B - Une mesure conditionnelle, temporelle et surveillée
L’accord d’une telle suspension de peine est fortement encadré par des conditions strictes quant à l’estimation de l’état de santé du condamné demandeur (1). Cette suspension une fois accordée est encore strictement surveillée par un panel de mesures et obligations diverses mises à la disposition du Juge de l’application des peines (2).
1 - Une mesure conditionnelle
Cette mesure de suspension de peine est fortement encadrée et ce notamment au niveau de l’évaluation de l’état de santé du condamné demandeur. En amont, cet aménagement de peine ne pourra être envisagé qu’après l’obtention de deux expertises médicales (a). Suite à l’octroi de cette mesure, la surveillance du condamné continue à l’aide d’expertises médicales ordonnées par le Juge de l’application des peines (b).
a - Une mesure accordée après deux expertises
Un détenu ayant bénéficié d’une libération anticipée ou d’une suspension de peine est placé sous la surveillance du juge de l’application des peines [1]. Cette suspension de peine est tout d’abord conditionnelle. Elle ne pourra être accordée que si deux expertises indépendantes et concordantes ont conclu soit à l’incompatibilité durable du maintien en détention du condamné eu égard à son état de santé, soit à l’engagement du pronostic vital à court terme de ce dernier [2]. De plus, la Cour de cassation a précisé que si la première expertise était négative, la deuxième expertise n’avait pas à être effectuée, car l’éligibilité du condamné à cette suspension de peine n’est possible que si les deux expertises requises concluent de manière concordante et positive à l’engagement du pronostic vital du condamné ou à l’incompatibilité de son maintien en détention avec son état de santé [3]. Ces expertises [4] permettront aux juges de comprendre l’état de santé du condamné, mais ne l’obligent en aucun cas à accorder la suspension.
En effet, la décision appartient au juge [5]. Les deux expertises concluant à une incompatibilité du maintien en détention ou à un engagement du pronostic vital du condamné ne permettent que d’appuyer la demande de suspension. Plusieurs décisions négatives ont d’ailleurs été rendues bien que les deux expertises exigées concluaient à l’incompatibilité du milieu carcéral [6]. Pour fonder son refus d’accord de la suspension, la juridiction prend souvent en compte des éléments extérieurs tels que le manque d’efforts de réinsertion du condamné, l’absence d’indemnisation des victimes [7], le refus du détenu de se soigner [8]...
b - Une surveillance renforcée
Cette mesure n’est que suspensive. La peine n’est en aucun cas effacée du casier judiciaire ou diminuée. La suspension ne fait que reporter l’exécution de la peine. « La suspension de peine signifie que la peine n’est ni abrogée, ni annulée, mais que son effet est arrêté pour un temps donné. Si les conditions médicales ayant justifié la suspension de peine ne sont plus réunies, la peine devrait être, théoriquement, de nouveau purgée [9] ». Pour bénéficier de cette mesure des conditions strictes sont imposées par le législateur. Quand bien même les conditions légales remplies, la mesure peut être relevée [10] tout au long de la « vie » du condamné. En effet, un dispositif de contrôle important peut être mis en place pour vérifier si la mesure de suspension est encore valable. Des mesures et obligations seront alors prises à l’égard du condamné suspendu, à charge pour lui de les respecter [11]. Cette surveillance vaudra également quant à la réalité du pronostic vital engagé ou de l’incompatibilité de la détention avec le suivi d’un traitement ou de la maladie. La rémission de sa maladie le fera retourner dans sa cellule !
Cela semble impensable, incroyable voire même inhumain pour certains [12], mais la raison de cette situation paradoxale est le fait qu’une fois guéri, le condamné ne remplit plus les conditions liées à la mesure de suspension dont il a bénéficié. La loi Kouchner ne s’applique que si l’état de santé du condamné est en jeu.
Le Juge de l’application des peines a donc le pouvoir de demander une nouvelle expertise médicale pour connaître l’état de santé du condamné suspendu et décider en conséquence du prolongement ou de l’arrêt de la suspension accordée [13]. Une faculté dans ce domaine est également reconnue au parquet qui « à tout moment [...] peut saisir le juge de l’application des peines afin qu’il ordonne une expertise médicale pour vérifier si le condamné remplit toujours les critères prévus par l’article 720-1-1 [14] ». Une mesure de surveillance supplémentaire de l’état de santé du condamné a été ajoutée avec la loi du 12/12/2005. Cette dernière prévoit désormais « l’obligation d’une expertise tous les six mois, des condamnés ayant bénéficié d’une suspension de peine pour raisons médicales en matière criminelle [15] ».
2 - Les obligations et mesures
Cette mesure conditionnelle est encadrée par des obligations (a) et mesures de contrôle (b) diverses pouvant êtres décidées par le Juge de l’application des peines.
a - Les obligations imposées
Dans le cadre de l’élargissement prononcé en faveur d’un détenu répondant aux exigences de l’article 10 de la loi du 4/03/2002, le Juge de l’application des peines compétent a à sa disposition une liste de mesures et obligations auxquelles il peut le soumettre. Concernant les obligations pouvant lui être imposées, elles figurent principalement à l’article D.147.2 du CPP [16]. Elles sont les dispositions propres à l’application de l’article 720-1-1. Elles sont ici au nombre de neuf. Les plus fréquemment utilisées sont celles fixant le lieu de résidence ou d’hospitalisation du détenu. Le juge pourra également interdire au condamné de se rendre dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes. Ces obligations peuvent être cumulées [17] depuis la loi du 9/03/2004 avec celles figurant aux articles 132-44 [18] et 132-45 [19] du Code pénal. Il pourra s’agir notamment de ne pas paraître en certains lieux, de l’interdiction de porter une arme...
Pour être effectives, ces obligations doivent être prononcées et précisées [20] par la juridiction compétente [21], elles ne s’appliquent pas de plein droit, sauf exception [22]. En cas de non respect de ces obligations ou interdictions, la juridiction ayant accordé la suspension de peine pourra « ordonner qu’il soit mis fin à la suspension [23] ». Cette suspension de peine est donc bien temporaire en ce sens qu’en cas de non-respect des obligations imposées [24], il pourra y être mis fin [25] et ainsi le condamné même gravement malade ou en fin de vie pourra avoir à terminer sa vie en prison.
b - Les mesures de contrôle
Les mesures de contrôle sont des obligations à caractère automatique. Ces dernières se trouvent principalement à l’article 132-44 du CP, elles correspondent « aux mesures de contrôle auxquelles le condamné doit se soumettre » » lorsqu’il bénéficie d’une libération conditionnelle, d’un fractionnement ou d’une suspension de peine. Elles sont également présentes au sein de l’article D.147-2 du CPP en des termes quasi similaires [26]. Ces mesures permettent au juge de l’application des peines de surveiller le condamné pendant son élargissement. En effet, en lui demandant de « se soumettre à toute expertise médicale ordonnée par le juge de l’application des peines » ou en lui demandant de se rendre aux convocations du juge ou du travailleur social, il peut se rendre compte notamment de l’évolution de la maladie.
Ces mesures sont cumulables entre elles. Le Juge de l’application des peines pourra prononcer en même temps que la décision d’élargissement des obligations diverses. A titre d’exemple, un individu dont la peine avait été suspendue s’est vu dans l’obligation de se conformer à quatre mesures décidées par la juridiction. Il s’agissait d’une obligation de fixer sa résidence dans un lieu précis, de se soumettre à toute expertise médicale ordonnée par le juge, de recevoir les visites du travailleur social et de répondre aux convocations du juge de l’application des peines si son état le lui permettait [27]. Des mesures cumulées d’obligation à résidence dans un lieu précis et d’obligation d’informer le juge de tout changement ultérieur de lieu de résidence ou d’hospitalisation « ne sont pas incompatibles, dès lors que l’une et l’autre sont destinées à permettre de vérifier que les conditions [...] demeurent remplies [28].