B - Une effectivité limitée de cette mesure
Cette mesure d’aménagement de peine déroge aux conditions de libération conditionnelle proposées par le Code de procédure pénale et ainsi permet la libération d’individus condamnés à de lourdes peines et parfois même à la peine de réclusion criminelle à perpétuité.
Elle ne reçoit ainsi que peu d’application (1) par la peur qu’elle dégage. De plus, cette mesure se durcit peu à peu et de ce fait semble se fermer et n‘être plus qu’une mesure exceptionnelle (2).
1 - Une application limitée de la loi
Des influences diverses (b) ont conduit à une application limitée de cette suspension (a).
a - Les chiffres
Les demandes de suspension de peine émises par les détenus sont assez nombreuses, cependant peu aboutissent. Il semble au regard des statistiques que le pourcentage de demande accordées est de 50% [1]. Dans l’année de la mise en place de ce nouvel aménagement de peine, le condamné le plus célèbre ayant bénéficié de cet aménagement de peine est Maurice Papon. Certains ont avancé que cette loi avait été votée dans son intérêt et appliquée de manière souple dans son cas, puis s’était durcie pour les autres candidats [2]. Cependant, une différence de traitement entre les demandes semble se dessiner. En étudiant les chiffres donnés par différents organismes, tels que le ministère de la justice ou des associations, il est à noter que le nombre des demandes est en augmentation, mais le nombre d’accords de ces suspensions reste stable (environ 60 accords). En 2003, 136 demandes ont été faites et 63 ont été accordées [3]. Au cours de l’année 2004, 67 ont été accordées sur 128 [4] présentées. Enfin en 2005, il a été établi que « depuis la promulgation de la loi de 2002, 461 demandes de suspension de peine ont été déposées, 191 ont abouti [5] », ainsi 197 demandes ont été introduites et 61 accordées cette année là.
L’état de santé du condamné est le facteur déterminant dans l’octroi de cet aménagement de peine. Un désaccord entre les experts sur l’étendue de l’engagement du pronostic vital d’un condamné conduira à un rejet direct de la demande, car comme le précise le texte « la suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné [6] » a son pronostic vital engagé à court terme ou que son état de santé est durablement incompatible avec son maintien en détention. Cependant, au regard de la diversité des décisions de rejet ou de refus rendues, d’autres critères semblent être pris en compte. Il semble que des détenus souffrant d’une même maladie, développée à un même stade de gravité, ne puissent espérer la même réponse. Même avant les modifications apportées par la loi du 12/12/2005, des facteurs extérieurs tels que l’infraction commise par le condamné ou son comportement (regret, recherche de l’indemnisation des victimes) étaient pris en compte de manière non officielle. D’autre part, la renommée [7] et la fortune [8] de certains semblent parfois leurs ouvrir plus facilement les portes de cette modalité de suspension de peine. Enfin, certains condamnés semblent être écartés de cette mesure avant même d’en faire la demande. Cela a pour origine une certaine rancune de la part de l’Etat lui-même [9] et semblant ainsi se répercuter sur les décisions d’octroi de cette suspension. Hormis ces éléments, d’autres facteurs semblent intervenir dans le processus de décision d’octroi de cette mesure.
b - Les inf luences extérieures
Des éléments divers et sources extérieures variées sont à prendre en compte dans l’explication de l’application restreinte de cette mesure de suspension de peine. Au sein de l’administration judiciaire par exemple, des circulaires diverses sont venues peu à peu dénaturer le sens premier de la loi et parfois même le nier [10]. En ce sens, une circulaire éditée en mai 2003 par la direction des Affaires Criminelles et des Grâces a « tenté d’imposer le critère de risque de trouble à l’ordre public » [11]. Une autre circulaire éditée la même année informe le parquet de sa possibilité [12] de faire appel des décisions de suspensions de peine pour raisons médicales, favorables au condamné [13]. Les amendements proposés par différents sénateurs, lors de l’élaboration de la loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales montrent également la volonté de certains de réduire le champ d’application de ce texte. L’attitude ouvertement hostile de certains hommes politiques face à une large application de cette mesure est également à remarquer. Le garde des sceaux actuel Monsieur CLEMENT a exprimé sa volonté à ne voir cette mesure s’appliquer uniquement aux personnes mourantes [14].
D’autre part, l’influence de la société et particulièrement celle des victimes est notable. La volonté de vengeance de ces dernières influence-t-elle les rétrécissements successifs de la mesure ? Il semble que la réponse soit positive. Dans une société où la victime occupe une place de plus en plus importante dans le procès pénal, son influence sur l’exécution de la peine semble logique, même si cela déroge aux règles générales de la procédure pénale. Il faut rappeler que notre système pénal fonctionne sur le principe de la non-ingérence de la victime dans le procès pénal, sauf en cas de constitution de partie civile. En se déclarant comme telle, la victime ne devient cependant pas l’opposant direct de l’accusé, mais soutient seulement l’action publique, pouvant seule être exercée par le parquet. Cette action peut être mise en mouvement par le parquet ou par la victime, mais ne pourra être exercée que par le ministère public [15] seul. Ce principe a pour fondements d’une part la mission de l’Etat de faire respecter la loi et veiller au maintien de l’ordre public [16] et d’autre part le refus de la vengeance personnelle des victimes à l’encontre de leur agresseur. Cependant, aujourd’hui la victime semble être de plus en plus présente au cours du procès pénal, mais également dans le cadre de l’aménagement de la peine d’un condamné. Le Code de procédure pénale contient ainsi une disposition permettant au Juge de l’application des peines de prendre en compte les intérêts de la victime avant de prononcer une mesure de suspension de peine ou de libération conditionnelle [17]. Le juge a également à sa disposition des mesures lui permettant de protéger la victime. Le condamné bénéficiant d’une suspension de peine pourra se voir interdire la fréquentation de certains endroits ou le contact avec certaines personnes et notamment la victime elle même [18]. Un exemple récent a montré l’influence des victimes dans l’exécution de la peine. Il s’agit de la réincarcération d’un condamné (D.Tallineau) ayant bénéficié de cette mesure de suspension et ayant été réincarcéré après plusieurs plaintes de la part des parents de victimes [19] et après de nouvelles expertises médicales demandées par le garde des sceaux. Les victimes ont écrit au Garde des sceaux pour évoquer leurs peurs et mécontentement de voir le meurtrier de leur enfant libre. Ils ont également évoqué le risque de récidive de cet individu et la proximité de son lieu de vie avec le leur [20]. Les deux nouvelles expertises demandées par l’ancien garde des sceaux Monsieur Perben avaient conclu à l’incompatibilité de son état de santé avec son incarcération, la peine restait alors suspendue.
Cependant, le nouveau ministre de la justice Monsieur Clément a demandé une nouvelle expertise qui a conclu à la compatibilité de son état de santé avec l’incarcération [21]. Ce condamné souffrant d’un cancer a donc été réincarcéré après une nouvelle expertise [22].
Cependant, les victimes ne peuvent intervenir directement au sein de l’exécution de la peine du condamné comme l’a rappelée la Cour de cassation en 2006 [23].
Enfin, l’influence des médias est à indiquer. Ces derniers par leurs articles, remarques ont un pouvoir non négligeable d’influence. La décision revient au juge qui décide seul et selon son intime conviction après étude du dossier, il ne peut cependant pas être sourd à ces diverses remarques de l’arsenal médiatique qui relaie les sentiments d’une partie de l’opinion publique.
2 - Une fermeture progressive de la mesure
La mesure se ferme petit à petit, notamment en permettant aux nouvelles conditions de surveillance établies par le législateur de 2005, de s’appliquer aux décisions d’octroi de cette suspension antérieures (a). Le texte d’origine à caractère humanitaire s’estompe peu à peu (b).
a - Le caractère rétroactif de la loi 12/12/2005
L’article 11 in fine de la loi du 12/12/2005 précise que les nouvelles dispositions relatives à la suspension de peine pour raisons médicales sont rétroactives [24]. Il s’agit de la mesure relative à la surveillance médicale semestrielle des détenus condamnés pour crimes. Ainsi, les détenus ayant bénéficié d’un tel aménagement de peine depuis la création de la loi Kouchner devront se plier à ces examens tous les six mois. Si leur état de santé est jugé incompatible avec la détention ou si le pronostic vital est toujours évalué et considéré comme étant engagé à court terme, le condamné pourra continuer à bénéficier de cet aménagement. L’un des principes régissant le droit pénal est la non rétroactivité de la loi pénale plus dure. Seules les lois plus douces peuvent êtres appliquées aux instances en cours non encore définitivement jugées [25].
Une autre distinction est à rappeler parmi les divers outils du droit pénal. Il existe en effet, deux types de sanctions : les peines et les mesures de sûreté. Le droit pénal actuel n’utilise que très rarement ce terme de mesure de sûreté et conduit à sa confusion totale avec la peine.
Cependant, ces deux notions sont voisines, mais non identiques. Elles ont pour objectif commun de gêner le condamné dans le but de l’empêcher de commettre une infraction, mais de manière différente. La peine est une punition infligée au coupable d’une infraction. Elle doit ainsi répondre au principe de la légalité des délits et des peines et donc exister avant la commission d’une infraction pour pouvoir être appliquée à un individu fautif. La mesure de sûreté quant à elle, s’apparente à la peine, en ce qu’elle limite l’individu dans sa liberté, mais elle ne fait office que de précaution, elle n’a pour but que de protéger l’avenir et non de punir le condamné [26]. Elle pourra par exemple consister en la fermeture d’un établissement, ou en l’interdiction de l’exercice d’une profession [27] pour empêcher toute récidive. Ce n’est pas une peine, ainsi elle ne suit pas les mêmes règles et donc peut agir rétroactivement, et ce même si elle est plus dure.
Cette disposition nouvelle à caractère rétroactif réduit le champ d’application de la mesure.
Un pouvoir de contrôle de l’état de santé des condamnés existait déjà et appartenait conjointement au Juge de l’application des peines et au procureur de la république [28] pouvant faire la demande d’une nouvelle expertise auprès de ce juge. La mesure ne contenait cependant pas de délai temporel, et s’appliquait à l’ensemble des condamnés, c’était une simple faculté du juge [29]. Aujourd’hui pour les condamnés pour crime, cette expertise médicale semestrielle est obligatoire [30], « [...] elle doit intervenir tous les six mois [...]. Les expertises nécessaires à la décision d’octroi de la suspension sont difficiles à organiser et onéreuses, les nouvelles expertises imposées par le texte de loi à l’encontre de condamnés ayant déjà bénéficié de cette suspension pourront elles être respectées ? Et organisées dans les délais ?
b - Une épuration progressive du texte d’origine
Depuis sa création au cours de l’année 2002, la loi permettant la suspension de la peine d’un condamné pour raisons de santé, a subi des changements qui ont pour la plupart réduit considérablement son champ d’application. La loi a peu à peu perdu son caractère humanitaire. Des précisions quant aux éléments nécessaires à l’octroi de cette suspension ont été données par la jurisprudence. A titre d’exemple, le pronostic vital doit être engagé à court terme et doit être aussi précis que possible [31]. D’autre part, l’état de santé du détenu peut être jugé incompatible avec la détention, mais sa suspension peut lui être refusée, si un établissement pénitentiaire spécialisé dans le domaine médical peut l’accueillir. Dans certains cas, les juridictions du fond ont essayé d’intégrer de nouvelles conditions telles que la volonté d’indemniser les victimes, les regrets exprimés par le condamné. Cela a été rejeté par la Haute juridiction [32], mais les tentatives de les inclure aux conditions nécessaires à l’octroi de cette suspension sont nombreuses.
Certains éléments voulus par les juges ont été petit à petit intégrés au texte par le législateur et ce de manière évidente ou cachée. Il s’agit notamment de la notion de dangerosité, reprise au sein de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale sous le couvert de la notion de protection de la récidive et de la surveillance renforcée de l’état de santé des criminels ayant bénéficié de cette mesure.
D’autres textes ont également été ajoutés au coeur même de l’article 720-1-1 du Code procédure pénale. La plupart figuraient déjà au sein du code lui-même, mais semblent avoir été inséré pour renforcer le texte relatif à cette mesure. La notion de protection de l’ordre public a été fortement critiqué lors de la proposition du sénateur Zochetto de l’inclure au sein même du texte relatif à la suspension de peine pour raisons médicales. Cependant, cette prise en compte de l’ordre public est déjà présente au sein du Code de procédure pénale, en son article 707 [33]. Cette exigence devait donc en principe être prise en compte dans tout aménagement de peine [34] et donc a fortiori dans celui relatif à la suspension de peine prévu par la loi du 4/03/2002. Pour palier à la polémique suscitée par la proposition d’ajouter la condition d’ordre public au sein de cet article, le législateur a préféré intégrer à ce texte une condition relative à la récidive. Ainsi si une personne faisant la demande de ce type de suspension, présente un risque de récidive, mais répond aux critères relatifs à son état de santé, il semble que cette mesure lui sera refusée. Cette nouvelle condition restreint encore le champ d’application de cette loi. Cependant, était-elle nécessaire ? En effet, le Juge de l’application des peines avait déjà à sa disposition des mesures et obligations [35] pouvant être imposées au condamné, et ce dans le but de le surveiller et ainsi d’empêcher tout renouvellement de l’infraction.