CHAPITRE I :
LA RÉINSERTION SOCIOPROFESSIONNELLE DES
DÉTENUS : UNE PRÉOCCUPATION RÉCENTE ET
IMPÉRATIVE
I - UNE PRÉOCCUPATION RELATIVEMENT RÉCENTE DE LA POLITIQUE PÉNITENTIAIRE
A l’exception notable de l’immédiat après-guerre avec la mise en œuvre de la réforme « Amor », la politique pénitentiaire est historiquement axée sur la mission de garde des détenus (A). A côté de cette mission première, la mission d’insertion va progressivement s’imposer (B).
A - UNE POLITIQUE PÉNITENTIAIRE HISTORIQUEMENT AXÉE SUR LA SÉCURITÉ
La question de la prédominance des impératifs de sécurité renvoie aux
missions assignées à la prison et, principalement à celle, primordiale, d’assurer la
garde des personnes placées en détention. La mission de garde est clairement
conçue par les textes législatifs comme prioritaire.
1. La réforme pénitentiaire initiée au lendemain de la seconde guerre
mondiale1
Dès la fin de l’année 1944, Paul Amor, premier directeur de
l’administration pénitentiaire de l’après-guerre, constitua une commission de
réforme dont les travaux permirent d’établir, en mai 1945, un programme de
quatorze règles d’action pénitentiaire, inspirées de la philosophie positiviste et
imprégnées de la doctrine de la Défense sociale nouvelle2, situant, dans
l’amendement et le reclassement social du délinquant, le but principal du
traitement pénal. Cette réforme s’inscrit dans le contexte progressiste de la
Libération, en rupture avec les pratiques des années noires de l’Occupation et les
conditions difficiles de détention subies dans les prisons françaises par des
figures de la Résistance.
1 Rapport et avis du Conseil économique et social régional de Basse-Normandie, L’univers carcéral
en Basse-Normandie : de la privation de liberté à l’insertion sociale et professionnelle, octobre
2003, pp.16-24 dont de larges extraits sont ici repris.
2 La doctrine de la Défense sociale nouvelle s’inspire des grands courants humanistes avec
l’affirmation des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la tradition chrétienne de la charité et
de la rédemption. Elle considère que la peine d’emprisonnement doit permettre au condamné de
s’amender et de se réinsérer socialement.
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Dans le même esprit que la réponse donnée au problème de l’enfance
délinquante à travers l’ordonnance du 2 février 1945, affirmant une spécificité du
traitement des mineurs et conférant à la mesure éducative le caractère de la règle,
à la sanction celui de l’exception, une partie des principes essentiels de la
politique pénitentiaire, dégagés par la réforme « Amor » valables aujourd’hui
encore, allaient trouver, jusqu’au début des années 1960, un écho conséquent
dans les faits.
C’est ainsi que la répartition des condamnés à une peine supérieure à un an,
selon « le sexe, la personnalité et le degré de perversion du délinquant »
commença à s’opérer vers des établissements en voie de spécialisation, et fut
confortée par la création en 1950 à Fresnes du Centre national d’observation
(CNO). Durant cette période, inaugurant l’intervention en détention des
personnels sociaux et médicaux, le travail obligatoire pour les condamnés de
droit commun et la formation professionnelle, considérés comme des conditions
essentielles à l’amendement et au reclassement social, connurent également un
développement significatif.
Puis, l’individualisation et l’aménagement des peines progressèrent de
manière importante avec l’institution des permissions de sortir et de la
semi-liberté, la création des Centres de probation et d’assistance aux libérés
(CPAL), chargés du suivi post-pénal des détenus libérés ou bénéficiant d’un
aménagement de peine (sursis avec mise à l’épreuve, libération
conditionnelle...). En 1958, la même année que le vote du code de procédure
pénale (remplaçant le code d’instruction criminelle de 1808), le juge de
l’application des peines et le sursis avec mise à l’épreuve sont institués.
Enfin, l’intérêt de la mise en place d’une formation technique à l’attention
des personnels de l’administration pénitentiaire se traduisit par la création de
l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), à Fleury-Mérogis.
À côté de ces réalisations concluantes, d’autres recommandations énoncées
par la Commission « Amor » ne parvinrent pas à s’imposer réellement. Le
principe de l’isolement cellulaire de jour comme de nuit préconisé, au sein des
maisons d’arrêt, dans le cadre des détentions préventives et des peines inférieures
à un an ne fut pas suivi d’effet. Le régime progressif destiné à adapter, dans les
centrales, le traitement des détenus à l’attitude et au degré d’amendement de ces
derniers, selon une échelle allant de l’encellulement à la semi-liberté, ne fut
expérimenté que dans huit établissements pénitentiaires.
En fait, la guerre d’Algérie et l’incarcération des militants du Front de
libération nationale (FLN), les actions de modération budgétaire découlant de ce
contexte socio-politique difficile, ou encore les réticences des personnels
pénitentiaires furent autant de causes justifiant le retard ou l’échec d’une partie
de la réforme pénitentiaire initiée aux lendemains de la seconde guerre mondiale.
9
Dans un contexte de renforcement des préoccupations sécuritaires,
l’augmentation du nombre d’individus incarcérés, (près de 20 000 en 1954-1956
à environ 34 000 en 1968), a conduit à la construction de onze nouveaux
établissements pénitentiaires de 1962 à 1973, parmi lesquels Fleury-Mérogis, la
plus grande prison d’Europe, accueillant, dès 1967, 4 000 détenus derrière ses
murs. Hommes, femmes et mineurs détenus sont en fait répartis au sein de trois
structures distinctes : maison d’arrêt des hommes, maison d’arrêt des femmes,
centre des jeunes détenus.
2. Les oscillations de la politique pénale dans les années 70 à 90
Comme l’a souligné le démographe et chercheur au CNRS Pierre-Victor
Tournier, « Tout au long de cette période 1970-1990, on peut donc constater une
discontinuité certaine des politiques pénales. Sont toutefois constamment
affichés le souci de lutter contre la détention avant jugement et celui de l’éviter
pour les courtes peines. »3
Du fait notamment de la distorsion de plus en plus accentuée entre les
aspirations émancipatrices du mouvement social de 1968 et les rigidités de
l’univers carcéral, la première moitié des années 1970 allait être émaillée d’une
longue série d’émeutes et de mutineries perpétrées par les détenus dans une
quarantaine de prisons françaises, coûtant la vie à certains d’entre eux comme à
certains membres du personnel de surveillance et à une infirmière.
L’impérieuse nécessité d’engager un mouvement de libéralisation des
conditions de détention s’imposa de ce fait. L’année 1975 allait donc inscrire
dans son histoire la seconde grande réforme pénitentiaire du XXème siècle,
consacrant une amélioration notable de la vie quotidienne des détenus ainsi que
l’adoption de mesures orientées vers la réinsertion sociale de ces derniers.
Le décret du 23 mai 1975 instaura une diversification des régimes de
détention des établissements pour peine en lieu et place du régime progressif.
Dorénavant, l’affectation des condamnés purgeant une peine supérieure à un an,
selon leur dangerosité et leur disposition à la réadaptation sociale, s’effectue
alors soit dans un Centre de détention (CD), type d’établissement nouvellement
créé, orienté vers la réinsertion sociale et doté d’une surveillance allégée, soit
dans une Maison centrale (MC) axée sur une gestion du temps d’incarcération
nettement plus sécuritaire. La mise en place de Quartiers de haute sécurité (QHS)
au sein des Maisons d’arrêt (MA) permit également de séparer les individus les
plus dangereux des autres prévenus et condamnés.
Dans le même temps, le vécu carcéral a connu des assouplissements au
travers de mesures telles que l’introduction des journaux et de la radio,
l’autorisation de fumer, la suppression de la règle du silence de rigueur depuis
1839, le retrait, dans le code de procédure pénale, de la référence faite au régime
disciplinaire astreignant les punis à n’absorber trois jours par semaine que de la
soupe, du pain et de l’eau... Les détenus de France purent en outre faire valoir
3 Claude Faugeron et Pierre-Victor Tournier, La crise des prisons françaises, Regards sur
l’actualité, juillet-août 1990.
10
leurs droits nouvellement reconnus quant au vote, au mariage, à la
correspondance illimitée (pour les condamnés), à une apparence physique de leur
choix en arborant barbe, moustache, cheveux longs... (sauf pour les prévenus).
Enfin, la loi du 11 juillet 1975, instituant une série de peines privatives ou
restrictives de droit, jeta les bases d’une politique pénale inédite assurant la
promotion de peines alternatives à la privation de liberté, dans le respect du
principe de personnalisation et d’individualisation de la sanction.
Mais la fin des années 1970 allait connaître une nouvelle phase de
durcissement à travers la légalisation en 1978 de l’application d’une période de
sûreté à certaines condamnations pour des faits très graves, ayant pour
conséquence de geler, durant son temps d’effet, toute possibilité d’aménagement
de peine. La loi dite « sécurité et liberté », mettant l’accent sur une catégorie
d’infractions « de violence » soumises à un régime juridique particulier et plus
répressif, s’inscrivit également, au début de l’année 1981, dans cette continuité
que vint finalement stopper la loi du 9 octobre 1981 signant l’abolition en France
de la peine capitale et faisant corrélativement de la peine privative de liberté la
clé de voûte du système pénal de notre pays.
Suivant en cela un mouvement de balancier, caractéristique de notre
politique pénale, une ère de libéralisation et d’ouverture de la prison sur
l’extérieur devait permettre, au cours des deux dernières décennies du XXème
siècle, la réalisation de réformes essentielles axées sur une plus grande
humanisation du vécu carcéral et sur une définition et une répartition plus
modernes des missions nécessairement induites par la prise en charge de
personnes privées de liberté. Ainsi en 1983, année de la création de la peine de
Travail d’intérêt général (TIG) comme alternative à l’emprisonnement de la
petite délinquance, la suppression du costume pénal, la généralisation des
parloirs-familles sans dispositif de séparation, de même que l’introduction, deux
ans plus tard, des postes de télévision au sein des cellules, marquèrent ensemble
une évolution notable et positive de la condition pénitentiaire.
Puis le milieu des années 1980 mena à une meilleure structuration des
services socio-éducatifs en milieu fermé et à une réforme des CPAL à
l’extérieur ; il fut également le temps de la création des Services
médico-psychologiques régionaux (SMPR), antennes du secteur psychiatrique en
milieu carcéral, et de l’adoption des premiers protocoles d’accord avec le
ministère de la Jeunesse et des sports et de la culture destinés à développer et
améliorer les activités socio-éducatives, culturelles et sportives proposées aux
publics incarcérés.
Néanmoins, les conséquences de la surpopulation carcérale dans les
maisons d’arrêt générant de nouvelles émeutes de détenus, au printemps 1985,
associées à un malaise grandissant chez les personnels pénitentiaires, lié aux
mutations en cours, incitèrent le législateur à poser, de manière précise, par la loi
du 22 juin 1987, la nature et l’étendue des missions dévolues au service public
pénitentiaire.
11
Dans le même temps, l’obligation faite aux détenus de travailler se trouva
supprimée ce dont avait convenu notre Assemblée dans un avis rendu le
9 décembre 19874. Les antennes de luttes contre la toxicomanie commencèrent à
s’organiser au sein des détentions. L’engagement d’une nouvelle étape de
construction d’établissements pénitentiaires se concrétisa avec le lancement du
« programme 13 000 », prévoyant l’édification de 25 nouveaux établissements,
d’une capacité totale de 12 824 places, appelés pour une partie d’entre eux, dans
le cadre d’une gestion mixte, à déléguer au secteur privé les missions non
« régaliennes » : la santé, la restauration, l’hôtellerie, la cantine, la maintenance,
le transport, le nettoyage, la formation professionnelle et le travail pénitentiaire.
La loi du 9 juillet 1989 développe, entre autres, le recours aux enquêtes
sociales rapides ; elle renforce l’obligation de motiver une décision de détention
avant jugement ; elle impose des délais de détention provisoire plus brefs, surtout
pour les mineurs ; elle réduit les délais de probation ; elle permet dans certains
cas d’ajourner le prononcé de la peine...
Il faut rappeler qu’une autre réforme d’envergure contribuant à améliorer
un aspect important du vécu carcéral avait été entreprise en 1994 par le transfert
des soins médicaux du ministère de la Justice à celui de la Santé en vertu de la loi
du 18 janvier 1994.
3. A partir de l’année 2000, la condition pénitentiaire sur le devant de
la scène publique
Rien ne laissait alors présager de la déferlante médiatique qui, faisant écho
au carnet de bord de Véronique Vasseur publié au début de l’année 2000 sous le
titre « Médecin chef à la prison de la Santé », allait ramener brutalement à la
conscience de l’opinion publique les réalités difficiles d’un univers carcéral en
quête de légitimité sociale.
Prenant acte de l’émotion considérable suscitée par le contenu de cet
ouvrage, au sein du pays, le Sénat puis l’Assemblée nationale constituèrent
respectivement, au mois de février 2000, une commission d’enquête, destinées
l’une et l’autre, à étudier l’état des conditions de détention dans les prisons
françaises. Sénateurs et députés se succédèrent alors de février à juin 2000 au
sein des établissements de détention, portant intérêt à l’état des lieux, aux
conditions d’incarcération, aux questions de santé, de travail, à l’usage de la
détention provisoire, aux conditions de la réinsertion sociale, à la situation des
personnels pénitentiaires, tout en réfléchissant aux solutions alternatives à la
privation de liberté.
Au terme de cinq mois d’investigations et auditions, les conclusions
rendues de part et d’autre furent accablantes, et constituèrent un véritable
réquisitoire sur des réalités difficilement acceptables dans la France du XXIème
siècle.
4 Rapport et avis sur « Travail et prisons », présenté par Jean Talandier, au nom de la section du
Travail du Conseil économique et social le 9 décembre 1987.
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Avant que les réflexions et les recommandations parlementaires ne soient
rendues publiques, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d’innocence et les droits des victimes devait entraîner des évolutions
importantes en matière de recours à la détention provisoire et d’exercice de
l’application des peines. Outre le fait de soumettre désormais les verdicts des
cours d’assises à un droit d’appel et d’instituer un nouveau juge des libertés et de
la détention statuant avec le juge d’instruction sur l’opportunité d’incarcérer un
suspect, cette loi a restreint les possibilités dans lesquelles un placement en
détention provisoire pouvait être ordonné et en a réduit les délais.
Les règles relatives aux décisions de libération conditionnelle, de
suspension et fractionnement de peine, de placement à l’extérieur ou en
semi-liberté ou encore sous surveillance électronique se sont trouvées quant à
elles profondément remodelées. Le juge de l’application des peines a été reconnu
comme l’autorité compétente pour statuer, dans le cadre d’un débat
contradictoire, sur les demandes d’aménagement de peine, formulées par les
détenus condamnés. Le pouvoir d’octroyer la libération conditionnelle lui a été
consenti s’agissant des mandants condamnés à une peine allant jusqu’à 10 ans
d’emprisonnement ou ayant à effectuer un reliquat de trois ans et moins.
Enfin la loi du 15 juin 2000 a institué les nouvelles juridictions régionales
de la libération conditionnelle (JRLC), composées d’un représentant du parquet,
d’un magistrat du siège et du juge de l’application des peines, et destinées à
connaître les demandes d’admission à la libération conditionnelle exprimées par
des détenus condamnés à plus de 10 ans de réclusion.
Dans ce contexte de prise de conscience et de mouvement de réforme, la
nécessité d’élaborer une loi pénitentiaire, soulignée tant par le rapport Canivet
(mars 2000)5 que par celui de l’Assemblée nationale (juin 2000)6 s’est traduite
par la mise en place, au printemps 2001, d’un comité d’orientation stratégique
constitué d’une trentaine d’experts de la question pénitentiaire, chargés de
conseiller la Garde des sceaux sur la rédaction de la loi d’orientation
pénitentiaire. Les travaux de réflexion lancés, l’actualité devait connaître en mai
2001, une inquiétante tentative d’évasion avec prise d’otage de surveillants
pénitentiaires à la maison d’arrêt de Fresnes, légitimant un nouvel
infléchissement sécuritaire et la remise à la ministre de la Justice, en juin 2001,
du rapport Chauvet relatif à la sécurité des établissements pénitentiaires et des
personnels.
Mais, le climat pré-électoral de la campagne présidentielle de 2002,
considérablement imprégné de préoccupations sécuritaires fortement médiatisées,
a amené les Pouvoirs publics à différer l’examen par le parlement du projet de loi
pénitentiaire préparé par la ministre de la Justice de l’époque. Certaines
dispositions prévues en son sein devaient néanmoins se trouver légalisées avant
le verdict des urnes, lors des élections présidentielles puis législatives au
5 Amélioration du contrôle externe des établissements pénitentiaires, rapport de la Commission
présidée par Guy Canivet, La Documentation française, juillet 2000.
6 Rapport au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation des prisons
françaises, La France face à ses prisons, M. Jacques Floch rapporteur, n°2521, 2000.
13
printemps 2002. Ainsi, certaines dispositions de la loi du 4 mars 2002 relative
aux droits des malades et à la qualité du système de santé, permirent d’établir que
la suspension de la peine privative de liberté puisse désormais « être ordonnée,
quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et
pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est
établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ».
4. Les orientations législatives plus récentes
Venant après la loi du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour
la sécurité intérieure, la loi d’orientation et de programmation pour la justice
(LOPJ) du 9 septembre 2002, trace les évolutions futures, à court et moyen
termes, de l’institution pénitentiaire (2003-2007). Ce texte cherche notamment à
amorcer une évolution de la politique pénale axée sur l’exécution des décisions
pénales et un traitement plus efficace de la délinquance des mineurs. Ainsi, entre
autres exemples, étend-il la durée légale de détention provisoire lorsque la
mesure de remise en liberté concerne un prévenu dangereux et confère-t-il un
caractère suspensif à toute décision de cette nature lorsque à son encontre un
appel a été formulé par un procureur de la République. Cette loi inscrit
l’augmentation de la capacité du parc pénitentiaire comme une des réponses à
l’augmentation de la population carcérale, elle-même induite par une politique
pénale plus sécuritaire.
La loi prévoit notamment :
- un vaste programme de construction de 11 000 places carcérales dont
4 000 compenseront la fermeture de locaux vétustes et 2 000 serviront
à l’expérimentation de nouveaux concepts relatifs à l’enfermement ; la
livraison des premiers établissements est prévue pour 2006 ;
- le développement du dispositif de placement sous surveillance
électronique destiné à 3 000 personnes.
A cela s’ajoutent des dispositions relatives au traitement de la délinquance
des mineurs. Outre l’amélioration des moyens d’intervention dévolus à la
Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), associée à une meilleure réactivité de la
réponse judiciaire aux faits de délinquance, il est prévu la création de nouvelles
structures de prise en charge destinées à ces publics : Centres éducatifs fermés
(CEF) (relevant du secteur public ou associatif habilité de la PJJ), Etablissements
pénitentiaires pour mineurs (EPM), distincts de ceux affectés aux adultes et axés
sur une approche éducative (400 places réparties au sein de huit structures de ce
type).
Avec la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, dite « SLI », les
policiers bénéficient d’une compétence territoriale étendue en matière judiciaire :
ils peuvent interpeller et placer en garde à vue tout citoyen pour de nombreux
faits répréhensibles. Le fichier informatique policier est étendu en ce qui
concerne les informations nominatives et les empreintes génétiques7. De
7 Un cadre légal renforcé est donné au fichier STIC (police) et JUDEX (gendarmerie), ainsi qu’au
fichier des personnes recherchées.
14
nouveaux délits et des circonstances aggravantes sont créés afin de lutter contre
les réseaux organisés et contre la traite des êtres humains.
Enfin, la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », portant adaptation de la
justice aux évolutions de la criminalité vient parachever le basculement de la
procédure pénale, en faisant primer, dans des cas bien précis, les prérogatives de
la police et du parquet sur la garantie des droits individuels. Pour autant, ces
mesures qui ont pour effet mécanique de remplir les prisons se heurtent aux
capacités d’accueil. C’est pourquoi le renforcement des dispositions favorisant
l’enfermement s’accompagne de mesures de régulation des flux carcéraux par
l’extension des dispositifs de réduction et d’aménagement de peines. Cette loi
apporte, pour l’essentiel à l’initiative de M. Jean-Luc Warsmann, député, de
nouvelles modifications substantielles au droit de l’application des peines
(cf. encadré n°1), parachevant ainsi l’évolution engagée en 2000.
Encadré 1 : Les principales dispositions de la loi du 9 mars 2004
Lutte contre la délinquance et le crime organisés :
- Une procédure spécifique pour les infractions dites de « délinquance et de criminalité
organisées » est créée.
- Les pouvoirs de la police et du parquet sont renforcés : infiltration des réseaux par des policiers,
possibilité de rémunérer les indicateurs, extension des écoutes téléphoniques et des perquisitions de
nuit, garde à vue prolongée jusqu’à quatre jours.
Efficacité de la justice pénale
- Un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles est conçu, dont les
données seront conservées entre vingt et trente ans.
- La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou « plaider coupable », est
instaurée. Elle permet à un justiciable, reconnaissant des faits passibles de cinq ans de prison
maximum, d’éviter un procès en acceptant, en présence d’un avocat, une sanction proposée par le
procureur de la République.
Les aménagements de peines
- Les tribunaux correctionnels ne peuvent plus prononcer une peine de prison ferme si le prévenu
n’est ni présent, ni représenté.
- La juridiction régionale de la liberté conditionnelle est remplacée par un tribunal de l’application
des peines.
- Les réductions de peine ordinaires sont remplacées par un crédit de réduction de peine, dont le
retrait total ou partiel peut être décidé par le juge de l’application des peines en cas d’incident en
détention ou de récidive à l’extérieur.
- Les trois derniers mois des peines inférieures à deux ans et les six derniers mois des peines de
deux à cinq ans devront être purgés sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou
du placement sous surveillance électronique.
- L’amnistie automatique des mineurs à leur majorité est supprimée. Les mesures s’effacent trois
ans après le jugement, sauf en cas de nouvelle condamnation.
- La publication d’un livre par un condamné relatant son affaire dans le cadre d’une libération
conditionnelle ou d’un sursis avec mise à l’épreuve est interdite.
Source : Dedans dehors, n°41, janvier - février, 2004, p. 24
D’une manière générale, les lois pénales se succèdent à un rythme accéléré
depuis une vingtaine d’années. De sorte que si « la peine de mort a disparu de
notre droit, on constate, en revanche, l’inflation des lois pénales et la lourdeur
des peines encourues et prononcées. A défaut de nourrir une politique des
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réformes, la question pénale devient l’un des enjeux de la compétition
politique. »8
B - L’ÉMERGENCE PROGRESSIVE DE LA MISSION DE RÉINSERTION
Deux commissions d’enquête parlementaires se sont constituées en février
2000, l’une à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat. Leurs conclusions,
publiées en juillet, sont édifiantes et presque concordantes. Le constat dressé
dans ces deux rapports est unanimement sévère. Il souligne la nécessité de
réformes importantes et pour certaines urgentes. En réalité, ce débat oblige à
s’interroger sur le sens et les objectifs de la peine. C’est la question posée dans
un article de Guy-Pierre Cabanel, « conçoit-on la prison comme un lieu de
sûreté, d’exclusion des délinquants, ou comme un lieu de préparation à la
réinsertion dans la vie quotidienne ? Un tel débat concerne toute la société et
demande à être tranché au préalable. »9
1. Une mission d’insertion désormais inscrite dans la loi
En 1945, la réforme de la politique pénale, « réforme Amor », prônait la
nécessité pour la peine de participer à la réinsertion du délinquant. Elle énonçait
dans son premier principe que la peine privative de liberté a pour but essentiel
l’amendement et le reclassement du condamné. En réadaptant l’individu, l’on
assure la protection de la société et l’on prévient la récidive. Ainsi, le droit de
punir est assorti d’un devoir de socialisation du détenu. Les péripéties de la vie
sociale et la surpopulation carcérale vont pourtant continuer de placer, durant la
seconde moitié du XXème siècle, les préoccupations sécuritaires au centre de la
politique pénale.
Néanmoins, un mouvement d’humanisation et de libéralisation s’est dessiné
peu à peu, avec la volonté d’ouvrir plus largement la prison sur l’extérieur. Ce
décloisonnement s’est traduit par l’intervention croissante de personnels qualifiés
et de bénévoles - dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la formation,
du sport ou de la culture -, et par l’exécution de peines en milieu ouvert. Cette
avancée a été confortée par la loi du 22 juin 1987 réaffirmant la mission de
réinsertion sociale des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par la
justice.
La loi du 22 juin 198710 fixe la nature et l’étendue des missions dévolues au
service public pénitentiaire. Depuis lors, celui-ci « participe à l’exécution des
décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise
la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité
judiciaire. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation des peines ».
Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1994 jugea
opportun de souligner que « l’exécution des peines privatives de liberté en
8 Denis Salas, La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Hachette, mars 2005.
9 Guy-Pierre Cabanel, Entre exclusion et réinsertion, in revue Projet n°269, 2002. Guy-Pierre
Cabanel a été le rapporteur de la Commission d’enquête sénatoriale sur les conditions de détention
en 2000.
10 Loi 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire.
16
matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger
la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser
l’amendement de celui-ci et permettre son éventuelle réinsertion ».
L’article D.460 du code de procédure pénale stipule que « le service
pénitentiaire d’insertion et de probation a pour mission de participer à la
prévention des effets désocialisants de l’emprisonnement des détenus. ».
Malgré la loi du 22 juin 1987, « ce qui frappait jusqu’il y a peu de temps
encore, c’était qu’il n’existait aucun texte à caractère général affirmant que la
sanction pénale avait, en droit français, pour fonction essentielle la
resocialisation du délinquant. »11
Cette omission a été réparée récemment, par la loi du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ainsi, le nouvel article
707 du code de procédure pénale définit désormais les principes généraux de
l’application des peines. Il prévoit en particulier que « l’exécution des peines
favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes,
l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la
récidive. A cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d’exécution
pour tenir compte de l’évolution de la personnalité et de la situation du
condamné. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible,
permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en
liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ». Désormais, un texte général fixe,
à l’exécution de la peine, une fonction générale d’insertion ou de réinsertion.
Plusieurs mesures destinées à favoriser l’insertion ou la réinsertion des
détenus vont voir le jour. Il en va ainsi de l’organisation des Unités pédagogiques
régionales (UPR) vouées à coordonner les actions de formation générale, du
lancement expérimental, à partir de 1996, du Projet d’exécution de peine (PEP)
menant des condamnés à devenir « acteur » de leur peine, de la réforme en
profondeur de la procédure disciplinaire applicable aux détenus et, enfin, de
l’adoption du dispositif du placement sous surveillance électronique en lieu et
place de l’incarcération. De même, le décret du 30 avril 2002 modifiant le code
de procédure pénale et portant création des Centres pour peines aménagées
(CPA) institua un nouveau type d’établissements pour peine axé sur la
réadaptation sociale et professionnelle des courtes peines.
2. Une mission d’insertion insuffisamment prise en compte malgré la
réforme de 1999
La création d’un service d’insertion et de probation à compétence
départementale, intervenant tant en milieu ouvert que fermé, est destinée à
améliorer les conditions de prise en charge des personnes placées sous main de
justice et à mieux inscrire l’administration pénitentiaire dans les dispositifs
d’action sociale de droit commun (2.1.).
11 Audition de M. Patrice Molle, Directeur de l’administration pénitentiaire, devant la section des
Affaires sociales du Conseil économique et social, le 2 février 2005.
17
Mais le constat dressé précédemment sur la primauté accordée à la mission
de garde sur celle d’insertion se traduit de façon éclairante dans la faiblesse des
moyens des services d’insertion et de probation (2.2).
2.1. Les grandes lignes de la réforme des Services pénitentiaires
d’insertion et de probation (SPIP) de 1999
La réforme de 1999 a mis fin à la séparation traditionnelle entre « milieu
ouvert » et « milieu fermé ». En milieu ouvert, l’insertion était traditionnellement
de la responsabilité des comités de probation et d’assistance aux libertés (CPAL).
Ces comités avaient pour rôle essentiel d’assister le juge de l’application des
peines dans la mise en oeuvre de ses décisions. Ils assuraient une mission de
contrôle et veillaient au respect des obligations ou des conditions imposées par
les autorités judiciaires dans les cas suivants : sursis ou ajournement avec mise à
l’épreuve, libération conditionnelle, travail d’intérêt général, interdiction de
séjour, contrôles judiciaires. Ils pouvaient également effectuer des enquêtes
sociales. En outre, les CPAL mettaient en oeuvre les mesures d’aides propres à
favoriser la réinsertion sociale des personnes prises en charge et apportaient un
soutien aux sortants de prison.
En milieu fermé, les travailleurs sociaux des services socio-éducatifs des
établissements pénitentiaires étaient les personnes chargées de mener l’insertion
du détenu, à partir des premiers entretiens réalisés à l’entrée en détention
(immatriculation à la sécurité sociale, repérage de l’illettrisme, etc.). La
distinction entre « milieu ouvert » et « milieu fermé » ne permettait pas un
« suivi » cohérent du détenu, avant et après son jugement.
Le décret du 13 avril 1999 modifie le code de procédure pénale et porte
création des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), qui
opèrent la fusion des travailleurs sociaux des services socio-éducatifs des
établissements pénitentiaires et des CPAL. Cette nouvelle organisation est pilotée
par un directeur départemental des services pénitentiaires d’insertion et de
probation, qui est un cadre pénitentiaire. Elle assure l’exécution des peines et des
mesures prononcées par l’autorité judiciaire, avant ou après jugement, dans un
souci d’individualisation. La création des SPIP doit également permettre une plus
grande implication des collectivités locales et des services déconcentrés de l’Etat
qui ont en charge la réalisation des politiques d’action sociale. La continuité de la
prise en charge des publics concernés vise à renforcer l’action de prévention de
la récidive.
En pratique, la réforme n’a pas véritablement modifié la répartition des
tâches entre les travailleurs sociaux entre les milieux ouvert et fermé, une
spécialisation a été maintenue dans les faits.
2.2. Des moyens jugés insuffisants
a) Sur les moyens humains
Sur un effectif budgétaire global de plus de 30 000 emplois,
l’administration pénitentiaire compte, au 1er janvier 2004, 23 000 personnels de
surveillance, 2 700 personnels administratifs, 2 610 personnels socio-éducatifs
18
(dont 2 107 personnels d’insertion et de probation et 503 personnels de service
social), 737 personnels techniques 415 directeurs des services pénitentiaires et
directeurs régionaux et 177 personnels contractuels et professeurs.12
Ainsi, on compte en moyenne pour cent détenus 39 personnels de
surveillance et un travailleur social. L’écart entre ces deux catégories de
personnels ne s’explique que partiellement par l’obligation de permanence
24h/24 du personnel de surveillance.
Parallèlement, l’administration pénitentiaire a recours à des intervenants
extérieurs. Il s’agit tout d’abord de fonctionnaires d’autres ministères, comme le
ministère de la Santé (2 000 personnels hospitaliers travaillent tous les jours dans
les prisons), ou de l’Éducation nationale. Le nombre total de postes d’enseignants
s’élève à 403 emplois à temps plein complétés par une enveloppe de 4 000
heures supplémentaires.
Il faut également mentionner l’action de près de 160 correspondants locaux
ANPE/Justice intervenant sur l’ensemble du territoire, ainsi que les 820 employés
des groupements privés du « programme 13 000 » dont 300 dans le domaine de
la formation professionnelle et du travail. Enfin, il faut souligner le rôle essentiel
des associations. Depuis très longtemps, de nombreuses associations sont
mobilisées en faveur des personnes placées sous main de justice.
Ainsi que le soulignait le rapport de la commission d’enquête de
l’Assemblée nationale, « L’insertion est le parent pauvre de l’administration
pénitentiaire avec les conséquences qui en résultent pour les personnes
concernées. Ceci, en outre, décrédibilise les mesures alternatives à la détention,
dont le contrôle ne peut être assuré, freinant d’autant leur usage par les
magistrats. »13
Les trois principaux syndicats de travailleurs sociaux des SPIP ont réclamé,
jeudi 7 juillet 2005, des effectifs supplémentaires pour remplir efficacement leur
mission de prévention de la récidive. « Les carences en personnel des SPIP sont
très anciennes mais elles sont aggravées par la surpopulation pénale, et les
missions nouvelles confiées aux travailleurs sociaux », dans le cadre des
aménagements de peine prévus par la loi « Perben II », ont notamment déclaré
plusieurs syndicats pénitentiaires.
Si plusieurs rapports reconnaissent au SPIP un rôle de « pierre angulaire
de prévention de la récidive », nombre de ces rapports ainsi que les
professionnels auditionnés par la section des Affaires sociales de notre
Assemblée, évaluent également à environ 3 000 le nombre de postes manquants
au sein des services, alors que les effectifs actuels sont légèrement supérieurs à
2 000 personnes. Outre le suivi en milieu carcéral de 60 000 détenus, les
conseillers ont aussi à assurer la prise en charge de plus de 130 000 personnes en
milieu ouvert.
12 Les chiffres-clés de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice, Direction de
l’administration pénitentiaire, mai 2004.
13 Assemblée nationale, rapport de la commission d’enquête, La France face à ses prisons, p.179,
juin 2000.
19
Des trois missions principales qui sont assignées par le code de procédure
pénale aux Conseillers d’insertion et de probation (CIP), c’est-à-dire le maintien
des liens familiaux, la lutte contre la désocialisation des détenus et enfin la
préparation à la sortie de prison, plusieurs syndicats pénitentiaires estiment que
les conseillers d’insertion n’ont la capacité de remplir que la dernière, faute de
temps.
b) Sur les moyens budgétaires
Le budget global de l’administration pénitentiaire s’élève à 1,6 milliard
d’euros pour 2005. Il est en hausse constante depuis 1995, progression due à la
surpopulation pénale. L’administration pénitentiaire ne consacre que 11 %
environ de son budget à la réinsertion sociale. La faiblesse de ce budget est
partiellement compensée par les moyens budgétaires provenant d’autres
administrations comme le ministère de l’Emploi qui consacre 16 millions d’euros
à la formation professionnelle ou encore le ministère de l’Education nationale par
la mise à disposition de personnels enseignants. Par ailleurs, l’administration
pénitentiaire mobilise des crédits du Fonds social européen (près de 3 millions
d’euros) ainsi que des crédits provenant d’autres fonds (Fonds d’action sociale
pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD),...). 14
Entre 2001 et 2005, les crédits de l’administration pénitentiaire ont
progressé de la manière suivante :
Tableau 1 : Evolution des crédits ouverts en LFI depuis 2001
En M€ 2001 2002 2003 2004 2005
AP 1 262 1 385 1 493 1 608 1 654
Justice 4 435 4 688 5 037 5 283 5 462
Budget
général
319 737 331 777 339 364 350 307 359 487
Source : Cour des comptes
S’agissant du programme « administration pénitentiaire », il se décline en
cinq « actions », tendant, respectivement à : assurer la garde des détenus (action
n°01) ; accueillir les personnes détenues, en prenant notamment en considération
leur prise en charge sanitaire et alimentaire (action n°02) ; accompagner leur
réinsertion (action n°03) ; soutenir l’administration pénitentiaire, notamment en
matière de logistique informatique (action n°04) et enfin, s’assurer de la
formation de ses personnels (action n°05).
En ce qui concerne l’accompagnement et la réinsertion des personnes
placées sous main de justice, qui est l’objet de l’action n° 03, les crédits de
paiement s’établissent à un peu plus de 240 millions d’euros en 2006. La
nouvelle présentation des crédits du budget de l’Etat, par missions, programmes
et actions rend difficile la comparaison entre les crédits alloués à l’administration
pénitentiaire en 2005 et ceux qui vont lui être affectés pour 2006.
14 Audition de M. Patrice Molle, Directeur de l’administration pénitentiaire, devant la section des
Affaires sociales au Conseil économique et social le 2 février 2005.
20
Tableau 2 : Crédits du programme « administration pénitentiaire »
pour l’année 2006
Crédits de paiement PLF 2006 Dont Action 03
Dépenses de personnel 1 356 898 699 163 534 602
Dépenses de fonctionnement 492 940 934 41 360 553
Dépenses d’investissement 245 483 608 3 121 528
Dépenses d’intervention 39 513 019 32 510 607
Total 2 134 836 260 240 527 290
Source : PLF 2006
3. Une mission d’insertion qui se décline en objectifs opérationnels dans
le cadre de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF)
Dans le cadre de la LOLF qui entrera en vigueur en 2006, l’administration
pénitentiaire constitue l’un des six « programmes »15 de la « mission » justice.
La loi organique relative aux lois de finances prévoit également la
définition d’objectifs dont la réalisation est évaluée au travers d’un certain
nombre d’indicateurs. C’est ainsi que l’administration pénitentiaire s’est fixée
sept objectifs assortis de onze indicateurs de performance. Ces indicateurs
devront nécessairement faire l’objet d’une appréciation nuancée car plusieurs des
objectifs, en particulier dans le domaine de l’insertion, ne pourront être atteints
qu’avec le concours d’autres services publics.
Il est surtout significatif de constater que parmi les sept objectifs assignés à
l’administration pénitentiaire, cinq objectifs concernent directement ou
indirectement la mission de réinsertion des détenus comme le montre le tableau
ci-après :
15 Les cinq autres programmes sont : la justice administrative, la justice judiciaire, la protection
judiciaire de la jeunesse, l’accès au droit et à la justice, le soutien de la politique de la justice et
organismes rattachés.
21
Tableau 3 : Les objectifs et indicateurs de l’administration pénitentiaire
LOLF Objectifs Indicateurs
n°1
Renforcer la sécurité des
établissements pénitentiaires
-Nombre d’évasions
(milieu fermé / milieu ouvert / hospitalisation
d’office / escortes)
-Taux d’incidents (voies de fait entre détenus
et agressions contre le personnel)
n°2 Adapter le parc immobilier aux
catégories de populations accueillies
(mineurs-majeurs)
-Coût de la journée de détention
n°3 Augmenter l’effectif des personnes
placées sous main de justice qui
exécutent leur peine dans le cadre
d’un aménagement
-% des personnes placées sous écrou et
condamnées bénéficiant d’un aménagement de
peine (surveillance électronique, placement
extérieur, semi-liberté)
n°4 Permettre le maintien des liens
familiaux (accueil des familles)
-% d’établissements dotés de locaux d’accueil
des familles
n°5 Améliorer l’accès aux soins -Nombre moyen de consultations par an et par
détenu
n°6
Favoriser les conditions d’orientation
professionnelle du détenu
-% des détenus bénéficiant d’une formation
générale et professionnelle
-% des détenus bénéficiant d’une activité
rémunérée (travail et formation
professionnelle)
-% des détenus bénéficiant d’un projet de
préparation à la sortie (personnes sorties de
prison éventuellement dans le cadre d’une
mesure d’aménagement de peine, qui ont
bénéficié d’un entretien d’embauche, d’une
inscription à une formation continue ou d’une
prestation agréée par l’ANPE)
n°7 Améliorer le délai de mise en œuvre
du suivi du condamné en milieu ouvert
-Délai moyen entre la modification par le juge
d’application des peines et la date du premier
entretien avec un travailleur social
Source : rapport du Sénat n°79 sur le projet de loi de finances pour 2005
Certes, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes sur
l’exécution de la Loi de finances pour 2004, « l’évaluation des performances ne
se résumera jamais à une série d’indicateurs, fussent-ils définis et renseignés
avec précaution : la LOLF ne mettra pas l’Etat en équations ». Pour autant, il est
permis de s’interroger sur la pertinence et l’exhaustivité de certains indicateurs
de performances, notamment ceux associés aux objectifs n°4 et n°5 de
l’administration pénitentiaire.
22
II - UNE NÉCESSITÉ QUI S’IMPOSE AUJOURD’HUI
A - UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE EU ÉGARD À L’AGGRAVATION DES FACTEURS
DE PRÉCARITÉ SOCIALE
La population carcérale n’est pas homogène mais présente des
caractéristiques bien spécifiques. Malgré les évolutions des formes de
criminalité, elle reste majoritairement composée de groupes de population
marginalisés qui cumulent les difficultés.
1. Caractéristiques générales de la population carcérale
Au 1er juin 2005, la France (métropole et Outre-mer) compte
59 78616 personnes écrouées détenues dont 20 910 prévenus et
38 876 condamnés. 2 129 femmes sont détenues soit 3,6 % de l’ensemble. La
durée moyenne de détention provisoire est de 4,3 mois pour l’année 2004 en
métropole et Outre-mer.
1.1. L’inflation carcérale
La population carcérale n’a cessé de croître sur le dernier quart de siècle.
Elle a connu une augmentation de près de 50 % de ses effectifs, passant de
36 913 à 55 062 personnes incarcérées avant d’amorcer une décrue régulière
jusque l’année 2001 (47 837 détenus au 1er janvier). Cette décrue peut
s’expliquer par la mise en application de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000
relative à la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes
qui restreint les possibilités de placement en détention provisoire, ainsi que par le
développement des peines alternatives à l’emprisonnement (travail d’intérêt
général, sursis avec mise à l’épreuve). En revanche, dès 2003, on assiste à un
revirement de situation.
Pour autant, selon la dernière étude réalisée en 2003 au niveau européen, la
France avait un taux de détention de 93,1 pour 100 000 habitants, plus faible que
celui de l’Allemagne (96,4), de l’Italie (101,7), de l’Espagne (135,8) et de
l’Angleterre (139,1). Au 1er janvier 2005, le taux de détention17 est de 94,9
détenus pour 100 000 habitants (contre 75,6 au 1er janvier 2001).
Si la population carcérale connaît des évolutions importantes en volume, sa
composition selon la nature des infractions évolue sensiblement sur la même
période. Les condamnés pour vol diminuent fortement tandis que la proportion
des condamnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants ainsi que viols
et autres agressions sexuelles ne cesse d’augmenter. La délinquance sexuelle
constitue aujourd’hui la principale cause d’incarcération en France.
16 Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire 2005.
17 Le taux de détention est le rapport du nombre de détenus au nombre d’habitants dans un pays et à
une date donnés. En Europe, les taux d’incarcération varient de 1 à 8 selon les pays (la France
ayant un taux plutôt bas)
23
D’une manière générale, « les raisons de ces évolutions sont complexes,
fruit des modifications de la réaction sociale plus que celles de la délinquance
(ce n’est qu’une hypothèse) : plaintes plus fréquentes des victimes en matière
d’infractions sexuelles et répression plus forte, politiques fluctuantes en matière
de stupéfiants entre répression et politique de soins, développement des mesures
alternatives à la prison pour sanctionner les atteintes aux biens, sans
violence. »18.
Une telle évolution s’est accompagnée d’un glissement de la distribution
des peines vers les sanctions les plus lourdes. Si le nombre de condamnés a été
multiplié par 1,3 entre 1990 et 2000, celui des condamnés à une peine
correctionnelle de « 5 ans et plus » a été multiplié par 2,7, celui des « 10 à
20 ans » a été multiplié par 1,8.
Graphique 1 : Evolution du nombre total de détenus (Métropole et Outre-mer)
40000
45000
50000
55000
60000
65000
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004 (1.1.2004)
2004 (1.4.2004)*
* Depuis le 1er mars 2004, les personnes écrouées « détenues » sont distinguées dans les
statistiques mensuelles des personnes écrouées non hébergées
Source : Les chiffres-clés de l’administration pénitentiaire, mai 2004
18 « L’exécution des peines », in Laurent Muchielli, Philippe Robert (dir.), Crime et sécurité. L’état
des savoirs, Paris, la Découverte, 2001, pp. 356-362.
24
Plus d’un tiers des personnes condamnées le sont pour des peines
supérieures à 5 ans :
Tableau 4 : Répartition des détenus suivant la durée de la peine
Durée de la peine en %
Peine inférieure à 1 an 29,9 %
Peine de 1 à 3 ans 22,9 %
Peine de 3 à 5 ans 11,4 %
Peine de plus de 5 ans 35,7 %
(dont 542 réclusions criminelles à perpétuité
soit 1,4 % de l’ensemble)
Source : chiffres de l’administration pénitentiaire 2005
Tableau 5 : Caractéristiques pénales de la population condamnée
Nature de l’infraction principale commise en %
Viol et autres agressions sexuelles (sur mineur ou adulte +
exhibitions sexuelles.) 21,8 %
Vol simple et qualifié 16,5 %
Coups et blessures volontaires 17,4 %
Infraction à la législation sur les stupéfiants 14,9%
Homicide volontaire 8,9 %
Escroquerie, recel, faux et usage de faux 7 %
Homicide et atteinte involontaire à l’intégrité de la personne 5,3 %
Infraction à la législation sur les étrangers 1,9 %
Autre motif 6,2 %
Source : chiffres de l’administration pénitentiaire 2005
Le nombre de détenus condamnés pour un crime ou un délit sexuel a doublé
en dix ans passant de 3 711 personnes en 1994 à 7446 en 2004. Parmi ces
détenus, près de 4 000 d’entre eux sont condamnés pour crime et exécutent une
peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à dix ans19.
Par ailleurs, le nombre de personnes placées en détention provisoire
s’élevait à 17 619 en 2002 et 19 088 en 2003. Comme le note la commission de
suivi de la détention provisoire, « alors que le nombre de détentions provisoires
diminue régulièrement depuis quelques années, un renversement de tendances
amorcé en 2002 se poursuit en 2003. La question de la surpopulation carcérale
est de nouveau posée avec acuité ».20
1.2. La « mosaïque pénitentiaire »
Le sociologue Pierre-Victor Tournier21 a défini le concept de « mosaïque
pénitentiaire » pour déterminer la capacité d’accueil des établissements
19 Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi de
MM. Pascal, Clément, Léonard relative au traitement de la récidive des infractions pénales,
n°1979, décembre 2004.
20 Rapport au garde des Sceaux, commission de suivi de la détention provisoire, juin 2004.
21 Le placement sous main de justice en France, quelles capacités ? Comment ne pas les
dépasser ?, contribution au colloque « Population carcérale et numerus clausus débat autour d’un
concept incertain », 10 septembre 2005.
25
pénitentiaires. Ce concept permet d’inclure le milieu ouvert et le milieu fermé
ainsi que l’interface entre les deux tout en précisant bien qui est qui (statut pénal)
et qui est où (conditions concrètes du placement sous main de justice).
La population placée sous main de justice et pour laquelle il faut pouvoir
disposer du nombre de places idoine en établissement est ainsi constituée de huit
catégories.
Tableau 6 : Huit catégories de personnes placées sous main de justice
PRÉVENUS CONDAMNÉS
P1 - ÉCROUÉS dans les murs P4 -ÉCROUÉS dans les murs
P5 - ÉCROUÉS hors les murs, absence
permanente ou totale (Placement sous
surveillance électronique...)
P6 - ÉCROUÉS hors les murs, absence
permanente et partielle (semi-liberté...)
P2 - ÉCROUÉS hors les murs, absence
temporaire ou totale (hospitalisation extérieure,
Unité pour malade difficile ...) P7 - ÉCROUÉS hors les murs, absence
temporaire ou totale (Permission de sortir,
hospitalisation extérieure, Unité pour malade
difficile...)
P3 - NON ÉCROUÉS (contrôle judiciaire,
aménagement de peine...)
P8 - NON ÉCROUÉS (sursis avec mise à
l’épreuve, travail d’intérêt général, libération
conditionnelle...)
Source : Le placement sous main de justice en France, quelles capacités ? Comment ne pas les
dépasser ? par Pierre.V Tournier, 2005
Ce tableau a le mérite de faire ressortir l’importance des flux au sein de la
population carcérale ainsi que la diversité des situations juridiques.
Sur une période longue, on constate un développement important du milieu
ouvert : 49 000 personnes suivies en milieu ouvert en 1977 contre 123 500 en
2004. Toutefois, entre 2001 et 2004, la population suivie en milieu ouvert par les
services pénitentiaires d’insertion et de probation est passée de 141 700 à
123 500, soit une diminution de près de 13 %.
2. Caractéristiques démographiques de la population carcérale
2.1. Une population carcérale majoritairement jeune
86,8 % des personnes incarcérées ont entre 18 et 50 ans :
Tableau 7 : Répartition des détenus par tranches d’âge
Age en %
Moins de 16 ans
Moins de 18 ans
18 à 21 ans
21 à 25 ans
25 à 30 ans
30 à 40 ans
40 à 50 ans
50 à 60 ans
60 et plus
0,1 %
1 %
8,4 %
17,3 %
18,1 %
26,2 %
16,8 %
8,6 %
3,5 %
Source : Chiffres clés de l’administration pénitentiaire 2005.
26
La population carcérale est une population jeune puisque 45 % des détenus
ont entre 18 et 30 ans.
2.2. La population carcérale mineure
Les mineurs peuvent être incarcérés dès l’âge de 13 ans pour des faits
criminels. Au 1er juillet 2004, ils étaient 751 (contre 895 au 1er juin 2002). Il
s’agit presque uniquement de mineurs masculins : 721 garçons dont 57 âgés de
moins de 16 ans et trente jeunes filles dont trois âgées de moins de 16 ans. Il
n’existe aucun quartier spécifique pour ces mineures qui sont donc incarcérées
dans un quartier de femmes adultes avec un régime spécial.22 Le rapport annuel
2004 de la Défenseure des enfants souligne que si le nombre de mineurs
incarcérés est en baisse, cette tendance ne doit pas cacher des « pics » de
surpopulation qui empêchent un encellulement individuel et contraignent parfois
à bloquer pour les mineurs des cellules dans le secteur adulte. Or, l’article D-516
du code de procédure pénale dispose que les détenus de moins de 21 ans sont
soumis, en principe, à l’isolement de nuit.
Les mineurs incarcérés sont majoritairement en détention provisoire
(66 % en 2004, contre 70 % en 2000 et 77 % en 1998). La durée moyenne de
leur incarcération est de deux à trois mois.
Le Conseil de sécurité intérieure23 du 8 juin 1998 portant sur la délinquance
juvénile a entériné la création de quartiers pour mineurs de vingt à vingt-cinq
places et réexaminé la liste des établissements pénitentiaires habilités pour leur
accueil. Ces établissements ont donc été redéfinis en distinguant deux types de
structures. D’une part, des quartiers pour mineurs d’une capacité de dix-huit à
vingt-cinq places maximum dans les zones les plus urbanisées. Lorsque les
besoins dépassent ce seuil, le quartier pour mineurs est structuré en deux unités
de vie de vingt places chacune. D’autre part, des quartiers pour mineurs à petit
effectif de huit à douze places dans les zones moins urbanisées.24 Cette nouvelle
structuration porte à cinquante-neuf le nombre d’établissements habilités à
accueillir des mineurs. Ainsi, vingt-sept établissements disposent d’un quartier
pour mineurs d’une capacité de dix-huit à vingt-cinq places, huit disposent d’un
quartier pour mineurs structuré en deux unités de vie de vingt places chacune,
une dispose d’un quartier pour mineurs structuré en trois unités de vie de vingt
places chacune et vingt-trois établissements disposent d’un quartier pour mineurs
à petit effectif d’une capacité de huit à douze places.
22 Rapport annuel de la Défenseure des enfants au Président de la République et au Parlement, année
2004, La Documentation française, 2004.
23 Créé par le décret n° 97-1052 du 18 novembre 1997 et le décret n°2002-890 du 15 mai 2002, le
Conseil de sécurité intérieure définit les orientations de la politique menée dans le domaine de la
sécurité intérieure et fixe ses priorités. Il s’assure de la cohérence des actions menées par les
différents ministères, procède à leur évaluation et veille à l’adéquation des moyens mis en oeuvre.
Il examine les projets de loi de programmation intéressant la sécurité intérieure.
24 Circulaire AP2001-08 PMJ2/26-10-2001, établissements habilités à l’accueil des mineurs.
27
Les mineurs détenus représentent une population extrêmement sensible
nécessitant une prise en charge sociale, éducative et pénale spécifique. Ces
jeunes souffrent d’un important dénuement culturel et social : 80 % d’entre eux
sont sans diplôme et 38 % sont en échec de lecture.25
L’accompagnement des mineurs détenus a été renforcé depuis 2003. Outre
l’augmentation et la formation de surveillants spécialisés dits « référents »
volontaires pour travailler auprès des mineurs, la protection judiciaire de la
jeunesse (PJJ) a progressivement installé des équipes d’éducateurs dans les
établissements. Ces éducateurs (deux dans les quartiers pour mineurs à petit
effectif, trois dans les quartiers de dix-huit à vingt-cinq mineurs et six dans les
doubles quartiers pour mineurs) ont une mission de suivi individuel du jeune. En
2003, dix quartiers pour mineurs ont été concernés par cette intervention
continue d’éducateurs de la PJJ.
Cependant, malgré ces améliorations substantielles, la Défenseure des
enfants remarque que les contraintes architecturales continuent de peser sur les
conditions matérielles de la prise en charge : espace réduit, humidité, vétusté,
sanitaires collectifs, salles de sport restreintes, cours de promenade exposées à la
pluie et au soleil.26 Par ailleurs, en 2002, la commission d’enquête du Sénat sur la
délinquance des mineurs soulignait que les conditions d’incarcération des
mineurs demeurent peu satisfaisantes et décrivait ainsi le quartier des mineurs de
la maison d’arrêt de Lyon : « Les locaux sont terriblement dégradés, le
surpeuplement y est parfois tel que la commission a rencontré un mineur
couchant sur une paillasse à même le sol. Toutes sortes de trafics y prospèrent,
la séparation entre majeurs et mineurs étant virtuelle. Les efforts d’un personnel
pénitentiaire très méritant ne peuvent suffire à compenser une telle situation. ».27
2.3. Les femmes détenues et leurs nourrissons
Le code de procédure pénale prévoit que les enfants peuvent être laissés
auprès de leur mère en détention jusqu’à l’âge de dix-huit mois et que des locaux
spécialement aménagés sont réservés à l’accueil des mères ayant gardé leur
enfant près d’elles.28 Il appartient aux seuls parents de décider si l’enfant
demeure ou non auprès de sa mère en détention. L’incarcération n’a pas de
conséquence sur l’autorité parentale.
Vingt-cinq établissements pénitentiaires sont équipés pour recevoir des
enfants ce qui représente soixante-six places (dont dix pour les maisons d’arrêt
d’Outre-mer). Une cinquantaine d’enfants âgés de moins de 18 mois vit en
détention auprès de leur mère incarcérée.29 La circulaire du 18 août 199930
25 Audition de M. Patrice Molle, Directeur de l’administration pénitentiaire, devant la section des
Affaires sociales au Conseil économique et social le 2 février 2005.
26 Rapport annuel de la Défenseure des enfants, op.cit.
27 Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs présidée par
M. Jean-Pierre Schosteck, n°340, 2001-2002, pp. 156-157.
28 Article D-401 du code de procédure pénale.
29 Rapport annuel de la Défenseure des enfants, op.cit.
30 Circulaire AP 99-2296 PMJ2/18-08-99 relative aux conditions d’accueil des enfants laissés auprès
de leur mère incarcérée.
28
prévoit que la superficie de la cellule soit au moins égale à 15 m2 et qu’un
aménagement de la cellule permette une séparation de l’espace de la mère de
celui de l’enfant. La prise en charge financière de l’enfant est assurée par ses
parents ou, le cas échéant, par la mère seule. Cependant, l’administration
pénitentiaire assure la prise en charge des besoins essentiels de l’enfant :
alimentation, produits d’hygiène, petit matériel de puériculture. La mère
incarcérée peut bénéficier des prestations familiales (allocations familiales,
allocation jeune enfant, allocation parent isolé) qui sont versées sur la part
disponible de son compte nominatif.
Les services sanitaires et sociaux (Protection maternelle infantile (PMI),
aide sociale à l’enfance) peuvent intervenir en détention sur autorisation du chef
d’établissement. L’hôpital et la maternité référents sont ceux du secteur
géographique de l’établissement pénitentiaire.
Pendant la période d’occupation de la mère (emploi, formation
professionnelle), l’enfant doit être accueilli par des structures ordinaires (crèche,
halte-garderie, assistante maternelle). Le service d’insertion et de probation
envisage avec la mère ces possibilités d’accueil.
Le service d’insertion et de probation prépare avec la mère, dès l’arrivée de
l’enfant et au plus tard lorsqu’il atteint un an, le devenir de l’enfant. Un dossier
précisant les solutions d’accueil de l’enfant à l’extérieur, en fonction des
perspectives de libération de la mère, est constitué. Si la mère refuse la séparation
lors des 18 mois de son enfant, elle peut formuler une demande de prolongation
de l’accueil. La prolongation est autorisée par le directeur régional des services
pénitentiaires après avis d’une commission consultative composée d’un médecin
psychiatre, d’un médecin pédiatre appartenant à un service de PMI, d’un
psychologue, d’un chef d’établissement pénitentiaire spécialement affecté à la
détention des femmes, d’un travailleur social et présidée par le directeur régional
des services pénitentiaires31.
Malgré les efforts de l’administration pénitentiaire pour améliorer les
conditions matérielles de la prise en charge des nourrissons et le dévouement des
personnels pénitentiaires, la Défenseure des enfants souligne que l’enfermement
ne constitue pas un environnement favorable au développement de l’enfant et la
construction de la relation parent-enfant. Notre Assemblée fait sienne
l’interrogation de la Défenseure des enfants sur l’examen de toutes les
possibilités d’alternatives à l’incarcération quand une femme prévenue ou
condamnée est enceinte ou a un bébé.
2.4. Les détenus âgés de plus de 50 ans
La population carcérale vieillit en raison de l’allongement de la durée des
peines, lié lui-même à la modification de la structure des infractions. Par
convention, les études fixent en général, compte tenu de l’état de santé des
détenus, à 50 ans la limite pour définir les détenus âgés. Au 1er avril 2005,
12,1 % des détenus en métropole et Outre-mer ont plus de 50 ans : 8,6 % ont
31 Articles D-401.1 et D-401.2 du code de procédure pénale.
29
entre 50 et 60 ans, 3,5 % sont âgés de plus de 60 ans32. Entre le 1er janvier 1990
et le 1er janvier 2000, le nombre de personnes de 50 ans et plus en prison a
augmenté de 140 %. La croissance de la population âgée en prison est à la fois
due à une augmentation de l’âge moyen à l’entrée en prison et au vieillissement
des détenus. 33
Le vieillissement de la population incarcérée pose des difficultés
spécifiques à l’administration pénitentiaire. En effet, les établissements ne sont
pas équipés pour accueillir des personnes âgées et leur environnement est
généralement axé sur le sport, l’action éducative et la formation professionnelle.
Le vieillissement de la population étant en partie lié au mode de vie, ce qui tend à
souligner l’importance pour l’administration pénitentiaire de se préoccuper des
questions de régime alimentaire et d’hygiène de vie en détention.
Le vieillissement des détenus pose aussi le problème de la préparation à la
sortie. L’enquête réalisée par l’INSEE en 199934 montre que les hommes détenus
de plus de 50 ans sont trois fois plus seuls que les personnes libres du même âge
(51 % sont seuls contre 16 % des hommes de 50 ans et plus de la population
générale). La question de la réinsertion, voire l’insertion, sociale des détenus
âgés libérés après de longues années de détention, notamment quand ils sont sans
famille et sans amis, est problématique : comment préparer la sortie d’une
population carcérale souvent isolée à l’intérieur de la prison ? En effet, l’accès au
travail dans les maisons d’arrêt est restreint pour les détenus âgés en raison des
types d’infractions commises tels que les procédures criminelles (pour des
raisons de sécurité) et les délits sexuels (exclusion ou auto-exclusion de certaines
activités collectives). Quant aux actions de formation, un détenu de 50 à 59 ans
sur cinq suit une formation en prison. Cette proportion n’est plus que de 4 %
pour les plus de 60 ans. Les détenus incarcérés à un âge tardif choisissent
majoritairement des formations scolaires alors que les formations qualifiantes
sont sur-représentées parmi les personnes incarcérées plus tôt et qui vieillissent
en prison.
S’il n’existe pas de limite d’âge pour l’exécution d’une condamnation,
l’article 729 du code de procédure pénale dispose que la nécessité de subir un
traitement est un motif susceptible de justifier la libération conditionnelle une
fois la période de sûreté écoulée. En revanche, dans certains pays européens,
l’âge élevé des détenus peut justifier la libération avant l’exécution de la totalité
de la peine. Ainsi, l’Espagne et l’Italie ont adopté des mesures qui prennent en
comptent l’âge des détenus. Les détenus espagnols peuvent, à partir de 70 ans,
demander leur libération conditionnelle s’ils bénéficient d’ores et déjà d’un
régime de semi-liberté et justifient d’une bonne conduite. Les détenus italiens
âgés de plus de 60 ans peuvent exécuter leur peine à domicile ou dans un
32 Les chiffres-clés de l’administration pénitentiaire 2005.
33 ministère de la Justice, Cahiers de démographie pénitentiaire, Vieillir en prison, n°10, novembre
2001.
34 INSEE, L’histoire familiale des hommes détenus, Collection synthèses, n°59, janvier 2002.
30
établissement de soins dans la mesure où ils sont handicapés même partiellement
et ou leur reste de peine à purger ne dépasse pas quatre ans35.
2.5. Une forte proportion de détenus de nationalité étrangère et d’origine
étrangère
Au 1er avril 2005, les personnes détenues de nationalité étrangère
représentaient 21,1 % de la population incarcérée36. L’Outre-mer est
particulièrement concerné par cette situation : plus de la moitié de la population
carcérale de Guyane est étrangère et principalement originaire du Surinam et du
Brésil, les longues peines étant par ailleurs transférées dans les maisons centrales
de métropole. Par ailleurs, 69 % des détenus de la maison d’arrêt de Majicavo à
Mayotte sont d’origine comorienne et âgés en moyenne de 25 ans.
Selon une étude réalisée en 1999 par les Cahiers de démographie
pénitentiaire, l’analyse de la répartition par infraction principale montre que les
étrangers constituent la quasi-totalité des personnes écrouées pour délit à la
police des étrangers.37 Dans ces conditions, comment favoriser la réinsertion
socioprofessionnelle de ces détenus sachant qu’un étranger ne peut exercer une
activité professionnelle salariée sans avoir obtenu au préalable une autorisation
de travail ?
L’augmentation de la population carcérale en France s’accompagne aussi
d’une modification des caractéristiques traditionnelles de cette population. Même
si le phénomène reste difficile à appréhender au plan statistique, plusieurs
témoignages et enquêtes sociologiques tendent à montrer qu’une proportion
significative de la population carcérale est issue de l’immigration (a). Ce constat
constitue un fait social majeur dont il convient d’analyser les causes (b).
a) La population d’origine étrangère : un phénomène difficile à cerner
malgré un faisceau d’indices convergents
Aborder la question de la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration
et, par voie de conséquence, de leur sur-représentation dans les prisons françaises
est un exercice difficile, sinon tabou tant est forte la crainte de voir cette question
instrumentalisée par les politiques et de stigmatiser une population déjà en proie
à de grandes difficultés d’intégration.
Il est vrai aussi que ce phénomène reste difficile à appréhender et à chiffrer
dans la mesure où la majorité des enfants d’immigrés sont de nationalité
française. Or les trois champs de renseignements exigés par les autorités sur les
personnes mises en cause sont le sexe, le statut de majeur ou mineur et la
nationalité française ou étrangère. Le mode actuel de recueil des données et la
législation ne permettent pas d’appréhender directement le phénomène de la
35 Sénat, Service des affaires européennes, Division des études de législation comparée,
La libération des détenus âgés, novembre 2001.
36 Audition de M. Patrice Molle, Directeur de l’administration pénitentiaire, devant la section des
Affaires sociales au Conseil économique et social le 2 février 2005.
37 Ministère de la Justice, Cahiers de démographie pénitentiaire, Détenus étrangers, n°6, mars 1999.
31
surdélinquance des jeunes issus de l’immigration avec la même précision que
celle des étrangers.
Dans un rapport de 200438, la Cour des comptes a souligné la pauvreté des
statistiques relatives à la situation des immigrés présents sur notre sol. Sur les
étrangers établis en France, les immigrés, la génération de leurs enfants « La
Cour constate que si l’information est d’une pauvreté préoccupante sur la
condition des populations concernées, c’est aussi que les dispositifs statistiques
de droit commun s’y intéressent peu : les critères qui permettraient d’étudier les
étrangers, les immigrés ou les personnes d’origine immigrée sont soit absents
lors de la conception de nombreuses enquêtes, soit présents mais inexploités ».
Elle constate également que « la situation des immigrés au regard de l’emploi,
de l’éducation et du logement demeure largement méconnue. La connaissance
statistique se heurte au demeurant au souhait de ne pas donner prise à la
discrimination ». La Cour en tire la conséquence essentielle que « cette situation
constitue un handicap majeur pour la conduite d’une politique publique
efficace ».
Toutefois, le sénateur Jean-Claude Carle tire la sonnette d’alarme dans un
rapport portant sur la délinquance des mineurs39. En s’appuyant sur une étude du
sociologue Sébastian Roché, le rapport souligne que « la majorité des délits peu
graves sont commis par des adolescents dont un parent ou les deux parents sont
nés en France (68 %). Une forte minorité des actes peu graves sont commis par
des adolescents dont un parent ou les deux parents sont nés hors de France
(32 %). Les adolescents dont les deux parents sont nés hors de France
commettent 46 % des actes graves ».
Il est aussi possible de se référer à des enquêtes qui s’appuient sur l’étude
des patronymes comme celles de Lagrange (2001)40. Elles concluent que le
phénomène de surdélinquance dépend du contexte local. Ainsi on observe une
surdélinquance dans les grands ensembles urbains dits « zones sensibles ». De
même, la pratique de la religion musulmane est un indicateur utile pour estimer la
population carcérale issue de l’immigration. A cet égard, Farhad Khosrokhavar,
directeur d’études à l’EHESS, avance un taux de détenus musulmans par rapport
à la population carcérale « dépassant les 50 %, avoisinant parfois les 70 %, voire
80 % dans les prisons proches des banlieues, soit huit prisonniers sur dix. Or ils
ne représentent que 7 à 8 % de la population française »41.
Enfin, le constat de la sur-représentation de la population issue de
l’immigration dans les prisons françaises a été dressé par de nombreux
acteurs des prisons : aumôniers, surveillants et magistrats. Comme le relève un
magistrat auditionné par le Conseil économique et social, « si vous visitez les
38 L’accueil des immigrants et l’intégration des populations issues de l’immigration, rapport public
particulier. Cour des Comptes, novembre 2004.
39 Délinquance des mineurs, la République en quête de respect, rapport de la Commission
d’enquête du Sénat, n°340, p. 46, Jean-Claude Carle, rapporteur, 2002.
40 Cité par Laurent Mucchielli in Etat, société et délinquance, Cahiers français n°308, mai-juin
2002.
41 L’islam dans les prisons, Farhad Khosrokhavar, Balland, 2004.
32
prisons de la banlieue parisienne, de Lille, de Lyon et de Marseille, vous
trouverez en effet beaucoup de gens issus de l’immigration. Et je pense que cela
est un vrai sujet. Cela ne veut pas dire non plus que tous les enfants issus de
l’immigration sont en prison. Il y a donc bien un travail à effectuer du point de
vue du passage à l’acte mais certainement également du point de vue des
parcours sociaux. »42.
Comme le notait également Madeleine Rebérioux, « il suffit de longer, un
dimanche, les murs de la Santé, à l’ombre des marronniers du boulevard Arago,
pour entendre les voix qui tentent de communiquer, depuis la vieille prison, avec
les femmes et les enfants qui parcourent le boulevard : la langue que l’on
entend, ce n’est ni celle de Proust, ni celle de nos distingués économistes, mais
ce mélange d’arabe et d’argot des cités, auquel on reconnaît ceux qui peuplent,
en masse, nos prisons. Maghrébins, massivement, bien sûr, toujours
discriminés. »43
b) Un phénomène révélateur des difficultés d’intégration
Ce phénomène est le symptôme le plus grave des difficultés d’intégration
de la communauté africaine, en particulier maghrébine, en France. Celui-ci nous
interpelle sur l’efficacité des politiques d’intégration et pose la question de
l’adéquation de la réponse judiciaire à cette non-intégration.
Pour expliquer ce phénomène, le rapport précité du Sénat met en évidence
le fait « que ces jeunes cumulent certains facteurs associés à la délinquance :
une plus faible supervision parentale, une résidence plus fréquente dans le parc
HLM hors centre-ville, un niveau de revenu et de scolarisation faible des
parents, un absentéisme scolaire élevé. ». En effet, la sur-représentation de la
population carcérale issue de l’immigration ne procède pas d’une propension
plus grande à la déviance, mais elle est avant tout le résultat d’une combinaison
de difficultés sociales dans un contexte culturel, socioéconomique, urbain et
familial souvent difficile comme l’ont bien montré les travaux de Laurent
Mucchielli44, chargé de recherche au CNRS.
Contexte culturel : issus des générations de la main-d’œuvre immigrée
pendant les « Trente Glorieuses », les enfants d’immigrés se situent au confluent
des deux cultures maghrébine et française. Ils ne parlent pas l’arabe pour la
plupart et ne connaissent pas bien leur culture d’origine. Inversement, ils ont une
maîtrise de la langue française très relative et ils ne sont pas toujours perçus
comme des Français à part entière. Ils ne sont non plus Arabes au sens strict du
terme puisque l’instruction scolaire, leur environnement immédiat et les médias
ont entraîné une acculturation qui les éloigne de la culture de leurs parents :
immigré ici et Français là-bas. L’épineux problème de la question identitaire a
42 Audition de Mme Isabelle Gorce, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, devant la section
des Affaires sociales du Conseil économique et social le 15 décembre 2004.
43 Madeleine Rebérioux, préface du livre Le sens de la peine, Nicolas Frize, Editions Léo Scheer,
2004.
44 Etat, société et délinquance, Cahiers Français n°308, op. cit.
33
constitué et constitue à ce jour un défi important pour l’intégration de la
communauté d’origine maghrébine en France.
Contexte urbain : le deuxième facteur qui a concouru à la perte des repères
sociaux est « l’enfermement » dans les banlieues ou les cités45. En effet les
logements accordés aux immigrés dans les années 60 sont de grands ensembles
urbains éloignés des centres-villes. Mais les enfants d’immigrés qui, eux sont
Français, ont été oubliés dans cette gestion de l’immigration. Les cités ont créé
des espaces où des populations immigrées et leurs enfants ont grandi avec les
mêmes difficultés et les mêmes espoirs déçus, d’où ce sentiment très répandu
chez les jeunes issus de l’immigration d’être rejetés et victimes de
discriminations. La promiscuité et l’insalubrité des logements ont conduit les
enfants à jouer dans la rue et être éduqués par elle : la violence, le vol et les
trafics en tout genre ont essaimé jusqu’à constituer de véritables économies
parallèles et par là même une alternative à l’intégration dans l’économie et la
société françaises.
Contexte familial : le modèle familial qui reste la première référence pour
les jeunes délinquants issus de l’immigration a été très fragilisée alors que la
famille doit demeurer un lieu d’éducation et de socialisation. L’autorité du père
s’est considérablement réduite suite à la perte de l’emploi et par conséquent de
son statut. L’absence du père dans beaucoup de cas s’est largement fait ressentir
sur les jeunes hommes d’origine maghrébine qui sont plus exposés à la
délinquance faute d’autorité, celle-ci étant, dans cette culture patriarcale, le
privilège de l’homme.
Contexte socioéconomique : les mutations économiques des années
quatre-vingt mettent à mal le modèle d’intégration par le travail, la demande de la
main-d’œuvre peu ou pas qualifiée recule fortement et fragilise les communautés
d’origine maghrébine. Tout d’abord le modèle familial du patriarcat est remis en
cause par le chômage du père, le chef de famille. De même, les jeunes Français
d’origine immigrée ont beaucoup de mal à trouver un emploi à cause de leur
faible qualification et de leurs origines46. Comme de nombreux jeunes de leur
génération, le contexte économique ne leur permet pas d’espérer une intégration
rapide sur le marché de l’emploi. Ils sont alors victimes d’une marginalisation
économique croissante, de conditions de vie précaires qui vont, pour une partie
d’entre eux, déterminer leur parcours et les conduire sur le chemin de la
délinquance.
Tout cela a pour conséquence un manque de repères qui souvent va jusqu’à
l’ignorance des interdictions les plus élémentaires : les lacunes d’intériorisation
des normes sociales avec son lot d’incivilités, d’agressions contre des biens
publics ou des personnes constituent dès lors un engrenage vicieux dans lequel
s’enferme une part de plus en plus significative des jeunes issus de l’immigration.
45 Ségrégation urbaine et intégration sociale, Jean-Paul Fitoussi et Joël Maurice, rapport du Conseil
d’analyse économique, février 2004.
46 Voir à ce sujet le rapport de Roger Fauroux, au nom de la Haute autorité de lutte contre les
discriminations, remis au ministre de la Cohésion sociale, en septembre 2005.
34
3. De fréquentes situations de précarité sociale parmi les entrants en
détention
Une enquête de la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et
des statistiques (DREES) du ministère de la Santé, réalisée sur 2 300 entrants en
détention en juin 2001 examinés par les médecins psychiatres des services
médico-psychologiques régionaux (SMPR) a montré que « parmi les détenus
âgés de plus de 25 ans, 28 % vivaient seuls avant l’incarcération, 10 % étaient
sans domicile fixe, la moitié n’avait pas d’activité professionnelle (... ) 11 %
percevaient le Revenu minimum d’insertion (RMI), 4 % des allocations de
chômage ASSEDIC, 6 % l’Allocation pour adulte handicapé (AAH) et 2 % une
pension d’invalidité »47.
L’INSEE a montré la faiblesse du capital scolaire des détenus et une
sur-représentation des catégories sociales les plus démunies.48 Les détenus ont
quitté l’école avant 18 ans pour les trois quarts d’entre eux, soit trois ans plus tôt
que dans l’ensemble de la population et même avant 16 ans pour un quart d’entre
eux. Une enquête sur les personnes entrant en détention, portant sur 1 208
personnes réparties dans tous les établissements, a montré que les situations des
personnes confiées à l’administration pénitentiaire sont particulièrement difficiles
et précaires. 64 % des personnes entrant en détention n’ont aucun diplôme ou
détiennent pour 7% un certificat d’études primaires ou un certificat de formation
générale49 ; 30 % sont en difficulté de lecture. Le taux d’activité des personnes à
l’entrée en détention est de 49 % alors que celui des hommes de 15-64 ans est de
75 % et s’élève à 91 % pour les 25-29 ans (enquête emploi INSEE 2003). Quant
à la situation sociale, 11 % des personnes se sont déclarées SDF et 12 %
disposent d’un logement précaire. Certaines catégories socioprofessionnelles sont
sur-représentées : un détenu sur deux est ou a été ouvrier contre un sur trois pour
l’ensemble de la population. Les cadres supérieurs sont quatre fois moins
nombreux (3,3 % contre 13,2 %) et le risque d’être incarcéré est quatre fois plus
faible.50
Lors de son audition par la section des Affaires sociales, M. Gabriel
Mouesca, Président de l’OIP, a dénoncé le « cercle vicieux liant pauvreté,
exclusions et milieu carcéral. »51. Il a notamment rappelé que « le risque
d’incarcération varie de un à quatre entre les hommes cadres et ouvriers, de un
à deux entre les fils de cadres et les fils d’ouvriers. ». Le fait que la prison
incarcère majoritairement les pauvres est un constat également dressé par
47 M. Coldefy, P. Faure, N. Priero, La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis
par les SMPR, DREES, Etudes et Résultats, n°181, juillet 2002.
48 INSEE, L’histoire familiale des hommes détenus, Collection synthèses, n°59, janvier 2002.
49 Le certificat de formation générale est accessible aux candidats qui, au cours de l’année civile de
l’examen, ne sont plus soumis à l’obligation scolaire. Il garantit l’acquisition de connaissances
générales en français, mathématiques et donne droit à des équivalences en vue de la poursuite
d’études pour l’obtention ultérieure d’un diplôme professionnel délivré par le ministère de
l’Éducation nationale.
50 Audition de M. Patrice Molle, Directeur de l’administration pénitentiaire, devant la section des
affaires sociales au Conseil économique et social le 2 février 2005.
51 Audition du 16 février 2005.
35
Emmaüs France lors d’un colloque récent. Selon cette association, ce constat ne
s’explique pas seulement par le fait que « la pauvreté peut produire de la
délinquance, mais parce qu’à tous les niveaux de l’appareil judiciaire, la
pauvreté joue contre ceux qui en sont victimes. Comment échapper à la
détention provisoire si on ne peut justifier d’un logement ? Comment obtenir une
libération conditionnelle quand rien ni personne ne vous attend dehors ? »52.
De nombreux travaux de chercheurs53 font un lien entre le profil
socio-économique des entrants en prison et les bouleversements liés à la crise
économique qui a, depuis le milieu des années 70, ébranlé le modèle de l’Etat
providence qui régule notre société. Le chômage a brutalement touché les jeunes
et les ouvriers peu qualifiés. Ces mêmes travaux avancent l’hypothèse d’une
« pénalisation du social54 ». Toutefois, l’aspect sociologique n’explique
certainement pas toutes les causes de criminalité notamment les crimes sexuels.
Pour autant, si la pauvreté en elle-même n’est pas directement la cause des délits
(sauf cas spécifique, comme, par exemple, celui du vol de nourriture quand on
meurt de faim), il y a de fait un lien étroit entre pauvreté et délinquance. Or, à
moins de considérer abusivement que tout individu pauvre est un délinquant en
puissance, il est clair que nous nous trouvons ici face à une question de société. Il
s’agit de comprendre que notre société ne résoudra jamais la fracture sociale en
pénalisant à outrance ceux qui en sont les premières victimes. Tant que l’accès de
tous aux droits fondamentaux, au droit commun, ne sera pas un axe central de
notre vie en société, les plus pauvres et exclus seront acculés de fait à l’assistance
et, parfois, à des comportements qui tomberont sous le coup de la loi. Certes, il
n’y a pas de droits sans devoirs. Mais l’inverse est également vrai : on ne peut
exercer ses devoirs si on n’est pas respecté dans ses droits fondamentaux.
4. Situation familiale des détenus
A l’occasion du recensement de la population en 1999, l’INSEE, en
collaboration avec l’administration pénitentiaire, a réalisé une enquête sur
l’histoire familiale des détenus. Cette enquête permet de comparer l’histoire des
hommes incarcérés avec celle du reste de la population.
La relation des détenus avec leurs parents est fragile. L’âge de départ du
domicile familial est souvent précoce : un détenu sur sept est parti avant 15 ans,
la moitié avant 19 ans et 80 % avant 21 ans. L’enquête révèle la précocité des
unions et de la paternité des détenus. 19,9 % des détenus ont connu leur première
vie de couple avant 20 ans contre 3,5 % pour l’ensemble des hommes. Les
détenus pères ont leur premier enfant deux ans avant les autres hommes, en
52 « Pauvreté, exclusions : la prison en question », colloque organisé par Emmaüs France et l’OIP
France, Mairie de Paris, février 2005.
53 Voir notamment les travaux de Anne Marie Marchetti, de Laurent Mucchielli et de Loic Wacquant
54 Selon Philippe Mary : « Depuis une vingtaine d’années, dans les sociétés occidentales, on
assisterait à la prise en charge par la pénalité (...) d’un nombre croissant de problèmes sociaux
qui étaient auparavant du ressort d’autres institutions sociales (famille, écoles, monde associatif,
monde du travail...) et, partant, à l’extension et au durcissement du contrôle social, en
particulier à l’égard des groupes dits à risques. », Philippe Mary, Insécurité et pénalisation du
social, Editions LABOR, 2003.
36
moyenne à 25 ans. Les détenus de 50 ans et plus se distinguent plutôt par une
descendance plus importante : 33 % d’entre eux, contre 17 % des autres hommes,
ont eu au moins quatre enfants55.
La vie conjugale des détenus est souvent instable, marquée par beaucoup de
ruptures et de fréquentes recompositions familiales. Au moment de l’enquête,
moins de la moitié des détenus déclare vivre en couple, un quart vit seul après
une rupture et le dernier quart déclare n’avoir jamais vécu en couple. La rupture
conjugale précède souvent l’incarcération mais on observe aussi un risque de
rupture important au moment de l’incarcération avec près de 11 % de détenus qui
déclarent que leur union s’est terminée durant le mois qui l’a suivie. Ce risque
diminue par la suite mais en cas d’absence de libération, on observe tout de
même 20 % d’unions rompues dans les douze premiers mois et 25 % dans les
deux ans. En dépit de la fréquence de nouvelles unions, les hommes détenus
vivent plus souvent seuls.
Les catégories professionnelles des conjointes des détenus traduisent la
même appartenance sociale que les détenus. Elles sont globalement aussi
nombreuses que les autres femmes de la population générale dans les professions
peu qualifiées. En revanche, elles exercent une activité commerciale à leur
compte (commerces, magasins...) plus souvent que les autres. Elles ont aussi un
passé conjugal et familial complexe : 22 % d’entre elles ont eu des enfants d’une
précédente union. Ainsi, 18 % des détenus déclarent avoir élevé des enfants issus
des unions précédentes de leur conjointe contre 4 % seulement pour l’ensemble
des hommes.
L’enquête a également démontré que plus de 70 000 enfants, dont 73 %
sont mineurs, ont un père ou un beau-père en prison. Leur âge moyen est de
16 ans. Parmi eux, un enfant sur cinq a moins de 6 ans. Un tiers des enfants est né
après l’incarcération de leur père et n’a donc jamais connu leur père en dehors de
la prison. Par ailleurs, pour 4 000 enfants ne résidant pas en France
métropolitaine, la séparation est renforcée par l’éloignement géographique.
Enfin, les détenus viennent de familles nombreuses : plus de la moitié des
détenus ont quatre frères ou sœurs ou davantage, contre moins de un sur trois
pour l’ensemble des hommes, et un sur vingt est issu d’une famille de plus de dix
enfants. A âge égal, les hommes issus d’une famille de cinq ou six enfants sont
3,4 fois plus souvent en prison que ceux qui n’ont qu’un frère ou une sœur56. Ce
simple constat statistique dont on ne peut tirer aucun lien de causalité doit être
rapproché de l’importance relative des familles nombreuses parmi les couches
sociales défavorisées.
55 INSEE Première, Précocité et instabilité familiale des hommes détenus, n°828, février 2002.
56 INSEE Première, L’histoire familiale des hommes détenus, n°706, avril 2000.
37
5. La fragilité de l’état de santé des entrants en prison
5.1. Etat de santé général
Si 80 % des entrants en prison au cours de l’année 2003 ont été jugés en
bon état de santé général à leur arrivée en prison, ils déclarent toutefois beaucoup
plus de consommations de substances psychoactives (a). Les femmes et les
mineurs, groupes peu nombreux en prison, ont des usages encore plus importants
de produits psychoactifs eu égard à l’ensemble de la population (b).
a) La situation sanitaire des hommes
L’enquête sur la santé des entrants de prisons57 recueille, à l’occasion de la
visite médicale d’entrée, des informations sur les facteurs de risque pour la santé
de la population des entrants et les pathologies constatées à l’entrée, repérées en
particulier par les traitements en cours. La dernière enquête date de 2003. Au
cours de cette année, l’administration pénitentiaire a enregistré 80 621 entrées
dans les maisons d’arrêt. Parmi elles, 3 970 (soit 4,9 %) ont concerné des
mineurs et 3 634 (soit 4,5 %) des femmes58.
La loi du 18 janvier 199459 organise la couverture sociale des détenus en
les affiliant tous, dès l’incarcération, à l’assurance maladie et maternité du régime
général de la Sécurité sociale. Malgré la mise en place en 2000 de la Couverture
maladie universelle (CMU) et de l’Aide médicale d’Etat (AME), 13,6 % des
personnes déclarent ne pas avoir de protection sociale à leur arrivée en prison.
Les proportions d’entrants déclarant bénéficier de la CMU ou de l’AME
(respectivement 17,3 % et 0,8 %) sont nettement supérieures à celles relevées
dans l’ensemble de la population (respectivement 2,5 % et 0,25% au 30 juin
2003).
Après l’examen clinique d’entrée, les médecins jugent 80 % des entrants en
bon état de santé général tandis que 18 % des entrants sont jugés dans un état de
santé moyen. A l’inverse, 1,7 % sont considérés comme étant en mauvais état
général. Les médecins estiment qu’un peu plus de la moitié des arrivants a besoin
de soins bucco-dentaires, non urgents dans 95 % des cas mais 2,7 % des entrants
requièrent des soins urgents. Les traitements médicamenteux en cours à l’arrivée
témoignent de maladies dont le traitement est appelé à se poursuivre en prison.
Hormis les problèmes de santé mentale, il s’agit le plus souvent d’asthme, de
maladies cardiovasculaires et d’épilepsie. La prévalence de ces maladies parmi
les entrants en prison est sensiblement plus élevée que celle observée dans la
population générale. Près de 40 % des entrants déclarent avoir fait un test de
dépistage du sida avant l’incarcération et 1,1 % être séropositifs. Parmi eux,
44 % ont un traitement en cours par trithérapies ou autres antirétroviraux. Un
entrant sur cinq déclare avoir fait un test de dépistage de l’hépatite B avant son
incarcération et le taux de séropositivité déclarée s’élève à 0,8 %. Trois nouveaux
57 Enquête intitulée « Fiche santé entrant de l’état de liberté » réalisée pour la première fois en 1997
dans l’ensemble des établissements pénitentiaires et renouvelée en 2003.
58 DREES, Études et résultats, La santé des personnes entrées en prison en 2003, n°386, mars 2005.
59 Loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale.
38
détenus sur dix déclarent avoir fait un test de dépistage de l’hépatite C et 3,1 %
être contaminés par ce virus, seuls 1,5 % déclarent suivre un traitement antiviral.
La prévalence du tabagisme quotidien est plus élevée parmi les entrants en
prison que dans l’ensemble de la population et ce quel que soit l’âge. Un peu plus
de trois entrants sur dix déclarent une consommation excessive d’alcool. 6 % des
entrants en prison se sont vus prescrire une consultation spécialisée en
alcoologie. Le tiers des nouveaux détenus déclare une consommation prolongée
et régulière de drogues illicites au cours des douze derniers mois précédant leur
incarcération. 7 % des personnes nouvellement incarcérées déclarent bénéficier
d’un traitement de substitution, dont huit sur dix par subutex (traitement qui peut
être prescrit par tous les médecins à la différence de la méthadone). Le plan
gouvernemental 2004-2008 de lutte contre les drogues illicites, le tabac et
l’alcool comprend un objectif d’amélioration de l’accès aux traitements de
substitution par méthadone en les rendant accessibles dans tous les
établissements pénitentiaires. Par ailleurs, près d’un entrant sur sept déclare
suivre un traitement par médicament psychotrope (dans la plupart des cas,
traitement par anxiolytiques ou hypnotiques). Enfin, le quart des personnes
entrées en prison en 2003 déclare au moins deux consommations de substances
psychoactives : consommation importante de tabac (plus de vingt cigarettes par
jour), consommation excessive régulière ou discontinue d’alcool, utilisation
prolongée et régulière de drogues illicites dans les douze mois précédents
l’incarcération ou traitement à base de médicaments psychotropes en cours à
l’arrivée60.
b) Les femmes et les mineurs
L’examen clinique des mineurs nouvellement incarcérés signale un bon état
général dans 91 % des cas et constate un bon état bucco-dentaire dans 63 % des
cas. A leur arrivée en prison, 70 % des mineurs fument et 20 % ont une
consommation excessive d’alcool. A l’issue de l’examen médical, 12,1 % des
mineurs sont orientés vers une consultation spécialisée en psychiatrie. Aucun
mineur entrant en prison ne déclare une séropositivité pour le VIH, le VHB et/ou
le VHC.
A leur arrivée en prison, les femmes sont fréquemment jugées en bon état
général mais 2,7 % des entrantes ont été trouvées en « mauvais état général ».
Leur état bucco-dentaire est jugé bon par le médecin dans 53 % des cas et
pratiquement aucune femme ne requiert de soins dentaires urgents. 27 % des
femmes entrant en prison déclarent avoir eu un suivi gynécologique dans les
douze mois précédant leur incarcération. Compte tenu de l’âge de ces femmes
(30 ans en moyenne), cette proportion apparaît beaucoup plus faible que celle
observée dans la population. Ces résultats sont probablement en partie liés aux
conditions de vie difficiles d’une grande partie d’entre elles : plus d’une sur trois
déclare ne pas avoir de domicile stable et près d’une sur trois ne pas avoir de
protection sociale avant leur incarcération. 23 % des entrantes sont orientées vers
une consultation spécialisée en gynécologie. 63 % des femmes déclarent fumer
60 DREES, Études et résultats, La santé des personnes entrées en prison en 2003, n°386, mars 2005.
39
du tabac quotidiennement, 17 % déclarent consommer excessivement de l’alcool.
La prévalence d’un tabagisme quotidien important est sept fois plus élevée parmi
les femmes entrant en prison que parmi les femmes en population générale. La
prévalence d’une consommation excessive d’alcool est quatre fois plus élevée
parmi les femmes entrant en prison que parmi l’ensemble des femmes. 19 % des
femmes nouvellement incarcérées déclarent avoir régulièrement consommé des
drogues illicites dans les douze mois précédant leur incarcération. 3,8 % des
entrantes déclarent être séropositives pour le VIH, 2 % pour le VHB et 2,6 %
pour le VHC.
5.2. Santé mentale
Une enquête nationale sur la santé mentale61, effectuée en 1997, avait
révélé que 8,6 % des hommes et 13 % des femmes étaient suivis par un service
psychiatrique dans l’année qui précède l’incarcération. De cette même enquête, il
ressortait qu’au moment de l’écrou, 17,1 % des hommes recevaient un traitement
psychotrope ; ainsi, 3,5 % recevaient des neuroleptiques contre 0,7 % dans la
population générale. Le pourcentage de sujets présentant des troubles mentaux
lors de l’emprisonnement était compris entre 14 % et 25 % et atteignait même
environ 30 % pour les femmes.
Une autre enquête précitée de la DREES réalisée sur 2 300 entrants en
détention en juin 2001 a montré que, lors de l’incarcération, « au moins un
trouble psychiatrique de gravité plus ou moins importante a été repéré chez
55 % des entrants »62. Parmi eux, on distingue ceux qui souffrent de troubles
anxieux (55 % des cas), de troubles addictifs (54 %), de troubles
psychosomatiques incluant des troubles du sommeil et de l’alimentation (42 %),
de troubles du comportement (40 %) : impulsivité, passage à l’acte, colère,
excitation psychomotrice... Un entrant sur cinq a déjà été suivi par un secteur de
psychiatrie générale. 11 % avaient déjà été hospitalisés dans un service de
psychiatrie. 59 % des femmes écrouées présentaient des troubles de santé
mentale et 18 % une psychose (...).
Le ministère de la Santé, en collaboration avec le ministère de la Justice, a
réalisé une étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues
dans les établissements pénitentiaires.63
Les résultats confirment l’ampleur et l’aggravation du phénomène des
troubles mentaux affectant les personnes détenues. Ainsi, 35 % d’entre elles ont
eu avant leur incarcération un suivi pour motif d’ordre psychiatrique, huit
personnes sur dix sont atteintes d’au moins un trouble psychologique grave
(névrose et dépression) ou psychiatrique. 40 % d’entre elles ont un risque
suicidaire, risque à caractère élevé pour la moitié. La majorité des participants
atteints le sont par plusieurs troubles mentaux. Le taux de personnes atteintes de
61 M.C. Mouquet, M. Dumont, M.C. Bonnevie, La santé à l’entrée en prison : un cumul de facteurs
à risques, Etudes et Résultats (DREES), n°4, janvier 1999.
62 « La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les SMPR », op. cit.
63 Enquête de prévalence des troubles mentaux parmi les personnes détenues ; Professeurs Bruno
Falissard et Frédéric Rouillon, 2005.
40
troubles psychotiques en milieu libre était évalué en 2004 à 2,8 % par l’étude
« Santé mentale en population générale » de l’OMS contre près d’un quart des
personnes détenues en moyenne et de la moitié de celles détenues en maison
centrale.
Face à ce constat, il convient de s’interroger sur les raisons qui expliquent
le nombre important de malades mentaux dans les établissements pénitentiaires.
Ainsi que cela a été très bien décrit par Mme Betty Brahmy, médecin chef du
Service médico-psychologique régional (SMPR) de la maison d’arrêt de
Fleury-Mérogis, « quatre facteurs expliquent le nombre croissant de personnes
incarcérées dans les établissements pénitentiaires français alors qu’elles
présentent de graves troubles psychiatriques : 1. le fonctionnement de la justice ;
2. la pratique en matière d’expertise psychiatrique ; 3. les conditions
d’incarcération ; 4. le fonctionnement actuel de la psychiatrie publique. »64.
S’agissant du fonctionnement de la justice, le docteur Betty BRAHMY
souligne que « Chaque affaire jugée en comparution immédiate est le plus
souvent traitée très rapidement ; or, les personnes souffrant de troubles mentaux
ont souvent des difficultés pour s’exprimer. Il leur est difficile, notamment,
d’évoquer le fait qu’ils font l’objet d’un suivi psychiatrique intensif, dans un
contexte peu favorable à l’expression de la souffrance psychique ».
La situation de la psychiatrie publique explique pour partie l’augmentation
du nombre de malades mentaux incarcérés : grand nombre de postes de
psychiatres vacants (800) et réduction du nombre de lits d’hospitalisation pour
des raisons budgétaires.
Ce constat rejoint celui posé par un rapport d’information de l’Assemblée
nationale qui indique que « le nombre des personnes incarcérées présentant des
troubles mentaux est également le résultat de l’échec du système psychiatrique
français et du démantèlement progressif des capacités d’hospitalisation en
milieu ouvert et de suivi à domicile qui ont pour effet d’orienter vers la prison
des personnes qui ne devraient pas, de prime abord, s’y retrouver, à l’instar des
malades en rupture de soins dont le comportement à, de ce fait, pu devenir
constitutif d’une infraction. »65.
En effet, selon Catherine Paulet, chef du SMPR à Marseille, « les raisons
expliquant la concentration de personnes souffrant de troubles mentaux dans les
prisons ne sont pas circonstancielles, mais désormais structurelles. C’est un
mouvement sociétal qui s’organise, en contrepoint de l’ouverture prônée par la
communauté psychiatrique, et qui vise à neutraliser les malades mentaux et
assimilés (déviants sociaux) pour se protéger de leur dangerosité,
criminologique ou psychiatrique, supposée ou avérée »66.
64 Docteur Betty Brahmy, Psychiatrie et prison, Etudes, n°4026, juin 2005.
65 Rapport d’information n°1718 de l’Assemblée nationale, sur le traitement de la récidive et des
infractions pénales, 2004.
66 « L’évolution du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire » ; Revue SOINS ; n° 701 ;
Décembre 2005.
41
Encadré 2 : L’irresponsabilité pénale de l’article L 122-1 du code pénal
La responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction est subordonnée à la faculté pour ce
dernier d’avoir pu décider librement de commettre les faits incriminés. Ainsi, l’article 122-1 du code
pénal distingue selon que le discernement de la personne a été aboli par un trouble psychique ou
neuropsychique, ce qui entraîne l’irresponsabilité pénale de l’intéressé (alinéa 1), ou simplement
altéré par un tel trouble, ce qui atténue sa responsabilité pénale sans la remettre en cause (alinéa 2).
Cependant, le trouble psychique ou neuropsychique ne peut constituer une cause d’irresponsabilité
pénale qu’à la condition d’être concomitant aux faits et en rapport direct avec l’infraction commise.
Ces éléments sont souverainement appréciés par les juges du fond, qui forment le plus souvent leur
conviction après avis d’un expert psychiatre, qui ne les lie pas. Sur une plus longue période, il ressort
des données tirées du répertoire de l’instruction que la proportion des ordonnances de non-lieu
prononcées pour irresponsabilité pénale due à des troubles mentaux est restée stable par rapport au
nombre de personnes mises en examen entre 1987 (0,46 %) et 1999 (0,45 %). En valeur absolue, une
diminution est même constatée, le nombre d’ordonnances de non-lieu pour irresponsabilité pénale
due à des troubles mentaux étant passé de 444 à 286.
5.3. Le handicap en milieu carcéral
La présence en prison de personnes souffrant d’incapacités pose à la fois la
question de leur réinsertion et celle de leurs conditions de vie. L’enquête
HID-prisons67 porte sur trente-deux établissements pénitentiaires de France
métropolitaine68 et concerne 2 800 détenus. Les personnes détenues mineures,
hospitalisées ou bénéficiant d’un régime de semi-liberté ne font pas partie de
cette enquête.
Plus de trois personnes détenues sur cinq rencontrent dans leur vie
quotidienne des difficultés physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales
liées à des problèmes de santé. A structure par âge et par sexe identique, cette
proportion n’est que d’une personne sur quatre dans le reste de la population, y
compris les institutions socio-sanitaires. Les incapacités sont le plus souvent
antérieures à l’incarcération. 24 % des personnes détenues subissent au moins
quatre difficultés (difficultés de toilette et/ou d’habillage et/ou d’alimentation,
difficultés de déplacements, difficultés de vision et/ou d’audition et/ou de parole,
difficultés de comportement et ou d’orientation, etc). Un détenu sur quatre
bénéficie de la reconnaissance officielle d’un taux d’incapacité. 3 % des
personnes incarcérées déclarent avoir besoin de l’aide d’une tierce personne en
raison d’un problème de santé et 4 % utilisent de façon régulière, ou auraient
besoin d’une prothèse, d’un dispositif technique ou d’un appareillage. Enfin,
4 % des personnes détenues ont un état de santé qui nécessite que soient apportés
des aménagements particuliers à leur cellule69.
67 L’enquête HID-prisons est une extension de l’enquête HID (Handicap-Incapacités-Dépendance)
réalisée en 1998 et 1999 sur les ménages et les personnes vivant en institutions socio-sanitaires.
68 Vingt-cinq maisons d’arrêt, six centres de détention et une maison centrale.
69 INSEE Première, Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur, n°854, juin 2002.
42
B - UNE NÉCESSITÉ POLITIQUE POUR MIEUX LUTTER CONTRE LA RÉCIDIVE
1. L’évolution des taux de récidive
En 2001, sur les 326 053 personnes condamnées pour délit, 102 127
avaient déjà été condamnées une fois entre 1997 et 2001, ce qui situe le taux de
récidive à 31.3 %. Ce taux est en progression depuis 1997 comme le montre le
tableau qui suit. Pour les crimes, ce taux s’établit à 4,7 % en 2001.
Tableau 8 : Taux de récidive des condamnés pour crime et délit
Délits Crimes
Nombre de
condamnés
Dont
condamnés
avec
antécédent
Taux de
récidive
(sur 5 ans)
Nombre de
condamnés
Dont
condamnés
avec
antécédent
Taux de
récidive
(depuis
1984)
1996 353 982 105 625 29,8 2 755 133 4,8
1997 374 614 109 129 29,1 3 019 139 4,6
1998 383 342 111 765 29,2 3 321 140 4,2
1999 388 734 114 842 29,5 3 439 145 4,2
2000 382 218 117 429 30,7 3 021 117 3,9
2001 326 053 102 127 31,3 2 933 137 4,7
Source : Casier judiciaire national - SDSED - ministère de la Justice dans Infostat Justice n°68,
juillet 2003.
On observe de grandes disparités des taux de récidive selon la nature de
l’infraction commise : il est particulièrement élevé dans le cas des vols (42,2%),
des outrages (46,1%) et pour port d’arme (41%). Il est en revanche plus faible
pour les cas de conduite en état alcoolique (25%), d’escroquerie (23%), de
mœurs (14,6%) ou de travail illégal (10,6%). Quant aux condamnés pour crimes,
sur un nombre de 137 récidivistes en 2001, 87 d’entre eux l’ont été pour vol
aggravé, 28 pour viol et 11 pour homicide.
Si l’on souhaite examiner de façon plus approfondie la question de la
récidive en matière sexuelle, l’étude menée en 1997 sur ce sujet démontre que le
taux de récidive des condamnés pour viols varie entre 2,5 % et 4 % selon l’année
étudiée ce qui est donc légèrement supérieur au résultat obtenu en 2001.
43
Tableau 9 : Taux de récidive par nature de délit
Dont récidivistes d’un
même délit
Nature d’infraction
sanctionnée en 2001
Nombre de
condamnés
en 2001
Nombre de
récidivistes sur
les 5 dernières
années
Taux de
récidive
Nombre %
Tous types de délits 326 053 102 127 31,3 39 149 38,3
Vol recels 74 358 31 355 42,2 18 730 59,7
Conduite en état
alcoolique
90 273 22 696 25,1 12 081 53,2
Autres délits routiers 23 912 8 443 35,3 1 313 15,6
Violences volontaires 31 695 10 594 33,4 2 185 20,6
Autres atteintes à la
personne
6 169 2 161 35,0 183 8,5
Outrages 15 181 6 992 46,1 857 12,3
Stupéfiants 16 788 5 304 31,6 1 299 24,5
Destructions
dégradations
11 682 4 122 35,3 473 11,5
Escroqueries 10 064 2 310 23,0 283 12,3
Port d’arme 3 777 1 553 41,1 93 6,0
Police des étrangers 4 471 1 057 23,6 469 44,4
Mœurs 6 939 1 013 14,6 357 35,2
Abandon de famille 5 038 703 14,0 269 38,3
Travail illégal 5 303 564 10,6 175 31,0
Autres délits 20 403 3 260 16,0 382 11,7
Lecture : en 2001, sur 326 053 condamnés pour délit, 102 127 soit 31,3 % avaient un antécédent
pénal. Parmi ces récidivistes, 39 149 soit 38,3 % ont été condamnés les deux fois pour le même
type de délit.
Source : Casier judiciaire national - SDSED - ministère de la Justice dans Infostat Justice n°68,
juillet 2003.
Une étude réalisée sur un échantillon national représentatif des détenus
condamnés et libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997 fournit des
indications complémentaires particulièrement éclairantes70. Selon cette étude,
52 % des personnes condamnées et sorties de prison en 1996/1997 ont commis
une nouvelle infraction dans un délai de cinq ans après leur libération,
sanctionnée par une condamnation faisant l’objet d’une inscription au casier
judiciaire avant le 1er juin 2002. En revanche, si nous ne retenons que les sortants
de prison condamnés à une nouvelle peine ferme privative de liberté, ce taux,
qualifié de « taux de retour en prison » est encore de 41 %.
2. Les moyens de prévention de la récidive
L’augmentation constante du taux de récidive conduit à s’interroger sur les
moyens à mettre en œuvre pour prévenir la récidive et sur la finalité de la
détention.
70 La récidive des sortants de prison, Cahiers de démographie pénitentiaire, Annie Kensey et Pierre
V. Tournier, mars 2004.
44
2.1. Les aménagements de peine
Le code de procédure pénale dispose que « l’exécution des peines favorise,
dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou
la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin,
les peines peuvent être aménagées en cours d’exécution pour tenir compte de
l’évolution de la personnalité et de la situation du condamné.
L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre
le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans
aucune forme de suivi judiciaire. »71.
Comme l’a écrit Denis Salas, magistrat et enseignant à l’Ecole nationale de
la magistrature, « les travaux de démographie carcérale montrent que c’est la
libération conditionnelle avec ses contrôles et obligations qui évite la récidive.
Actuellement 82 % des condamnés libérés ne bénéficient d’aucun
accompagnement alors qu’il est établi qu’un suivi à la sortie de prison fait
chuter de moitié le risque de récidive. Pour les délinquants sexuels, la prison est
le plus souvent un lieu où il ne se passe rien. Là encore les études disponibles
montrent que le taux de récidive, infiniment plus faible que pour d’autres
infractions, diminue quand il y a un véritable suivi. »72.
Sur les 84 759 détenus libérés en 2004, seulement 18 % ont bénéficié d’un
aménagement de peine soit sous la forme d’une libération conditionnelle par le
juge de l’application des peines (6 180), d’un placement extérieur (2 221) ou
d’une mesure de semi-liberté (6 819).
Tableau 10 : Les aménagements de peine
2001 2002 2003 2004
Liberté
conditionnelle 5 904 6 056 6 428 6 480
Placement
extérieur 2 632 2 550 2 733 2 221
Semi-liberté 6 481 6 527 6 261 6 819
Source : Chiffres de l’administration pénitentiaire
Les études de démographie pénitentiaire ont démontré la relation étroite
entre le mode de libération - c’est-à-dire la libération conditionnelle ou la
libération en fin de peine - et le taux de récidive. Dans une étude récente
concernant les longues peines, il a été montré que le taux de retour en prison dans
un délai de quatre ans après la libération des libérés conditionnels était nettement
inférieur à celui des libérés en fin de peine73.
71 Article 707 du code de procédure pénale.
72 Denis Salas, La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Hachette, mars 2005.
73 Longues peines : 15 ans après, Cahiers de démographie pénitentiaire, direction de
l’administration pénitentiaire, février 2004 ; voir aussi La récidive des sortants de prison, Cahiers
de démographie pénitentiaire, mars 2004.
45
Ainsi que le souligne le rapport d’information sur le traitement de la
récidive des infractions pénales74, la prison a pour effet d’anémier la capacité du
détenu à se prendre en charge et préparer la sortie du détenu, c’est avant tout
réapprendre les gestes de l’autonomie et donc lutter contre la récidive.
M. Jean-Luc Warsmann a également souligné le danger des sorties de prison
« sèches » : « La sortie de prison, quelle que soit la durée de la peine purgée, est
un moment difficile à vivre. La personne libérée sans préparation ni
accompagnement risque de se retrouver à nouveau dans un environnement
familial ou social néfaste, voire criminogène, ou bien au contraire dans un
isolement total, alors qu’elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie
libre. Tout ceci peut l’amener à la récidive. »75. Le rapport de la commission des
lois de l’Assemblée nationale précité constate pourtant le faible recours aux
dispositifs de préparation à la sortie. Ainsi, le nombre de libération
conditionnelle décroît (5 680 en 2001 contre 5 286 en 2003) tout comme les
ordonnances de placement à l’extérieur (3 339 en 2000 contre 2 733 en 2003) et
les mesures de semi-liberté (6 757 en 2000 contre 6 261 en 2003).
La loi du 9 mars 200476 organise la libération progressive et accompagnée
des détenus. Ainsi, les condamnés détenus pour lesquels il reste trois mois
d’emprisonnement à subir (si la peine d’emprisonnement prononcée est inférieure
à deux ans) ou six mois de détention à subir (si la peine prononcée est supérieure
à deux ans d’emprisonnement et inférieure à cinq ans doivent bénéficier « dans la
mesure du possible » du régime de semi-liberté, du placement à l’extérieur ou
sous surveillance électronique. Il appartient au directeur des services d’insertion
et de probation d’examiner le dossier du condamné pour déterminer la mesure
d’aménagement de peine. Celle-ci peut être mise en œuvre par le directeur des
services d’insertion et de probation en l’absence de réponse du juge de
l’application des peines77. Les services d’insertion et de probation sont donc
amenés à jouer un rôle de plus en plus déterminant dans la réinsertion des
détenus et dans la lutte contre la récidive.
Il est important de souligner que le coût moyen d’une journée de détention
s’élève à 65 euros alors qu’un placement extérieur coûte en moyenne entre 20 et
28 euros par jour.78
74 Rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le traitement de la
récidive des infractions pénales, M. Gérard Léonard rapporteur, n° 1718, juillet 2004.
75 Rapport de M. Jean-Luc Warsmann au ministre de la Justice sur les peines alternatives à la
détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de
prison, avril 2003, La Documentation française.
76 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
77 Articles 723-20 à 723-28 du code de procédure pénale.
78 Chiffres fournis par Mme Brunet-Ludet lors de son audition par la section des Affaires sociales le
21 septembre 2005.
46
2.2. L’évaluation et la prise en compte de la dangerosité dans le
traitement judiciaire et pénal des auteurs d’infractions
Plusieurs dispositions de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative
au traitement de la récidive des infractions pénales visent à renforcer le suivi des
condamnés les plus dangereux (a). Cette loi s’appuie en partie sur les conclusions
de la commission santé-justice79 (b). Dans ce contexte, plusieurs personnalités
qualifiées (magistrats et criminologues) ont récemment proposé la création d’un
observatoire de la récidive (c). Enfin, un meilleur suivi des récidivistes pose la
question de la faiblesse des moyens attribués aux services chargés de
l’application des peines (d).
a) La loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales
La loi n° 2005-1549 prévoit tout d’abord que les délits de traite des êtres
humains et de proxénétisme sont considérés, au regard de la récidive, comme une
même infraction. Il en va de même pour les délits de violences volontaires aux
personnes comme pour tout délit commis avec la circonstance aggravante de
violences. La loi dispose que les condamnations prononcées par les juridictions
pénales d’un État membre de l’Union européenne sont prises en compte au titre de
la récidive. Elle contient des dispositions relatives aux peines applicables en cas
de réitération d’infractions, qui concernent tant la définition même de la
réitération, que le cumul, la nature, le quantum et le régime des peines
prononcées, le sursis, la délivrance d’un mandat de dépôt, notamment à
l’audience, l’application d’un traitement au condamné détenu, la suspension de
peine et le calcul du crédit de réduction de peine.
Les personnes dangereuses condamnées à une peine privative de liberté
d’une durée égale ou supérieure à dix ans pour un crime ou un délit pour lequel le
suivi socio-judiciaire est encouru peuvent, aux seules fins de prévenir une
récidive dont le risque paraît avéré, être placées sous surveillance judiciaire80. Le
risque de récidive doit être constaté par une expertise médicale ordonnée par le
juge de l’application des peines81. La loi détermine ensuite dans quelles
conditions et pour quels condamnés le placement sous surveillance électronique
mobile peut être ordonné à titre de mesure de sûreté, et quelles en sont les
modalités.
Elle comporte des dispositions relatives au suivi socio-judiciaire. Une
personne bénéficiant d’une libération conditionnelle peut être soumise aux
obligations du suivi socio-judiciaire, y compris l’injonction de soins, si elle a été
condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure était encourue.
Elle peut alors être également placée sous surveillance électronique mobile.
En outre, la loi contient des dispositions relatives au fichier judiciaire
national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, et à la
79 Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive, Rapport de la
commission Santé-justice présidée par M. Jean-François Burgelin, juillet 2005.
80 Article 723-29 du code de procédure pénale.
81 Article 723-31 du code de procédure pénale.
47
collecte et au traitement de données afin de faciliter la constatation des crimes et
délits présentant un caractère sériel, d’en rassembler les preuves et d’en identifier
les auteurs. L’avocat de la partie civile, s’il en fait la demande, peut assister au
débat contradictoire devant le tribunal de l’application des peines ou la chambre
de l’application des peines de la cour d’appel pour y faire valoir ses observations,
avant les réquisitions du ministère public.
Enfin, la loi prévoit l’applicabilité immédiate d’un certain nombre de ses
dispositions, relatives notamment aux mesures de surveillance judiciaire. Cette
disposition, ainsi que celle qui modifie les conditions de délivrance d’un mandat
de dépôt à l’audience du tribunal correctionnel, a été soumise à l’appréciation du
Conseil constitutionnel qui a considéré, dans une décision n° 2005-527 DC du
8 décembre 2005, qu’elles ne sont pas contraires à la Constitution.
Encadré 3 : L’exemple du Canada
Au Canada, l’évaluation des capacités du détenu et de sa dangerosité détermine
l’affectation en établissement et conditionne son parcours d’insertion. Il n’y a plus dans ce système
d’antagonisme entre sécurité et insertion : les deux principes répondent à une même logique de
prévention de la récidive.
Plus précisément, le Canada a développé quatre programmes de réinsertion pour prévenir
la récidive :
- « Programmes d’acquisition des compétences psychosociales » qui consistent en différents
programmes d’apprentissage et de développement des relations interpersonnelles, de maîtrise de la
colère et des émotions, de prévention et de sensibilisation aux comportements liés à la violence
familiale, d’aide à la construction de relations familiales saines pendant l’incarcération et à la sortie,
d’initiation aux lois, de gestion des finances personnelles, de recherche d’emploi ;
- « Programmes de prévention de la violence » visant la réinsertion des délinquants ayant commis
au moins deux infractions avec violence ;
- « Programme contrepoint » destinés à modifier les valeurs, les attitudes qui amènent le délinquant
à justifier, minimiser ou approuver un comportement criminel. Il permet ensuite à ce dernier
d’acquérir des attitudes et des comportements sociaux ;
- « Programmes pour délinquants sexuels » pour évaluer et traiter les délinquants sexuels en
définissant la structure de leur comportement et en proposant des stratégies pour réduire le risque de
récidive.
Source : ministère de la Justice, dossier de presse sur la création d’établissements destinés aux
courtes peines d’emprisonnement, avril 2005.
b) Les conclusions de la commission santé-justice
Par lettre du 22 juillet 2004, le ministre de la Justice et le ministre de la
Santé et des solidarités ont confié à une commission santé-justice le soin
d’étudier les voies d’amélioration de la prise en charge médico-judiciaire des
auteurs d’infractions qui sont atteints de troubles mentaux ou qui présentent un
profil dangereux, et de réfléchir au suivi des personnes qui, ayant fait l’objet
d’une condamnation pénale, nécessitent un suivi psychiatrique, en particulier lors
de leur détention.
Constatant que « tous les délinquants et criminels souffrant de troubles
mentaux ne présentent pas un état dangereux et, qu’inversement, tous les
individus dangereux ne sont pas atteints de maux de cette nature, il a donc paru
opportun à la commission de réfléchir de manière approfondie au concept de
dangerosité des auteurs d’infraction ». En effet, la notion de dangerosité occupe
48
à l’heure actuelle un rôle prépondérant en matière de justice pénale au point de
constituer l’un des critères essentiels sur lesquels les magistrats, voire les
autorités administratives, fondent leurs décisions portant sur la privation de
liberté.
Ainsi, la commission s’est attachée à étudier les modalités d’une évaluation
de la dangerosité, afin de mieux prendre en compte cette dernière dans le
traitement judiciaire et médical des auteurs d’infractions. Sur ce dernier point, la
commission propose que l’éventuelle dangerosité d’un individu auteur d’une
infraction soit prise en considération, à la fois lors de l’examen de la déclaration
d’irresponsabilité pénale pour troubles mentaux et de ses suites, au moment du
choix, de l’exécution et de l’aménagement de la peine et lors d’un suivi
postérieur à l’exécution de cette dernière.
Au terme de ce rapport, le groupe de travail a formulé, à titre principal,
vingt-deux propositions qui chacune se décline en une ou plusieurs mesures
concrètes.
c) La proposition de création d’un observatoire de la récidive
Plusieurs personnalités ont appelé à la création d’un observatoire de la
récidive, « structure légère, peu coûteuse, placée auprès du ministre de la
Justice, sur le modèle de la commission de suivi de la détention provisoire. » 82
Aidé d’un secrétariat scientifique permanent disposant d’un minimum de
moyens administratifs, l’observatoire de la récidive pourrait mobiliser, pour
remplir sa tâche, les compétences des services du ministère de la justice. Il
devrait avoir les moyens de procéder à des visites et à des auditions afin de
mobiliser toutes les compétences acquises par les acteurs de terrain ou par les
chercheurs en France, ou chez nos partenaires européens.
Son premier objectif serait de centraliser les données existantes sur le sujet,
de mettre ces informations à disposition (site internet), de les actualiser en
permanence, de développer des outils pédagogiques synthétisant ces
connaissances acquises pour les rendre lisibles par les politiques, les acteurs de la
justice comme par l’ensemble de nos concitoyens.
L’observatoire pourrait se voir confier une mission de veille sur les cas de
récidive qui justifient, de par leur gravité et leur médiatisation, une information à
chaud rapide mais objective. A plus long terme, l’observatoire devrait aider à là
construction des programmes de formation, initiale et continue, et à leur mise en
œuvre dans les écoles relevant du ministère de la Justice ; participer à
l’élaboration de nouveaux instruments statistiques performants ; mobiliser la
communauté scientifique afin qu’elle apporte sa contribution à l’élaboration de
nouveaux programmes de recherches pluridisciplinaires.
Enfin, cet observatoire devrait faciliter la coopération avec nos partenaires
européens pour une meilleure connaissance des pratiques respectives et des
résultats du traitement de la récidive.
82 Alain Blanc, Philippe Pottier, Jean-Louis Senon, Daniel Soulez-Larivière, Pierre V. Tournier,
Il faut créer un observatoire de la récidive, Le Monde, 10 septembre 2005.
49
Cette proposition de création d’un observatoire de la récidive a reçu un
début de réponse, en octobre 2005, avec l’annonce par le garde des Sceaux de la
création d’une « commission d’analyse et de suivi de la récidive ».
d) Le renforcement des moyens des services chargés de l’application
des peines
Comme le souligne le rapport parlementaire83, « les juges de l’application
des peines et les services en charge de l’exécution des mesures de milieu ouvert,
en particulier le suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels, sont les véritables
oubliés de la justice en dépit des efforts de recrutement récemment engagés. »
Le rapport précité de la commission santé-justice affirme également
« qu’afin d’assurer le suivi des auteurs d’infractions pénales présentant une
dangerosité, il est impératif que le nombre de juges de l’application des peines et
de conseillers d’insertion et de probation soit augmenté. »
En effet, sur les 8 779 emplois de magistrats comptabilisés en 2004, les
juges de l’application des peines n’étaient que 295 à la fin 2004, contre 250 en
2002. Représentant moins de 3,5 % du corps des magistrats, les juges de
l’application des peines (JAP) paraissent bien peu nombreux alors même que
leurs missions, essentielles en matière de lutte contre la récidive, ont été étendues
par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité.
À la faiblesse des effectifs des juges de l’application des peines s’ajoute
celle, non moins évidente, des services pénitentiaires d’insertion et de probation
(SPIP) sur lesquels ces juges s’appuient. En effet, les effectifs budgétaires des
SPIP atteignaient 2 518 en 2004 contre 2 473 en 2003, ce qui est insuffisant
puisque ces personnels ont pour mission d’assurer le suivi tant des personnes
incarcérées que des personnes condamnées exécutant leur peine en milieu ouvert.
Lors de son audition devant le Conseil économique et social, M. Philippe Pottier,
directeur d’un SPIP, a proposé la création de SPIP pluridisciplinaire, « il faudrait
leur adjoindre des surveillants et des psychologues. Cette dernière catégorie est
présente auprès des détenus en prison mais plus du tout à la sortie. En intégrant
des psychologues au sein des SPIP, ceux-ci auraient une mission
pluridisciplinaire. »84.
Dès lors, de nombreux sursis avec mise à l’épreuve ne sont pas mis en
œuvre par les services compétents, faute de moyens, ce qui altère la crédibilité de
la sanction pénale et contribue au sentiment d’impunité des délinquants. Cette
situation conduit à un suivi insuffisant des condamnés et au développement des
« sorties sèches » de détention, facteur de récidive. À cet égard, la création de
200 emplois de SPIP par le projet de loi de finances pour 2005 témoigne de la
volonté du Gouvernement d’améliorer le suivi des condamnés.
83 Rapport n°1979 de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relative au traitement de la
récidive d’infractions pénales 2004.
84 Audition de M. Philippe Pottier, directeur du service d’insertion et de probation de Charente,
devant la section des Affaires sociales du Conseil économique et social, le 7 septembre 2005.
50
C - UNE AMBITION HUMANISTE VISANT À DONNER UN SENS À LA PEINE
Le sens donné à la peine détermine le regard du citoyen sur la prison, le
regard du détenu sur son temps de détention, le regard du personnel pénitentiaire
sur les missions qui lui incombent. Compte tenu de ses effets déstructurants, la
prison ne saurait s’envisager que comme une solution de dernier recours quand
toutes les autres voies de rappel à la loi ont été épuisées (1). En cas
d’emprisonnement, il est nécessaire de donner un sens à l’exécution de la peine
qui ne doit pas seulement se limiter à la nécessaire protection de la société contre
les individus dangereux (2). Enfin, la peine devient de plus en plus un moyen de
réparation pour les victimes (3).
1. La prison comme ultime recours : les peines alternatives
Les théoriciens de la défense sociale nouvelle ont voulu que l’on sorte de la
logique implacable de la souffrance donnée par l’enfermement en compensation
de l’infraction commise. Ils ont voulu rendre au délinquant sa personnalité et sa
responsabilité. Le but ne serait pas seulement de réduire la peine à l’enfermement
mais de socialiser autrement que par la prison.
Dans cette optique, il est d’abord prioritaire de développer les mesures
alternatives, conformément aux recommandations du 30 septembre 1999 et du
24 septembre 2003 du Conseil de l’Europe (voir encadré n°3). Le sursis avec
mise à épreuve, l’ajournement, le travail d’intérêt général devaient permettre
d’éviter la prison. Ils se sont ajoutés à la libération conditionnelle et au sursis
simple qui, à la fin du siècle dernier, avaient déjà fait espérer sortir d’une réponse
unique à la délinquance. Mais « il faudra sans doute continuer à vivre avec la
prison, car toutes les sociétés ont le droit et le devoir de se protéger des
individus dangereux ou qui violent gravement la loi. Pour ces derniers, la
privation de liberté doit garder sa place »85.
85 Guy-Pierre Cabanel, Entre exclusion et réinsertion, in revue Projet n°269, 2002.
51
Encadré 4 : Les peines alternatives
- Le travail d’intérêt général est sans doute le substitut le plus efficace aux courtes peines
d’emprisonnement. Inséré dans le droit positif par une loi du 10 juin 1983 votée à l’unanimité par les
deux Assemblées et conservé par le nouveau code de procédure pénale, il consiste pour le condamné
à accomplir pendant une durée comprise entre 40 et 240 heures, un travail non rémunéré au profit
d’une personne morale de droit public ou d’une association habilitée (art.131-8). Son délai
d’exécution est au maximum de 18 mois. Le TIG a deux aspects très positifs : d’abord il oblige à
faire quelque chose plutôt que de subir l’emprisonnement, ensuite il introduit une notion nouvelle,
celle d’adhésion. En effet, le condamné doit être présent lors du prononcé de cette peine et avoir
donné son accord préalable du fait de la prohibition du travail forcé. Cela signifie que le condamné
reconnaît sa faute et choisit sa sanction.
- Le bracelet magnétique ou arrêt domiciliaire sous surveillance électronique, prévu par les lois
du 19 décembre 1997 et du 15 juin 2000, est en place à titre expérimental depuis septembre 2000. Il
place le condamné sous surveillance électronique via un bracelet émetteur signalant au service
chargé de la surveillance tout dépassement d’un rayon d’action fixé par le JAP. Au 1er octobre 2002,
393 mesures avaient été prononcées avec un taux d’échec très faible. Le bracelet électronique
constitue une alternative pertinente à l’emprisonnement et une modalité du contrôle judiciaire de
nature à limiter le nombre de détentions provisoires. C’est pourquoi la loi du 9 septembre 2002 a
prévu d’étendre ce dispositif à 3000 bracelets. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice
aux évolutions de la criminalité est venue compléter les possibilités de recours au placement sous
surveillance électronique. Au 1er janvier 2004, 118 juridictions avaient prononcé les placements sous
surveillance électronique au lieu de 28 au 1er juin 2003, et le nombre de mesures avait progressé
dans la même période de 171 à 699.
- Le suivi socio-judiciaire est une peine destinée aux personnes condamnées pour une infraction
sexuelle. L’objectif poursuivi est de prévenir la récidive des délinquants sexuels, notamment en les
« incitant » fortement à suivre un traitement. Le suivi socio-judiciaire est prononcé par le tribunal ou
la Cour en complément ou à la place de la peine de prison. Il implique que le condamné devra se
soumettre, immédiatement ou à sa sortie de prison s’il est incarcéré, à un suivi judiciaire, social et
éventuellement médical. S’il ne se conforme pas à ses obligations, le condamné devra exécuter une
peine de prison supplémentaire.
- Le sursis avec mise à l’épreuve est une mesure qui a été créée par l’ordonnance du 23 décembre
1958 qui instituait le juge de l’application des peines. Le sursis avec mise à l’épreuve est une
dispense d’exécution d’une peine d’emprisonnement prononcée en raison d’un crime ou d’un délit
pour une durée maximale de 5 ans, sous la condition du respect de certaines obligations pendant un
délai allant de 18 mois à 3 ans.
- La peine de jours-amendes ne peut être prononcée à titre de peine principale que pour les délits
punis d’une peine d’emprisonnement. Le nombre de jours ne peut excéder 360 et le montant
journalier dépasser un seuil réglementaire.
La proposition d’instaurer un numerus clausus, c’est-à-dire de fixer un
nombre maximal de personnes incarcérées impliquerait une révolution complète
de la gestion de l’administration pénitentiaire mais aussi un bouleversement dans
la pratique des magistrats. On évoque souvent l’exemple des Pays-Bas, qui se
sont obligés par le numerus clausus à réformer leur système pénitentiaire.
Les partisans de l’instauration d’un numerus clausus considèrent qu’il
présenterait l’avantage d’améliorer sensiblement les conditions de détention,
puisqu’un nombre important des difficultés rencontrées par les personnes
détenues et par les personnels de surveillance sont dues à l’encombrement de
certains établissements.
52
En effet, la prison est-elle la réponse adéquate à tous les types de
délinquance et surtout à toutes les catégories de détenus ? Pour certains, elle ne
peut favoriser une compréhension de la sanction, donc permettre l’amendement
ou préparer la réinsertion. Car la promiscuité dans les maisons d’arrêt fait plutôt
le lit de la récidive, offrant parfois une véritable école de perfectionnement dans
la délinquance. C’est pourquoi, écrit Guy-Pierre Cabanel « il importe de sortir
d’un système de sanctions axé sur le tout carcéral, et de développer d’autres
formes du rappel de la loi, en limitant les incarcérations. »86
Certains actes réclament une sanction et celle-ci peut prendre la forme
d’une peine d’emprisonnement ; mais il est nécessaire de penser davantage la
sanction en termes éducatifs, en utilisant au mieux toutes les mesures de suivis en
milieu ouvert :
Tableau 11 : Mesures prises en charge par les SPIP en milieu ouvert
Principales mesures 2002 2003 2004
Libérations conditionnelles 6 056 6 428 6 480
Sursis avec MAE 107 846 105 247 108 528
TIG 19 106 17 990 16 885
Contrôle judiciaire 3 972 4 073 4 195
Interdiction de séjour 1 453 1 359 1 314
Source : Annuaire statistique de la Justice, Edition 2005
Les peines alternatives, avec la réparation des dommages subis par les
victimes, constituent une manière pertinente de responsabiliser le condamné.
Cela suppose de remédier aux dysfonctionnements de la chaîne pénale mis en
évidence dans le rapport du député Jean-Luc Warsmann87. Ce rapport souligne le
« scandale des délais d’exécution » qui ôtent l’essentiel de leur sens aux courtes
peines d’emprisonnement et aux peines alternatives.
Encadré 5 : Le rapport Warsmann (Avril 2003)
Le député des Ardennes, Jean-Luc Warsmann, dresse un constat selon lequel les décisions de
justice, au vu du fonctionnement actuel de la chaîne pénale, ne sont généralement pas exécutées en
temps réel. Ces délais d’exécution rendent souvent l’application des peines inefficace, voire
impossible. Pour remédier à cette situation, l’auteur présente trois priorités d’action assorties de
87 propositions pour :
1) Exécuter en temps réel les décisions de justice (notamment en modernisant l’audience pénale par
l’informatisation).
2) Redonner de la réalité aux sanctions non privatives de liberté (par un accroissement de
l’efficacité des sanctions matérielles, par le lancement d’un programme national de relance du
travail d’intérêt général, et en donnant plus de consistance aux mesures de sursis avec mise à
l’épreuve et d’ajournement avec mise à l’épreuve).
3) Exécuter les peines d’emprisonnement en limitant les sorties sèches (en faisant exécuter
réellement les courtes peines d’emprisonnement, en encadrant les sorties de prison pour mieux
lutter contre la récidive et en construisant un service d’insertion et de probation rénové).
86 Ibid.
87 Rapport de Jean-Luc Warsmann, Les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution
des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, au nom de la Commission
des lois, n°856, 28 avril 2003.
53
Selon une étude récente88, en 2001, les tribunaux correctionnels ont
prononcé 79 515 peines d’emprisonnement ferme qui devaient être exécutées.
Dix huit mois après, 43 314 peines, soit 54,5 % avaient donné lieu à une
détention, une part importante correspondant à des personnes jugées alors
qu’elles étaient déjà détenues.
L’inexécution des peines s’explique soit par leur caractère non définitif
(20 % de ces peines sont prononcées par défaut et n’ont pu être signifiées au
condamné), soit par l’existence d’une mesure de grâce ou d’amnistie s’opposant
à l’exécution (13 %). Il reste ainsi 12,5 % des peines d’emprisonnement ferme
non exécutées sans motif juridique. Ce sont souvent des emprisonnements de
courte durée transmis au juge de l’application des peines en vue d’un éventuel
aménagement (5,5 %), mais aussi des peines prononcées à l’encontre de
personnes dont le domicile est inconnu et qui font l’objet d’une inscription au
fichier des personnes recherchées.
2. Une nécessaire resocialisation des détenus
Pour le détenu, la question du sens de la peine est fondamentale. Le
condamné doit comprendre pourquoi il est en détention, et prendre aussi
conscience de la gravité des faits commis. Sans réponse à cette question,
comment parler de s’amender et encore moins se réinsérer ? Ainsi, « il y a le
quotidien qui ramène sans cesse le détenu à la question du sens de sa présence
en détention. Les détenus, surtout lorsqu’ils sont mineurs, se demandent bien ce
qu’« on » cherche à leur dire par l’incarcération. Elle n’est pas pour eux une
parole en soi, ils n’entendent rien au sens précis de sa finalité directe, ils
l’entendent d’autant moins que leur quotidien est absurde »89.
2.1. Un temps de reconstruction pour le condamné
Le processus de réinsertion commence dés l’audience judiciaire qui
aboutira au prononcé de la peine. En effet, « comment donner un sens à la peine
si l’on n’a pas compris le sens du crime ? (...) Les condamnés ne disent pas
qu’ils ont été trop réprimés mais qu’ils n’ont pas pu s’exprimer ou qu’ils ont été
maltraités à l’audience, c’est-à-dire que le parcours judiciaire a été un parcours
d’humiliation, de non-respect, je pense profondément, que lorsque tel est le cas,
la peine ne passe pas car elle ne peut pas être comprise. »90.
Au-delà de la nécessaire protection de la société, les réponses qu’on
apporte à la question du sens de la peine traduisent les valeurs fondamentales
d’une société. Car la peine doit protéger la société sans renforcer l’aptitude au
crime. Le sens de la peine devrait apparaître clairement à la fois pour l’auteur du
délit ou du crime, et pour ceux chargés d’exécuter la sanction. Il ne saurait être
l’enfermement pour l’enfermement. Pour les condamnés à une première peine,
l’enfermement ne doit être perçu ni comme un épisode définitivement
88 Infostat Justice, numéro 83, juillet 2005
89 Nicolas Frize, Le sens de la peine, Editions Léo Scheer, 2004, p.22.
90 Audition de M. Alain Blanc, Conseiller à la Cour d’appel de Paris, devant la section des Affaires
sociales du Conseil économique et social le 15 décembre 2004.
54
stigmatisant vis-à-vis de la société, ni paradoxalement comme une expérience
valorisante dont on se vante à la sortie. Celui-ci, quand il est nécessaire, doit
avoir un objectif d’amendement en vue de la réinsertion. Le temps de détention
doit être un temps de reconstruction pour le condamné : « décidant de ne laisser
survenir aucune interférence, je commençai ma maîtrise d’histoire avec un
trimestre de retard. J’avais demandé à mes professeurs de travailler, soit sur la
famille, soit sur la justice, soit sur le Gévaudan. Je pus travailler sur la famille,
en Gévaudan et en Rouergue, à travers les lettres de grâce accordées par les
rois de France. Je ne me mêlais plus du tout des problèmes carcéraux et je
cherchais comment changer de vie, comment renverser la logique dans laquelle
je me trouvais depuis une dizaine d’années. »91.
Un autre cas exemplaire est celui de ce détenu rencontré lors de la visite du
centre de détention du Muret 92 qui a mis à profit son temps d’incarcération pour
entreprendre une thèse de troisième cycle en sciences physiques.
Il importe que le temps de détention, s’il ne peut être évité, soit un temps de
réparation, où l’on puisse tenter de réduire certains handicaps, tels ceux liés à
l’absence de socialisation, à l’indigence, à l’illettrisme notamment. En d’autres
termes, « la prison ne doit pas être du vide ; et c’est beaucoup du vide,
aujourd’hui ! La quasi-totalité des petites peines exécutées dans les
établissements pénitentiaires, c’est du 22 heures sur 24 en cellule avec la
télévision allumée toute la journée. Les détenus sont donc dans le vide. L’un des
objectifs qu’il faudrait arriver à formaliser est que la prison soit un lieu
d’opportunité. Cela signifie que les personnels de l’administration pénitentiaire
accompagnent les personnes qui sont confiées à leur institution, personnes qui
ont eu des trajectoires de vie souvent extrêmement difficiles. »93. C’est dans cet
esprit que les établissements pénitentiaires mettent en place le Projet d’exécution
des peines (PEP). L’objectif du PEP est précisément de donner plus de sens à la
peine privative de liberté en impliquant davantage les condamnés dans
l’évolution de celle-ci pendant toute la durée de leur incarcération. (annexe n° 2)
2.2. Quel sens pour les courtes peines ?
La question du rapport à la peine et de sa signification pour le condamné se
pose également dans le cas de courtes peines. Lorsqu’elles sont exécutées dans
des maisons d’arrêt surpeuplées, dans des conditions de détention indignes d’une
démocratie moderne, ces peines ne peuvent être réellement perçues comme un
véritable rappel à la loi.
A la question de l’utilité des peines inférieures à six mois, M. Francis
Teitgen a indiqué lors de son audition devant la commission d’enquête précitée
de l’Assemblée nationale que ces peines servaient d’abord à rassurer la société !
Il a ajouté à ce sujet que « les courtes peines d’emprisonnement n’ont aucun
91 Philippe Maurice, De la haine à la vie, Paris, Le Cherche midi, 2001. P. Maurice est un ancien
détenu, condamné à mort puis gracié et détenu pendant 23 ans, docteur en histoire.
92 Visite du 5 avril 2005.
93 Audition de Mme Isabelle Gorce, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, devant la section
des Affaires sociales du Conseil économique et social le 15 décembre 2004.
55
sens ; il n’y a pas de mécanisme de réinsertion dans des délais aussi courts, pas
de pédagogie possible, pas de formation professionnelle possible. Par
conséquent, ces courtes peines sont totalement inutiles. ». Ces peines aboutissent
souvent à casser le délinquant sans lui donner les clefs de sa réinsertion.
L’augmentation importante des comparutions immédiates explique à elle
seule une grande partie de l’augmentation du nombre total des entrées en
détention. Cette procédure est à l’origine du prononcé de courtes peines
d’emprisonnement difficilement aménageables, compte tenu des délais de
procédure du débat contradictoire.
2.3. Le détenu en tant que sujet de droit
Mais l’adhésion du condamné au système carcéral ne sera possible que si
les conditions de détention sont dignes d’une démocratie et conformes à un état
de droit. Comment exiger du détenu qu’il respecte à sa sortie les règles de la
société si le fonctionnement de l’institution carcérale n’a pas lui-même respecté
le détenu en tant que sujet de droit, dans un établissement pénitentiaire aux
conditions de vie et d’hygiène décentes ? En effet, « si le condamné ne peut pas
sortir de sa cellule parce qu’il n’est pas en sécurité dans la prison, ce qui peut
arriver, la peine ne risque pas de prendre sens pour lui. Si le condamné est en
situation de pouvoir accéder à la drogue, à des seringues etc. à l’intérieur de la
prison, il y a en effet un vrai sujet sur le sens que la peine va prendre pour lui et
donc de tout le travail qui va être fait par l’administration pénitentiaire, les
services judiciaires notamment. »94.
Pour cela, la Commission nationale consultative des droits de l’homme
(CNCDH) estime nécessaire de réintroduire du droit, à l’intérieur des enceintes
pénitentiaires. Car « on est encore loin du modèle de gestion pénitentiaire dans
lequel les personnes détenues seraient présumées conserver leurs « droits de
l’Homme et du citoyen » dans toute la mesure compatible avec l’exécution de la
sanction pénale et avec la sécurité des établissements. Tel est pourtant le seul
principe logique dès lors que toute exécution d’une peine privative de liberté est
en réalité non une relégation, qui débarrasserait, définitivement la société
d’éléments inadaptés à la vie « normale », mais au contraire une marche plus ou
moins longue vers la sortie de prison. »95.
A cet égard, la CNCDH recommande, comme l’a fait la commission
Canivet, l’instauration d’un contrôle externe sur le fonctionnement de
l’institution pénitentiaire, qui ne saurait être interprété comme une marque de
défiance systématique envers ses personnels mais s’impose pour marquer une
rupture salutaire avec nombre de situations contraires aux principes même de
notre politique pénale.
L’exécution de la peine de prison doit être régie par le principe de nécessité
au sens de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en
vertu duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement nécessaires et nul
94 Ibid.
95 Réflexions sur le sens de la peine, rapporteur Jean-Pierre Dubois, CNCDH, janvier 2002.
56
ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au
délit et légalement appliquée ». Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel96,
le principe de nécessité des peines ne concerne pas seulement les peines
prononcées par les juridictions répressives mais s’étend au régime des mesures
de sûreté, c’est-à-dire aux conditions d’exécution de la peine. Dans cet esprit, il
apparaît fondé de chercher à limiter la pénibilité de la prison car « tout ce qui
abaisse la dignité d’un homme rejaillit sur les individus qui y coopèrent, sur
l’institution qui le tolère, et sur la société qui l’accepte et qui, pour ce faire,
l’occulte. Voilà pourquoi il faut s’efforcer de rendre la prison visible. »97.
Enfin, plusieurs normes européennes et internationales incitent les Etats à
réviser leur législation pénitentiaire en ce qui concerne les conditions générales
de détention, les statuts des détenus et des personnels (encadré ci-après).
Les principes essentiels de respect de la dignité humaine, l’interdiction des
traitements inhumains et dégradants y sont réaffirmés.
Encadré 6 : Normes européennes et internationales
- Résolution des Nations Unies sur l’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus
adoptée le 30 avril 1955 ;
- Conseil de l’Europe, le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation
N° R(99)22, adoptée le 30 septembre 1999 ;
- Conseil de l’Europe, Amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et
mesures appliquées dans la communauté, Recommandation Rec (2000) 22 adoptée le 29 novembre
2002 ;
- Conseil de l’Europe, Recommandation concernant la libération conditionnelle, Rec (2003) 22
adoptée le 24 septembre 2003 ;
- Conseil de l’Europe, Recommandation concernant la gestion par les administrations pénitentiaires
des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue peine, Rec (2003) 23 adoptée le 9
octobre 2003.
- Conseil de l’Europe, Règles pénitentiaires européennes adoptées le 11 janvier 2006.
3. Un moyen de réparation pour les victimes
Le sens de la peine intègre désormais le respect des droits des victimes à
côté de la protection de la société et de la réinsertion.
3.1. L’évolution des droits en faveur des victimes
Depuis une vingtaine d’années, un cadre juridique respectueux des droits
des victimes se construit progressivement98. Les premières mesures ont été
timidement initiées en 1977 avec l’instauration d’une Commission
d’indemnisation des victimes (CIVI), avant d’être mises en oeuvre dans la loi
sécurité et liberté du 2 février 1981. Mais une véritable politique d’aide aux
victimes fondée sur un réseau associatif soutenu par l’État n’a vu le jour qu’avec
la loi du 8 juillet 1983, qui prévoyait l’indemnisation des victimes d’infractions
portant atteinte aux personnes, et la loi du 6 juillet 1990, qui a créé un fonds
96 Décision n° 93-334 du 20 janvier 1994.
97 Sociologie de la prison, Paris, la Découverte, 2001, pp 106-108.
98 Dix ans de réformes pénales : une recomposition du système judiciaire, Jean-Paul Jean, in
Regards sur l’actualité, n°300 avril 2004.
57
d’indemnisation financé par la solidarité nationale en cas d’incapacité de travail
d’un mois au minimum.
Depuis lors, tous les grands projets de loi de nature pénale ont inclus un
volet « victimes », marquant ainsi le passage d’une politique d’aide aux victimes
à une politique de droits des victimes. Tout d’abord, la loi du 15 juin 2000 a
renforcé la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes
d’infractions. Ensuite, la loi d’orientation et de programmation pour la justice du
9 septembre 2002 a précisé les droits qui doivent être notifiés par les enquêteurs
aux victimes et a facilité la prise en charge des frais d’avocats au titre de l’aide
juridictionnelle.
L’évolution du droit des victimes est aussi caractérisée par l’aggravation
systématique des sanctions lorsque des infractions sont commises sur des
personnes que la société doit spécialement protéger du fait de leur vulnérabilité
liée à leur âge (mineurs et personnes âgées), à leur état de santé physique ou
psychique et/ou lorsque ces infractions sont commises par des personnes qui
profitent de leur place sociale et/ou affective (parents, personnes ayant autorité
ou professionnels abusant de leur situation).
Ce renforcement de la répression concerne particulièrement le domaine des
infractions sexuelles, surtout lorsque celles-ci sont commises sur un mineur, en
raison du recul de la prescription à dix ans après la majorité de la victime pour
les crimes et du recul de la prescription à trois ans pour les délits99. La loi
« Perben II » étend d’ailleurs une nouvelle fois la durée de prescription à vingt
ans après la majorité pour les crimes sexuels.
3.2. La prise en compte des droits des victimes au stade de l’exécution
des peines100
Le juge de l’application des peines peut conditionner l’octroi des modalités
d’aménagement de la peine aux efforts fournis par le condamné en vue
d’indemniser la victime (art. 720 s.). A cet égard, la saisine de la CIVI, à tous les
stades de la procédure, évite les désagréments de « l’insolvabilité » du condamné.
L’autorité judiciaire peut encore diligenter des enquêtes pour connaître les
conséquences de la libération (sous quelque forme qu’elle soit) du condamné sur
la situation de la victime (art. D 116-1). L’article D 428 permet aux personnes
légitimement intéressées d’obtenir des informations sur la situation du condamné.
Tout en consacrant le droit à l’oubli pour les victimes qui le souhaitent, « il
conviendrait de mieux organiser le droit à l’information des victimes quant aux
modalités d’exécution et d’individualisation des peines en général (...), à la
condition impérative d’y associer les services d’aide aux victimes. »101
Dorénavant, un représentant de l’Institut national d’aide aux victimes et de
médiation (INAVEM) siège au sein de la juridiction nationale de la libération
99 Cf. la loi du 17 juin 1998 étendant les dispositions de la loi du 10 juillet 1989 qui a marqué le
début de la politique de levée du silence concernant les victimes d’abus sexuels.
100 L’évolution des droits des victimes : de la reconnaissance formelle à l’application concrète,
Robert Cario, in Regards sur l’actualité, n°287 janvier 2003.
101 Ibid.
58
conditionnelle, compétente pour connaître des appels formés par le condamné ou
le ministère public contre les décisions rendues par la juridiction régionale de la
libération conditionnelle, de formation quant à elle classique.
En conclusion, il ne fait aucun doute que, par touches successives, le statut
légal de la victime se construit peu à peu. Mais beaucoup reste encore à organiser
pour son accompagnement psychologique et social.