INTRODUCTION
« Vous êtes condamné à une peine de vingt ans d’emprisonnement assortie d’une période de sûreté de douze ans, votre condamnation prend effet immédiatement ». La personne comparaissant devant une juridiction de jugement et entendant ce verdict est conduite immédiatement en prison. Pour elle, un long chemin commence. La peine déclarée par le juge doit en principe s’effectuer dans son intégralité. Cependant, dès son entrée au sein de l’établissement pénitentiaire, le condamné rencontre des agents du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) analysant avec lui le contenu de sa peine et les modalités d’exécution de celle-ci. En effet, de nombreux aménagements et mêmes réductions ou suspension de peine sont possibles. Le Code de procédure pénale offre des moyens au condamné de ne pas purger l’intégralité de sa peine, si ce dernier fait preuve d’efforts, de bonne volonté ou si il est confronté à des problèmes particuliers.
Avant d’analyser ces divers mécanismes d’aménagement de la peine et les évolutions diverses, il convient de se pencher sur le sens de cette peine prononcée à l’égard du condamné et sur l’état des conditions de détention des prisonniers en France de nos jours.
La peine infligée au condamné est la réponse donnée par la société au trouble causé [1] par l’infraction commise et ce par l’intermédiaire des juges. Cette idée de justice a évolué [2] avec le temps, en passant de la notion de vengeance privée entre guerres des clans et des familles, à une justice publique où la victime ne peut plus se faire vengeance elle-même, mais doit s’adresser aux représentants du pouvoir central pour demander justice [3]. Cette sanction prononcée à l’encontre du condamné poursuit deux buts à l’égard du condamné, celui de le punir et celui de le réadapter au sein de la société et un but plus général d’intimidation des futurs primo délinquants [4]. Le but des autorités est de réprimer la délinquance et de faire cesser le trouble causé par l’infraction perpétrée. Le panel de mesures restrictives ou éducatives pouvant être prises à l’égard du condamné a fortement évolué. L’évolution de la société et de la dangerosité [5] de certains individus a conduit à la création de nouvelles sanctions et parfois même d’allongement de certaines. La condamnation pénale peut donc revêtir différentes formes, durées selon le cas présenté aux juridictions de jugement. Certaines peines pourront ainsi être renforcées par des mesures d’isolement, des périodes de sûreté [6], des obligations diverses et ce à l’égard d’une population carcérale très diversifiée. La diversité des individus peuplant les prisons, tenant notamment à leur origine, leur âge, leur mentalité... entraîne de nombreux problèmes de gestion de ces condamnés au sein même de la prison.
En droit français, il existe un âge minimal pour pouvoir être incarcéré, mais il n’y a pas de limite d’âge [7]. Un mineur ne peut être envoyé en prison que s’il est âgé de plus de treize ans.
S’il est mineur de treize ans, il ne pourra pas être incarcéré, mais pourra dans certains cas faire l’objet de mesures ou de sanctions éducatives. Les mineurs sont fortement protégés dans notre système pénal, même si les dernières réformes ont conduit à un durcissement de la répression à leur encontre et ce tant au niveau de l’établissement de la responsabilité pénale, qu’au niveau des sanctions (mesures et sanctions éducatives ou peines d’emprisonnement). Au stade de l’enquête, des restrictions d’âge officielles n’existent pas dans les textes, mais il est admis par une jurisprudence établie que seul le mineur capable de discernement pourra être reconnu coupable pénalement, cela s’applique généralement aux mineurs de plus de dix ans, même si le juge seul apprécie si l’enfant est ou non capable de discernement [8]. Ainsi à titre d’exemple, le mineur de dix « ne peut être maintenu contre son gré ou celui de ses parents [9] » dans les locaux de la police. Les mineurs de treize ans ne pourront « être retenu[s que] quelques heures dans les locaux de police ou de gendarmerie [10] ». Les peines d’emprisonnement prises à l’égard des mineurs suivent un régime différent de celui des majeurs. La priorité est donnée à l’éducation et de ce fait, les mesures et sanctions éducatives sont préférées aux peines d’emprisonnement. Pour les mineurs âgés de treize à seize ans, la peine encourue ne pourra être « supérieure à la moitié de la peine maximale qu’encourt un majeur pour les mêmes faits [11] ». Seuls les mineurs de plus de seize ans ayant commis de graves infractions pourront être condamnés à la même peine qu’un majeur [12]. D‘autre part, aucun âge maximal n’est précisé par les textes [13]. Ainsi la population carcérale vieillissante s’explique à la fois par la durée des peines prononcées, mais également par les incarcérations de personnes âgées [14].
Les adultes et les personnes âgées constituent la plus grande partie de la population carcérale totale. Cela s’explique notamment par le faible taux de condamnations à une peine d’emprisonnement des mineurs. Parmi ces majeurs, certains cas sont plus particuliers que d’autres et suscitent une vive polémique sur la justification de leur incarcération. Il s’agit notamment des personnes âgées et malades. La prison est un univers à part, confiné, pathogène, propice au développement de maladies, de pathologies, de troubles [15] et encore plus pour ces deux catégories d’individus. La question du traitement de la santé des prisonniers existe depuis longtemps et a connu une forte évolution pour tenter de répondre aux mêmes caractéristiques que celui du milieu libre.
Au sein de la prison, le détenu ou condamné sont confrontés à un milieu contraignant, bien différent du monde extérieur. Hormis, les contraintes liées à la privation de liberté telles que la limitation des visites, la surveillance des correspondances..., le domaine de la santé et plus particulièrement de l’accès aux soins est source de plusieurs interrogations, incompréhensions et conflits. Dans ce domaine de nombreuses évolutions sont à remarquer, mais un écart important subsiste avec les soins dispensés à l’extérieur. La réforme la plus importante est celle opérée par la loi du 18/01/1994 [16]. Avant cette réforme, les soins divers des détenus étaient assurés par un médecin extérieur à la prison mais rémunéré par l’administration pénitentiaire [17], ou par des agents travaillant au sein de la prison. Cela était source de conflits entre les médecins et les prisonniers, ces derniers voyant en leurs soignants plus un surveillant qu’une aide. De plus, la question de l’hygiène dans les prisons n’était pas la priorité des autorités. Plusieurs constats [18] ont été faits par différents organismes, personnalités du monde judiciaire, visiteurs de prisons, attestant de l’insalubrité de la plupart des établissements.
Ainsi, une réforme a vu le jour en 1994. Cette dernière bouleverse l’ancien système de la prise en charge de la santé en milieu carcéral, en ce qu’elle prévoit d’une part l’affiliation de l’ensemble des détenus au régime général de l’assurance maladie [19] et d’autre part un nouveau système de prévention et de traitement de la santé en prison. Ce dernier point a permis le transfert de la prise en charge sanitaire des détenus au service public hospitalier [20]. Ainsi désormais, le service public hospitalier a pour mission de prendre en charge [21], la prévention et le traitement des diverses pathologies des condamnés et détenus au sein de ses murs. Il a trois missions à mener « diagnostic, soins et actions de prévention [22] ». Ces dernières se manifestent à plusieurs niveaux. La santé du détenu doit dorénavant être protégée officiellement et ce à toutes les étapes de la procédure judiciaire. D’une part, lors de la procédure de garde à vue un examen médical doit être proposé à la personne [23]. D’autre part, au moment de l’incarcération, un bilan de santé est établi, ainsi qu’un dépistage obligatoire de l’hépatite C afin de prévenir toute propagation, d’autres tests tels que celui du HIV sont proposés [24]. Tout au long de sa détention, le détenu peut consulter un médecin au sein d’une unité spécialement aménagée au sein de la prison depuis la loi du 18/01/1994 : les UCSA. Ces unités de consultations et de soins ambulatoires permettent au détenu de se faire soigner, diagnostiquer... Cependant, pour certaines pathologies, des traitements ou examens plus précis doivent être pratiqués à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire. Pour cela, la procédure d’extraction est utilisée [25], mais de nombreux inconvénients sont à observer, tels que le manque de disponibilité des autorités devant encadrer ces transferts. La loi de 1994 a ainsi marqué une grande évolution dans le domaine de la protection de la santé des détenus. Avant cette réforme, des aménagements d’exécution de la peine étaient déjà envisageables. En effet, l’univers carcéral est propice au développement de certaines maladies et ne permet pas une convalescence dans les mêmes conditions que celles proposées à l’extérieur, en milieu libre. La peine peut parfois être aménagée, notamment à l’aide de la procédure de la libération conditionnelle.
Notre système pénal prévoit la possibilité d’aménager la privation de liberté de certaines personnes et ce à l’ensemble des stades de la procédure. Notre étude portera précisément sur l’une des suspensions de peine possible dans le cadre d’une condamnation. Cependant, il est à rappeler que des aménagements sont également possibles lors de la procédure de garde à vue, ou lors de la détention provisoire. Pour la première période, le type d’aménagement le plus fréquent celui de l’incompatibilité de la garde à vue avec l’état de santé de l’interpellé, par
exemple si ce dernier doit être hospitalisé d’urgence [26]. Pendant la période de mise en examen d’une personne [27], celle-ci peut être incarcérée en détention provisoire sur ordre du Juge des libertés et de la détention après proposition du Juge d’instruction [28]. Un aménagement de cette détention provisoire peut être demandé au Juge d’instruction à l’aide de la procédure de demande de mise en liberté [29].
Une fois la condamnation prononcée et devenue définitive, d’autres aménagements de la peine sont possibles. Ils peuvent prendre la forme d’un fractionnement [30] de la peine, d’une suspension [31] de la peine, d’une réduction de peine, d’une autorisation de sortie sous escorte, d’une permission de sortie ... Les deux dernières sont exceptionnelles et de courte durée. La réduction de peine est un automatisme qui est calculé dès l’entrée en prison du condamné. Le condamné pourra également obtenir une condamnation avec sursis, ou même un sursis avec mise à l’épreuve et de ce fait ne purgera sa peine que s’il ne remplit pas les obligations liées à son sursis. Le fractionnement quant à lui est un aménagement moins souple que la suspension de peine, en ce qu’il n’a aucune incidence sur la durée de la peine prononcée et ne concerne que les peines prononcées en matière correctionnelle [32]. L’aménagement proposé par le fractionnement ne permet par exemple d’effectuer la peine d’emprisonnement seulement certains jours de la semaine si le condamné justifie d’un travail. Cependant, le condamné effectuera l’ensemble de son temps de peine.
La suspension de peine proposée par la libération conditionnelle est plus souple, elle permet en effet de réduire le temps de la peine restant à subir et ainsi de libérer le condamné avant la fin de sa peine. La libération conditionnelle créée par la loi du 14/08/1885 [33] a pour but de permettre la libération anticipée d’un condamné. Elle ne peut s’appliquer que sous certaines conditions. Celles-ci sont relatives à la fois à la durée de la peine restant et à subir et à l’attitude du condamné. Pour être éligible à cette suspension de peine, le condamné doit avoir effectué au moins la moitié de sa peine ou en cas de récidive il doit avoir effectué au moins les deux tiers de sa peine [34]. De plus, le condamné doit remplir l’une des conditions [35] imposées par le texte de loi. Il s’agit la plupart du temps de présenter des efforts sérieux de réadaptation sociale par l’obtention d’un contrat de travail à l’extérieur. La loi du 15/06/2000 [36] a permis la création d’une forme spéciale de libération conditionnelle pour motif médical, si le condamné justifie de la nécessité de subir un traitement. Cette suspension de peine permet ainsi de libérer certains condamnés devant subir un traitement à l’extérieur de la prison et ainsi éviter la procédure délicate et incertaine de l’extraction [37].
L’ensemble de ces aménagements possibles permet aux condamnés de garder un espoir de libération anticipée et encourage certains à adopter une bonne conduite et à s’investir dans l’élaboration d’un projet de sortie et de recherche d’un emploi ou d’un moyen d’indemnisation des victimes. Ces possibilités d’aménagement ne remettent pas en cause le principe de l’autorité de la chose jugée, en ce qu’elles ne se prononcent pas sur la culpabilité du condamné ou sur la peine prononcée à son égard, mais sur les conditions d’application de la peine. Le quantum de la peine décidé par jugement, pourra ne pas être entièrement effectué, mais le casier judiciaire en portera toujours mention.
Ces aménagements ne sont pourtant envisageables que pour certaines catégories de personnes.
En effet, la libération conditionnelle, mesure la plus convoitée par les détenus, est soumise à certaines conditions. Comme vu précédemment, le condamné souhaitant en bénéficier doit avoir effectué au moins la moitié de sa peine ou les deux tiers de celle-ci en cas de récidive.
Un autre élément est également à prendre en compte, il s’agit de la période de sûreté. Cette dernière est fixée par le juge, elle a pour but de ne permettre au condamné d’obtenir un aménagement de sa peine qu’à partir de l’expiration de cette période. Pendant cette période, il ne pourra prétendre à aucune suspension ou aménagement de peine, seules les réductions de peines pourront être calculées, mais uniquement sur la partie de la peine non assortie d’une période de sûreté [38]. Cette aggravation de la peine a pour origine une loi du 22/11/1978 [39]. Cette période de sûreté peut être facultative ou obligatoire. Elle sera obligatoire si un texte le prévoit spécialement dans le Code pénal, comme pour le meurtre aggravé et si la condamnation prononcée l’est pour une peine égale ou supérieure à dix ans d’emprisonnement [40]. De plus, si elle est obligatoire, le juge n’est pas tenu de préciser cette période de sûreté dans son jugement [41], le silence du juge emporte la période de sûreté [42]. La période de sûreté sera facultative pour toute peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans d’emprisonnement [43]. En deçà de ce quantum, la période de sûreté n’est pas envisageable. En effet, cette période d’aggravation de la peine répond à un besoin de préserver la sécurité et l’ordre public et est de ce fait jugée inutile pour les infractions les moins graves. La durée de la période de sûreté variera selon l’origine de l’infraction et la durée totale de la peine prononcée. Elle pourra ainsi être de la moitié de la peine prononcée, s’élever aux deux tiers de la peine [44]. Dans le cadre d’une condamnation à perpétuité, la loi du 12/12/2005 a précisé qu’elle pourra être de dix huit ans en absence de récidive ou de à vingt deux ans en cas de récidive [45]. Le juge restant libre d’augmenter ou de diminuer ces durées dans le cadre du maximum légal prévu.
Cette période de sûreté est un obstacle à de nombreux aménagements de peine, y compris pour ceux pouvant permettre à un condamné malade de poursuivre un traitement à l’extérieur. La libération conditionnelle pour motif médical ne peut en effet être envisagée pendant cette période. Cependant, certains détenus souffrent de graves pathologies incompatibles avec le maintien en détention, mais ne peuvent en sortir. La seule alternative [46] pour ces détenus avant la création de la suspension de peine pour raisons médicales de 2002, était la demande de grâce présidentielle. L’article 17 de la Constitution du 4/10/1958 dispose que le Président de la République a le droit de faire grâce [47]. C’est une prérogative qui lui est confiée. Ce pouvoir reconnu au président de la République est un vestige de la royauté [48]. A cette époque, le roi a peu à peu délégué ses fonctions de juger à des magistrats, mais continuait à exercer certains pouvoirs à titre personnel comme celui de la grâce [49]. Il s’agit d’une prérogative de justice retenue [50]. La grâce a pour objectif de suspendre l’exécution de la peine, mais ne l’efface en aucun cas du casier judiciaire [51]. Elle peut intervenir à tout moment dans l’exécution de la peine, ainsi la période de sûreté ne fera pas obstacle à cette suspension de peine exceptionnelle [52]. Elle peut être collective ou individuelle, partielle ou totale et même conditionnelle. Cette prérogative du Président de la République est fortement critiquée. En effet, cette mesure est jugée d’une part arbitraire, car seul le président décide, d’autre part elle est perçue par certains comme un non sens en ce qu’elle permet la non application totale de la peine prononcée [53]. Enfin, elle est également contraire au principe de la séparation des pouvoirs. En effet, le pouvoir politique intervient au sein du pouvoir judiciaire et contrarie même ses décisions [54]. Cette mesure était donc la seule chance pour les détenus ne remplissant pas les conditions de la libération conditionnelle de pouvoir voir leur peine suspendue.
Cependant, peu de grâce de peine totale sont accordées et encore moins celles demandées pour raisons médicales. En effet, la décision appartient au pouvoir politique, une sphère sensible et influençable aux éléments extérieurs et à l’opinion publique. De plus, avant d’être soumise au Président de la République, la demande de grâce doit d’abord passer entre les mains du Garde des sceaux, ce qui constitue encore un obstacle au traitement de la demande [55].
Ce dernier, effectue un tri des demandes et transmet celles qu’il estime pouvoir bénéficier d’une grâce au Président de la République, qui sera le seul à décider [56] et ce sans avoir à justifier sa décision [57]. Cette mesure a longtemps été le seul recours possible pour des personnes malades condamnées à de lourdes peines, cependant, il n’était pas suffisant [58]. De plus la peur de voir l’individu recouvrer des forces et commettre de nouvelles infractions [59] est toujours présente [60].
Diverses recommandations ont été faites à l’égard de la France, notamment par le conseil de l’Europe, et ont permis quelques évolutions dans le domaine de la santé en milieu carcéral.
Une recommandation de 1988 [61] demandait ainsi aux Etats membres de prendre des mesures particulières à l’égard de condamnés atteint du sida, et de prévoir leur libération pour des raisons humanitaires [62]. Un arrêt rendu à l’encontre de la Pologne le 26/10/2000 [63] a affirmé pour la première fois le droit de tout détenu à des conditions de détention conformes à la dignité humaine [64] et affirme que l’obligation de soins des détenus doit être assurée par l’Etat [65].
Cependant, l’influence la plus notable fut celle de manifestations et de condamnations de la France pour traitement inhumain et dégradant par la CEDH. Des plaintes de condamnés sont
venues devant la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant notamment le nonrespect de l’article 3 de la Convention [66] relatif à l’interdiction de la torture. Ces dernières expriment la position de la Cour sur la question du maintien en détention de telles personnes.
Elle se prononce au regard des circonstances de l’espèce portées à sa connaissance. A titre d’exemple, dans l’affaire Papon contre France de 2001, la Cour n’a pas reconnu la violation de l’article 3 de la Convention [67], mais a rappelé qu’en cas d’aggravation de l’état de santé, le requérant avait une autre voie de recours : la grâce [68]. L’arrêt Mouisel du 14/11/2002 [69] rendu à l’encontre de la France condamne celle-ci pour violation de l’article 3 précédemment cité. La Cour rappelle que « si la Convention européenne des droits de l’homme ne contient aucune disposition spécifique concernant le traitement de la personne privée de liberté, il n’en demeure pas moins que les Etats doivent respecter, pour cette catégorie de personnes, les prescriptions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme [70] ». Dans cet arrêt, la Cour semble reconnaître un droit de recours pour les détenus malades et notamment ceux ne pouvant bénéficier des mesures de suspension possibles ou les ayant épuisées sans succès [71]. « La CEDH estime que « la santé de la personne privée de liberté fait désormais partie des facteurs à prendre en compte dans les modalités d’exécution de la peine privative de liberté, notamment en ce qui concerne la durée du maintien en détention [72] ». La France est ici condamnée après l’adoption de la loi Kouchner du 4/03/2002 relative à la suspension de la peine de certains condamnés gravement malades ou en fin de vie. Cependant, la demande devant la Cour avait été introduite avant l’adoption de cette loi. Ainsi, cette voie de recours ne pouvait être exercée par le requérant. La Cour rappelle cependant, que la violation de l’article 3 répond à des critères précis et que les espèces soumises à son attention sont étudiées au cas par cas. Ainsi, un détenu malade maintenu en détention pourra obtenir la reconnaissance de la violation de l’article 3 pour torture et un autre non [73]. Des rapports [74] et témoignages divers ont également établi [75] l’incompatibilité de certains détenus gravement malades ou mourants avec le maintien en établissement carcéral. D’autre part, la prise de position en 2001 [76] de Monsieur Robert Badinter au sujet de la sortie possible de Maurice Papon avait suscité une polémique sur cette mesure de suspension. Ce dernier avait notamment déclaré qu’« il y a un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime [77] » et avait ainsi exprimé son soutien à la libération de ces prisonniers gravement malades. De plus, la sortie d’un livre relatant la réalité de la prise en charge de la santé des détenus a conduit les autorités à dévoiler la réalité [78] sur ce sujet et à réfléchir sur les améliorations et changements à effectuer dans ce domaine. Ces diverses manifestations ont conduit le gouvernement français à se pencher sur ce problème et à élaborer une loi pour cette catégorie spéciale de condamnés. La loi du 4/03/2002 [79] dite loi Kouchner a ainsi été votée. Cette mesure de suspension de peine sera au coeur de notre étude.
Cette dernière est apparue dans un contexte troublé par différentes révélations sur la situation carcérale antérieures [80] et postérieures [81] à la réforme de 1994, mais également par l’application faite de cette loi à l’égard de détenu condamné pour de graves crimes [82]. Elle a également dû
s’adapter peu à peu aux exigences de l’évolution des mentalités et des besoins de sécurité de la société. Cette suspension au caractère humanitaire s’est petit à petit transformée en une suspension de peine semblable à celle proposée par la libération conditionnelle, en ce qu’elle
restreint de plus en plus son champ d’application. Il conviendra ainsi d’une part d’étudier le contenu de cette mesure de suspension de peine originale (Chapitre1), notamment en étudiant ses conditions d’application ainsi que les personnes figurant au coeur de cette mesure. D’autre part, il conviendra par la suite d’étudier l’effectivité de cette mesure et de se prononcer sur ses évolutions (Chapitre 2).