B - Un seuil de gravité laissé à la libre appréciation du juge
Les expertises ordonnées par le Juge de l’application des peines lui permettent de comprendre l’état de santé du condamné, mais n’influencent que partiellement sa décision (1). La décision d’octroi ou de refus de la mesure est remise au Juge d’application des peines (2).
1 - L’influence limitée de l’expertise
Le juge est aidé dans son travail de décision par deux expertises (a) obligatoires devant être effectuées par deux experts distincts. Cet outil guide le magistrat dans un domaine qui lui est la plupart du temps inconnu : celui de l’univers médical (b).
a - Le nombre d’expertise
Le texte de loi précise que « la suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent [1] ». Ce nombre de deux expertises est il suffisant ou non ? Si le nombre était réduit à un, les chances pourraient sembler êtres réduites pour la personne condamnée. Cependant tel est déjà le cas avec les deux expertises obligatoires. En effet, le texte précise qu’elles doivent établir « de manière concordante » que le détenu est à même de pouvoir bénéficier de cette suspension. Ainsi si la première expertise faîte conclut de manière négative, la deuxième concluant de manière positive n’aura aucun effet. La plupart du temps, d’ailleurs cette deuxième expertise n’aura pas lieu, car elle ne permettra en aucun cas au condamné de bénéficier de cette suspension [2]. De plus, il est à noter que le condamné n’a pas la faculté de demander une expertise contradictoire [3]. Augmenter le nombre d’expertises à trois pourrait sembler être une bonne chose et permettrait au condamné de bénéficier d’une chance supplémentaire lorsque la première expertise menée conclut de manière négative.
Cependant la réalité technique met un frein à cette hypothèse. En effet, recourir à une expertise est un processus très long et coûteux. La recherche d’un expert compétent [4], qualifié et disponible est difficile [5]. La difficulté de trouver un expert compétent [6] et disponible est telle que de nombreuses expertises arrivent sur le bureau du juge alors que le condamné en ayant effectué la demande est déjà mort.
Certains délinquants jugés plus dangereux que d’autres suite à l’origine de leur condamnation, doivent pour toutes sorties se soumettre [7] à des expertises psychiatriques précises [8]. Il s’agit des délinquants sexuels [9]. Cependant, la loi du 4/03/2002 ne le prévoit pas et précise en sa lettre que les conditions de l’octroi de cette suspension ne sont liées qu’à l’état de santé du condamné. Il n’est pas fait mention de ces aptitudes à avoir compris le sens de sa peine, d’avoir voulu indemniser les victimes, ni d’avoir à se soumettre à des expertises psychiatriques spéciales... Cependant, dans la pratique, le Juge de l’application des peines conjugue ces deux textes. Ces expertises supplémentaires ont pour but de protéger la société et tout risque de récidive. La loi du 12/12/2005 relative au traitement de la récidive vient approuver et légitimer ces expériences supplémentaires, puisque suite à ce texte, le juge a pour faculté d’octroyer cette suspension de peine « sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction [10] ». Avant la loi de 2005, cette pratique se justifiait par la spécialité du texte de l’article 712-21 du Code de procédure pénale, et venait ainsi s’ajouter comme conditions supplémentaires aux deux expertises. La loi relative au traitement de la récidive ne fait que renforcer cette condition spéciale pour ce type de délinquants et imposer de nouveaux examens de nature psychologique à d’autres délinquants.
b - La f iabilité des expertises
Un autre problème rencontré au sein des expertises est la question de leur fiabilité. La médecine n’est pas une science exacte, les nouvelles découvertes et progrès divers le montrent chaque jour. Le risque zéro n’existe pas, l’erreur n’est pas impossible. Ainsi lorsqu’une expertise conclut notamment à l’engagement à court terme du pronostic vital du détenu, le médecin ne peut préciser la date exacte de sa mort, ni assurer cette issue [11]. Parfois même, la prévision de ce délai est impossible et aura pour conséquence sur le condamné de ne paspouvoir obtenir cet aménagement de peine spécial [12]. Ce problème se pose également dans un autre sens et au détriment du condamné. En effet l’expertise une fois effectuée se prononce sur l’état de santé du condamné à un moment précis et sur les conséquences ultérieures pouvant apparaître suite au diagnostic donné. Cependant, un temps relativement important s’écoule [13] entre l’examen d’expertise, la rédaction du rapport d’expertise, le transfert de ce rapport et le prononcé de la décision du juge. Pendant ce temps, le malade aura pu voir son état s’aggraver et son cas sera alors jugé avec des éléments n’ayant plus rien à voir avec l’état de santé réel du détenu au moment de la décision. Les délais trop longs entre ces divers moments de la procédure sont néfastes au condamné dont l’état de santé se dégrade et faussent ainsi la réalité des bases du jugement [14].
2 - La décision du juge comme solution
Le compte rendu d’une expertise permet au juge de prendre sa décision au sujet du condamné (b). A cette occasion, deux sphères se rencontrent : le monde médical et le monde juridique avec chacun son langage et ses méthodes et cela peut parfois générer quelques conflits (a).
a - Le problème d’interprétation de l’expertise
Une interférence et parfois une interdépendance notable existent entre ces deux sphères. Le monde médical est fortement sollicité par le monde juridique dans cette mesure d’aménagement de la peine. Le médecin expert chargé de la mission d’expertise doit se prononcer sur l’état de santé et doit évaluer lui-même si la détention de cet individu est encore possible. Pour s’exprimer sur cela, le médecin expert reçoit une formation spéciale lui permettant de mieux comprendre les rouages du monde carcéral, son organisation, ses lacunes, ses aptitudes... Les comptes rendus des deux expertises ou plus sont remis au juge les ayant ordonné et lui permettent de prendre sa décision. Cependant, il est à remarquer la complexité des termes techniques utilisés dans ces expertises pour des personnes étrangères au milieu médical, tout comme peut l’être une décision de justice. Le rapport d’expertise est lu dans son intégralité par le ou les juge(s) compétents. Cependant, la partie la plus importante retenue par le juge sera la conclusion de l’expert sur l’engagement du pronostic vital du condamné à court terme ou sur l’incompatibilité durable de son maintien en détention eu égard à son état de santé. Cette phrase finale de l’expert permettra au juge d’orienter sa décision, mais ne sera en aucun cas un élément liant obligatoirement le juge. En effet, la décision reste judiciaire [15]. Une fois les rapports d’expertise rendus, le juge prendra lui-même sa décision et pourra s’appuyer sur d’autres éléments permis par la loi, tel que son intime conviction [16]. Cette suspension de la peine « n’est qu’une faculté donnée au juge et non une obligation qui s’impose à lui [17] ».
b -La décision reste judiciaire
L’article 720-1-1 du Code de procédure pénale précise que « La suspension peut [...] être ordonnée [...] ». C’est donc une faculté donnée au juge confiée au juge qui décide lui seul.
Quand bien même deux expertises distinctement menées concordent quant à l’engagement du pronostic vital ou quant à l’incompatibilité du maintien en détention, le juge n’a pas obligation d’accorder cette mesure [18]. Cette faculté est notamment source de différends entre les médecins et les juges. En effet, certaines décisions de refus sont incomprises par des médecins ayant rendu une expertise précisant fortement les pathologies du patient et ayant conclu à l’engagement de son pronostic vital et de l’incompatibilité de son maintien en détention, même si la loi ne demande qu’à ce que l’un des deux uniquement soit engagé.
Le poids de l’expertise n’est cependant pas à nier. En effet, seul un expert est habilité à se prononcer sur l’état de santé du condamné. La juridiction ne pourra pas se substituer à celui-ci pour se prononcer sur un état de santé [19]. Le juge est en effet lié par le contenu de l’expertise qui lui est rendue, il ne peut en changer la conclusion [20]. De plus, la loi précise que la faculté pour le juge de prononcer une suspension de peine pour raisons médicales, n’est envisageable, que si les deux expertises demandées sont concordantes et établissent que le condamné se trouve dans l’une des deux situations prévues par le texte. Cela semble de nouveau entraver l’un des pouvoirs du juge lui permettant de juger lui-même de la qualité probatoire d’une expertise [21]. Cependant, cette entrave n’est que très légère, étant donné que le juge possède « un large pouvoir d’appréciation [22] », même après le dépôt des deux expertises concordantes.
Pour cela il analysera lui-même les expertises, convoquera le condamné lors de l’étude de sa demande et pourra ainsi l’observer, lui poser des questions. En ce sens, l’exemple de Nathalie Ménigon est à citer. Cette dernière lors d’une audience avait fait une déclaration au juge selon laquelle elle se disait prête à reprendre les armes et même sur son fauteuil roulant [23]. De même, l’attitude d’un condamné gravement malade, qui par exemple ne peut plus quitter son lit et donc ne peut se rendre à l’audience, pourra influencer le juge. Les diverses précautions prises par les juges, en dehors même parfois du texte de loi ont pour principal but de protéger la société et de prévenir tout risque de récidive potentiel pour ces condamnés susceptibles d’êtres libérés à n’importe quel moment de leur peine et sans aucun projet de sortie [24].