CONCLUSION
Le nouvel aménagement de peine proposé par la loi du 4/03/2002 a permis une grande avancée dans le traitement de pathologies lourdes ou engageant à court terme le pronostic vital de certains condamnés. Cette mesure créée sous l’influence de rapports alarmants [1] concernant la prise en charge de la santé en milieu carcéral et d’une possible nouvelle condamnation de la Cour Européenne des droits de l’homme a été perçue comme un espoir de sortie pour les condamnés de longue peine [2]. La France a notamment été condamnée le 11/07/2006 [3] pour traitement inhumain et dégradant à l’encontre d’un condamné souffrant de pathologies de nature psychiatrique et n’ayant pas reçu un encadrement suffisant et adéquat [4].
Cette suspension de peine pour raisons médicales a été à ses débuts qualifiée de mesure humanitaire. Cependant son champ d’application s’est petit à petit fermé et elle est devenue une mesure très exceptionnellement appliquée et applicable. En effet, la jurisprudence et le législateur ont contribué à la réduction de son application. Sous l’influence des courants politiques et notamment de l’opinion publique, de nouvelles conditions sont venues s’ajouter à celles fixées par le texte d’origine. Cette mesure ne devant prendre en compte que des critères médicaux, doit désormais respecter d’autres conditions telles que la prévention de la récidive.
Cette loi perçue comme une nouvelle chance pour les condamnés [5], s’est révélée être une véritable boîte de Pandore. En effet, sous ses aspects de loi permissive et compte tenu de ses nombreuses restrictions ultérieures, son caractère humanitaire n’est plus qu’un lointain souvenir. Elle ne s’applique que très rarement et dans des cas souvent pathétiques. La pratique judiciaire est, en effet à n’accorder cette suspension de peine, que si le demandeur n’est plus en état d’aller et venir à son grès.
Cette mesure de suspension de peine pour raisons médicales soulève une délicate question, celle de la nécessité de fixer un âge limite pour l’incarcération. La population carcérale est de plus en plus âgée [6] et nombreuse [7]. Le système pénal français ne prévoit pas d’âge maximum pour incarcérer une personne [8]. Cependant, au regard de la population carcérale vieillissante et au regard des nombreuses contraintes liées à l’âge ne pouvant être traitées en milieu pénitentiaire, la question de prévoir un âge limite d’incarcération se pose. A l’heure actuelle, aucun pays européen ne prévoit de limite d’âge d’incarcération d’une personne [9]. Cependant certains pays prévoient des régimes plus souples d’aménagement de peine pour certains détenus âgés. Certains pays comme l’Italie [10], le Danemark [11] permettent à la personne condamnée âgée si celle-ci remplit les conditions requises, d’exécuter sa peine chez elle ou dans un établissement spécialisé.
Cette attitude est compréhensible tout comme peut l’être celle de la France à ne poser aucune limite sur ce point. En effet, force est de constater que la limitation de l’âge d’incarcération et les facilités données à ces derniers pour effectuer leur peine dans un autre environnement s’expliquent par l’incompatibilité de certaines dégradations physiques dues à la vieillesse avec le monde carcéral. L’absence de limitation d’âge a pour justification la volonté de maintenir l’épée de Damoclès de la sanction pénale pour chaque citoyen quelque soit son âge. En effet, un individu dont l’âge serait proche de la limite prévue par un texte de loi, pourrait être tenté de commettre une infraction grave s’il sait qu’il ne purgera pas l’intégralité de sa peine en prison et qu’il pourra effectuer sa peine dans un lieu aménagé ou même chez lui, pour excuse atténuante due à son grand âge.
Cette restriction progressive du champ d’application de cette mesure de suspension de peine pratique a également pour justification la volonté de lutter contre la récidive. En effet, il est vrai qu’un individu gravement malade ou dont le pronostic vital est engagé pourra toujours trouver des ressources pour effectuer une nouvelle infraction si telle est sa volonté. De plus, la plupart des demandeurs d’un tel aménagement de peine sont condamnés à de très longues peines et n’ont encore aucun projet de sortie préparé ou même une quelconque réflexion sur la justification et l’intérêt de leur peine. A notre époque, la récidive la plus crainte est celle des délinquants sexuels et par conséquent leurs demandes de suspension de peine sont accueillies avec beaucoup de réserve [12]. Ainsi, de nombreux moyens sont mis en oeuvre pour tenter de les soigner d’une part et de leur faire comprendre la gravité de leur action et partant la justification de leur peine et ce tout au long de leur incarcération.
Ce renforcement des exigences pour accorder cette suspension a donc pour but d’assurer la sécurité de la population. Sous cette attitude du pouvoir politique se cachent deux problèmes.
D’une part celui de la longueur de certaines peines face auxquelles l’administration pénitentiaire ne trouve pas de solutions [13] et d’autre part le problème de la lutte contre la récidive.
Pour le premier problème relatif à la durée excessive de certaines peines, la solution envisageable serait de réduire ces longues peines. Mais en même temps, il faudrait trouver un moyen de les rendre plus efficaces, de façon à ce que ces peines découragent les tentatives de récidive et qu’elles permettent en amont d’éviter toute infraction. Cette volonté de prévenir toute première infraction n’est pas nouvelle et ne sera jamais totalement effective. Cependant, donner une image plus noire, sans être effrayante de la prison, pourrait influencer une partie des futurs primo délinquants. A titre d’exemple, l’utilisation des condamnés pour des travaux tels que la construction d’école, d’hôpitaux dans des pays le nécessitant ou même en France pourrait être proposée. (Ce système est ainsi proposé dans le cadre de placement à l’extérieur [14]). D’autre part, des horaires plus contraignants au sein de la prison ainsi que la réalisation d’un travail dans la journée pourrait être une solution. D’autres pays, tels que la Suède prévoient un nouveau type d’incarcération consistant à privilégier la réinsertion en amont et en responsabilisant les condamnés. Dans ce but, des cellules individuelles et aménagées leurs sont proposées, ainsi que des activités diverses [15]. Cependant, cette solution peut se révéler négative car non contraignante pour certains individus nécessitant un encadrement fort et strict.
Actuellement, le plus gros problème actuel de notre société est la peur de la récidive. Cela explique la réticence des juges à accorder des suspensions de peine. Les libérations conditionnelles ne sont pas facilement accordées, le texte précisant que le condamné demandeur doit présenter des gages sérieux de réadaptation sociale [16]. Cette condition est scrupuleusement respectée par les magistrats [17], qui voient en ces gages, la marque d’une assurance de bonne conduite. La suspension de peine pour raisons médicales ne demande pas de tels gages, ce qui rend le travail du juge plus délicat, car il doit se prononcer sur la libération d’un détenu ne présentant pas de projet de sortie. De plus, en cas de nouvelle infraction, le dossier du juge pourra être ouvert et une sanction pourra être portée à sonencontre en cas d’erreur de jugement dans l’accord d’une telle suspension et ce même si le condamné présentait les critères requis. Ainsi la préparation d’un projet de sortie dès le début de l’incarcération des condamnés à de longues peines serait appréciable pour le travail du juge, qui pourrait dès lors même si le texte de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale ne le prévoit pas, en tenir compte dans son jugement. En effet, bien que non explicitement précisé par le texte, cet élément est quand même pris en compte implicitement et ce même au travers de la recherche d’un lieu d’accueil pour le détenu sortant pour motif médical. Cette attitude dénature le texte d’origine [18] et réduit son champ d’application à des cas spéciaux.
Les évolutions récentes ont permis la création [19] d’un nouvel instrument technique et juridique de plus en plus perfectionné pour tenter de concilier la prévention de la récidive et la libération anticipée d’un délinquant, il s’agit du bracelet électronique. Ce système permet de libérer un individu avant la fin de sa peine et de le surveiller en lui octroyant un périmètre en dehors duquel il ne peut se rendre entre certaines plages horaires. Appliqué à la suspension de peine pour raisons médicales, ce système permettrait de libérer plus de condamnés dont l’état de santé est jugé incompatible avec la détention, mais dont l’état physique général ferait craindre une nouvelle infraction. Actuellement, ce système reste très coûteux [20] et rencontre dans son application quelques contraintes techniques, telles que la nécessaire possession d’une ligne téléphonique par le détenu et a fortiori d’un hébergement [21], l’accord du condamné, mais également la contrainte que cela représente pour les membres de la famille d’un tel condamné libéré, qui doivent eux aussi adapter leur quotidien en fonction des horaires et lieux prévus par le juge.
Aux vues de cette étude, le constat de l’incompatibilité de certaines personnes en fin de vie ou gravement malades avec l’univers carcéral est évident. Leur place n’est en aucun cas en prison [22]. Cependant, au regard de la gravité de leurs infractions possibles, il semble difficile de faire accepter à la société leur libération anticipée ou même leur réintégration au sein de la société. Bien que la solution la plus adéquate soit la prévention de la délinquance avant tout, l’absence d’un tel phénomène n’est qu’illusoire. Il faut donc tenter de minimiser les passages à l’acte criminel, mais également prendre en charge les problèmes liés à l’incarcération parfois très longue de détenus dont l’état physique se dégrade avec la maladie et les maux dus à l’âge.
La loi du 4/03/2002 est un grand pas dans ce domaine [23], mais n’est pas suffisant et semble de plus disparaître peu à peu pour ne devenir qu’une suspension illusoire et fermée. L’évolution des nouvelles technologies, notamment le placement sous surveillance électronique permettrait de donner un nouveau souffle à cette loi. Cependant, de nouveaux problèmes notamment techniques viendront se greffer. En effet, un malade devant aller d’urgence à l’hôpital fera se déclencher le dispositif de surveillance, si l’information n’a pas été transmise au plus vite aux autorités compétentes. La création du bracelet électronique mobile, introduite par la loi du 12/12/2005 semble apporter une nouvelle solution. Ce dernier permettant en effet, de suivre précisément la personne [24]. Cependant, de nouveaux problèmes verront le jour, tels que des dysfonctionnements du système de surveillance électronique.
De plus, les discours des autorités visant à la création d’hôpitaux prisons, de cellules médicalisées au sein de chaque prisons [25] ou d’unité de transition [26], semblent anéantir toutes chances de nouveau développement de cette suspension de peine pour raisons médicales.