmatique
Elle est représentée par l’Union Internationale de Droit Pénal (U.I.D.P.) qui se transformera plus tard en Association Internationale de Droit Pénal. Cette tendance s’est fixée comme objectif d’élaborer une méthode et de définir une politique de lutte contre la criminalité. Elle critiquera chacune des tendances, classique et positiviste. Elle leur reproche à toutes les deux de partir d’un postulat dont elles s’efforcent de démontrer l’opportunité au lieu de partir d’une réalité expérimentale. C’est mettre la charrue devant les bœufs ! L’affirmation incontrôlable d’un postulat ne relève pas d’une démarche scientifique. La science doit reposer sur des faits vérifiables par l’expérience pratique et méthodique. Dans le cas de l’espèce, ni l’une ni l’autre des deux écoles ne peut apporter la preuve de la véracité de son postulat. Cette critique sera érigée en un programme d’actions, destiné d’une part à déterminer par l’expérience pratique les causes profondes qui font de l’homme un criminel, y compris sa responsabilité morale, et d’élaborer sur la base de résultats obtenus une politique criminelle tendant à obtenir la protection de la société contre la criminalité. Les travaux de l’U.I.D.P l’ont conduite à élaborer un projet qui, finalement tenait compte d’idées avancées par les deux doctrines antagonistes. Il s’articule autour de l’idée de défense sociale qu’il envisage d’assurer par le biais de deux moyens. D’une part, par la peine-punition et d’autre part par la mesure de sûreté, en vue de neutraliser l’état dangereux. Le système pénal conçu par l’U.I.D.P est donc un système dualiste qui recourt aux deux concepts qui opposent les déterministes aux partisans du libre arbitre.
c-La défense sociale nouvelle
Dès ses débuts, la défense sociale nouvelle se défend d’être une étude dogmatique ou une école doctrinale. Elle s’affirme être un mouvement d’opinion et de réforme dont l’objectif est de promouvoir une politique criminelle nouvelle et se réclame de la tradition chrétienne et humaniste. Cette "politique nouvelle" empruntera certains de leurs moyens aux doctrines antérieures, en les coordonnant et en y ajoutant des éléments nouveaux. En effet, pour le mouvement de la défense sociale nouvelle, la politique criminelle doit reposer sur des bases scientifiques et une étude systématique et ordonnée du délinquant et de la délinquance sous tous les angles et avec l’éclairage de toutes les autres sciences dont l’homme est l’objet à un titre ou à un autre. Il incombe à la société de mener un travail prophylactique tendant à réduire les occasions ou facilitations de commettre des crimes et en cas d’infraction, tenir compte des conditions du délinquant et des circonstances de son crime. La peine privative de liberté ainsi que la mesure de sûreté doivent tendre à un seul et unique objectif, à savoir l’amendement du détenu, prélude à sa "réinsertion sociale". Cet amendement sera obtenu par le biais du "traitement pénitentiaire" du délinquant en vue de le transformer d’un être antisocial en un citoyen normal. Ce traitement devra consister en la formation professionnelle et la rééducation morale qui seront dispensées aux condamnés. La peine conçue comme châtiment doit conserver son aspect utilitaire et son pouvoir intimidant. Les promoteurs de la défense sociale nouvelle abordent le problème pénal sous l’angle sociologique et refusent de s’enfermer dans le carcan de l’approche juridique et de sa conception abstraite de la peine qu’ils estiment dépassées. Ils se placent volontairement en "dehors" du cadre "légal" pour la recherche de solutions adéquates aux problèmes de la délinquance sur les plans social et humain quitte à y adapter, le cas échéant, les structures juridiques existantes. On est loin aujourd’hui du dualisme simpliste de jadis infraction - répression. L’homme criminel de LOMBROSO est retourné à son repos éternel et le débat sur la volonté humaine et la fatalité se nuance et se perd dans d’inextricables méandres. Périodiquement la loi vient d’une manière, certes arbitraire, mais ô combien efficace, cristalliser le travail des chercheurs dans des lois, des codes et des articles. Parallèlement à cette évolution, les prisons n’ont pas été du reste. L’institution pénitentiaire a connu un développement qualitatif aussi rapide que considérable depuis le 17° siècle.
4-L’évolution des institutions pénitentiaires
L’évolution pénitentiaire a été marquée par celle des idées pénales qui la sous tendent et qu’elle n’a pas manqué de marquer en retour de son empreinte. A chaque système pénal correspond une conception de l’architecture pénitentiaire, du régime de détention et du traitement des détenus qui ne manquait pas d’ouvrir d’autres voies à la réflexion pénale sur les effets de l’emprisonnement et de ses conséquences. Cette dynamique va conduire à la construction et à l’expérimentation de plusieurs prisons, influencée par les courants de pensée dominants. Entreprise avec hésitation, sous le poids de l’hérédité culturelle en Europe, la réforme des prisons revêtira un aspect révolutionnaire aux Etats-Unis d’Amérique, terre de pionniers et d’entrepreneurs, tandis que l’institution pénitentiaire au Maroc évoluera en dents de scie en fonction des grands tournants historiques que le pays a connus en 1912 et 1956.
5-L’évolution pénitentiaire dans les sociétés occidentales
Cette évolution peut être subdivisée pour les besoins de l’analyse en deux parties distinctes, la période classique et la période moderne, sans perdre de vue que la première continue de servir de référence à la seconde.
A - La conception classique
Cette conception dont les objectifs sont très différents de ceux poursuivis par les justiciers du châtiment corporel, est représentée par trois tendances ou "systèmes" pénitentiaires classiques, à savoir :
- Le système pennsylvanien
- Le système Auburnien
- Le système Irlandais(CROFTON).
a-Le système PENNSYLVANIEN
On peut soutenir l’idée qu’il s’agit là du premier système pénitentiaire basé sur une idée centrale d’agencement et d’organisation dont le but visé est autre chose que la souffrance physique. Il a été conçu par WILLIAM PENN, fondateur de l’Etat de PENNSYLVANIE, et mis en pratique pour la première fois par FRANKLIN, en 1790 dans la prison de l’Etat de Pennsylvanie. Le système pennsylvanien est basé sur le principe de l’emprisonnement solitaire dans des cellules spacieuses, mais strictement individuelles. Les détenus vivaient ainsi dans un isolement total les uns des autres, de jour et de nuit, et pour toute la durée de leur peine. Le travail était organisé de la même manière à l’intérieur des cellules.
On pourrait mettre à l’actif de ce système les avantages suivants :
- Le châtiment corporel y est écarté dans une large mesure et ne subsiste que pour sanctionner des écarts de conduite dangereux, mettant la sécurité de l’établissement en danger.
- En instituant un régime d’isolement total, tout danger provenant de la promiscuité est écarté.
- La garde des détenus enfermés chacun dans sa cellule peut être organisée avec le maximum de sécurité et à moindres frais.
A son passif, on peut énumérer les inconvénients ci-après :
- Tout d’abord, sur le plan économique, les prisons cellulaires sont très coûteuses du point de vue de leur construction et de leur équipement.
- Ensuite, l’organisation du travail y est très difficile car nécessitant la mobilisation d’autant de surveillants que de cellules, de même qu’elle ne permet que l’accomplissent de menus travaux manuels et artisanaux.
- Du point de vue sanitaire, l’isolement total en se prolongement, risque de conduire à la folie.
- Enfin, s’il a l’avantage de supprimer les risques de la promiscuité, il nuit irrémédiablement au reclassement social ultérieur du détenu en créant chez lui des habitudes antisociales.
En tous les cas, ce système a été largement appliqué aux Etats-Unis et surtout en Europe, à une époque où sous l’impulsion d’Alexis DETOQUEVILLE et d’autres juristes Européens, tout ce qui venait d’Amérique était considéré comme le "nec plus ultra", et où la mode était à l’importation d’outre atlantique. Aujourd’hui, le système pennsylvanien est complètement abandonné ou presque. Il n’existe plus qu’en tant que mesure temporaire nécessitée par le secret de l’instruction ou comme sanction disciplinaire réprimant le mauvais comportement des détenus.
b-Le système AUBURNIEN
Appelé aussi système de NEW YORK, il a été introduit dans la prison d’AUBURN et développé par son Directeur Elam LYNDS. Ce système qui constitue un assouplissement du précédent est fondé sur l’encellulement individuel la nuit et le travail en commun dans les ateliers, le jour. La
règle du silence est imposée. Le but recherché était d’amener le détenu condamné à méditer durant sa détention sur sa déviation antérieure. Tout en leur maintenant un contact avec les autres, les promoteurs du système voulaient éviter la corruption mutuelle des condamnés. Aussi toute infraction à la règle du silence était sévèrement réprimée. La prison d’Auburn comptait 770 cellules, une chapelle et plusieurs ateliers et réfectoires. Dès son arrivée, le prisonnier avait les cheveux coupés, on le revêtait d’un costume spécial et on lui attribuait une cellule. Le travail dans les ateliers commençait l’été à 6h 30 et se terminait à 18h. Pendant l’hiver, il commençait et se terminait avec le lever et le coucher du soleil. Ce système constituait certes une amélioration par rapport au précédent, mais l’isolement demeurait presque total. Car, si les détenus vivaient en commun pendant le jour, ils étaient séparés par la règle du silence. Ils n’avaient pas le droit de se
parler, de communiquer. Sur un autre plan, la construction et l’équipement de telles prisons étaient très coûteux, cela n’a pas empêché une certaine prolifération d’établissements basés sur
les principes d’Auburn dans toute l’Europe durant le 19° siècle. Le protectorat français tenta l’implantation du système au Maroc dans les années 1930. La Maison centrale de Kenitra a été construite sur le modèle auburnien, comme premier établissement d’un projet de système cellulaire. La guerre vint bouleverser les données, et la maison centrale de Kenitra est demeurée l’unique exemplaire marocain des prisons cellulaires.
c-Le système Irlandais ou système de CROFTON
Cette fois, l’innovation viendra du vieux continent. Il s’agit d’un système conçu et réalisé en Europe par des penseurs et des techniciens Européens. En effet, à peine sortie de l’absolutisme, l’Europe des "Lumières" marche à pas de géant pour rattraper le retard accumulé durant des siècles dans les différents secteurs et domaines de la vie sociale. Le monde pénitentiaire ne pouvait faire exception. En 1828, un juriste Français, HYDE DE NEUVILLE imagine un système où le détenu sera progressivement amené à se réinsérer dans le corps social et où la
peine aura pour finalité unique la réadaptation sociale. Les autorités pénitentiaires françaises qui s’étaient engagées dans la construction d’un système cellulaire n’ont pas daigné s’intéresser à cette construction de juriste à l’imagination débordante. L’idée fût récupérée et adaptée par l’Anglais MACONOCHIE. Elle sera mise en application par l’Irlandais WALTER CROFTON. Ce système est basé sur le principe de la progressivité dans l’exécution de la peine privative de liberté. Il s’agit dans une première phase de combiner les deux systèmes précédemment décrits. D’abord un isolement total qui durait neuf mois et qui était destiné à amener le détenu à méditer son acte. L’ennui de la solitude et l’oisiveté poussent le détenu à demander du travail, qui est ici conçu en récompense, alors qu’il constitue une obligation dans les autres systèmes. Ensuite, il était admis, en système d’isolement nocturne avec travail dans les ateliers en commun pendant le jour. A partir de cette phase, le détenu acquiert petit à petit divers avantages, tels que la liberté de décorer sa cellule et y disposer le mobilier à sa convenance, la transformant ainsi en "chambre" personnelle, et par le truchement d’un système de notation assez compliqué et une surveillance discrète, le prisonnier pouvait voir sa peine se réduire et ses conditions en détention s’améliorer au fur et à mesure que sa conduite en prison devient sans reproches et son comportement avec le personnel et les autres détenus correct. Ce système peut aboutir à la libération conditionnelle, précédée d’une période de socialisation en milieu semi ouvert puis ouvert. La règle du silence n’a pas d’application dans ce système. Des salaires sont fixés pour rémunérer le travail des détenus, minimes dans la 1ère phase (où phase pénale proprement dite), mais augmentés au fur et à mesure dans la phase intermédiaire. Dans la phase de pré-liberté, les détenus reçoivent des salaires égaux à ceux des travailleurs libres, en fonction de leur qualification, déduction faite des
frais de leur entretien. Ainsi le détenu est en même temps habitué à travailler et à assumer ses propres frais. Tout en le préparant à la vie libre, psychologiquement et socialement, une partie du salaire du détenu est gardée par l’Administration jusqu’à la libération, de telle sorte qu’il ne constituera pas une charge pour la société au moment de sa mise en liberté. La progressivité du système implique des degrés et des classes. Si le prisonnier se conduit mal à une phase quelconque, il redescend à la classe précédente après avis de l’équipe éducative réunie en Conseil. Cette chute se répercute sur sa situation financière à travers la réduction de son salaire. Par contre
s’il subit avec succès l’épreuve, il peut être admis à la libération conditionnelle préparatoire qui a pour but de parachever sa rééducation et d’assurer sa réinsertion sociale. Les avantages du système Irlandais sont incontestables à plus d’un égard. Ses partisans affirment qu’il constitue la solution optimale pour les problèmes de la réadaptation sociale des condamnés. Tout en partageant cet avis dans une large mesure nous pouvons formuler au passif du système progressif les inconvénients suivants : Tout d’abord, il encourage l’hypocrisie. Le prisonnier qui se sait être l’objet d’une surveillance discrète dont les résultats sont déterminants pour l’amélioration de sa situation, se comporte de la manière qu’on attend de lui. Il joue un rôle plus ou moins théâtral, qui pourrait agir à la longue sur sa personnalité, comme il lui permet de cacher sa véritable nature et ses tendances antisociales. Ensuite, la phase préparatoire et la phase finale, présupposent une offre d’emploi, faute de quoi, la libération préparatoire perd toute signification en étant vidée de son contenu. Enfin, il nécessite la mobilisation d’un nombre impressionnant de personnel qualifié et pluridisciplinaire pour aboutir à un résultat douteux et en tous les cas peu sûr. En tout état de cause, il s’agit d’un système qui permet d’individualiser la peine et de l’ajuster aux "mesures" de chaque condamné. Le système Irlandais a inspiré toutes les législations pénales postérieurs qui ont institutionnalisé la libération conditionnelle.
B - Les systèmes modernes
Depuis le début du 20° siècle, et surtout depuis la fin de la 2° guerre mondiale, un vent de réforme souffle sur la législation pénitentiaire à travers le monde. Les régimes pénitentiaires ont connu des améliorations et des aménagements qui ont abouti à des résultats qui différent beaucoup de la conception classique des systèmes pénitentiaires. Il existe aujourd’hui des prisons ouvertes, où la surveillance est réduite, les barreaux et les murs d’enceinte inexistants et où le travail s’effectue à l’extérieur et rémunéré au tarif social normal. Ce sont certains pénitenciers ou centres de détention, ou encore des centres d’accueil et des foyers de jeunes qui servent plus comme dortoirs pour les détenus que comme lieu d’emprisonnement. Certains pays comme la Suède substituent de plus en plus d’autres sanctions à la peine privative de liberté. 18 % seulement des personnes reconnues coupables d’un délit sont condamnés à l’emprisonnement [1]. Les colonies pénitentiaires suédoises ne comportent qu’entre 10 et 30 places et sont dotés d’une variété de personnels spécialisés en socio - pathologie, psychologie criminelle, sociale et de groupe, psychothérapeutes, sociologues etc. ce qui permet d’une part une individualisation très poussée de la peine et une connaissance approfondie de la personnalité du délinquant.. Le "garde chiourme" a cédé sa place à l’intellectuel sorti des grandes écoles et des universités les plus prestigieuses. Enfin, d’autre pays adoptent divers aménagements à leur législation, qui permet ainsi au détenu de garder un contact permanent avec la société. C’est le cas de l’Italie et de la R.F.A. qui ont adopté le principe de la peine échelonnée et la prison pendant les Week-end. La majorité des pays européens permettent à leur prisonniers de bénéficier de permissions de sortie et, malgré quelques bévues, n’envisagent pas de revenir sur cet acquis, même le sacro-saint principe de la séparation des détenus par sexe se trouve aujourd’hui remis en question. Ainsi, dans les prisons du Danemark, les détenus hommes et femmes sont incarcérés dans les mêmes quartiers et peuvent se rencontrer et nouer des relations amicales. En bref, on constate que les systèmes pénitentiaires actuels dans les sociétés occidentales essaie de s’adapter à la conception sociale des valeurs et qu’il est le résultat d’une longue et tumultueuse évolution qui ne s’est pas arrêtée depuis le milieu du 17° siècle, ce que n’a pas été le cas dans les sociétés arabo-musulmanes en général et Marocaine en particulier dont l’évolution a été le fruit, non pas d’une
lente progression, mais de césures opérées dans son histoire par des faits qui ont bouleversé toutes les données sociales y compris le domaine pénitentiaire à 2 reprises.
6-L’évolution de l’institution pénitentiaire au Maroc
Le déroulement de l’histoire contemporaine du Maroc et, les faits qui l’ont accompagné, nous amènent à envisager l’évolution de l’institution pénitentiaire suivant une logique historique soit : avant, pendant et après le protectorat.
A - Les prisons avant le protectorat
Le Maroc a connu la pratique carcérale avant la signature du traité du protectorat. Les documents en notre possession ainsi que l’enquête que nous avons menée à cet effet nous permettent de les classer en trois grands catégories, à savoir, les prisons Makhzéniennes, les prisons locales et les prisons locales et les prisons pour femmes "DIOUR-TIKA".
a-Les Prisons Makhzéniennes
Ces prisons avaient une vocation régionale et étaient implantées dans les villes impériales. Elles étaient dirigées par un administrateur du rang de Caïd, le "CAID EL HABS" et placés sous le double contrôle du CADI (juge) et du MOHTASSEB (institution chargée de la police économique et de la répression des fraudes). Dans chacune de ces prisons, deux "Adouls" (rédacteurs d’actes juridiques et solennels) tenaient des registres d’écrou et de mise en liberté, périodiquement soumis au contrôle du Cadi. Ce contrôle de légalité était renforcé par des missions d’inspection dépêchées par le Sultan en vue de s’enquérir de l’état dans lequel se trouvaient les prisons et leurs occupants. Les détenus qui y étaient incarcérés l’étaient souvent pour une durée indéterminée lorsqu’il s’agissait de fonctionnaires ou d’agents d’autorité convaincus d’abus dans l’exercice de leur fonction ou de trahison. Le mode de détention était soit collectif soit individuel selon les cas. Les détenus étaient mis aux fers, aux mains et aux pieds. Les plus dangereux étaient enchaînés aux murs par des colliers en fer (Annaquia). Les biens des détenus étaient parfois saisis par le sultan ou livrés au pillage du public (Trika ou Ritoul). La garde était assurée par un personnel spécial aux prisons : Les "HABBASSA" (gardes-chiourmes).
b-Les prisons locales
A l’échelon de chaque ville, village ou commune, le caïd ou pacha du lieu ainsi que le Mohtasseb avaient chacun "sa prison" à laquelle il envoyait les justiciables de sa juridiction qu’il décidait d’arrêter. La nourriture des détenus était assurée à raison d’un pain par jour et par détenu fourni par le "NADER EL AHBASS" (dignitaire chargé des biens inaliénables offerts par des bienfaiteurs et destinés à la charité ou au culte), ou bien par le Mohtasseb qui les prélevait sur les saisies effectuées pour raison de non conformité avec les normes de consommation, de qualité ou de quantité. Le "Directeur" de la prison (CAID EL HABS) était habilité à collecter l’aumône au profit de ses prisonniers . Les détenus étaient inscrits à l’entrée et à la sortie. Des missions d’inspection visitaient de temps en temps les prisons et rendaient compte au Sultan de leur mission. Le Sultan veillait en personne sur l’état des prisons et l’entretien des prisonniers, et dépêchait des émissaires auprès des gouverneurs pour les inciter a les traiter de façon humanitaire. Cependant, certaines prisons sont restées célèbres dans l’histoire régionale : tel est le cas de la prison du Caïd des Abda (Région de Safi) Driss Ben Aissa. Dans certains cas, les caïds se montraient d’un sadisme inqualifiable ; l’emprisonnement avait parfois pour motif la convoitise d’un bien ou d’une femme. Les ennemis personnels des agents d’autorité n’avaient pas besoin de commettre un délit pour se retrouver en prison.
c-DAR TIQA ou les prisons pour femmes.
Ce sont des maisons d’arrêt prévues pour la délinquance féminine. Elles recevaient surtout des femmes qui quittaient le domicile conjugal sans l’autorisation de leur époux ou qui se refusaient à lui. Présumées fragiles, elles n’étaient pas enchaînées mais étaient souvent battues par les "Arifas". Leur emprisonnement n’avait d’autre but que leur intimidation en vue de reprendre une vie conjugale normale. L’intimidation pouvait prendre d’autre formes plus persuasives associant les coups aux traitements humiliants jusqu’à ce que la résistance de l’épouse rebelle soit brisée et qu’elle demande à réintégrer la maison et la vie conjugale. Ces maisons ont survécu au protectorat pendant de longues années. La répression de la délinquance juvénile était abandonnée à leurs parents qui étaient responsables civilement des dommages causés par leur progéniture. Les cas d’emprisonnement à domicile étaient fréquents et souvent accompagnés de mise aux fers. Les délinquants aliénés étaient détenus dans des "MARISTANS", sorte d’institution à la limite entre la prison et l’hôpital psychiatrique, où ils étaient enchaînés et enfermés dans "des cellules individuelles" (B’nika(tes)). L’avènement du protectorat en 1912 mettra fin à cette situation en instituant un système pénal à l’occidentale.
B - Les prisons sous le protectorat
Sous le protectorat, on va assister à l’introduction progressive du système pénal occidental.
Sur le plan, des peines, le châtiment et les peines corporelles sont définitivement écartés en Droit. L’échelle des peines retenues s’établit, dans l’ordre croissant de gravité, comme suit :
- Les peines pécuniaires
- Les peines limitatives de liberté
- Les peines privatives de liberté
- La peine capitale.
La législation pénitentiaire appliquée dans chaque zone correspondait à celle de la métropole d’occupation. En zone internationale, un système dualiste consistait à séparer les détenus dans deux établissements différents selon qu’ils relevaient de la justice khalifienne ou internationale. Dans la zone occupée par la France, les établissements pénitentiaires étaient placées au début sous l’autorité du Secrétaire Général du Gouvernement Chérifien ; plus tard, elles seront placées directement sous l’autorité du Directeur de la Sécurité Publique (équivalent du ministère de l’interieur). Deux textes fondamentaux seront promulgués respectivement en 1915 et en 1930 pour réglementer la matière pénitentiaire en zone du protectorat français. Depuis l’indépendance, leur effet est étendu à l’ensemble du territoire national. Le Premier texte, à savoir le Dahir de 1915 est intervenu trois ans après le traité de Fès pour légitimer une situation de fait. Car les autorités du protectorat n’ont pas attendu sa promulgation pour construire et faire fonctionner des prisons dans les villes pacifiées, sur la base d’un traitement différencié entre nationaux et européens qui étaient toujours séparés. Les détenus "indigènes" étaient employés pour les travaux de colonisation et d’utilité publique. Une disposition de l’article premier du texte permettait d’en soustraire les Européens en stipulant que "Les Européens devront toujours être séparés des indigènes". Une autre mesure discriminatoire sera édictée par l’article 6 qui prévoit que les détenus politiques européens seront exemptés du port du costume pénal. Mises à part ces dispositions discriminatoires, le Dahir de 1915 apportait une amélioration considérable aux conditions de détention qui étaient en vigueur avant le protectorat. Le régime de détention est clairement défini par l’article premier qui stipule que "des prisons Marocaines seront aménagées dans les localités où cela paraîtra possible, de manière à assurer, dans des conditions satisfaisantes de sécurité et d’hygiène, la détention des Européens et des indigènes pour l’exécution des décisions de justice". Le texte préconise une séparation par sexe et par catégorie pénale et en fixe les modalités. Il insiste sur la séparation des détenus mineurs, auxquels il consacre son article 3. Il organise le travail des détenus et leur rémunération. Le régime de détention et les conditions d’hébergement et d’entretien de la population pénale font l’objet du chapitre II. Un chapitre est consacré à la discipline intérieure, il énonce les différentes punitions et récompenses dont le personnel est autorisé à faire usage. Enfin, ce texte traite de l’administration du personnel des établissements pénitentiaires qu’il rattache au Secrétaire Général du Gouvernement Chérifien, organe remplacé en 1917 par le conseiller du Gouvernement Chérifien (). Un "service pénitentiaire" est crée, il devra, entre autres activités, assurer l’inspection périodique des prisons. Dans la partie du texte qui traite du personnel des prisons, on retrouve l’idée de traitement différencié entre Européens et Indigènes. Ainsi, les nationaux ne pouvaient être recrutés qu’en qualité d’auxiliaires pour assister les agents français dans l’exercice de leur fonction. Le deuxième texte fondamental en la matière est le Dahir du 26 Juin 1930, portant règlement du service et du régime des prisons affectées à l’emprisonnement en commun. Il s’agit plus d’un aménagement que d’une refonte du système. Les grandes lignes du Dahir du 11 Avril 1915 sont maintenues et même parfois renforcées. Plus élaboré que le précédent, ses dispositions sont plus détaillées et moins laconiques ou évasives. Eu égard à la place que tient ce texte dans la législation pénitentiaire Marocaine, il sera reproduit intégralement en annexe. L’intitulé du texte, en précisant qu’il concerne les établissements affectés à l’emprisonnement en commun, donnait l’impression qu’un autre texte sera promulgué pour l’organisation et le règlement des établissements cellulaires qui avaient vu le jour la même année par l’ouverture de la Maison Centrale de Kenitra. Aucun texte n’est venu confirmer cette impression et il existe toujours un vide juridique en ce qui concerne les prisons cellulaires. Les dahirs de 1915 et 1930 sont toujours en vigueur. Ils constituent l’essentiel de la législation pénitentiaire. Contrairement à ce qui a été affirmé par certains chercheurs qui n’ont pas pris la peine de vérifier le fondement de leur affirmation. Certes, certaines dispositions incompatibles avec l’exercice de la souveraineté Nationale ou contraire à la constitution et aux lois nationales sont abrogées ipso facto, d’autres sont tombées en désuétude par suite du changement des circonstances, mais l’essentiel de ces deux textes demeure, et jusqu’à la réduction de ces lignes, en vigueur.
C - L’institution pénitentiaire après l’indépendance.
Jusqu’en 1956, l’Administration pénitentiaire était placée sous l’autorité du Directeur de la Sécurité Publique. Cette situation traduisait le souci primordial des autorités du protectorat de faire des établissements pénitentiaires un instrument servant à asseoir la sécurité plutôt qu’autre chose. Il est significatif de souligner ici que les prisons françaises ont été rattachées au département de la Justice au cours de l’année 1911. La volonté politique de faire de ces prisons une institution purement répressive est traduite par plusieurs dispositions empruntées au Droit pénitentiaire français des 18° et 19° siècles. Cependant, l’Administration pénitentiaire n’a pas été la légataire universelle du "service pénitentiaire". Une trentaine d’établissements sur un total de plus de 200 prisons et geôles, lui sont revenues. Quelques établissements ont été désaffectés, réaménagés ou réactivés. Le reste des établissements continue d’être géré par le Ministère de l’Intérieur. Près de 200 geôles desservent ainsi les juridiction locales et permettent l’exécution, sur place, des courtes peines prononcées par les juges résidents ou les tribunaux de 1ère instance. Il s’agit dans certains cas de véritables établissements pénitentiaires (sidi Ifni). Depuis 1956, d’autres établissements ont été cédés a l’administration pénitentiaire. Il s’agit des deux prisons de Tanger en 1958, de celle de Laayoune en 1976 ainsi qu’une multitude de geôles antérieurement gérées par le Ministère de l’Intérieur. Le rattachement de l’Administration Pénitentiaire au Ministère de la Justice relève d’une volonté politique qui favorise l’option sociale du règlement du problème criminel. Il donne à la peine privative de liberté une dimension nouvelle, celle de sa conception, non plus comme fin en elle même, mais en tant qu’instrument de réadaptation sociale des délinquants. Sur le plan législatif, certaines dispositions des deux codes, pénal et de procédure pénale constituent une partie de la législation pénitentiaire, deux décrets successifs ont organisé l’administration du personnel. Mais aucun texte n’est encore venu réglementer la matière. Une tentative de codification a été faite vers le début des années 70, s’inspirant largement de la réglementation française. Le projet de règlement se trouve gelé, quelque part entre le Ministère de la Justice et le Secrétariat Général du Gouvernement sur son parcours d’approbation depuis 1976 [2]. En attendant cette approbation, la réglementation pénitentiaire consiste essentiellement en ces deux Dahirs que nous avons évoqués ci-dessus et en quelque 3 000 notes de service.