14600 articles - 12260 brèves

00 Résumé

Mise en ligne : 11 novembre 2004

Texte de l'article :

Peu d’études ont été publiées concernant les problèmes sociaux et médicaux rencontrés à la sortie de prison et encore moins concernant l’évaluation de programmes de préparation à la sortie.
Le présent rapport présente les résultats d’une étude, effectuée en 2001, sur la mortalité des sortants de prison.
Les objectifs initiaux de l’étude étaient les suivants :
Estimer le taux de mortalité des détenus dans l’année suivant leur sortie de prison et le comparer à celui d’une population de référence (population générale française) ;
Identifier et quantifier les facteurs de risque associés aux décès, notamment la dépendance à l’égard de substances licites ou illicites, le statut virologique vis-à-vis du VIH et des hépatites B et C, la durée de l’incarcération ;
Identifier les facteurs protecteurs vis-à-vis des décès après la libération : contact avec le service social, le psychologue, l’éducateur, le médecin, réalisation d’un stage de préparation à la sortie (Quartiers Intermédiaires Sortants [QIS]).
Seul le premier objectif a pu être réalisé pour des raisons qui sont expliquées et discutées dans ce rapport.

Population
L’étude a été effectuée auprès des détenus libérés entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1997 de la maison d’arrêt de Fresnes, établissement choisi car il était le premier ayant mis en place un Quartier Intermédiaire Sortant en 1992. L’année 1997 a été choisie car elle correspond à la première année de la mise en place des traitements de
substitution en prison. Les détenus transférés durant l’année 1997, de la prison de Fresnes à un autre établissement, n’ont pas été inclus dans l’étude.
Des données ont été recueillies pour 3 098 détenus libérés entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1997 de la maison d’arrêt de Fresnes dont 1 439 (46,4 %) sortants nés en France ou dans les DOM et 1 659 (53,6 %) sortants nés à l’étranger ou dans les TOM.
Les femmes ne représentaient respectivement que 4,5 % et 5 % des deux sous-cohortes.
Du fait du fort taux de perdus de vue et de la vraisemblable sous-identification des décès des personnes nées à l’étranger, les analyses on été restreintes à la cohorte des personnes nées en France et dans les DOM.

Mortalité observée
Sur les 1 439 sortants nés en France ou dans les DOM, le statut vital a été obtenu pour 1 245 individus (86,5 %) dont 71 étaient décédés sur la période 1997-2001 (date de point : avril 2001).
Les analyses qui suivent sont restreintes aux hommes, compte tenu du faible nombre de femmes (aucun décès observé dans l’année suivant la libération chez les femmes nées en France).
Chez les détenus de sexe masculin, 35 décès sont survenus dans l’année suivant la libération, soit un taux brut de mortalité de 3,0 % sur un an (IC95 % = 2,1 - 4,1). Si l’on exclut les décès survenus chez des sujets transférés à Fresnes pour cause médicale, il reste 21 décès et le taux brut de mortalité est 1,8 % sur un an (IC95 % = 1,1 - 2,7). C’est sur ces décès que les analyses de comparaison, par rapport à la population générale et en fonction des causes, ont été effectuées.
Les causes de décès n’ont pu être obtenues que pour les décès survenus en 1997 et en 1998. Pour les détenus de sexe masculin non transférés pour raison médicale, la cause de 9 décès (42,9 %) était inconnue mais elle a pu être obtenue à partir de l’Institut médicolégal de Paris. Les morts violentes et les overdoses représentaient les causes les plus fréquentes.
Venaient ensuite les maladies de l’appareil circulatoire et la cirrhose alcoolique du foie. Chez les détenus transférés pour raison médicale à Fresnes, la majorité des décès était liée à des tumeurs (8 sur 14 décès).
Comparaison de la mortalité par rapport à la population générale (analyses SMR)
Les décès observés chez des prisonniers transférés pour raison médicale à l’hôpital de Fresnes n’ont pas été inclus dans l’analyse comparative pour éviter un biais de sélection.
L’analyse des SMR a ainsi été effectuée sur 21 cas et non 35.
Tous âges et toutes causes confondues, une surmortalité a été observée chez les exprisonniers (SMR = 321,3 ; IC95 % = 199 - 491) par rapport à la population générale.
Pour la tranche d’âges des 15 - 34 ans, des SMR très significativement augmentés ont été observés pour les décès par pharmacodépendance et ceux par maladie du système circulatoire. Le risque de décès par overdose était multiplié par plus de 120 par rapport à la population générale française. Le risque de décès, toutes causes confondues à l’exclusion des overdoses, était aussi significativement augmenté, multiplié par 3,4.
Pour la tranche d’âges des 35-54 ans, des SMR très significativement augmentés ont été observés pour les décès par pharmacodépendance, ceux par mort violente (hors suicides) et ceux par cirrhose alcoolique du foie. Le risque de décès par overdose était multiplié par plus de 270 par rapport à la population générale française, mais l’intervalle de confiance était très large. Le SMR, toutes causes confondues à l’exclusion des overdoses, était aussi significativement augmenté, identique à celui de la tranche d’âge précédente.

Analyse des facteurs associés à la mortalité
L’analyse des facteurs associés à la mortalité nécessitait un recueil d’informations individuelles à partir des documents disponibles. Pour éviter un recueil auprès de l’ensemble de la cohorte, une étude cas-témoins dans la cohorte a été réalisée : les cas étaient les sujets décédés après la sortie et les témoins étaient appariés sur l’âge du cas au décès ; compte tenu du faible nombre de cas, 10 témoins par cas ont été tirés au sort dans la
cohorte.
Au total, 353 sortants ont été sélectionnés et les informations sur les facteurs étudiés ont été recherchées à la prison de Fresnes au SMPR, au QIS et pour les motifs de transfert, au greffe.
Sur les 353 sortants sélectionnés, 150 avaient un dossier SMPR ou un dossier QIS ou les deux et 15 détenus avaient effectué un stage en QIS (4,3 %).
Parmi les 15 détenus ayant effectué un stage QIS, 9 l’ont réalisé au cours de l’année 1997 et parmi eux, un décès a été observé.
L’information concernant les différents facteurs (sociodémographiques, statut virologique vis-à-vis du VIH, du VHB et du VHC, consommation de drogues, traitement substitutif...) n’était pas notée de façon systématique dans la majorité des dossiers.
Initialement, en l’absence d’information sur les motifs de transfert, l’étude cas-témoins devait inclure l’ensemble des cas. Mais, certains décès étant survenus chez des sujets transférés pour raison médicale, ces derniers et leurs témoins ont dû être exclus des analyses pour éviter un biais de sélection. L’effectif final de l’étude est donc plus faible que les 353 sujets
inclus initialement.
L’analyse porte ainsi sur 25 cas de décès survenus en 1997 et 1998 et leurs 240 témoins appariés sur l’âge.
Pour des raisons de puissance statistique, tous les cas correspondant aux décès survenus entre 1997 et 1998 ont été considérés et non uniquement ceux survenus dans l’année suivant la sortie.
L’analyse de régression logistique a montré une association significative entre le fait d’être identifié au SMPR et le risque de décès en 1997 et 1998, après la sortie. Le risque de décès était 2,4 fois plus élevé pour les sujets ayant un dossier SMPR que pour les autres, après ajustement sur l’âge et sur la durée de la peine. Une association n’a par contre pas été observée dans cet échantillon avec le passage en QIS. Mais le nombre de sujets étant passé par le QIS était faible.
Une analyse prenant en compte les autres facteurs (sociodémographiques, statut virologique vis-à-vis du VIH, du VHB et du VHC, consommation de drogues, traitement substitutif...) n’a pas été réalisée, ces variables n’étant que partiellement renseignées.

Conclusion générale de l’étude
La présente étude n’a pas permis de répondre à la question de l’efficacité des UPS en termes d’impact sur la mortalité des sortants. Une des raisons majeures est le faible passage par le QIS de l’établissement pourtant sélectionné comme établissement pilote dans la mise en place des UPS.
Elle contribue, en revanche, à mieux informer sur la mortalité des sortants de prison : une surmortalité très significative des ex-détenus a été observée dans la première année suivant leur libération par rapport à la population générale. Cette surmortalité, observée pour les sortants de moins de 55 ans, était particulièrement élevée et significative pour les overdoses.
Aucune overdose n’a néanmoins été observée dans les 2 semaines suivant la sortie, période au cours de laquelle, il a été montré que le risque de décès par overdose est le plus élevé.

Cette étude, la première analyse effectuée sur cette population en France, présentait un certain nombre de limites : elle a été conduite sur une population de petite taille probablement non représentative de l’ensemble de la population des sortants en France en 1997. Il serait nécessaire de consolider les résultats et pour ce faire d’élargir l’étude à d’autres établissements en France et sur plusieurs années consécutives. Il s’agirait de constituer un échantillon plus représentatif dont la taille permettrait des analyses dans des conditions de puissance statistique suffisante.
Les résultats de cette étude vont dans le même sens que les données recueillies auparavant sur la santé des détenus en prison et notamment sur la prévalence, parmi eux, de la toxicomanie et de l’alcoolisme.
Ces résultats tout à fait alarmants fournissent une évaluation globale de la performance de la prise en charge sanitaire en prison tant au plan curatif que préventif auprès d’un public fragilisé comme la population carcérale. Ils appellent à un renforcement des mesures de prévention et de suivi des détenus. Le moment de l’incarcération offre, en effet, une opportunité de conduire des actions d’information, d’éducation, de prévention et de
traitement adaptés à cette population.
Ces résultats reflètent aussi, au travers des décès par mort violente, les plus nombreux, la brutalité de la rupture que constitue la période de sortie et soulignent par conséquent la nécessité d’une meilleure préparation des prisonniers à cette sortie. Le faible effectif de prisonniers ayant participé aux UPS dans la prison de Fresnes et les difficultés évoquées lors du premier volet de l’évaluation des UPS, alors que ces programmes ont été mis en place depuis 1992, donnent une indication du chemin qui reste à parcourir.
En dépit de l’aide précieuse de nos interlocuteurs et de leur bonne volonté, cette étude s’est heurtée à des difficultés qui ont empêché d’en tirer l’ensemble des résultats attendus.
Le problème des causes de décès inconnues n’a pu être résolu que de façon ponctuelle.
De plus, les données nécessaires pour constituer la cohorte des sortants n’étaient pas informatisées. Enfin, faute de l’existence d’un recueil standardisé d’informations sur les facteurs de risque, l’analyse cas-témoins dans la cohorte n’a pu être réalisée de façon approfondie. Ces points soulignent la complexité de la réalisation d’études en milieu carcéral et seront critiques dans la définition des objectifs et des méthodes pour la réalisation d’une étude épidémiologique à plus grande échelle.
La recherche d’informations plus spécifiques concernant les ex-détenus, notamment sur la consommation de drogues, a montré les limites des dossiers disponibles. Ceci souligne le besoin d’instaurer dans les prisons des systèmes d’information pour permettre d’évaluer de façon rigoureuse, fiable et comparable dans le temps et d’une région à l’autre, l’état de santé des prisonniers et fournir ainsi un outil de surveillance de l’état sanitaire de la population carcérale et d’évaluation des interventions. La mise en place d’un tel système devrait, bien entendu, être faite dans le respect des lois protégeant les droits individus et assurant la confidentialité et l’anonymat des données. Mais elle devrait aussi permettre d’assurer une plus grande transparence sur l’état sanitaire de cette population.