Chapitre VIII LA CHASSE AUX ETRANGERS
La culture du résultat, l’étranger reconduit à la frontière comme unité statistique
Discours aux préfets le 9 septembre 2005 : “lors de notre dernière rencontre, je vous ai fixé des objectifs chiffrés, en vous demandant de procéder, au minimum, à 23.000 éloignements d’étrangers en situation irrégulière cette année. Je constate qu’à la fin du mois d’août, 12849 étrangers avaient fait l’objet d’une mesure effective d’éloignement : sur huit mois, 56% des objectifs ont été atteints. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer l’effort. J’observe d’ailleurs, que, d’une préfecture à l’autre, les résultats sont inégaux. Or, j’attends de tous une entière mobilisation. Et j’invite les préfets dont les résultats sont inférieurs à la moyenne à se rapprocher du Centre national de l’animation et des ressources (CNAR) pour bénéficier d’un appui opérationnel”. Le ministre répétera plusieurs fois aux gendarmes et policiers : “j’attends de tous une entière mobilisation. Là aussi, plus qu’une obligation de moyens, c’est une obligation de résultat qui vous est fixée”.
Le respect de la dignité des étrangers
Il y a beaucoup de politiques d’immigration possibles. L’Europe en applique de très variées. En septembre 2006, Nicolas Sarkozy avait tenté de convaincre ses collègues européens de signer un “pacte européen” pour étendre sa politique à nos partenaires et interdire les régularisations massives. Personne ne l’avait suivi. L’Espagne a régularisé en masse des centaines de milliers de sans papiers. Mais elle n’est pas la seule : l’Italie, l’Allemagne, le Portugal et bientôt les Pays Bas. Seule la France se singularise en organisant une vraie chasse à l’étranger. De ce côté-ci des Pyrénées, la politique de l’immigration s’oriente officiellement vers une “immigration choisie” : nous leur prenons les meilleurs, nous leur laissons les plus pauvres. Ce sont évidemment les pays riches qui sont maîtres du choix. À l’échelle internationale, on retrouve la philosophie ordinaire de cette droite du libéralisme extrême : aider ceux qui s’en sont déjà sortis, ne plus se préoccuper des autres. Politique d’une injustice criante et qui accroît avec impudeur des inégalités pourtant colossales. Mais il appartient aux citoyens qui disposent des urnes de dire si cette politique leur convient ou non.
Quel que soit le gouvernement en place, quelle que soit sa façon de gérer l’immigration, une règle élémentaire doit s’appliquer : respecter la dignité de l’étranger, sujet de droit, bénéficiaire, lui aussi, des droits de l’homme qui ne dépendent ni de la couleur de la peau, ni du pays d’origine, ni de la validité de ses papiers. Toute politique d’immigration comporte aujourd’hui un aspect répressif : il ne suffit pas de dire qu’un état est en droit de refuser des étrangers sur son sol, encore faut-il se pencher sur la façon dont il va les refouler. Les “éloigner”, dit-on pudiquement dans le beau langage de l’administration. Là, tout est possible : toutes sortes de procédures administratives ou judiciaires sont utilisées dans le monde, plus ou moins respectueuses des droits élémentaires de l’individu. Mais, au-delà de l’application de ces règles, une démocratie se reconnaît au respect de la dignité de l’étranger. Or aujourd’hui, en France, cette dignité est bafouée et elle risque, demain, de l’être davantage encore.
La politique des quotas et l’organisation de la chasse
Nous étions donc le 9 septembre 2005. Nicolas Sarkozy faisait ses comptes. Colère : il lui manque 2484 étrangers. Il refait ses calculs. Objectif : 23.000 pour l’année, donc 1916 par mois. Fin août police et gendarmerie auraient déjà dû lui trouver (8 mois) x (1916 étrangers) = 15333 étrangers. Il n’y en avait que 12849 ! Il fallait donc d’ici la fin de l’année mettre les bouchées doubles et multiplier les interpellations massives. Les instructions fermes étaient donc données en ce sens, aux préfets qui, évidemment, allaient être relayés pas ces magistrats que sont les procureurs de la République. On aimerait ne pas avoir à insister sur le sordide de cette comptabilité et sur l’acharnement inhumain qu’elle traduit. Mais l’image de fermeté du prochain candidat est à ce prix : il faut qu’il puisse, devant ses électeurs, soutenir qu’il a été le premier à mener une vraie politique intransigeante et qu’il gagne cet électorat de l’extrême droite pour qui l’étranger représente le mal absolu. Pour 2006, l’objectif par le ministre a été fixé à 25.000 reconduites à la frontière. Tout a été organisé pour arriver coûte que coûte à ce chiffre. Femmes, élèves, enfants, tout est bon. Les procureurs de la République se plient sans difficulté à ces demandes et apposent leur signature là où il le faut. Les parquets sont totalement instrumentalisés par la politique de sécurité du candidat et l’aident à fournir des chiffres en bon ordre, conformes à ses promesses. Chaque jour, des réquisitions judiciaires sont signées qui permettent à la police de procéder en toute légalité à des contrôles d’identité dans des quartiers délimités par les magistrats.
La police s’est mise en ordre de bataille pour exécuter les ordres et respecter les quotas prévus. “Deux fois par semaine on est réquisitionnés pour rafler de l’immigré en situation irrégulière”, raconte un policier à un journaliste du Nouvel Observateur fin 2006. “Les ordres c’est de faire du chiffre”. Un autre, de la police de l’air et des frontières : “chaque fin de mois, quand on a pris du retard sur les quotas, le préfet nous rappelle à l’ordre. Si notre centre de rétention est déjà plein, on doit alors trouver des places libres ailleurs. Et, croyez-moi, les gars commencent à être fatigués d’avaler les kilomètres juste pour convoyer un pauvre maçon sénégalais parfois à l’autre bout de la France”.
Tout est bon pour arrêter de l’étranger. Les procédés les plus ignobles qui, il faut le dire, font honte à une démocratie. Mardi 30 janvier 2007, “opération de routine” selon la préfecture de police de Paris. Le bilan est bon, 21 personnes interpellées. Effectivement ce soir là, des étrangers viennent au “Resto du coeur”, Place de la République. Les héritiers de Coluche distribuent 400 repas. Comme tous les mardis, jeudis ou samedis. Pauvres parmi les pauvres, ils viennent là pour pouvoir manger. La police les attend sur autorisation du procureur qui a permis des contrôles dans le périmètre de la Place de la République et ses alentours de 19 à 23H. L’étranger pauvre qui a faim arrive par le métro. Le taux d’élucidation de la police est à son zénith. Les sans papiers partent dans les fourgons qui attendaient non loin de là pour aller remplir les centres de rétention. Les statistiques seront bonnes ce mardi-là.
La mobilisation des Français pour protéger les enfants, les reculades du ministre
Nicolas Sarkozy ne s’attendait pas à la réaction des citoyens Français pour défendre ces étrangers. Cette mobilisation est parti du terrain, spontanément. Des réseaux se sont créés peu à peu. Réseau Education Sans Frontière est le plus connu d’entre eux car l’indignation a été la plus forte au sein des écoles. Les mouvements de protestation sont parfois nés spontanément - des écoles se sont mises en grève du jour au lendemain - exprimant l’indignation des parents d’élèves ou des élèves eux-mêmes qui ne comprenaient pas pourquoi des enfants ou des adolescents qui suivaient une scolarité normale étaient soudainement arrachés à leur école, leur amis, leur milieu, leurs proches pour être expédiés manu militari dans des pays où, le plus souvent, ils n’avaient même plus leur place. En France, on a vu la police arrêter les jeunes dans les écoles ou à proximité. Il a fallu, le 31octobre 2005, une circulaire du ministre pour calmer ce zèle. Il était demandé à la police “d’éviter des démarches dans l’enceinte scolaire ou ses abords” et les procédures étaient suspendues jusqu’à la fin de l’année scolaire. La mobilisation massive face à ces reconduites à la frontière a conduit en juin 2006 le ministre de l’intérieur à reculer un peu. Très peu, car au même moment, il faisait voter un texte extrêmement restrictif sur l’immigration qui deviendra la loi du 24 juillet 2006. Le 13 juin donc, il a signé une nouvelle circulaire prévoyant le régularisation de parents sans papiers dont l’enfant était scolarisé depuis septembre 2005. Environ 33000 demandes ont été déposées par des familles qui pensaient répondre aux critères de la circulaire, alors que le ministre annonçait clairement dès le mois de juin - les préfectures ne faisaient que commencer leur examen - qu’il n’irait pas au-delà de 6 à 7000 régularisations. Là encore les chiffres ont miraculeusement donné raison au ministre : 6924 adultes sans papiers ont été régularisés !
La politique inhumaine continue
Les reconduites à la frontière ont continué. Et nombre de familles qui s’étaient imprudemment signalées ont été inquiétées. Une trentaine de personnes a été expulsée dans le cadre de la circulaire Sarkozy depuis la rentrée 2006 : jeunes majeurs, parents d’enfants scolarisés, familles entières qui ne répondaient pas aux critères retenus par le ministre. Tous ces cas sont consternants. Un seul suffira, pris au hasard, sur une liste interminable. Octobre 2006, Sulizène Monteiro, étudiante au Lycée Valmy à Colombes , qui vivait depuis 2003 avec sa mère et son petit frère, était arrêtée et placée au centre de rétention de Paris pour être reconduite au Cap Vert. Elle avait obtenu son CAP “entretien textile” en juin 2006 et devait reprendre ses études pour obtenir son CAP. Une pétition recueillait plus de 3000 signatures. Syndicats d’enseignants , élus, associations se mobilisaient. Ses camarades de lycée se mettaient en grève, le mouvement s’étendait à d’autres établissements scolaires des Hauts de Seine, jusqu’à l’université de Nanterre. Rien n’y faisait. Au bout de jours, Sulizène était reconduite au Cap Vert. Pour déjouer les plans de ses camarades qui s’étaient précipités à l’aéroport d’Orly, Nicolas Sarkozy la faisait partir de l’aéroport du Bourget dans un avion spécial affrété par le ministre de l’intérieur. Elle n’avait pour tout parent dans son pays que sa grand-mère âgée de 83 ans. Les protestations n’ont cependant pas faibli. Des manifestations se sont succédées et grâce à cette pression permanente, Sulizène a pu revenir en France en février 2007 avec un visa d’étudiante. Mais combien d’autres n’ont pu bénéficier d’un tel soutien et ont dû rester dans leur pays ?
Ces étrangers sans papiers s’entassent donc dans des centres de rétention surchargés. Ils arrivent en rang serrés dans les tribunaux où ils sont présentés à des juges des libertés et de la détention qui ont à apprécier de leur maintien dans ces centres avec une marge de manoeuvre très étroite. Très peu sont remis en liberté (assignés à résidence en fait). Beaucoup de procédures sont annulées car il arrive très souvent que les policiers ou les préfectures, pressés par le temps, tout à leur hâte de respecter les quotas fixés par leur ministre, en oublient de respecter les règles élémentaires de la procédure et bâclent leurs dossiers. Mais dans la plupart des cas le juge doit se contenter de maintenir dans les centres les étrangers arrêtés, le temps que l’administration obtienne l’accord du pays de retour et trouve un avion. Les juges voient alors défiler cette humanité qu’ils ignorent ordinairement : cette population de clandestins qui se terre dans notre pays, tente de survivre et de travailler comme elle peut, avec les moyens du bord. Très peu de délinquants, pas plus que dans la population ordinaire. Si ce n’est que pour trouver du travail, ou posséder un compte bancaire, ils se sont parfois procuré de faux papiers. On demande au juge de ne pas avoir d’état d’âme. Un africain dont le père s’était battu pour la France ? Peu importe. Un homme qui vient d’être père depuis trois mois et s’occupe de son bébé que la mère tient dans ses bras dans le couloir ? Peu importe. Un mari exemplaire qui fait vivre femme et enfants en travaillant au noir ? Peu importe. Un étranger qui est en train de régulariser sa situation pour pouvoir faire soigner une grave maladie ? Peu importe. Un étranger venu en France pour s’occuper de son père gravement malade ? Peu importe.
Un effet désastreux : l’atteinte au droit d’asile
Les résultats de la politique d’immigration de Nicolas Sarkozy sont à la hauteur de la formidable pression qu’il a exercé sur les services de police et de gendarmerie. Les reconduites à la frontière ont bien atteint l’objectif fixé, mais l’une des conséquences de cette politique est le recul dramatique des demandes d’asile.
“Premier résultat : la procédure de demande d’asile n’est plus une “fabrique à clandestins”. La politique de fermeté paye. La lutte contre les détournements a permis une chute spectaculaire du nombre des demandes d’asile adressées à la France” (Conférence de presse du 11 janvier 2007).
L’asile est un droit constitutionnel, un des plus anciens et un des plus sacrés qui soit. La France a une longue et belle tradition en la matière et elle peut en être fière. Elle, qui est encore pour quelque temps considérée comme la patrie des droits de l’homme, a toujours - en dehors de la période vichyssoise - mis en oeuvre une politique généreuse pour ces personnes qui sont victimes de persécution dans leur patrie. Il est inutile de rappeler que l’asile est lié aux turbulences politiques, aux conflits et aux guerres qui continuent d’exister dans le monde entier, plus fortement que jamais. L’honneur de la communauté internationale et des pays démocratiques est d’assurer à tous ceux qui sont persécutés pour ces raisons, le refuge, l’aide et la protection. Nicolas Sarkozy se fait, lui, un titre de gloire d’avoir fortement fait baisser en France le nombre de demandeurs d’asile. Il avance des chiffres qui le font jubiler mais qui devraient consterner n’importe quel démocrate. Son argument est simple : parmi les demandeurs d’asile, il y a beaucoup de menteurs ou de personnes qui ne correspondent pas aux critères de l’asile. La procédure d’asile est avant tout, pour lui, une “fabrique à clandestins”. Cette conception est consternante. Si l’on examine rapidement la façon sont traitées les demandes d’asile en France, on constate que l’OFPRA développe une politique de plus en plus défavorable aux demandeurs : le taux d’admission ne cesse de baisser (de 11 à 8% de 2000 à 2005). Mais l’organisme de recours (la commission de recours des réfugiés), qui, lui, est indépendant, donne de plus en plus souvent tort à l’OFPRA. C’est grâce à cette commission que les admissions sont en hausse. En 2005, l’OFPRA a accordé 4184 asiles, alors que la commission de recours en accordait 9586, plus du double ! Tous ces chiffres ont encore baissé l’année dernière : L’OFPRA a baissé le nombre d’admissions au statut de plus du tiers (38,3%). Il reste que le nombre de demandeurs d’asile a diminué considérablement depuis 2004, passant de 57616 à 34852 : - 22764, soit - 39,5%.
La politique de Nicolas Sarkozy est dramatique pour le droit d’asile parce qu’elle interdit de fait à des personnes susceptibles de demander l’asile de le faire et qu’elle viole un principe inscrit dans notre constitution. La commission nationale consultative des droits de l’homme en novembre 2006 rappelait fermement que les candidats au droit d’asile ne devaient pas supporter les conséquences de la nouvelle politique d’immigration, telle qu’elle résulte notamment de lois des 26 novembre et 10 décembre 2003. Le président de la commission indiquait “qu’un nombre croissant de déboutés du droit d’asile n’ont pas bénéficié d’un examen complet et équitable de leur demande de protection”. Sont dénoncés notamment
une politique de visas de plus en plus restrictive
l’utilisation de procédures expéditives, dites “prioritaires”, dans lesquelles le demandeur n’est même pas entendu, son cas étant jugé sur dossier (1/4 des procédures)
l’obligation faite dorénavant de présenter la demande d’asile en français
l’utilisation de la notion de “pays sûr” qui permet de rejeter la demande d’admission sur le territoire français si le demandeur vient d’un de ces pays.
Inefficacité et mensonges de la politique spectacle : l’exemplaire affaire de Sangatte
Le pire, dans cette politique, est qu’elle est absolument inefficace. La multiplication des contrôles d’identité au faciès, cette traque sans relâche des étrangers, cette politique forcenée de reconduite à la frontière est impuissante à maîtriser le flux migratoire. Elle ne peut conduire qu’ à l’échec. Tout simplement parce que le flux de l’immigration est intarissable, la misère des pays d’émigration n’étant pas près de reculer, pas plus que les guerres ou les persécutions. Personne ne peut ignorer ce spectacle ordinaire de bateaux chavirés avec des centaines d’immigrés morts noyés, ou ceux qui arrivent par miracle, bondés, sur les côtes italiennes ou espagnoles et où l’on compte les morts, ces camions de passeurs où meurent étouffés des centaines de clandestins, ces hommes déchirés sur des barbelés installés à la hâte sur nos frontières les plus tentantes ? Chacun voit bien que ces hommes et ces femmes sont prêts à risquer la mort. Quelle loi les en empêchera ? Combien de centres de rétention faudra-t-il construire ? Combien de compagnies d’aviation faudra-t-il réquisitionner ?
L’affaire de Sangatte en est l’illustration caricaturale de cette impuissance et de ce mensonge. Chacun se souvient de ce centre de Sangatte dans le Pas de Calais. Le nouveau ministre voulait marquer sa différence avec le précédent gouvernement socialiste. Il se rend trois fois sur place, avec force caméras, promettant : “il n’y aura plus de problèmes d’ici quelques semaines”. Novembre 2002, le Centre est fermé. Tout est réglé. “Il y avait 3000 personnes dans un hangar, expliquera Nicolas Sarkozy. Peu de ministres y sont allés avant moi dans le Calaisis. On ne peux pas dire que je ne m’en suis pas occupé. J’ai fermé Sangatte, j’ai divisé par dix le nombre de migrants, j’ai multiplié par deux les places dans les centres d’hébergement”. Mais aujourd’hui, rien n’a changé. Les réfugiés sont toujours là. Plus que jamais. Le centre n’existe plus mais aux alentours de Calais se pressent des réfugiés qui continuent d’affluer et errent dans les rues. Les actes de délinquance, vols, agressions, dégradations, se multiplient. Les associations humanitaires se mobilisent pour aider ces étrangers, mais on les poursuit devant le tribunal correctionnel : ils sont coupables d’avoir aidé des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français ! Le procureur de la République de Boulogne est obligé de reconnaître qu’il s’agit d’une “activité illégale, mais non répréhensible”et le tribunal, bien embarrassé, prononce une simple dispense de peine. Mgr Jean-Paul Jeager écrit à Nicolas Sarkozy fin 2005, peu avant Noël : “des hommes, quelques femmes, peut-être même de rares enfants, sont là ! La France, si soucieuse de prôner les grands principes humanitaires, a-t-elle le droit de refuser de les voir ? Est-il normal que la collectivité nationale se voile ainsi la face et abandonne une partie de ses responsabilités à des équipes de bénévoles épuisées par trois années de service ininterrompu et qui récoltent plus de tracasseries que de reconnaissance ?”
Quelles solutions ?
Il n’est évidemment pas très payant, en période électorale, nous dit-on, de tenir un discours équilibré sur l’immigration. Mais, en la matière, il ne s’agit pas de chercher des voix ou d’épouser une opinion publique d’ailleurs très partagée. Il faut à la fois mener une politique réaliste et efficace et mettre en oeuvre les valeurs de base de l’humanité, deux stratégies qui conduisent aux mêmes solutions.
Il faut d’abord maintenir le discours qui est fondamentalement celui de la France, sans nier aucunement les problèmes réels de l’immigration clandestine aujourd’hui : la France est un pays ouvert au monde, elle est une terre de diversité et de tolérance, une terre d’immigration et d’asile. Ce sont les étrangers qui ont contribué à faire de la France ce qu’elle est et ce sont eux qui continueront à le faire, apportant à notre pays une vitalité et une richesse incomparable. L’immigration clandestine est suscitée par la misère, ses premières victimes étant les immigrés eux-mêmes qui vivent dans des conditions inhumaines et indignes de notre pays (tels sont d’ailleurs les premiers mots d’un rapport du Sénat français déposé en avril 2006 sur le sujet). Elle est aussi source d’une vraie déstabilisation sociale en favorisant le travail clandestin, la délinquance, en générant de la violence et des tentions sociales. L’état doit donc se préoccuper fortement de cette immigration mais il doit le faire avec autant de mesure que d’humanité, d’intelligence que de détermination. Les gesticulations policières d’aujourd’hui ne font que renforcer la masse des clandestins, habituer les policiers à un travail indigne d’eux et multiplier tous les risques de cette clandestinité. Même si le propos dépasse de loin notre ouvrage, on en peut éviter de dire que la seule solution réelle et durable susceptible de freiner l’immigration clandestine est d’atténuer la pauvreté des pays fuis par les immigrés. Il ne s’agit pas d’ouvrir les frontières à tous mais de gérer l’immigration sans drame, avec humanité et tolérance. Arrêter les effets de manche en sachant que toutes ces rodomontades actuelles ne servent à rien. Comme le proposent beaucoup de spécialistes il serait plus intelligent, plus réaliste et efficace de délivrer régulièrement des titres de séjour, de l’ordre de 20 à 30.000 par an, plutôt que d’obliger régulièrement la gauche à procéder à des régularisations qui sont la conséquence d’une politique d’immobilisme de la droite.
Cette politique que Nicolas Sarkozy veut amplifier, s’il est élu, par la création d’un grand ministère de l’immigration et de l’identité nationale uniquement dédié à une chasse encore plus implacable et inhumaine contre l’immigration clandestine, conduit à un peu plus dégrader l’image de la France. Elle aboutit surtout à faire de notre pays une immense machine répressive. Refusant, par parti pris idéologique, de voir tout le bénéfice que peut nous apporter la population immigrée, Nicolas Sarkozy propose de continuer à mobiliser un appareil étatique extrêmement coûteux pour combattre des illégalités qu’il crée lui-même.