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Lyon : Travaux de la Commission extra-municipale du Respect des Droits

1 Introduction

Mise en ligne : 24 avril 2005

Texte de l'article :

 I - Introduction
 
 
La Commission du Respect des Droits "hors les murs" pour rencontrer les prisons de Lyon
 
En abordant la question des prisons, la Commission extra-municipale du Respect des Droits rejoint l’actualité. En effet :
 Les prisons de Lyon connaissent en 1999 un taux de suicides anormalement élevé.
 Le médecin chef de la prison de la Santé publie un livre témoignage qui déclenche des réactions dans l’opinion publique et le monde politique.
 Les députés dans leur ensemble décident de la mise en place d’une commission parlementaire d’enquête.
 Les médias se font l’écho, sous des formes diverses, du débat qui s’ouvre.
 La perspective de la construction d’une nouvelle prison à Lyon fait l’objet de rumeurs et de spéculations, sans pour autant que le dossier ne soit véritablement ouvert.
 
 La Commission du Respect des Droits programme dans le premier trimestre 2000 deux rencontres avec des témoins sur le thème de l’emprisonnement. Elle décide aussi pour la première fois d’une démarche de connaissance sur le "terrain". Deux visites des prisons Saint Paul et Saint Joseph sont organisées. Une démarche identique est mise en place pour les élus de Lyon. Ils seront 80 volontaires (sur 220 élus). La prison de Montluc, prison des femmes devrait faire l’objet d’une démarche similaire. Elle n’a pas été possible pour l’instant.
 
 Le présent rapport a pour objet de rendre compte de l’ensemble de ce travail. La Commission, et tous ceux qui ont participé à cette démarche, souhaitent de cette façon contribuer à la réflexion qui doit se poursuivre afin de donner à la prison sa place dans la Ville.
 
 Il ne s’agit pas d’un rapport d’enquête rédigé par des spécialistes de la question pénitentiaire. Il faut y lire simplement les réflexions et le résultat de recherches de membres d’associations très diverses et d’élus engagés dans la vie de la cité. Leur seule ambition est d’assumer un rôle de citoyen dans un débat dont les enjeux concernent l’ensemble de la communauté lyonnaise et nationale.

 "Toute personne soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement est traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine".
 (Ensemble des principes pour la protection de toutes personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. Nations Unies, 1988. Principe premier).

 La France et ses prisons, un rapport chaotique
 
 Le rapport de la "Patrie des Droits de l’Homme" à son système pénitentiaire est marqué de multiples soubresauts aux cours des derniers siècles. Le sens de la peine infligée, les fluctuations de la démographie carcérale, le contexte politique et historique, les contraintes budgétaires, autant de motifs pour des décisions qui s’additionnent, s’annulent ou se contredisent.
 
 Plus près de nous, la réforme de 1945 semble ouvrir une ère moderne. L’idée sur laquelle repose la réforme est celle d’une fonction "d’amendement et de reclassement du condamné" dans le cadre d’un traitement "humain, exempt de vexations" et tendant, pour le prisonnier, "à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration". Las, l’histoire des années soixante viendra battre en brèche les principes de progrès esquissés par cette réforme. Dans la première moitié de la décennie soixante-dix, notre système pénitentiaire subira le contre-choc du décalage entre les moyens déployés et les objectifs poursuivis. Le 10 août 1974, le Président de la République, en visite dans les prisons de Lyon, déclare : “Les problèmes pénitentiaires ont commencé à être traités avec méthode et la réforme sera menée à son terme”.
 
 Certes les réformes se succèdent en 1972 et 1975. Le régime de sûreté, créé en 1978, fait l’objet d’aménagement en 1981, 1983, 1986 et 1994. Le parloir sans séparation est instauré en 1983, la télévision est introduite dans les cellules et l’obligation de travail supprimée en 1987. Cependant, malgré la continuité des mesures prises, quelles que soient les orientations des gouvernements successifs, ces modifications ne constituent pas une réforme d’ensemble et sur le fond du régime carcéral.
 
 L’augmentation numérique de la population carcérale, qui constitue à elle seule un indice d’alerte, ne suffit pas à susciter un mouvement d’opinion porteur d’idées nouvelles. La détresse des personnels n’est pas relayée par les médias. Le débat sur les prisons ne passe que difficilement les murs des lieux et instances spécialisés.
 
 L’actualité du début de l’année 2000 risque aussi de n’être que feu de paille si les attentes de l’intérieur (personnels et détenus) ne trouvent pas un écho dans le monde politique et la société civile dans son ensemble. La prise de conscience qui se fait jour et trouve une traduction dans la multiplication des visites et rapports, doit être alimentée et produire des effets dans les dispositifs permanents de connaissance et de réflexion.
 
 Il y a dans la revitalisation des Commissions de surveillance des prisons, dans les travaux des Commissions parlementaires, dans le travail des associations et dans les groupes de réflexion des élus, notamment, des enjeux de très grande importance.
 
 Quelques chiffres au niveau national :
 
 Au 1er décembre 1999, le taux moyen d’occupation des prisons françaises est de 119 % (statistique mensuelle de la population détenue - ministère de la Justice). 51 % des établissements pénitentiaires ont une densité de population supérieure à 100 %, soit : 
31 % entre 100 et 150 %
13 % entre 150 et 200 %
7 % supérieure à 200 %
 
Parmi les établissements les plus surpeuplés de France, citons la Maison d’arrêt de Béziers : 254 % d’occupation) et celle de Perpignan (167,6 %).
 
 Le nombre total de places dans les établissements pénitentiaires est passé de 36.615 au 1er janvier 1990 à 49.593 au 1er juillet 1999.
 
 Elles se décomposent comme suit :
 
 Selon le ministère de la Justice (3 février 2000), le parc pénitentiaire français compte aujourd’hui 32.000 cellules.

Si une personne est soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, il ne peut être admis à son égard aucune restriction ou dérogation aux droits de l’homme reconnus ou en vigueur (...). (Ensemble des principes pour la protection de toutes personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. Nations Unies, 1988. Principe 3).

 Les prisons de Lyon interrogent la Cité
 
 Les prisons de Lyon nous interpellent. La vétusté reconnue, le manque de personnel éducatif, posent, à juste titre, un problème. Le nombre important de suicides chez les détenus inquiète. L’absentéisme endémique parmi les membres du personnel est le signe d’un mal-être évident.
 
 Le regard extérieur des membres de la Commission se heurte à l’opacité d’un système peu habitué à la transparence. Pourtant, au-delà des règles de sécurité indispensables, la mise en œuvre d’objectifs de réinsertion des condamnés au terme de la peine nécessite un échange avec le corps social. 
 
Délinquants et victimes, parents, acteurs de la vie sociale, personnel pénitentiaire, tous appartiennent et forment la société, c’est-à-dire l’ensemble des intérêts communs. La société doit assumer son système pénitentiaire, comme la prison doit se laisser questionner par la société qui la porte.
 
 L’absence de lien se fait particulièrement sentir dans les périodes de crise et face aux dysfonctionnements. Lorsque les parents de détenus décédés (par mort naturelle ou par suicide) réclament une structure de dialogue, ils sont porteurs d’une demande légitime. Rien, sinon l’absence de moyens, n’interdit sa satisfaction. Elle serait la manifestation d’un souci de transparence qui permettrait d’éviter le développement de fantasmes ou de préjugés.
 
 Montrer que l’Administration pénitentiaire est un maillon de notre système de respect des droits participe de la dignité des personnels. Et si "bavures" il y a, elles seront connues et condamnées justement.
 
 En ce sens la loi du 12 avril 2000 qui devrait permettre l’accès de l’avocat au prétoire, constitue une avancée, tant pour les droits des détenus que pour une juste appréciation de l’action des personnels et de ses difficultés.
 
 Il ne suffit pas de rappeler que les droits s’accompagnent de devoirs, encore faut-il le démontrer. Le meilleur moyen pour ce faire est de placer les uns en face des autres, dans un cadre réellement contradictoire.
 
 La commission a pris conscience au fil de sa réflexion de la nécessité d’une approche globale. Ainsi, il n’est pas possible de réfléchir à l’incarcération des personnes sans observer la marche de la justice. Les tribunaux, par leurs décisions, ne sont-ils pas aussi le reflet des interrogations et des angoisses de la société face à ses déviants ?
 
 La réflexion sur la peine qui doit être infligée aux délinquants prend, dans notre pays comme dans l’ensemble de l’espace européen, une dimension nouvelle. Différentes peines alternatives sont étudiées, les moyens de les mettre réellement en œuvre restent à trouver.

La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.
 (Article VIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789)

Punir et/ou réhabiliter : un débat toujours d’actualité
 
 La question que la prison pose à la société ne se résume pas à l’aménagement et à l’amélioration des conditions de détention. Elle ne peut non plus être réduite au débat concernant les moyens nécessaires à l’augmentation du nombre des places et à la création de prisons nouvelles.
 
 Ce constat ne donne pas à ces questions une moindre valeur.
 
 Les visites effectuées dans les prisons de Lyon montrent à l’évidence que les progrès à faire pour une réelle mise en œuvre des principes fondamentaux de respect des droits de l’homme tels que les fixent les conventions internationales, le droit interne et les traditions républicaines, sont d’une actualité brûlante.
 
 Le présent rapport s’attachera à en rendre compte.
 
 De même la situation présente qui est caractérisée par un nombre croissant de détenus et une sur-occupation permanente oblige à un examen précis des capacités d’accueil des établissements et, partant, de l’opportunité de créations nouvelles.
 
 Cependant, en amont et au cœur de ce questionnement, une interrogation centrale : comment et qui punir ?
 
 La société a besoin de marquer sa réprobation lorsqu’un de ses membres contrevient aux règles de respect d’autrui et de ses biens. Elle doit pouvoir se protéger des comportements qui mettent en danger le bien public et la sécurité des personnes. Les victimes, enfin, doivent pouvoir obtenir réparation des préjudices subis. Le souci de protection s’accompagne de la nécessité d’obtenir de la part du délinquant l’amendement qui lui permettra de reprendre sa place au sein de la collectivité. Par conséquent l’objectif de réinsertion sociale doit être inscrit dans la peine prononcée.
 
 Il s’agit là d’une problématique qui apparaît dès la Révolution française. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, parle de peines "strictement et évidemment nécessaires". L’ensemble des améliorations apportées s’oriente dans ce sens, sans pour autant régler la question. En effet, il s’agit bien d’aller au-delà des aménagements de peines, vers une modernisation du système pénal, c’est-à-dire pour son adaptation à la réalité sociale.
 
 Est-il utile de rappeler que l’évolution de la société (transformation urbaine, permanence de nouvelles formes de misères économiques et sociales, émergence de nouvelles technologies, évolution de la délinquance financière) en même temps que le développement des sciences humaines et l’inscription dans le droit français de principes issus des dispositions internationales ou européennes, rendent nécessaire une révision de l’approche hexagonale. Cette question concerne l’ensemble du corps social.
 
 Les différentes dispositions qui visent à un aménagement des peines ont pour objectif la réinsertion sociale. Elles s’appliquent suivant la nature de la condamnation prononcée et en fonction des caractéristiques propres à l’individu concerné. Pour beaucoup de citoyens elles sont perçues comme des mesures apparentées à la grâce accordée au condamné, au risque d’oublier leur caractère de contrainte et leur lien avec la finalité qui les fonde. De ce point de vue, une information claire est indispensable.
 
 L’aménagement des peines sous différentes formes concerne le détenu, mais aussi le condamné maintenu en liberté. Ainsi le détenu peut être placé sous un régime de suspension ou de fractionnement de la peine, en placement extérieur ou encore bénéficier de permission de sortie. Ces trois régimes différents ont un sens parce qu’ils concourent au retour dans la société dans de meilleures conditions. La liberté conditionnelle peut être accordée après qu’une partie de la peine (la moitié) ait été effectuée. Il en est de même pour le sursis avec mise à l’épreuve applicable lorsque la peine prononcée n’excède pas cinq ans. Enfin la peine prononcée peut être assortie du sursis.
 
 Depuis quelques années le sursis avec l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général prend la forme d’une peine de substitution, alternative à l’emprisonnement.
 
 L’amende pécuniaire est une condamnation qui accompagne ou remplace l’incarcération. La privation du permis de conduire ou de tout autre permis est une forme de punition qui est infligée pour certains délits.
 
 Il est à noter qu’il existe le contrôle judiciaire (avec certaines obligations qui constituent une alternative à la détention provisoire).
 
 Enfin, la privation totale ou partielle des droits civils, civiques ou familiaux, et l’interdiction ou l’obligation de séjour, sont des peines complémentaires ou alternatives (art. 131 du Code Pénal).
 
 Les chiffres publiés par le Ministère de la Justice précisent le nombre de peines annuelles.
 
 Au cours de l’année 1999, ont été prononcées :
 
 Peines de substitution :
 
 Parmi les peines alternatives, les peines qui obligent à un travail d’intérêt général - dites de substitution - sont relativement peu nombreuses au regard des peines d’emprisonnement : 
 
 Les peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont :
 1° L’emprisonnement
 2° L’amende
 3° Le jour amende
 4° Le travail d’intérêt général
 5° Les peines privatives ou restrictives des droits prévues à l’article 131,6
 6° Les peines complémentaires prévues à l’article 131,10.
 Article 131-1 du Code Pénal
 
Ailleurs...
 
 Il nous a paru intéressant de regarder la situation dans d’autres pays de l’Union Européenne ou d’ailleurs.
 
 Aux Pays-Bas, l’équilibre entre les peines est bien différent. Chaque année 25 000 peines de prisons ou amendes sont prononcées et dans le même temps les mesures prévoyant un travail d’intérêt général concernent 18 000 prononcés.
 
 En Allemagne, le débat ouvert en 1992 sur les peines alternatives a donné naissance à une commission d’enquête à l’initiative du Ministre de la Justice qui a rendu public son rapport le 30 mars 2000. L’enjeu de ce travail sur la "réforme du système de sanction pénale" est la modernisation d’un système issu du XIXème siècle. Il s’agit de promouvoir la réparation des délits et l’amélioration du délinquant. Les experts proposent une recherche pour la mise en place de peines de substitution qui permettent à la justice de sortir du paradoxe d’une attitude trop dure et trop laxiste à la fois : d’un côté l’explosion de la population carcérale, de l’autre un ensemble de petits délits qui restent impunis.
 
 En ce sens l’évolution de la pensée en Europe diffère de celle qui prévaut outre-Atlantique, où les Etats-Unis poursuivent une évolution ultra libérale dont l’objectif est de mettre la société à l’abri des délinquants. Avec pour résultat un nombre record de prisonniers et la stigmatisation de classes sociales, de quartiers ethniques, suivant des normes étrangères au concept français et européen d’égalité des citoyens devant la justice. Il est vrai que ce système repose également sur un déséquilibre budgétaire de plus en plus grand au détriment de l’action sociale dans son ensemble.
 
 En vigueur au Québec depuis le 3 septembre 1996, la condamnation à l’emprisonnement avec sursis, communément appelé l’ordonnance de sursis, est une nouvelle peine au Code criminel qui fait en sorte qu’un plus grand nombre de personnes ayant perpétré des infractions moins graves purgeront leur peine d’emprisonnement au sein de la collectivité en étant assujetties à des contrôles stricts.
 
 En purgeant sa sentence dans la communauté, le contrevenant peut continuer à assumer ses obligations à l’égard des siens, poursuivre ses études ou conserver son emploi. De plus, cette sentence lui donne l’occasion de démontrer qu’il est capable de fonctionner correctement dans la société, de se responsabiliser face à sa conduite. 

En visitant les prisons de Lyon, pour la première fois pour un grand nombre d’entre eux, les membres de la commission se sont, dans leur majorité, posé la question de l’efficacité, en terme de réhabilitation, de l’enfermement dans ces conditions. Mais il n’est pas inutile d’aller au-delà et de s’interroger sur le sens de la prison comme forme principale de condamnation.

Le débat sur le bracelet électronique, dans le cadre de la mise en place de peines alternatives, ne peut être réglé sans véritable réflexion. Un article publié en juillet 1998 dans le Monde diplomatique en rend compte.

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