Introduction
Nous voulons par le présent rapport attirer l’attention de tous les défenseurs des droits de l’homme et de toutes les personnes de bonne volonté sur la situation extrêmement dramatique des prisonniers d’opinion tunisiens qui croupissent injustement depuis plusieurs années dans les prisons tunisiennes, le plus souvent dans des conditions épouvantables.
La dégradation accentuée de la situation des droits de l’homme et des libertés individuelles et publiques prouve qu’il existe une dissonance croissante entre le discours officiel des responsables tunisiens en faveur des droits de l’homme et la cruelle réalité.
Il est aujourd’hui unanimement admis (journaux, organisations humanitaires, observateurs internationaux) que la Tunisie dissimule malheureusement, derrière son image touristique pleinement joyeuse, les cris des condamnés et suppliciés peuplant les prisons et geôles tunisiennes.
Dans ce cadre, l’isolement dans lequel vivent depuis des années plusieurs prisonniers politiques en Tunisie est un crime non déclaré, une mort latente, une violation extrême des droits de l’homme. Le prétexte sécuritaire des autorités est inacceptable, car rien ne légitime une telle détention. Rien ne peut expliquer que l’on interdise à un condamné de communiquer avec les autres, de lire les journaux, d’utiliser la radio ou la télévision ; bref de passer de longues années dans un petit tombeau sombre, inadapté, coupé presque totalement de la vie ordinaire des gens. La souffrance est aussi partagée par les familles qui ne jouissent d’un droit de visite que pour quelques minutes après avoir été contraintes à attendre de longues heures. L’image du détenu, amené à cette visite ; entouré par les commandos de la terreur pénitentiaire, est un choc pour ses enfants et sa famille. Le droit à la « promenade quotidienne » est violé soit par l’exiguïté des lieux ; les couloirs sont très étroits, soit par la limitation du temps, surtout lorsqu’il s’agit de plusieurs prisonniers détenus dans l’isolement, puisqu’ils n’ont pas le droit de se voir entre eux. En faisant la grève de la faim certains de ces détenus arrivent toutefois à sortir et à être seuls dans la cour principale pendant les heures de la sieste des autres détenus.
Dans la plupart des prisons (Sousse, Messadine, Monastir, Mednine, Elkef, Gafsa, Borjerroumi, etc.), aucun signe ne mentionne l’existence de tels endroits. Des chambres aménagées comme des infirmeries sont aussi utilisées pour séparer cette frange de détenus du reste des prisonniers, mais seulement après l’aggravation de leur état de santé. Toutefois le principe de séparation prime sur le droit au suivi médical. Il faut attendre que le précédent détenu quitte l’endroit pour qu’un autre y soit admis, quelle que soit la gravité de la maladie.
Ce rapport suit en détail cette souffrance oubliée. Il est le fruit de témoignages des ex- prisonniers tunisiens d’opinion qui ont trouvé le chemin de l’exil après de longues années passées dans les prisons tunisiennes, ainsi que ceux des familles des détenus. Il a pour but d’informer, de sensibiliser sur ce sujet et de briser le silence qui l’entoure, vu les efforts déployés par les autorités pour le garder au secret et leur refus de toute mission d’enquête indépendante.
L’isolement n’est pas une exception qui s’applique à quelques leaders du mouvement « En-Nahdha » mais une politique de plus en plus généralisée dont les victimes sont nombreuses et diverses.
On peut distinguer quatre catégories d’isolement pénitentiaire en Tunisie :
L’isolement durable
L’isolement prolongé par alternance
L’isolement dit « sanitaire »
L’isolement punitif
I. L’isolement durable
Les mesures prises pour cacher ce crime rendent très difficile toute collecte d’informations à ce propos. Les détenus sont mis à l’écart, coupés de tout contact par tous les moyens y compris les mauvais traitements et l’humiliation. Les autorités allèguent des raisons sécuritaires et laissent entendre qu’ils sont dangereux.
Un tel argument non-fondé ne justifie guère leur détention depuis des années dans des coulisses de mort lente, dans des cellules, sans eau ni toilettes le plus souvent où ils sont privés de toute information et de tout contact. L’impact de cet isolement sur leur santé est cruellement désastreux.
1.2 Des cas pour illustrer :
M. Ali Larayedh : né en 1955 à Medenine, marié et père de trois enfants. Leader et porte-parole du mouvement politique « Ennahdha » jusqu’à son arrestation en 1990. Depuis 1981, il a été sous la pression et le harcèlement policier. Le 23/12/1990 Ali Larayedh a été arrêté et soumis à de très fortes persécutions psychologiques, notamment :
Trucage par les services spéciaux d’une cassette vidéo portant atteinte à son honneur.
Des menaces de mort par injection de produits toxiques.
Des menaces de contamination au sida par transfusion sanguine.
Enlèvement de sa femme Ouided Lagha le 02/06/92 harcelée et abusée sexuellement dans les locaux du ministère de l’intérieur, où elle a été filmée toute nue, ce qui lui a causé une dépression nerveuse(voir rapport annuel de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), 1999)
Condamné à 15 ans de prison ferme par un tribunal militaire et à d’autres peines diverses, Ali Larayedh vit depuis son arrestation en décembre 1990 sous le régime de l’isolement total, essentiellement dans la prison civile du « 9 avril » à Tunis. Asthmatique et allergique à l’humidité, son état de santé est préoccupant et s’est aggravé par le manque, voire l’absence de soins.
Dr Sadok Chourou : Docteur professeur à la faculté de médecine de Tunis et un des leaders du mouvement « En-Nahdha ». Dr Chourou a été atrocement torturé, lors de son arrestation en 1991, dans les locaux du ministère de l’intérieur et dans les villas spécialement aménagées pour la torture (région de Nâasen Gouvernerat de Ben Arous ). D’anciens prisonniers déclarant l’avoir vu en 1998 racontent que les séquelles de torture sont toujours visibles sur lui, ce qui explique selon eux sa détention en isolement total. Il souffre d’un œdème à symptômes rares et de grandes difficultés de mouvement. Malgré son état de santé précaire, il a subi des tortures en 1998 dans la prison d’El Houareb (rapport de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) en novembre 1998).
M. Ali Zaroui : Bien qu’il ait passé en 1997 quelques semaines sous le régime de l’isolement « collectif » à la prison d’El Kef, sa détention a toujours été en forme d’isolement total ; longtemps au secret.
Pendant deux ans sa famille a été interdite de le visiter, car il faisait encore l’objet d’interrogatoires même après sa condamnation. En juin 1997, M. Zaroui a été torturé au siège du Ministère de l’Intérieur pour des faits remontant à 1987. On lui a présenté durant ces interrogatoires des enregistrements vidéo sur un entretien avec l’un de ses avocats lui demandant d’expliquer le contenu de cet entretien.
M. Mohamed El Akrout : est depuis 1991 sous le régime de l’isolement total, exceptées quelques petites périodes passées en isolement avec d’autres prisonniers d’opinion (Sahbi Attig, et Abdelkarim Al Harouni) et quelques brefs passages dans les chambres communes où on lui interdisait tout contact avec les autres prisonniers comme s’était le cas en 1993, à la prison civile de Gafsa, où il a passé dans ses geôles des longs mois de souffrance extrême. En vue de porter atteinte à son honneur et son à image de leader politique, il a été incarcéré contre son gré dans la chambre n° 7 de la prison du 9 avril à Tunis réservée aux homosexuels. Cette atteinte a été dénoncée par le Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT) comme étant une pratique qui vise à ternir l’image des opposants. Elle tombe ainsi selon le CNLT sous la définition de la torture. Sa famille contrôlée et coupée de son entourage n’a pas pu faute de moyens le visiter pendant au moins deux ans.
M. Habib Ellouz : De Borj Erroumi à El Kef puis Borj Erroumi tout en passant par la prison du 9 avril, les cellules d’isolement ont toujours été le meilleur moyen de se venger de cet homme politique. La cellule n°12 de Borj Erroumi à Bizerte l’a accueilli pendant plus de deux ans. Cette cellule, sans eau ni WC, est tellement étroite qu’on ne peut même pas y placer un lit. Il a été rejoint par l’ex-prisonnier politique Bouabdallah Bouabdallah. La présence obligatoire de quatre gardes durant les visites faisait d’elles des séances d’intimidation et d’angoisse pour sa famille. Il souffre de plusieurs maladies dont une forte baisse de l’acuité visuelle et une sensibilité aiguë aux rayons solaires à cause de sa longue détention au cachot n°12.
M. Abdallah Zouari : Les traces de la torture sur son corps, surtout au niveau de ses mains, sont toujours visibles, témoignant de la torture qu’il a subie dans les locaux de la sûreté de l’Etat et des renseignements généraux. Il souffre d’amnésie et d’une baisse de l’acuité visuelle. Sur ordre du directeur de la prison de Borj Erroumi, M. Zouari a été aussi victime d’une tentative d’abus sexuel et a subi de cruelles punitions pour avoir voulu se défendre.
M. Hedi El Ghali : est soumis régulièrement à une séance de torture à chaque convoi vers une nouvelle prison. Les longs récits sur la torture incroyable qu’il a subie lors de son arrestation en 1991 ne sont pas de la fiction car les séquelles sont toujours présentes et à jamais sur son corps (difficulté à marcher et faiblesse physique apparente). Il souffre en plus d’amnésie et d’alopécie.
M. Ajmi Lourimi : Né en 1962 à Sousse, étudiant en troisième cycle de philosophie. Un des leaders estudiantins et politiques les plus respectés en Tunisie. Déjà emprisonné en 1987, il a retrouvé le chemin de la prison en mai 1991 suite à une condamnation à perpétuité. Lors de son arrestation, la torture atroce qu’il a subi, a eu beaucoup d’écho en raison de sa durée et de son caractère ininterrompu (on lui a fait croire en utilisant des substances pharmaceutiques qu’il a perdu la vue afin de le pousser à dénoncer ses amis). Malgré son état de santé très fragile, il est soumis depuis 1991 exceptées quelques courtes périodes au régime de l’isolement individuel total.
M. Abdel Karim Al Harouni : a été condamné à perpétuité en 1991, il était depuis cette date totalement isolé notamment au secteur « E » à la prison de « 9 avril » jusqu’à 1996 puis à la prison de « Messadine » en 1997.
M. Bouraoui Makhlouf : Né en 1960 à Sousse, à été condamné à perpétuité en 1991. La torture l’a rendu hémiplégique. Son maintien en état d’isolement individuel le rend plus souffrant du fait de son handicap. Son cas prouve que la politique pénitentiaire concernant les détenus politiques ne vise en fait que leur anéantissement lent et inaperçu par toutes sortes de supplices.
La liste est longue et comprend notamment M. Lamine Zidi, M. Abdelhamid Jelassi, M. Sahbi Attig, Docteur Ahmed Labyedh, etc..
1.3 Effets de l’isolement durable
Ce type de détention a certes des conséquences néfastes :
La malnutrition : les familles privées de ressources (interdiction de travail et pénalisation de tout aide ou assistance), sont incapables de subvenir aux besoins de leurs membres. Les repas donnés sont d’une qualité médiocre ce qui est à l’origine de plusieurs maladies de l’appareil digestif largement répandues parmi les détenus, telles que l’ulcère et les maladies du colon irritable.
L’asthme et les maladies respiratoires : notamment, la dyspnée en raison de l’enfermement tout au long de la journée dans ces cachots privés de tout ou presque.
Douleurs dorsales et rhumatismales : en raison d’un manque de mobilité. Le détenu est obligé d’être allongé toute la journée dans un espace de quelques mètres avec des sensations de fatigue et de vertiges.
Des cas d’amnésie sont enregistrés parmi ces détenus, selon des informations concordantes. Sans échange avec les autres, ni informations, le monologue forcé auxquels sont astreints ces prisonniers laisse des traces psychiques (le cas de M. Sahbi Attig) et physiques apparentes, qui tombent en fait sous la définition de la torture, selon l’article premier de « la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». On entend même parler que certains détenus n’arrivent pas à se souvenir des prénoms des membres de leur propre famille.
La chute des cheveux due à l’humidité et au manque de lumière solaire.
Plus généralement, les prisonniers souffrent de faiblesse physique qui se traduit par l’incapacité de se tenir longtemps debout et d’excès de sommeil. En outre, ils connaissent l’angoisse permanente qu’occasionnent les fouilles minutieuses, les convois arbitraires, l’intimidation des familles et le contrôle des proches pour qu’ils s’abstiennent de venir en aide aux familles des prisonniers. Tout cela affecte le bien être de ces détenus. Les récits recueillis auprès de leurs familles prouvent que leur sort est accablant et témoigne de l’extrême lâcheté des autorités
II. L’isolement prolongé par alternance
Pour des motifs divers (manque des lieux par exemple) quelques détenus sont soumis à un double régime dans lequel l’isolement reste en principe la règle. Il concerne un cercle plus large de détenus politiques en Tunisie, notamment : Les prisonniers d’opinion condamnés par le tribunal militaire de Bab Saâdoun en 1992.
Différentes figures de l’opposition tunisienne. On cite à titre d’exemple :
Maître Bechir Essid qui a subi des tentatives de sévices sexuelles en 1992 et fut soumis ensuite à toutes sortes de mauvais traitements, à savoir son incarcération avec les criminels de premier rang.
M. Mohamed Mouaâda, ex-président du mouvement démocrate socialiste (MDS). Il a été condamné dans une affaire d’intelligence avec un pays étranger, la Libye, juste après la publication d’un communiqué critiquant la politique du gouvernement, fin 1995.
Docteur Moncef Ben Salem qui, tout au long de ses trois années d’emprisonnement, a été interdit de tout contact avec les autres prisonniers. Depuis sa sortie en 1993, il vit sous un contrôle administratif très ferme.
Dans ce cadre se situe encore l’isolement en petits groupes. Même groupés, les détenus sont toujours privés de la TV, de la radio, et même de stylos et de feuilles pour écrire. La situation sanitaire des chambres n’est que de peu meilleure. On y intègre aussi les détenus qui s’attachent à défendre leurs droits. Nommés « activistes », on les isole en durcissant leurs conditions de détention par toutes sortes de punitions.
2.2 Cas pour illustrer :
On peut citer à titre d’exemple :
M. Ismail Saidi : Aujourd’hui âgé de 35 ans, originaire de Tunis. Inscrit au lycée El Alaoui, il a été arrêté une première fois en 1984 à la veille de son baccalauréat, détenu trois mois, et exclu de tous les établissements scolaires. Il avait participé au mouvement lycéen de 1984 et milité au sein de l’Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE) à Alger.
M. Saidi a été arrêté une seconde fois après un retour d’Algérie où il continuait ses études, détenu trois mois au secret dans les locaux de la sûreté national connue sous le nom DST, torturé et libéré sans charges. Il a été arrêté une troisième fois, en février 1992, alors qu’il travaillait comme conseiller juridique à la banque agricole de Tunis. Détenu au secret une trentaine de jours, torturé, puis condamné à deux ans et six mois d’emprisonnement. Il a commencé sa peine à la prison du 9 avril puis transféré à Borj Erroumi à Bizerte.
Avant sa libération, il est ramené dans les locaux de la DST, interrogé, torturé, amputé d’un doigt sous la torture, transporté à l’hôpital, ramené à la DST, ré-interrogé et transporté de nouveau à l’hôpital, puis placé à la prison du 9 avril en isolement total, pendant une année. Il a été condamné en 1996 en appel à onze années d’emprisonnement. Il est transféré à Rjim Maatoug, puis à Mahdia où les conditions d’incarcération le poussent à mener une grève de la faim en protestation. Il est depuis mai 1999 détenu à la prison de Borj Er Roumi à Bizerte où il est soumis aux brimades et discriminations réservées aux prisonniers d’opinion.
M. Abdellatif El Mekki : Né en 1962, marié et père d’un enfant de 7 ans, nommé médecin une année avant son arrestation. M. El Mekki a été condamné à 16 ans de prison ferme.
L’ex-secrétaire général de L’Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE) a été violemment frappé à la prison de Borj Erroumi par le capitaine M. Zoglhlami ce qui lui a causé une perte quasi-totale de son ouïe.
M. Abderraouf Bédoui : a été condamné à 35 ans de prison ferme. M. Bédoui est l’un des quatre frères qui ont subi le même sort (M. Kamel, M. Sahbi et M. Mohamed).
M. Noureddine Gendouz : étudiant, il a été condamné à 32 ans de prison ferme.
M. Lotfi Amdouni : étudiant, il a été condamné à environ 40ans de prison.
M. Saber Hamrouni : a été condamné à l’âge de 19 ans à une peine de 20 ans.
M. Daniel Zarrouk : Enseignant, il a été condamné à 20 ans de prison, il souffre d’un ulcère et de la chute des cheveux. Il a participé ces dernières semaines à une grève de la faim.
M. Sadok Arfaoui : étudiant, il a été condamné à 29 ans de prison puis a été transféré en régime d’isolement. En lui reprochant de donner des prêches religieux aux détenus de droit commun.
M. Khémais Mahjoub : originaire de Elkram / Tunis, marié et père de famille. M. Mahjoub a été condamné à 11 ans de prison ferme.
M. Abderraouf Tounakti : originaire de Ben Arous est détenu à Harboub.
M. Kilani Ben Youssef : étudiant, il ne quitte les cellules d’isolement que pour quelques semaines ; il y est réintroduit dès qu’il demande des soins ou qu’il refuse de se soumettre à des ordres qu’il juge illégaux .
Des prisonniers politiques tunisiens extradés de la Libye et de l’Algérie sont gardés durant les premiers mois dans ces cachots afin de les tenir au secret pendant les interrogatoires :
M. Ahmed Amari : originaire de Médenine, né le 15 mars 1952 à Sidi Amor (Bouhajla), dans le gouvernerat de Kairouan. Il est marié et père de six enfants. Il a été, jusqu’au 1987, chargé de la formation au sein du bureau exécutif de l’Union Générale Tunisienne des Travailleurs (UGTT) de Médenine. Depuis 1987 il a été condamné plusieurs fois à des différentes peines dont celle énoncée par le tribunal militaire de Bab Sâadoun. En quittant la prison Ahmed Amari a vécu sous une forte pression (contrôle administratif) ce qui l’a poussé à quitter le pays vers la Libye.
Arrêté, à Tripoli, en 1997 et extradé vers la Tunisie le 17 juin 1997, il a été détenu au secret plus de deux semaines, et incarcéré le 3 juillet. Il a été condamné le 2 juin 1998 à deux ans d’emprisonnement par le tribunal pénal d’instance de Tunis, et à cinq ans d’emprisonnement le 6 mai 1999 par le tribunal de Sfax. Il a passé une année d’isolement total dans les cellules du secteur E de la prison de « 9 avril ». Ahmed Amari est actuellement détenu à la prison du 9 avril à Tunis. Déjà malade avant son incarcération, ce prisonnier est dans un état très précaire (Tension artérielle, et cholestérol), alors qu’on lui refuse même une analyse de sang qu’il attend depuis mai 1999.
Il doit être jugé pour les mêmes motifs, fin mars 2000, dans trois affaires liées à ses activités syndicales et politiques qui remontent à plus de dix ans.
M. Zine Alabidine Attia : torturé violemment au ministère de l’intérieur après son extradition de l’Algérie en 1994, a été placé sous le régime de l’isolement dans les cellules de la prison de El-Kef qu’il ne les quitte que lors des audiences ou pour le secteur E de la prison du 9 avril à Tunis. Il souffre des prémisses d’une Hémiplégie.
M. Ridha Boukadi : extradé de la Libye en décembre 1997, vit toujours dans des conditions déplorables dans les cellules de la prison du 9 avril à Tunis.
Bouabdallah Bouabdallah : ex-prisonnier, exilé en Suisse, est le témoin accablant de ce que vivent ces opposants, puisqu’il a passé 10 ans d’emprisonnement, de 1987 à 1997. Voici quelques brefs récits de son calvaire :
De 1987 à 1992, isolé à Borj Erroumi avec Fethi Jebrane, Mohamed Charrada et Fawzi Sarraj.
De 1992 à 1993, seul parmi les détenus de droit commun on lui interdit tout contact avec les autres détenus politiques.
De 1993 à 1994 : emprisonnement cellulaire à Borj Erroumi.
De 1994 à 1996 : emprisonnement cellulaire avec Habib Ellouz puis avec Ajmi Lourimi.
III. L’isolement dit « sanitaire »
Il est spécifique surtout à la prison du 9 avril. Le terme sanitaire désigne plutôt le lieu et non la qualité de détention qu’on pourrait déduire de cette appellation trompeuse.
Au-dessus du pavillon central de l’infirmerie se trouvent des petites chambres utilisées pour isoler quelques opposants, soit lorsque les cellules du secteur E sont surchargées, soit pour y mettre les nouveaux détenus qu’on aime garder au secret (surtout les extradés ) à la pleine disposition des différents corps de la sûreté intérieure pour des interrogatoires sans fin. C’est aussi un moyen pour effacer les traces de la torture.
Un groupe de travailleurs tunisiens immigrés en France (originaires de Msaken, Gouvernerat de Sousse) soupçonnés de faits qualifiés de dangereux ont occupé ces chambres d’isolement de la fin de 1994 au 24/05/1995. Il s’agit dans ce cas de prisonniers qui ne sont pas reconnus pour leurs activités ou leur engagement politique. On trouve parmi eux :
Abdelwahab Hammami : 20 ans de prison
Khalid Abdeljalil : 8 ans de prison
Habib Abdeljalil : 8 ans de prison
Khalid Sghair
Sadok Fatnassi
Un homme d’affaire, Taieb Boukadida, connu dans la région, les a rejoint pour les mêmes chefs d’accusations. Après sa première détention pendant une année et demi, il a été libéré en 1993, suite à l’absence de preuves.
Les chambres d’infirmerie dans les autres prisons accueillent quelques opposants politiques, soit pour leur état de santé aggravé, soit pour les séparer des autres détenus politiques, selon toujours la condition ferme de ne pas regrouper deux détenus politiques ensemble dans une même chambre, même si leur état de santé l’exige.
Voici quelques cas :
M. Karim Mathlouthi : a passé un an et demi à l’infirmerie de la prison de Sousse. En le transférant à la prison de Monastir, le autorités pénitentiaires ont refusé de le mettre à l’infirmerie. Il est strictement interdit selon les directives internes de l’administration pénitentiaire d’y mettre deux détenus politiques en même temps.
M. Mathlouthi souffre d’asthme avancé, et son incarcération dans la plus grande chambre n°6 de la prison de Monasatir, qui abrite environ 150 prisonniers, a aggravé son état de santé (majorité de fumeurs, saleté, humidité et manque d’aération).
M. Habib Labidi : de Mornag à Ben Arous, a été condamné à 14 ans de prison, handicapé à sa main droite. Il a été atteint de la tuberculose à la prison de Borj Erroumi, et a connu le même sort que Mathlouthi à la prison de Monastir. En septembre 97, il est soudainement envoyé vers la prison du 9 avril pour se débarrasser de ses ennuis.
En fait, c’est une pratique courante chez les directeurs des unités carcérales en Tunisie d’introduire les noms des détenus politiques malades dans les listes de convoi/transfert en mentionnant qu’ils sont des faiseurs de troubles. Ainsi on se décharge de leur responsabilité d’une part, et d’autre part, avec la mention citée, ils seront traités cruellement dans la nouvelle prison d’accueil, où leur demande de soins est marginalisée.
L’ex-prisonnier, Imed Abdelli, exilé en Suisse, nous a informé qu’il a été lui-même victime de cette discrimination. Il a été obligé de faire le tour des prisons (Messadine, Monastir, Harboub-Medenine et Gabès) d’avril 1997 à avril 1998, date de sa libération, parce qu’il avait insisté pour se faire soigner d’un début d’ulcère et d’une myopie évolutive.
On peut citer aussi les cas de : M. Mouldi Boukari : de Jendouba, a été condamné à 6ans et demi. M. Boukari a été transféré en 1997 de Messadine à Harboub puis à Mahdia sans pour autant être soigné.
M. Mohamed Haj Ali (Gabès) : incarcéré à El-Kef puis à Sousse et ensuite à Sfax uniquement pour se venger de sa détermination à se faire soigner et à avoir une assistance médicale. Le 24.05.1998, il a été libéré après 7 ans de prison ferme. Après une nuit seulement de liberté, il a retrouvé le chemin du pénitentiaire où il doit purger encore 3 ans de prison supplémentaires.
M. Fraj Eljemi : a été condamné à 41 ans de prison ferme. M. ELjemi souffre de différentes douleurs au niveau de ses articulations, de chute de cheveux et d’hépatite. Sa femme a subi de fortes pressions pour demander le divorce. C’est un cas qui nécessite une action urgente car son état de santé est alarmant.
Le cas de M. Habib Mahjoub est plus inquiétant, originaire d’Elkram à Tunis Nord. M Mahjoub, condamné à 12 ans de prison est menacé de perdre la vue, à cause de l’atteinte de la rétine (risque d’une Rétinopathie). On maltraite sa femme afin qu’elle demande le divorce. Elle passe de longues journées détenue au ministère de l’intérieur où elle subit des menaces de torture et de sévices sexuels. Les membres de sa famille et celle de son frère Khèmais Mahjoub condamné lui aussi à 11 ans de prison ferme dans une affaire politique habitent le même quartier sans pour autant pouvoir communiquer entre eux.
IV. L’isolement punitif
Décrit à l’article 16 point 7 du décret 88-1876 du 04/11/1988 relatif au règlement spécial des prisons « l’isolement dans une pièce à part répondant aux nécessités élémentaires et sanitaires et ce pour une période ne dépassant pas dix jours ».
La pratique est tout autre de ce qui est énoncé dans ce décret. La durée maximale de l’isolement dans « une pièce à part » fixée à 10 jours, excède parfois un mois. A son entrée, le détenu est déshabillé devant les agents qui l’obligent à courir, à prendre des positions humiliantes sous prétexte de le fouiller. On lui remet une tenue bleue, sale et bourrée de poux, ainsi qu’un morceau de drap que l’on lui retire parfois pendant la journée. La nourriture est composée d’un morceau de pain sec. Privés du droit de visite, ils ne peuvent recevoir le « couffin ».
A quelques exceptions près, les cellules d’isolement punitif ne sont pas équipées de WC ni d’eau. Suite aux grèves de la faim des prisonniers en 1996, l’administration a commencé à donner le repas du jour.
Les motifs de punition sont étranges et le rôle du conseil de discipline est d’entériner la décision déjà prise par le directeur ou même par un agent de garde ordinaire.
Parmi ces motifs on cite :
La transgression d’un règlement qui interdit de donner la nourriture à autrui. La simple communication entre un détenu de droit commun et un détenu politique.
Toutes sortes de dénonciation sur l’intention de faire telle ou telle chose.
Le moyen de torture le plus répandu est la « falka » : les pieds attachés à une barre et surélevées, les mains ligotées, le détenu est frappé sur les paumes des pieds avec des bâtons. Rares sont ceux qui sont passés dans ces lieux sans subir la falka.
L’administration centrale a même eu le génie de créer une cellule « spéciale-torture », par le vice-directeur M. Belhassen Kilani, au secteur « E » de la prison du 9 avril depuis le mois d’avril 1996.
Afin qu’il soit humilié devant les autres détenus et qu’il n’ose revendiquer ses droits, le détenu est déshabillé puis contraint à faire le tour des chambres du pénitencier.
C’était la pratiquecourante à Borj Erroumisurtoutsousla direction du capitaine « Zoghlami » et à la prison de Messâadine sous la directiondu lieutenant « Nabil Aidani ». Ce dernier s’amusait à faire subir aux détenus politiques ce qu’il nommait la « fête » : il ordonne à ses agents de mouiller les couloirs avec de l’eau mélangée à des produits de lessive ; les prisonniers nus sont obligés de courir dans ces couloirs recevant de tout coin les coups de matraque et les bousculades des agents bien répartis pour cette tâche. Les violentes glissades causent des fractures et provoquent des cas d’évanouissement.
Parmi les victimes de ces scènes, on cite par exemple :
M. Abdelaziz Belloumi de Bizerte qui a achevé en 1997 une peine de six ans et demi.
M. Sami Braham, enseignant, toujours détenu et cela depuis 1991. M. Brahama a beaucoup souffert de cet enfer à cause de sa faiblesse physique.
L’ex-prisonnier politique M.Imed Abdelli déclare avoir été violemment battu en décembre 1997, bien qu’il fît la grève de la faim, par le caporal Mohamed Zrelli sous l’ordre du lieutenant Hédi Zitouni à la prison de Grombalia.
M. Bouabdallah affirme de sa part que dans le cachot n°2 à Borj Erroumi on lui a attaché les poignets et les pieds au lit, alors qu’il était nu et ce pendant 3 jours. Le même sort a été réservé au ex-Lieutenant Kamel Laghmari (De Nabeul) pendant 17 jours, mais en alternance avec d’autres sortes de torture.
Dans leur grande majorité les prisonniers d’opinion ont connu l’isolement punitif.
V. Données sur les lieux d’isolement
Derrière l’intérêt accordé à améliorer la vue extérieure des prisons (jardins, monuments, drapeaux, etc.) se dissimule en fait une vérité terrifiante dont l’isolement est l’une de ses manifestations extrêmes. Des travaux d’aménagement interne de l’espace pénitencier ont permis de réserver quelques petites cours d’aération aux isolés ou d’augmenter le nombre des cellules et ce, afin d’appliquer entièrement le principe de la séparation, déjà évoqué auparavant.
Ce chapitre essaie de présenter une vue d’ensemble des endroits aménagés pour ce type de détention. Aucun signe apparent ne prouve l’existence de tels endroits à l’exception de la prison du « 9 avril » à Tunis.
Voici quelques informations à ce propos.
Pénitencier de Grombalia : (Gouvernorat de Nabeul)
Au nombre de trois, ces cellules sont comparables à des tombeaux (2.5 m sur 1.5m). Sans lumière, les détenus sont plongés dans l’obscurité quasi-totale. Une petite muraille est érigée en sorte de lit, et un coin toilette alourdit l’atmosphère de la cellule non équipée d’un robinet.
Quelques prisonniers sont contraints à subir une telle situation pendant des mois, voire des années, comme c’est le cas de M. Kilani Ben Youssef. En plus, la prison de Grombalia comprend une chambre d’isolement à quatre, qui se situe à l’intersection des deux secteurs.
Prison civile de Messâadine (Gouvernorat de Sousse).
On y trouve deux lieux d’isolement. L’un connu par la majorité des prisonniers, l’autre peu remarquable à première vue. Le premier lieu se compose de deux cellules. La première est destinée à l’isolement prolongé, la deuxième à l’isolement punitif, sans qu’il y est pour autant de différence entre les deux.
Sans eau ni WC, ces cellules ont accueilli plusieurs prisonniers politiques notamment :
M. Abdelkarim Al Harouni
M.Khemais Mahjoub
M.Abderraouf El Bedoui
M.Tarek Snoussi
Le deuxième lieu passe presque inaperçu. Une petite porte près de l’infirmerie s’ouvre et on voit apparaître un couloir de 3 m environ de longueur et une très petite cellule. C’est difficile, voire impossible, d’entrer en contact avec les malheureux occupants de ce lieu qui peuvent subir toutes sortes de mauvais traitements sans que personne ne s’en aperçoive.
La prison civile de Gafsa
Une cellule près de la chambre n°6 toujours avec les mêmes normes. La lumière n’y accède qu’à travers une petite fenêtre grillée. Le passage obligé par cette cellule n’est pas de quelques jours seulement, mais plutôt pour de longues périodes, comme ce fut le cas pour : M. Mohamed Akrout (condamné à perpétuité) : a passé plus d’un an dans cette cellule entre 1993 et 1994. M. Néjib Mrad rédacteur en Chef au journal « El Fajr » paru brièvement en 1990.
Prison civile de Gabès
L’aération est certes meilleure mais les défauts sont toujours les mêmes, à savoir l’absence d’eau et la mauvaise odeur. En 1997 y sont isolés Fethi Neji et Adel Boukriba, tous deux condamnés à 12 ans de prison. En 1998 y sont isolés : Docteur Ahmed Labyedh, M. Abdelhamid Al Madiouni, condamné à 20 ans de prison et M. Kamel Bédoui, condamné lui aussi à 9 ans de prison ferme.
Prison civile d’El Kef
Dans des bâtiments vieux de plus de 100 ans et dans une région neigeuse, le passage par les cellules de cette prison est synonyme de calvaire. Un aménagement de l’espace pénitencier a permis en 1996 de doubler le nombre des cellules.
En plus du cas de M. Ali Zaroui déjà mentionné, on peut citer les cas suivants :
M. Habib Idriss, étudiant à la faculté de « Zaitouna » et condamné à 20 ans de prison.
M. Fethi Jebrane, libéré en 1997 après 10 ans d’emprisonnement.
M. Zine El Abidine Attia
Aussi M. Mohamed Boumïza, M. Sahbi Bédoui, M. Ezzeddine Bellezzi, et M. Abdallah Benzarti.
Dans cette région neigeuse, les draps sont donnés aux détenus le soir pour être retirés le lendemain matin à 6h. Le lieutenant Fouad Mustapha, directeur de la prison, a obligé M. Zine El Abidine Attia et un autre détenu à s’allonger nus sur le sol mouillé de cette cellule pendant des heures d’où l’effet précédemment cité sur l’état de santé de M. Zine El Abidine Attia.
La prison centrale de Tunis (connue sous le nom de prison du 9 avril)
Dans cette prison l’isolement est institutionnalisé, car là il y a au moins une trentaine de cellules et divers endroits d’isolement qu’on peut diviser en trois catégories :
Les cellules réservées aux condamnés à la peine de mort : sont au nombre de trois. De grandes mesures de sécurité sont prises et on procède à leur changement dès qu’elles deviennent connues par les autres détenus.
Les cellules de punition (nombres impairs) : auxquelles s’ajoute la chambre n°17 annexée à ce secteur pour abriter le grand nombre de détenus, lors des grands procès politiques.
Les cellules d’isolement proprement dites (nombres pairs), dans l’ancien et le nouveau secteur sont au nombre de 10. Elle sont détachées du secteur « F » en 1995/1996 pour subvenir au besoin incessant de garder un plus grand nombre de détenus, sous prétexte du danger qu’ils présentent pour l’ordre pénitencier. On peut en ajouter encore les chambres dites d’infirmerie précédemment citées.
Une chambre du secteur « F », abritant les policiers condamnés à des peines de droit commun, est utilisée comme un lieu d’interrogatoire et de contrôle permanent de certaines figures de l’opposition tel que M. Khémaïs Chammari.
La chambre n °4 du pavillon, réservé aux toxicomanes (D annexe), est prévue pour huit détenus seulement. Pourtant, elle a accueilli, en plein été 1997, vingt-quatre prisonniers politiques. Le cas de M. Salah El Abdi, M. Youssef Jouili et de M. Ramzi Khalsi.
Prison civile de Borj Erroumi
Sur une surface de 30m sur 6m, douze cellules, quelques-unes sans WC, les autres avec simplement des trous, mais toutes sans eau. Chaque détenu, qu’il soit là pour quelques jours ou pour des années, utilise des bouteilles en plastique ou des seaux pour garder l’eau. Le sol est humide dans ces cellules sombres et petites. La plus connue, c’est la cellule n°2, utilisée pour la torture : le détenu nu est attaché à un lit par les poignets et les pieds, ou mis face au mur. Il est, ainsi, exposé à toutes sortes d’interventions ; coups et insultes. Sans oublier l’attaque du froid glacial dans cette région montagneuse.
Parmi les victimes de ce calvaire, on cite, M. Bouabdallah Bouabdallah, M. Kamel Laghmari, M. Mohamed Charada, M. Samir Dilou, M. Fethi Jebrane et M. Abdellatif El Mekki.