II - La demande et son examen
La demande présentée devant le juge, est complétée par deux expertises (A). La suspension est accordée par le juge, qui peut également révoquer sa décision (B).
A - Le contenu de la demande
La requête est présentée au juge compétent suite à un avis médical reçu par le condamné (1).
Le juge désigne alors deux experts distincts, devant se prononcer sur l’état de santé du détenu (2).
1 - La présentation de la demande
La demande peut être présentée par le condamné lui-même (a) ou par un tiers ayant qualité pour agir en ce sens (b).
a - A l’initiative du détenu
« Toute personne a le droit d’être informée de son état de santé », comme le précise l’article 1111-2 [1] du CSP. Les condamnés sont donc également concernés. La connaissance de leur état de santé pourra parfois leurs permettre de déposer une demande de libération conditionnelle [2] ou de suspension de peine devant le Juge d’application des peines. Le choix de la mesure dépendra de la gravité de leur état de santé. La première étape dans le dépôt de la demande de suspension de peine pour raison médicale est une simple visite médicale du médecin traitant. Le médecin examine alors le détenu et lui explique sa pathologie tout en s’assurant que celui-ci le comprenne et soit en état de le comprendre [3]. En cas d’incompréhension du malade de son état pour des raisons diverses (âge, déficiences mentales...), d’autres personnes pourront intervenir pour déclencher la procédure de demande de suspension de peine [4].
Après l’examen médical, le médecin informe donc son patient des mesures de suspension de peine pouvant s’offrir à lui compte tenu de son état de santé. Pour faire valoir sa demande auprès du Juge de l’application des peines, lui est remis un certificat médical dans lequel est décrit son état de santé. Pour ouvrir la procédure de suspension de peine, la plupart du temps, le détenu remet ce certificat au directeur de l’établissement pénitentiaire, à son avocat, à sa famille ou au SPIP pour le transmettre au plus rapidement au Juge de l’application des peines concerné. Il peut également l’envoyer lui-même à ce juge [5].
b - A l’initiative d’un tiers
Parfois, l’intervention d’un tiers pour mener cette demande est nécessaire. En effet, deux cas sont à observer. D’une part, la personne peut ne pas être en état de recevoir une quelconque information sur son état de santé ou peut avoir émis la volonté de ne pas être mis au courant d’un état de santé précaire ou déplorable. Dans ce cas, son choix devra être respecté comme pour toute autre personne. La loi précise en effet que cette volonté doit être respectée sauf si un risque de contamination existe [6]. Des tiers pourront cependant être mis au courant de cet état de santé critique, il s’agit de la personne de confiance ou de la famille proche et ce dans le but d’aider le malade [7]. Dans ce cas, le certificat médical faisant état de la gravité de la santé du malade sera remis à l’une de ces personnes [8], à charge pour elle d’introduire une demande suspension de peine auprès du Juge de l’application des peines. Le médecin informe aussi par écrit le chef d’établissement de l’état de santé du condamné jugé incompatible avec la détention [9]. Le médecin pourra également s’il le juge nécessaire, prévenir « l’autorité judiciaire de l’urgence de la situation afin que celle-ci prenne toutes les mesures utiles pour accélérer la procédure » [10].
D’autre part, dans certains cas, le condamné peut tout en étant conscient de la gravité de son état de santé, refuser d’engager une procédure de demande de suspension de peine. Dans ce cas, le certificat médical le concernant lui est quand même remis. Le médecin informe également par écrit le directeur de l’établissement pénitentiaire de la gravité de l’état de santé de son patient. Il pourra comme pour le cas précédent informer l’autorité judiciaire compétente pour permettre d’accélérer la procédure. Il est à remarquer l’importance du rôle du directeur de l’établissement pénitentiaire, il a pour mission de déclencher la procédure de demande de suspension de peine s’il lui apparaît que le détenu y est éligible [11].
2 - Expertise et appréciation
Le contenu des deux expertises lie le juge, ne pouvant se substituer aux experts dans l’appréciation médicale de l’état de santé du condamné (a). Cependant, la décision finale revient à l’autorité judiciaire (b).
a - Contenu et modalités de l’expertise
La suspension de peine pour raisons médicales ne peut être « ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné [12] » est soit atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital, soit que son état de santé est durablement incompatible avec son maintien en détention. Ces expertises sont ordonnées par le Juge de l’application des peines compétent. Le condamné ne peut pas demander une expertise contradictoire [13]. Pour pouvoir bénéficier de la suspension de la loi du 4/03/2002, deux expertises concordantes sur l’état de santé du malade doivent avoir été faites. Cependant, en cas de refus, une seule expertise est possible [14], comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 23/06/2004 [15]. En effet, si l’une des expertises conclut à l’inexistence d’un état de santé incompatible avec la détention ou au non engagement immédiat du pronostic vital, il n’est pas nécessaire de mener une seconde expertise car pour accorder cette suspension, deux expertises concordantes sont obligatoires [16]].
Ces expertises doivent revêtir plusieurs caractéristiques. Tout d’abord elles doivent être non superficielles. Un expert qui avait pratiqué une expertise en ne faisant qu’ausculter le patient et par la suite consulter son dossier médical [17], n’a pas permis à la juridiction de l’utiliser pour fonder son jugement. Cette expertise doit en outre permettre à la juridiction concernée d’apprécier la demande. La cour ne peut en effet pas se permettre d’évaluer elle seule l’état de santé d’un prévenu [18] et ce même si une expertise apparaît comme superficielle, dans ce cas elle devra demander une nouvelle expertise. Il arrive cependant que le condamné refuse de se soumettre à toutes expertises. Dans ce cas, le médecin expert désigné n’a pour tout autre choix que de consulter le dossier médical du prévenu et de rendre une expertise basée uniquement sur celle-ci [19]. Cette attitude de la part du détenu ne facilite pas l’obtention de sa suspension.
La plupart du temps il se verra opposer un refus et devra reformuler une demande.
b - Le prononcé de la décision
Le Juge de l’application des peines est saisi de la demande de suspension de peine pour raisons médicales par une requête en aménagement de peine [20]. La plupart du temps, le condamné en est à l’origine, mais il peut également s’agir de tiers lorsque le condamné refuse de faire cette demande ou s’il est dans l’incapacité de comprendre son état. Le Juge de l’application des peines statue en chambre du conseil [21] en présence du condamné (sauf dérogation possible si son état de santé ne le lui permet pas), du procureur de la république, d’un représentant de l’administration pénitentiaire et de l’avocat du condamné [22]. S’en suit un débat contradictoire, chaque partie est entendue. La décision peut être prise sans débat contradictoire si toutes les parties sont d’accord [23]. La procédure est la même devant le Tribunal de l’application des peines [24]. Pour les demandes relevant de la compétence du Juge de l’application des peines ou du Tribunal de l’application des peines de Paris exclusivement, l’avis du Juge de l’application des peines compétent en principe est pris en compte [25].
Pour prendre sa décision, le juge semble être partiellement lié aux expertises médicales [26] dans le cas d’un accord de la mesure. En effet, il ne pourra accorder une mesure de suspension de cette nature si une des expertises est négative. Cette liaison est cependant partielle car le juge garde son pouvoir de décision souverain. En effet, il peut refuser une suspension même si les deux expertises médicales concluent par exemple à l’engagement du pronostic vital du détenu dans un avenir proche. Cette mesure reste une faculté pour le juge [27]. Le Juge de l’application des peines a le pouvoir de demander des expertises [28] supplémentaires pour prendre sa décision. La plupart du temps, il s’agira d’expertises psychologiques. En cas de décision d’accord de cette suspension, sa durée n’a pas à être déterminée [29], mais elle pourra faire l’objet d’un appel et même plus tard d’une révocation.