II - La réduction du champ d’application de la loi par le législateur : la loi du 12/12/2005 : une justification de la jurisprudence
L’octroi d’une telle suspension est assez rare (B). L’ajout de nouvelles conditions par le législateur en 2005 ne fait que renforcer ce mur pour accéder à la mesure (A).
A - La création de nouvelles conditions
La peur de la criminalité et de sa récidive par des condamnés élargis n’ayant préparé aucun projet de sortie (2), a conduit le législateur à ajouter de nouvelles clauses au sein de la mesure (1).
1 - Une surveillance renforcée
Dans le but de prévenir toute nouvelle infraction et de justifier la remise en liberté (b) de ces condamnés, des contrôles divers sont possibles à l’encontre de ces détenus (a).
a - Pour l’ensemble des infractions et pour les crimes
Les moyens mis à la disposition des différents organes judiciaires pour tenter de révoquer une telle suspension de peine sont importants et disproportionnés par rapport aux moyens du condamné [1]. Pour tout condamné, le Juge de l’application des peines a le pouvoir de le surveiller et de lui imposer des obligations nombreuses [2]. Outre les mesures imposées au détenu dont la peine a été suspendue, des contrôles sur l’évolution de sa maladie sont possibles [3] et parfois même obligatoires [4]. La loi du 12/12/2005 a ainsi imposé aux juges de contrôler régulièrement l’état de santé de détenus ayant bénéficié d’une telle suspension, mais ayant été condamnés pour un crime. Le principe de la simple faculté du juge à demander une expertise est conservé pour les infractions les plus simples, le texte précise d’ailleurs que « le juge de l’application des peines peut » demander cette expertise. Cependant, dans le cas spécial de détenus condamnés pour des infractions de nature criminelle, cette surveillance de l’état de santé du détenu s’impose au juge, elle « doit intervenir tous les six mois ».
Comme vu précédemment, l’octroi de cette suspension est très encadré. Désormais, une fois allouée, cette suspension est fortement surveillée pour certains détenus [5]. Le caractère suspensif de cette mesure se fait ici clairement ressentir. En effet, cette expertise demandée a pour mission de vérifier si l’état de santé du condamné justifie encore la suspension de sa peine ou si ce dernier peut retourner purger sa peine en prison. Si une telle expertise de contrôle révèle que l’état de santé du détenu s’est amélioré, la suspension de sa peine sera révoquée. Ainsi si un détenu malade obtient une rémission de sa maladie ou si son état de santé s’améliore et qu’il est jugé compatible avec son maintien en détention, il retournera en prison même malade. Dans quelles mesures ce retour dans l’univers carcéral est il justifiable et envisageable d’un point de vue humanitaire ?
b - Un système discutable
Ce nouveau moyen mis à la disposition du juge a pour justification principale de protéger la société des détenus les plus dangereux, en l’espèce les criminels. Cet objectif se comprend, mais cette obligation semestrielle d’expertise médicale apparaît comme inutile. En effet, elle semble s’apparenter à une pâle copie de la règle générale posée par l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale, et ainsi faire une sorte de doublon avec elle. Le juge avait en effet déjà à sa disposition un panel [6] de mesures et obligations [7] permettant de surveiller les mouvements de ce détenu et de contrôler quand il le désirait la réalité de l’évolution de son état de santé. Le détenu bénéficiant d’une telle mesure de suspension de peine est également placé sous la surveillance du Juge de l’application des peines compétent [8]. De plus, la possibilité d’action du parquet [9] dans le cadre de la demande de nouvelle expertise permettait encore de surveiller le détenu.
D’autre part, le caractère semestriel de cette mesure peut dans la pratique se révéler un « atout » pour le détenu et un obstacle pour le juge. En effet, connaissant la date approximative de la prochaine expertise relative à son état de santé, un détenu (en l’espèce condamné pour un crime) pourra arrêter son traitement et ainsi aggraver son état de santé pour répondre aux conditions de la mesure de suspension. Ainsi, toute amélioration de l’état de santé sera vaine et non reconnue par cette nouvelle expertise. La règle générale qui permet au juge de faire procéder à une expertise quand il le veut, semble ainsi plus adéquate, même si le problème de trouver un expert rapide et compétent est encore plus présent ici. En effet, si les expertises sont prévisibles dans le temps, le recrutement et la convocation d’experts pourrontse faire avec plus de facilité et de rapidité. La justification avancée par les auteurs de cet amendement devenu partie de la loi tient à la prise en compte de la sécurité de la population semblant ainsi prévaloir sur l’état de santé des détenus.
2 - La protection de la société comme justification
Le renforcement des conditions à remplir pour obtenir ce type de suspension de peine trouve sa justification dans le besoin d’assurer la sécurité des citoyens et ce au travers de la notion protection de l’ordre public (a) et de prévention de la récidive (b).
a - La prise en considération off icieuse de l’ordre public
A une époque où le mot « insécurité » fait partie du langage et des maux quotidiens, la prise en compte de ce phénomène dans un texte relatif à l’aménagement de peines privatives de liberté apparaît peu choquant. Cependant, il est à noter que cette protection de la société se fait au détriment de certains condamnés dont l’état de santé est déplorable. Le développement précédent sur la notion d’ordre public [10] a permis de montrer l’aspect malléable de cette notion de par ses différents sens possibles. Proposée parmi les amendements lors des discussions pour l’adoption de la loi relative à la prévention de la récidive, cette proposition faisait suite à de nombreuses tentatives des juridictions du fond [11] ou du parquet [12] de tenter d’inclure cette clause dans les conditions d’octroi de la suspension de peine pour raisons médicales. Cette condition de refuser à un détenu cette suspension de peine dans « les cas où cette suspension de peine est susceptible de provoquer un trouble exceptionnel à l’ordre public [13] » n’a pas été retenue officiellement par le législateur, mais semble être relayée par la lutte contre la récidive. La justification apportée par les auteurs de ces amendements tenant à une meilleure protection de la société [14] est louable, mais cette dernière était déjà possible avec les mesures et obligations pouvant être imposées au détenu ayant recouvert sa liberté par cette mesure de suspension.
Cette protection de l’ordre public est d’ailleurs déjà comprise dans les missions incombant au juge selon la mesure apportée par la loi du 9/03/2004 [15]. En effet, cette loi a apporté au Code de procédure pénale une précision concernant l’exécution de peines et leurs modalités. Elle précise que « l’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive [16] ». En refusant cette notion ou en essayant de l’inclure dans le texte même de l’article 720-1-1, n’y a-t-il pas une sorte de mauvaise volonté de la part des différents acteurs judiciaires et politiques, alors qu’elle est déjà présente [17] ? Certes, l’un des principes du droit est que « la règle spéciale déroge à la règle principale », mais cet article semble également être un principe incombant au juge dans l’exercice de ses fonctions. Dans la pratique, les juges plutôt réticent [18] à un tel aménagement de peine avec une sortie sèche [19], semblent la plupart du temps utiliser officieusement cet article 707. La prise en compte de l’existence ou non d’un risque de récidive avec la loi du 12/12/2005 semble réconcilier ces deux textes. Mais encore l’ombre d’un doublon plane [20].
b - la récidive
Pour tenter de palier au problème de la récidive, qui est de plus en plus présent dans notre société, une loi a vu le jour à la fin de l’année 2005. Cette dernière contient en ses articles 10 et 11 trois dispositions relatives à l’application de la suspension de peine pour raison médicale. La première est relative à la prise en compte du facteur de récidive, la seconde relative à l’obligation de soumettre un détenu condamné pour une infraction criminelle à une expertise semestrielle et enfin la troisième relative à l’application temporelle de cette loi [21]. La mesure relative à la prise en compte d’ « un risque grave de renouvellement de l’infraction [22] » est perçue à la fois comme une continuité [23] de la restriction du champ d’application de cette suspension, mais également comme une pale copie de l’article 707 précédemment cité. Cette nouvelle portion de phrase ajoutée à l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale apparaît comme l’aboutissement d’une lutte entre les juges du fond et la haute juridiction, les juges ayant à de nombreuses reprises tenté d’inclure le passé du délinquant et en conséquence ses possibilités de renouveler son infraction par la suite. Concernant ses similitudes avec l’article 707 du Code de procédure pénale, l’explication de sa création peut être dans la volonté du législateur de ne prendre en compte que le danger de récidive et non d’un trouble à l’ordre public d’une plus grande importance. L’« article 707 [qui] retient une formule plus restrictive : il vise la sécurité publique et la prévention de la récidive, au contraire de l’article 720-1-1 dont la formule étroite [...] revient à restreindre la prise en compte de la sécurité publique à des cas de gravité envisageable suffisants. [...] [24] ». Cette notion de risque grave de renouvellement de l’infraction est également moins vague que la notion de trouble à l’ordre public.
L’autre problème se dégageant de la prise en compte de l’élément de la récidive dans la décision d’octroi d’une telle suspension est la qualification du type de récidive pouvant être concernée et plus précisément la potentialité de renouvellement de l’infraction. Peut-on réellement parler d’un risque de récidive au sujet d’un détenu libéré car son pronostic vital est en jeu. Cette hypothèse de récidive peut cependant se concrétiser avec des détenus libérés pour incompatibilité du suivi de leur traitement en milieu carcéral. Ces derniers ont la plupart du temps plus de facilités à se déplacer que les détenus libérés pour engagement du pronostic vital. Ainsi, il semble que le risque de récidive ne soit pas vain. Cependant, certains condamnés parviennent à diriger des opérations illégales depuis leur cellule. La référence aux « tontons flingueurs [25] » faîte dans certains articles peut faire sourire, mais représente bien cette idée. Le risque de récidive est partout, mais doit être pris en compte de manière mesurée selon le type de délinquant concerné [26]. Comme le précise Monsieur CLEMENT, « dans le cas d’une personne gravement malade, en fin de vie, le risque de récidive est exceptionnel. Le texte ne doit être modifié que pour prendre en compte les grands pervers et les condamnés ayant dirigé des groupes mafieux ou terroristes qui pourraient reprendre leur activité même gravement malades. [27] ». L’introduction de ces nouvelles conditions ne fait que refermer encore plus l’accès à cette mesure déjà utilisée de manière très limitée.