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(1994) Affaire Matencio c. France : Pour des soins appropriés en détention

Mise en ligne : 28 janvier 2004

Dernière modification : 2 juin 2007

Texte de l'article :

COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MATENCIO c. FRANCE
(Requête no 58749/00)

 ARRET STRASBOURG

15 janvier 2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 En l’affaire Matencio c. France,

 La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
P. Lorenzen, 
 J.-P. Costa,
Mmes F. Tulkens, 
N. Vajic,
M. E. Levits,
Mme S. Botoucharova, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

 Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2003,

 Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

 1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58749/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Joël Matencio (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 mars 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

 2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me P. Riquier, avocat à St-Germain-En-Laye. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

 3. Le requérant alléguait ne pas avoir bénéficié, en détention, des soins appropriés à son état de santé, à part pour ce qui est des médicaments. Il invoquait les articles 2 et 3 de la Convention.

 4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

 5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

 6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

 7. Par une décision du 7 novembre 2002, la chambre a déclaré la requête recevable.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 8. Le requérant est né en 1948 et était, lors de l’introduction de sa requête, détenu à la maison centrale de Poissy.

 9. Le requérant a été incarcéré le 22 octobre 1976. Il a été condamné le 21 novembre 1981 par la cour d’assises de l’Isère à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinats.

 10. Le 8 décembre 1995, le requérant fut victime d’un accident vasculaire cérébral à la suite duquel il demeura seize mois à l’hôpital de la maison d’arrêt de Fresnes où un traitement médicamenteux et des soins d’ergothérapie lui furent administrés.

 11. Il a gardé des séquelles de cet accident sous la forme d’une monoplégie du membre supérieur droit, une monoparésie du membre inférieur droit, une dysarthrie et des vertiges.

 12. Suite à un courrier qu’il avait adressé le 26 septembre 1996 au juge de l’individualisation des régimes de détention, le requérant a été transféré à la maison centrale de Poissy en avril 1997. Il arguait dans son courrier de la présence de sa famille et de ses amis dans la région et du fait qu’il avait appris qu’existaient à la centrale de Poissy des cellules pour handicapés.

 13. Le 19 septembre 1997, la Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) lui reconnut un taux d’incapacité de 80 %.

 14. Le 7 septembre 1999, le médecin chef de l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison centrale de Poissy où le requérant était détenu rédigea un certificat en ces termes :

 « M. Matencio présente des séquelles neurologiques très partiellement régressives d’une hémiplégie droite avec dysarthrie résiduelle.

 Par ailleurs, par moments en raison d’une instabilité psychique aggravée par les troubles neurologiques, sa compliance thérapeutique s’altère et les prises médicamenteuses ne sont plus régulières, ce qui provoque une aggravation de son état ainsi que des crises d’épilepsie séquellaire.

 Sa prise en charge au niveau de l’UCSA est difficile en raison de la fréquence de la rééducation fonctionnelle qu’il est impossible de réaliser ainsi que du manque des soins d’orthophonie que nous sommes dans l’impossibilité de réaliser actuellement.

 Pour le moment, l’état du malade semble stabilisé et son autonomie lui permet de s’occuper des gestes quotidiens de la vie, de son hygiène, de son alimentation, mais surtout de pouvoir lire et écrire ce qui paraît pour lui d’une importance capitale.

 Il est évident que son suivi doit être constant, régulier et pluridisciplinaire afin d’éviter toute aggravation.

 Le traitement est quotidien et à vie. »

 15. Le requérant produit également un certificat médical du même médecin de l’U.C.S.A. de la maison centrale de Poissy, en date du 17 janvier 2000 qui se lit notamment comme suit :

 « M. Matencio présente des séquelles neurologiques très partiellement régressives d’une hémiplégie droite avec dysarthrie résiduelle.

 Les derniers examens réalisés à la demande du Dr A. Long à l’hôpital Broussais concernant la vascularisation cérébrale ont montré des graves perturbations de la vascularisation cérébrale dont l’évolution est parfaitement imprévisible. Ceci peut nettement aggraver la symptomatologique séquellaire déjà existante, nécessite une prise en charge quotidienne et impose des mesures de rééducation fonctionnelle tout à fait pointues, or, la rééducation fonctionnelle existant à l’U.C.S.A. de la maison centrale de Poissy est déjà insuffisante en nombre de séances et surtout les soins d’orthophonie sont irréalisables.

 Par ailleurs, grâce à un grand désir d’indépendance et une ténacité rare, le malade se prend en charge dans tous les gestes de la vie quotidienne concernant notamment son hygiène, son alimentation et il réussit même à lire et à écrire, ce qui pour lui paraît être d’une importance capitale.

 Étant donné les derniers éléments médicaux en notre possession, notamment la résonance magnétique cérébrale et le doppler des vaisseaux cervicaux, je pense qu’une prise en charge pluridisciplinaire plus intense serait tout à fait nécessaire afin de pouvoir améliorer la qualité de vie de M. Matencio. »

 16. Le 31 janvier 2000, une demande de mise en liberté conditionnelle pour raison de santé fut présentée pour le requérant par un prêtre. Cette démarche n’aboutit pas.

 17. Le 22 mars 2000, le directeur de la centrale de Poissy fournit par courrier des renseignements concernant le requérant au directeur régional des services pénitentiaires de Paris. Il indiquait notamment :

 « Après de nombreuses années passées dans « l’unité sanitaire » de l’établissement, il en a été sorti en fin d’année 1998 suite à de nombreuses altercations avec d’autres détenus de cette aile. Depuis, son comportement s’est nettement stabilisé. Il s’agit d’un détenu frappé d’une maladie invalidante grave, ce qui fait qu’il parle et se déplace avec difficulté.

 On observe, depuis sa sortie de l’U.S. (il est en détention « classique » depuis) une amélioration de son état psychologique, mais il reste fragile et n’a pas toujours un discours très cohérent (...). »

 18. Le 6 juin 2000, l’Observatoire international des prisons saisit l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) du cas du requérant.

 19. Par courrier du 13 juin 2000, le chef de ce service indiqua qu’elle avait demandé au médecin inspecteur de santé publique des Yvelines de lui faire part de son avis sur les conditions dans lesquelles les soins étaient dispensés au requérant.

 20. Par courrier du 27 juin 2000, le directeur de la centrale de Poissy indiquait au requérant qu’il avait recherché une solution pour assurer une permanence médicale autour de lui, suite aux préoccupations exprimées par le médecin-chef de l’UCSA quant à son état de santé. Il concluait que, la maison centrale de Poissy ne disposant pas d’un dispositif de couverture médicale permanent notamment la nuit ou le week-end, il avait obtenu qu’il rejoigne une maison d’arrêt parisienne où un médecin était en permanence présent, de jour comme de nuit. Il précisait que, consciente des difficultés qui pouvaient naître d’un retour en maison d’arrêt, la direction régionale s’était engagée à l’affecter dans une cellule individuelle.

 Le 28 juin 2000, le requérant refusa cette offre. Il arguait du fait qu’à Poissy, il était relié par une sonnette à l’unité sanitaire et au poste central de nuit comme de jour.

 21. Le 29 juin 2000, l’Observatoire international des prisons saisit le ministère de la Justice d’une demande de commutation de peine pour raisons médicales en faveur du requérant.

 Le même jour il saisit le juge de l’application des peines afin que des mesures soient prises d’urgence, permettant au requérant de recevoir à l’extérieur les soins hospitaliers rendus nécessaires par son état.

 22. Le 24 août 2000, un médecin du service d’anesthésie et de réanimation de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris adressa à une de ses consoeurs un courrier se terminant par ces termes :

 « P.S : De la rééducation du rachis et des membres me paraît impérative. »

 23. Le 1er novembre 2000, le requérant adressa un courrier au chef de l’inspection générale des affaires sociales. Il précisait n’avoir jamais demandé son transfert dans un autre établissement pénitentiaire où il serait mieux soigné, mais seulement des soins appropriés à son état de santé. Il ajoutait qu’il ne serait pas mieux à la prison de la Santé et que, par ailleurs, tous ses amis et sa famille résidaient dans la région (de Poissy) et qu’il savait très bien qu’il ne serait pas mieux soigné ailleurs.

 24. Le 16 novembre 2000, le médecin de l’U.C.S.A. de Poissy rédigea un nouveau certificat médical. Il y relevait notamment :

 « M. Matencio présente des séquelles neurologiques, ostéo-articulaires et musculaires d’une hémiplégie droite conséquence d’un accident vasculaire cérébral ischémique par spoliation sanguine.

 Elles sont de différents ordres moteurs et atteignent également la sensibilité ainsi que les fonctions cérébrales supérieures.

 Le confort de vie s’en trouve quotidiennement entravé par l’inadaptation de sa cellule ainsi que par le manque de prise en charge optimale de ce genre de handicap au niveau d’une U.C.S.A. (exemple : la prise en charge kinésithérapeutique est insuffisante pour au moins consolider les séquelles).

 Par ailleurs, l’état vasculaire cérébral est fortement altéré ce qui rend le pronostic tout à fait aléatoire et probablement très péjoratif à moyen terme. »

 25. Le 6 décembre 2000, l’Observatoire international des prisons adressa un courrier à la Direction régionale de l’administration pénitentiaire de Paris. Il mentionnait qu’après entretien avec le requérant, il était apparu que celui-ci n’avait jamais donné mandat en vue d’une demande de transfert et qu’il semblait que les traitements et soins dont il bénéficiait étaient adéquats, eu égard à son bilan médical.

 26. Le 14 décembre 2000, un nouveau certificat médical fut délivré au requérant :

 « Je soussigné ... confirme comme dans mes précédents certificats que M. Matencio présente une maladie neurologique grave séquellaire d’une maladie vasculaire qui handicape de manière importante sa vie quotidienne.

 Par ailleurs, dans le cadre d’un bilan de suivi régulier de sa maladie nous avons constaté également qu’il y a des malformations vasculaires qui diminuent encore plus l’irrigation de l’hémisphère lésée.

 Dans cet état de choses, il est tout à fait nécessaire que M. Matencio puisse bénéficier d’un traitement optimal afin de pouvoir stabiliser l’évolution de la maladie. C’est la raison pour laquelle un traitement et un suivi neurologique et vasculaire est très important.

 Par ailleurs, dans le cadre de son traitement, il est tout à fait indispensable que M. Matencio puisse bénéficier de séances de kinésithérapie et d’orthophonie régulières, ce qui actuellement n’est pas le cas au niveau de la maison centrale de Poissy.

 Notamment au niveau de la kinésithérapie, il est vu une fois par semaine. C’est évident que dans le milieu libre, il pourra bénéficier de soins médicaux plus adaptés à son état actuel. »

 27. Le 2 février 2001, le requérant fut hospitalisé en urgence au service des urgences de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye suite à un malaise.

 28. Le 29 août 2001, le médecin-chef de l’Unité de consultations de la maison centrale de Poissy fit un nouveau certificat médical au requérant en ces termes :

 « Je soussigné ... certifie que M. Joël Matencio ... présente une maladie neurologique vasculaire importante, séquelle d’un accident vasculaire aigu en 1995.

 Depuis lors l’état du malade a présenté des aggravations et des améliorations passagères.

 Le bilan réalisé montre qu’il est impossible de préjuger du pronostic vital de ce malade, il est tout aussi possible que l’état du malade s’aggrave très rapidement ou que le pronostic soit prolongé à moyen terme.

 Par ailleurs, il présente des douleurs quotidiennes dont la prise en charge et l’adaptation du traitement personnalisé est très compliquée.

 Par ailleurs la prise en charge complète au niveau de la rééducation fonctionnelle adaptée à son état de santé est impossible actuellement au niveau matériel et en personnel.

 Il nécessiterait également une aide de tierce personne pour certains gestes de la vie quotidienne. La détention me paraît donc de plus en plus inadaptée à l’état de santé de ce malade. »

 29. Le 21 septembre 2001, la COTOREP confirma le taux d’incapacité du requérant.

 30. Le 26 novembre 2001, la juridiction régionale de libération conditionnelle de la cour d’appel de Versailles examina la demande déposée par le requérant le 22 juin 2001.

 Elle constata que celui-ci était dans le délai prévu par l’article 729 du Code de procédure pénale, qu’il avait une attestation d’hébergement à sa sortie et que :

 « la procédure établit que Joël Matencio est hémiplégique ; que les répercussions organiques sont extrêmement importantes, qu’il subit une incapacité de 80% ; qu’il nécessite des soins qui sont d’ores et déjà prévus et dont il ne peut plus bénéficier en milieu pénitentiaire. »

 En conséquence, le requérant fut placé sous le régime de la liberté conditionnelle à compter du 14 décembre 2001 et jusqu’au 14 décembre 2006.

 

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

 31. Code de procédure pénale

 Article D 368

 « Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d’éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l’autorité médicale d’un praticien hospitalier, dans le cadre d’une unité de consultations et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R. 711-7 à R. 711-18 du code de la santé publique.

 En application de l’article R. 711-7 du code de la santé publique, le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation désigne, pour chaque établissement pénitentiaire de la région, l’établissement public de santé situé à proximité de l’établissement pénitentiaire, qui est chargé de mettre en oeuvre les missions décrites au premier alinéa du présent article.

 En application de l’article R. 711-9 du code de la santé publique, lorsque l’établissement public de santé désigné par le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation ne comporte pas de service de psychiatrie et que l’établissement pénitentiaire n’est pas desservi par un service médico-psychologique régional mentionné à l’article D. 372, le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation désigne en outre, dans les mêmes conditions, l’établissement public de santé ou l’établissement de santé privé admis à participer à l’exécution du service public hospitalier, situé à proximité, qui est chargé de dispenser aux détenus les soins en psychiatrie. »

 Les articles 720-1, 722, 722-1, 729 729-3 et 730, tels qu’issus de la loi no 2000-516 du 15 juin 2000, applicable à compter du 1er janvier 2001, se lisent ainsi :

Article 720-1

 « En matière correctionnelle, lorsqu’il reste à subir par la personne condamnée une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an, cette peine peut, pour motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social et pendant une période n’excédant pas trois ans, être suspendue ou exécutée par fractions, aucune de ces fractions ne pouvant être inférieure à deux jours. La décision est prise par le juge de l’application des peines dans les conditions prévues par l’article 722.

 Lorsque l’exécution fractionnée de la peine d’emprisonnement a été décidée par la juridiction de jugement en application de l’article 132-27 du code pénal, cette décision peut être modifiée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. »

Article 722

 « Auprès de chaque établissement pénitentiaire, le juge de l’application des peines détermine pour chaque condamné les principales modalités du traitement pénitentiaire. Dans les limites et conditions prévues par la loi, il accorde (...) la libération conditionnelle (...). Sauf urgence, il statue après avis de la commission d’application des peines (...)

 Les mesures (...) de libération conditionnelle sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision motivée du juge de l’application des peines saisi d’office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. (...)

 La commission de l’application des peines est présidée par le juge de l’application des peines ; le procureur de la République et le chef de l’établissement en sont membres de droit.

 Les mesures de placement à l’extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision motivée du juge de l’application des peines saisi d’office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue, après avis du représentant de l’administration pénitentiaire, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l’application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celle de son avocat ; elle peut être attaquée par la voie de l’appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa notification. L’appel est porté devant la chambre des appels correctionnels. »

Article 722-1

 « Les mesures de libération conditionnelle qui ne relèvent pas de la compétence du juge de l’application des peines sont accordées, ajournées, refusées ou révoquées par décision motivée de la juridiction régionale de la libération conditionnelle, saisie sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République, après avis de la commission d’application des peines.

 Cette juridiction, établie auprès de chaque cour d’appel, est composée d’un président de chambre ou d’un conseiller de la cour d’appel, président, et de deux juges de l’application des peines du ressort de la cour d’appel, dont, pour les décisions d’octroi, d’ajournement ou de refus, celui de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé l’établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué.

 Les fonctions du ministère public sont exercées par le procureur général ou par l’un de ses avocats généraux ou de ses substituts ; celle de greffe par un greffier de la cour d’appel.

 La juridiction régionale de la libération conditionnelle statue par décision motivée, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel elle entend les réquisitions du ministère public, les observations du condamné et, le cas échéant, celles de son avocat.

 Les décisions de la juridiction peuvent faire l’objet d’un appel, dans les dix jours de leur notification par le condamné ou par le ministère public, devant la juridiction nationale de la libération conditionnelle. Ces décisions sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l’appel du procureur général est formé dans les vingt-quatre heures de la notification, il suspend l’exécution de la décision jusqu’à ce que la juridiction nationale ait statué. L’affaire doit être examinée par cette juridiction nationale au plus tard deux mois suivant l’appel ainsi formé, faute de quoi celui-ci est non avenu.

 La juridiction nationale de la libération conditionnelle est composée du premier président de la Cour de cassation ou d’un conseiller de la cour le représentant, qui la préside, de deux magistrats du siège de la cour ainsi que d’un responsable des associations nationales de réinsertion des condamnés et d’un responsable des associations nationales d’aide aux victimes. Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général de la Cour de cassation. La juridiction nationale statue par décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours, de quelque nature que ce soit. Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil, après que l’avocat du condamné a été entendu en ses observations.(...) »

Article 729

 « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant eu à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient (...), soit de la nécessité de subir un traitement (...) »

 Article 729-3

 « La libération conditionnelle peut être accordée pour tout condamné à une peine privative de liberté inférieure ou égale à quatre ans, ou pour laquelle la durée de la peine restant à subir est inférieure ou égale à quatre ans, lorsque ce condamné exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle. (...) »

Article 730

 « Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l’application des peines selon les modalités prévues par l’article 722. Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par la juridiction régionale de la libération conditionnelle, selon les modalités prévues par l’article 722-1.

 Pour l’application du présent article, la situation de chaque condamné est examinée au moins une fois par an, lorsque les conditions de délai prévues à l’article 729 sont remplies.

 Un décret fixe les modalités d’application du présent article. »

 32. Ces dispositions étendent les pouvoirs du juge de l’application des peines en matière de libération conditionnelle, créent deux nouvelles juridictions pour la libération conditionnelle et répondent aux critiques élevées depuis nombreuses années sur le fait qu’aucune libération anticipée pour les malades gravement atteints n’était prévue par la législation française à l’exception de la procédure de grâce médicale qui relève de l’appréciation du Président de la République (articles 17 et 19 de la Constitution).

 33. Elles ont été complétées par une loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui complète le code de procédure pénale et y insère un nouvel article 720-1-1. Cette disposition prévoit la possibilité de suspendre la peine, « quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. »

 III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

 34. Troisième rapport général d’activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1992 (services de santé dans les prisons ’ III)

 iv) incapacité à la détention

 « Des exemples typiques sont ceux de détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme, ceux qui souffrent d’une affection grave dont le traitement ne peut être conduit correctement dans les conditions de la détention ainsi que ceux qui sont sévèrement handicapés ou d’un grand âge. La détention continue de telles personnes en milieu pénitentiaire peut créer une situation humainement intolérable. Dans des cas de ce genre, il appartient au médecin pénitentiaire d’établir un rapport à l’intention de l’autorité compétente, afin que les dispositions qui s’imposent soient prises. »

 35. Recommandation No R (98) 7 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 8 avril 1998 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire

 « C. Personnes inaptes à la détention continue : handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal à court terme

 50. Les détenus souffrant de handicaps physiques graves et ceux qui sont très âgés devraient pouvoir mener une vie aussi normale que possible et ne pas être séparés du reste de la population carcérale. Les modifications structurelles nécessaires devraient être entreprises dans les locaux pour faciliter les déplacements et les activités des personnes en fauteuil roulant et des autres handicapés, comme cela se pratique à l ’extérieur de la prison.

 51. La décision quant au moment opportun de transférer dans des unités de soins extérieures les malades dont l’état indique une issue fatale prochaine devrait être fondée sur des critères médicaux. En attendant de quitter l’établissement pénitentiaire, ces personnes devraient recevoir pendant la phase terminale de leur maladie des soins optimaux dans le service sanitaire. Dans de tels cas, des périodes d’hospitalisation temporaire hors du cadre pénitentiaire devraient être prévues. La possibilité d’accorder la grâce ou une libération anticipée pour des raisons médicales devrait être examinée. »

 36. Recommandation Rec (2000) 22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant l’amélioration de la mise en uvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté

 

 Annexe 2 : principes directeurs tendant à une utilisation plus efficace des sanctions et mesures appliquées dans la communauté

 « Législation

 1. Il convient de mettre en place un éventail de sanctions et mesures appliquées dans la communauté qui soit suffisamment large et varié et pourraient comporter, à titre d’exemple :

 (...)

 - la suspension, assortie de conditions, de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ; (...) »

 

 

EN DROIT

 37. Le requérant se plaint de son maintien en détention et des conditions de celle-ci nonobstant la grave maladie dont il souffre. Il invoque l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

 « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

A. Arguments des parties

 38. Dans ses premières observations, le requérant soulignait que les autorités pénitentiaires avaient été informées dès le mois de juin 2000, par le médecin responsable de l’UCSA de la maison centrale de Poissy de l’aggravation de son état de santé et de l’impossibilité de lui dispenser des soins appropriés en détention. Il ajoutait que l’observatoire international des prisons avait, à la même période, formé deux requêtes auprès du ministère de la Justice, pour les mêmes motifs.

 39. Pour ce qui est des séances d’orthophonie, le requérant niait avoir été à l’origine de l’interruption des séances et faisait remarquer que celles-ci avaient été interrompues dès 1998 et qu’en 2001, le Gouvernement indiquait être à la recherche d’un remplaçant.

 40. Le requérant précisait encore qu’il disposait d’une sonnette d’alarme tant qu’il a eu une cellule au sein de l’unité sanitaire, mais qu’il avait dû ensuite intégrer une cellule sans aucun aménagement.

 41. Enfin, le requérant faisait observer, au vu des différents certificats médicaux, que son état de santé, loin d’être consolidé, s’était aggravé. Il ajoutait qu’il ressortait de tous les certificats médicaux que, non seulement il n’avait pas bénéficié d’une surveillance médicale permanente, mais encore qu’il n’avait pas fait l’objet de soins réguliers et, de surcroît, n’avait pas bénéficié des soins médicaux requis au regard de ses pathologies. Il en concluait que le défaut de soins était la cause de l’aggravation de son état de santé.

 42. Le requérant soulignait que ces manquements graves, qui ont duré de nombreuses années, alors même que les autorités françaises compétentes étaient alertées de la gravité de son état de santé et de ses conditions de détention, constituaient des mauvais traitements atteignant un niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

 43. Dans ses observations complémentaires présentées en mars 2003, le requérant fait observer qu’il a passé seize mois à l’hôpital de Fresnes suite à son accident vasculaire cérébral et qu’il n’a reçu pendant cette période aucun soin de kinésithérapie ou d’orthophonie en dépit de séquelles importantes. Il indique n’avoir obtenu qu’une prise en charge en ergothérapie et avoir bénéficié de trois séances seulement en seize mois.

 Il ajoute qu’après son transfert à Poissy en avril 1997, ce n’est qu’en novembre 2000 qu’il a commencé à bénéficier de quelques séances de kinésithérapie, ces séances étant dispensées une fois par mois et non une fois par semaine comme l’a indiqué le Gouvernement.

 Quant aux séances d’orthophonie, le requérant maintient qu’elles se sont interrompues au bout de dix séances à la fin de l’année 1998, sans qu’il ait adopté un comportement de nature à les rendre impossibles.

 44. Le requérant soutient encore qu’entre 1997 et 2001, il n’a été examiné que quatre fois par un neurologue et n’a jamais fait l’objet d’un contrôle de sa tension trois fois par semaine.

 45. Il ajoute qu’il a été contraint de quitter sa cellule au sein de l’unité sanitaire et a été transféré dans une cellule ordinaire sans aucun aménagement de fin 1998 à octobre 2001. Pour ce qui est du matériel dont il disposait (ordinateur, magnétophone, micro), le requérant précise qu’il s’agissait d’un don de l’Association des paralysés de France.

 46. S’appuyant sur les différents certificats médicaux rédigés par les médecins de l’UCSA, le requérant souligne que son état de santé, loin de s’améliorer, s’est aggravé au cours des ans et nécessite un traitement à vie.

 47. Il précise qu’entre 1996 et 2001, il a présenté onze demandes de libération conditionnelle qui ont toutes été rejetées en dépit de l’aggravation de son état de santé. Il réfute sur ce point l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il aurait refusé, le 9 novembre 1999, que son dossier soit examiné en vue d’une éventuelle libération conditionnelle. Il se réfère à l’ordonnance du juge d’instruction, produite par le Gouvernement, datée du 15 décembre 1999 et qui rejette sa demande. Il ajoute que le document daté du 8 novembre 1999 et sur lequel il est indiqué qu’il ne désire pas que son dossier soit examiné n’est pas signé et se trouve en contradiction avec le fait que la commission d’application des peines s’est réunie le 15 décembre 1999 et que le juge a tranché le même jour.

 48. Quant au malaise du 2 février 2001, le requérant conteste avoir demandé à regagner la prison contre avis médical.

 49. Pour ce qui est de son refus d’être transféré à l’hôpital de Fresnes au cours du premier trimestre 2000, le requérant fait observer que l’argument du Gouvernement est inopérant dans la mesure où un transfert n’aurait eu aucune conséquence sur l’absence de soins adéquats et appropriés dont il a souffert. Il rappelle en effet que lors de ses seize mois d’hospitalisation entre décembre 1995 et avril 1997, ses soins se sont limités à un traitement médicamenteux, à la visite d’un médecin une fois tous les quarante-cinq jours et à trois séances d’ergothérapie. Il n’a jamais suivi de séance de kinésithérapie ni d’orthophonie.

 50. Le requérant estime que la réalité de sa situation se trouve confortée par la mesure de libération conditionnelle dont il a finalement bénéficié le 26 novembre 2001.

 51. Le requérant conclut que ces manquements graves ont constitué un traitement atteignant le niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champ d’application de l’article 3.

 52. Dans ses premières observations présentées en juillet 2001 alors que le requérant était encore en détention, le Gouvernement mentionnait d’abord la réforme introduite par la loi du 18 janvier 1994, à l’origine notamment de l’article D 368 du Code de procédure pénale. Depuis lors, l’organisation de la prise en charge sanitaire des détenus est dévolue, non plus au service public pénitentiaire, mais au service public hospitalier.

 Il ajoutait que l’état de santé des détenus condamnés constitue l’un des critères pris en compte pour le choix de l’établissement où ils purgeront leur peine.

 53. Quant aux soins prodigués au requérant, le Gouvernement précisait en premier lieu que les relations entre un détenu malade et les médecins appelés à l’examiner et à lui prodiguer des soins sont couverts par le secret médical et qu’il ne disposait donc que des renseignements que l’équipe médicale chargée du suivi du requérant avait accepté de lui fournir.

 54. Le Gouvernement exposait ensuite que celui-ci était régulièrement suivi par le médecin de l’UCSA de la maison centrale de Poissy et par des consultants neurologues.

 Il ajoutait que les séances d’orthophonie avaient dû être interrompues compte tenu du comportement du requérant et que la recherche d’un remplaçant, en cours à l’époque de la présentation des observations, se révélait très difficile.

 55. Concernant l’équipement de la cellule, le Gouvernement soulignait qu’il s’agissait de l’une des dix-sept cellules possédant une sonnette d’alarme permettant à des malades présentant des pathologies graves d’alerter les surveillants pour assurer, après le départ de l’équipe médicale à dix-neuf heures, une intervention rapide de médecins extérieurs à l’établissement.

 Selon le Gouvernement, les médecins considéraient par ailleurs que l’état de santé du requérant était consolidé.

 Il concluait que la cellule dans laquelle le requérant était détenu était adaptée à son état de santé.

 56. Quant à la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention au sens de l’article 3 de la Convention, le Gouvernement se référait aux arrêts Raninen contre Finlande et Kudla contre Pologne et rappelait que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité, que s’agissant de personnes détenues, la Cour a considéré que les dispositions de l’article 3 ne peuvent être interprétées comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé et de le placer dans un hôpital civil afin de lui permettre d’obtenir un traitement médical particulier.

 57. De son point de vue, les conditions de détention du requérant répondaient à ces critères puisqu’il bénéficiait d’une surveillance médicale permanente, dans le cadre d’un dispositif de soins susceptible de répondre à toute situation d’urgence.

 58. Le Gouvernement concluait que l’incarcération du requérant n’excédait pas le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que son maintien en maison centrale ne constituait pas un traitement inhumain et dégradant.

 59. Dans ses observations complémentaires présentées en février 2003, le Gouvernement expose que la loi du 15 juin 2000 a entièrement confié le contentieux de la libération conditionnelle aux juridictions de l’ordre judiciaire et notamment au juge de l’application des peines. Elle a par ailleurs créé deux nouvelles institutions, la juridiction régionale de libération conditionnelle et la juridiction nationale de libération conditionnelle.

 60. Revenant sur la jurisprudence de la Commission et de la Cour, le Gouvernement admet qu’il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

 Il ajoute que l’article 3 ne peut être interprété comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour raisons de santé, mais qu’il impose en tout cas de protéger la santé des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis.

 61. Par ailleurs, le Gouvernement constate que la Cour a récemment considéré que l’administration pénitentiaire doit prendre des mesures particulières lorsque la prison se révèle difficilement adéquate pour faire face à la maladie (arrêt Mouisel c. France, no 67263/01, 14 novembre 2002).

 62. Il ajoute qu’il convient de prendre en compte le traitement médical dont le détenu pouvait bénéficier ainsi que sa volonté d’avoir recours aux services existants (B. c. République Fédérale d’Allemagne, no 13047/87, décision de la Commission du 10 mars 1988, D.R. 55, p. 271) et que dans l’affaire De Varga-Hirsch c. France, la Commission avait tenu compte des mesures prises par les autorités nationales (no 9559/81, décision de la Commission du 9 mai 1983, D.R. 33, p.158).

 Enfin, il convient dans chaque cas d’avoir égard aux circonstances particulières de l’espèce.

 63. Pour ce qui est de la situation particulière du requérant, le Gouvernement souligne tout d’abord que c’est à sa demande que le requérant a été affecté, après avoir passé seize mois à l’hôpital de Fresnes, à la maison centrale de Poissy. Il souhaitait en effet bénéficier d’une cellule pour handicapés et se rapprocher de sa famille.

 64. Le requérant a ainsi été placé, à la demande du médecin chef, dans une cellule située directement à l’unité sanitaire, la cellule étant équipée d’une sonnette permettant d’appeler un agent de jour comme de nuit. Par ailleurs, les détenus placés dans cette unité bénéficient d’un régime de porte ouverte.

 65. Le Gouvernement expose que le requérant était très indépendant pour les gestes de la vie quotidienne et faisait beaucoup d’efforts pour le rester mais qu’il bénéficiait toutefois, en cas de besoin, de la présence d’un détenu rémunéré par l’établissement.

 Le Gouvernement souligne que le requérant pouvait se déplacer seul, à l’aide d’une canne, et que sa situation différait de celle de la requérante dans l’affaire Price c. Royaume-Uni (no 33394/96, 10.07.2001).

 66. Il indique que le requérant sortait régulièrement en cour de promenade, sauf par temps très froid et que ses principales activités tournaient autour de l’ordinateur qu’il avait en cellule, des soins, et des entretiens à l’UCSA.

 67. A la fin de l’année 1998, les relations entre détenus de l’unité sanitaire s’étant beaucoup dégradées, le chef d’établissement a décidé de faire équiper de sonnettes d’alarme plusieurs cellules de détention normales situées près de l’unité sanitaire. Le requérant a accepté de s’y installer et de quitter l’unité sanitaire.

 68. Le Gouvernement précise que, contrairement à ce que le requérant indique, il disposait d’une sonnette dans cette cellule.

 Par ailleurs, le requérant a été autorisé à avoir un magnétophone et un micro pour faire des exercices de diction et que son état psychologique s’est alors considérablement amélioré.

 Le Gouvernement en conclut que la cellule dans laquelle était placé le requérant n’était pas inadaptée à son état de santé.

 69. En ce qui concerne les soins dispensés au requérant, le Gouvernement rappelle qu’en raison du secret médical, il ne dispose d’aucun élément précis permettant de comparer la fréquence et la nature des soins que son état nécessitait par rapport à ceux qu’il a effectivement reçus.

 Il souligne encore que le requérant a refusé le 9 novembre 1999 que son dossier soit examiné en vue d’une éventuelle libération conditionnelle.

 70. Pour ce qui est du certificat médical du 7 septembre 1999, le Gouvernement relève que, bien qu’il indique que la prise en charge au niveau de l’UCSA était difficile, il y est mentionné qu’à cette date, l’état du requérant semblait stabilisé. Il ajoute qu’à cette époque, le suivi médical d’ordre neurologique et vasculaire a été assuré de manière satisfaisante, le requérant étant suivi régulièrement par le médecin de la maison centrale de Poissy, ainsi que par des consultants neurologues. Par ailleurs, il bénéficiait, trois fois par semaine, d’un contrôle de sa tension artérielle. Il faisait également l’objet d’une surveillance permanente, la centrale organisant huit rondes par nuit, portées en ce qui concerne le requérant à seize pendant les dernières semaines de sa présence dans l’établissement. Il souligne encore que le SAMU pouvait intervenir à tout moment et que le requérant pouvait faire l’objet d’une hospitalisation immédiate. C’est ainsi que lors du malaise du 2 février 2001, le requérant a été conduit à l’hôpital de Poissy qu’il a, selon les renseignements dont dispose le Gouvernement, quitté contre l’avis médical.

 71. Pour ce qui est de la réadaptation fonctionnelle et au vu des certificats médicaux produits, le Gouvernement admet qu’elle a été de plus en plus complexe à gérer au sein de l’UCSA à partir du premier trimestre 2000.

 Il indique que la prise en charge du requérant a été maximale quant aux capacités du personnel médical et paramédical de l’UCSA. Le requérant a bénéficié d’une kinésithérapie régulière, parfois seulement bihebdomadaire en raison du nombre des autres patients.

 72. Le Gouvernement souligne par ailleurs que le chef d’établissement de la centrale de Poissy a proposé au cours du premier trimestre 2000 le transfert du requérant vers l’hôpital de Fresnes. Toutefois, le requérant s’y est opposé par courrier du 2 novembre 2000. Il fait observer que le requérant aurait pu, contrairement à ses assertions, bénéficier d’une prise en charge médicale complète et adaptée à son état de santé à l’hôpital de Fresnes qui a été créé en 1985 pour prendre en charge les détenus.et dispose de 35 lits en réadaptation fonctionnelle. Le requérant aurait notamment pu y subir des séances de rééducation quotidiennes.

 73. Ultérieurement, le chef d’établissement a donc demandé à la direction régionale de l’administration pénitentiaire que le requérant soit transféré dans un établissement parisien (la maison d’arrêt de la Santé) bénéficiant d’une présence médicale de jour comme de nuit et qu’il puisse y bénéficier d’une cellule individuelle. Le requérant a également refusé cette proposition qui lui a été faite en juin 2000, estimant qu’il était plus en sécurité là où il était et arguant du fait que sa famille et tous ses amis demeuraient dans la région.

 74. Le Gouvernement en conclut que c’est le manque d’adhésion du requérant aux solutions qui lui étaient proposées dès le premier trimestre 2000 qui a perpétué la situation.

 B. Appréciation de la Cour

 75. La Cour réaffirme que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence, elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (arrêts Mouisel c. France, no 67263/01, § 37, 14 novembre 2002 ; Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III). « S’il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement était d’humilier ou de rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3 » (arrêt Peers précité, § 74).

 76. La Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades, mais il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Chartier c. Italie, no 9044/80, rapport de la Commission du 8 décembre 1982, Décisions et rapports (DR) 33, pp. 41-47, De Varga-Hirsch c. France, no 9559/81, décision de la Commission du 9 mai 1983, DR 33 p.158, B. c. Allemagne, no 13047/87, décision de la Commission du 10 mars 1988, DR 55, p. 282). Au sujet d’un détenu souffrant d’affections liées à une obésité de caractère héréditaire, la Commission n’a pas conclu à une violation de l’article 3 de la Convention car le requérant bénéficiait des soins appropriés à son état de santé. Elle a cependant considéré que la détention, en tant que telle, entraînait inévitablement des effets sur les détenus souffrant d’affections graves. Elle a pris le soin de préciser qu’elle « ne saurait exclure que dans des conditions d’une particulière gravité l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale commande que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer » et concluait qu’elle serait « sensible à toute mesure que les autorités italiennes pourraient prendre à l’égard du requérant, soit afin d’atténuer les effets de sa détention, soit afin d’y mettre fin dès que les circonstances le demanderont » (Chartier, rapport précité, pp. 48-49). La Cour, quant à elle, a récemment rappelé que le maintien en détention pour une période prolongée d’une personne d’un âge avancé, et de surcroît malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article 3 même si, dans cette décision, elle a conclu que le grief tiré de cette disposition était en l’espèce manifestement mal fondé (Papon c. France (no 1) ((déc.), no 64666/01, CEDH 2001-VI). L’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pour lesquelles la question de la capacité à la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de la Convention en France et au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe.

 77. Ainsi, en procédant à l’examen de l’état de santé du prisonnier et aux effets de la détention sur son évolution, la Cour a considéré que certains traitements enfreignent l’article 3 du fait qu’ils sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (arrêt Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Dans l’arrêt Price c. Royaume-Uni, la Cour a jugé que le fait d’ avoir maintenu en détention la requérante, handicapée des quatre membres, dans des conditions inadaptées à son état de santé, est constitutif d’un traitement dégradant (no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII).

 78. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé, l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté notamment par l’administration des soins médicaux requis (Hurtado c. Suisse, arrêt du 28 janvier 1994, série A no 280-A, avis de la Commission, pp. 15-16, § 79). La Cour a par la suite affirmé le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; elle a ajouté que, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement (arrêt Kudla précité, § 94).

 79. En l’espèce, la Cour note que la juridiction régionale de libération conditionnelle a considéré, le 26 novembre 2001, que l’état de santé du requérant nécessitait des soins dont il ne pouvait plus bénéficier en milieu pénitentiaire.

 80. C’est donc la question de la compatibilité d’un état de santé nécessitant des soins en détention du requérant qui est posée par la présente affaire. La Cour observe sur ce point l’évolution de la législation française en la matière avec l’accroissement des compétences du juge de l’application des peines en cas de maladie grave des condamnés et la création de deux juridictions spécialisées en matière de mise en liberté conditionnelle. Comme elle l’a déjà souligné, le droit français offre aux autorités nationales des moyens d’intervenir en cas d’affections médicales graves atteignant des détenus (arrêt Mouisel précité ; § 43). L’état de santé peut être pris en compte pour une décision de libération conditionnelle en application de l’article 729 du CPP tel que modifié par la loi du 15 juin 2000, c’est-à-dire notamment « lorsqu’il y a nécessité de subir un traitement ». En outre, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades permet la suspension d’une peine pour les condamnés atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention (paragraphe 33 ci-dessus). La Cour constate ainsi que la santé de la personne privée de liberté fait désormais partie des facteurs à prendre en compte dans les modalités de l’exécution de la peine privative de liberté, notamment en ce qui concerne la durée du maintien en détention. Il s’agit de l’application de l’affirmation de la Cour selon laquelle, « le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (arrêt Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 101, CEDH 1999-V).

 81. La Cour relève que les dispositifs procéduraux instaurés par les lois des 15 juin 2000 et 4 mars 2002 mettent en place des recours devant le juge de l’application des peines et devant la juridiction régionale de libération conditionnelle qui permettent, en cas de dégradation importante de l’état de santé d’un détenu, de demander à bref délai sa libération et qui suppléent le recours en grâce médicale réservé au président de la République. Elle considère que ces procédures judiciaires peuvent être susceptibles de constituer des garanties pour assurer la protection de la santé et du bien-être des prisonniers que les Etats doivent concilier avec les exigences légitimes de la peine privative de liberté. Toutefois, force est de constater que ces mécanismes n’étaient pas accessibles au requérant au cours de la période de détention examinée par la Cour. La mesure de libération conditionnelle ne pouvait être accordée à l’intéressé que dès le moment où il remplissait les conditions pour l’obtenir, soit en 2001 ; quant à la possibilité de demander la suspension de la peine, elle n’existait pas encore à l’époque litigieuse de la détention.

 82. Dans ces circonstances, la Cour a examiné si le maintien en détention du requérant l’a placé dans une situation qui atteint un niveau suffisant de gravité pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

 83. Elle observe d’emblée que, contrairement à Mme Price (arrêt précité) qui était handicapée des quatre membres, le requérant jouissait dès septembre 1999, d’une autonomie qui lui permettait de « s’occuper des gestes quotidiens de la vie, de son hygiène, de son alimentation, mais surtout de pouvoir lire et écrire ce qui paraît pour lui d’une importance capitale. » (voir §§ 14 et 15 ci-dessus).

 84. La Cour relève encore que le 27 juin 2000, le directeur de la maison centrale de Poissy indiqua par courrier au requérant qu’il avait recherché une solution pour assurer une permanence médicale autour de lui suite aux préoccupations exprimées par le médecin-chef de l’UCSA quant à son état de santé (voir § 20 ci-dessus). Il indiquait qu’il avait obtenu que le requérant rejoigne une maison d’arrêt parisienne où un médecin était présent de jour comme de nuit et que la direction régionale s’était engagée à ce qu’il bénéficie d’une cellule individuelle.

 La Cour constate sur ce point que le requérant refusa cette offre le 28 juin 2000, arguant du fait qu’il était relié par une sonnette à l’unité sanitaire et au poste central.

 85. La Cour relève encore que, le 1er novembre 2000, le requérant adressa un courrier au chef de l’inspection générale des affaires sociales. Il indiquait n’avoir jamais demandé son transfert dans un autre établissement, mais seulement des soins appropriés à son état de santé. Il arguait également du fait que sa famille et ses amis étaient dans la région de Poissy.

 86. La Cour note d’ailleurs sur ce point que le 6 décembre 2000, l’Observatoire international des prisons écrivit à la Direction générale de l’administration pénitentiaire pour préciser que le requérant ne lui avait pas donné mandat pour demander son transfert et qu’il semblait que les traitements et soins dont il bénéficiait à la centrale de Poissy étaient adéquats, eu égard à son bilan médical.

 87. La Cour constate que, comme le souligne le Gouvernement, c’est à sa demande que le requérant a été affecté à la maison centrale de Poissy, après une hospitalisation de seize mois à l’hôpital de Fresnes (voir § 12 ci-dessus).

 88. Elle relève en outre que le requérant ne conteste pas qu’on lui ait proposé au premier trimestre 2000, un transfert vers l’hôpital pénitentiaire de Fresnes aux fins d’une prise en charge médicale complète et adaptée à son état de santé, où il aurait pu bénéficier de séances de kinésithérapie plus fréquentes. (voir §§ 49 et 72 ci-dessus). Le fait que le requérant estime qu’il n’aurait pu y bénéficier des soins nécessaires ne peut être sur ce point regardé que comme une spéculation, le requérant n’ayant pu, à l’époque, connaître la situation précise dans cet établissement pour ce qui est de la dispense des soins.

 89. Dans ces conditions, après s’être livrée à une appréciation globale des faits pertinents sur la base des preuves produites devant elle, la Cour n’estime pas établi que le requérant ait été soumis à des traitements atteignant un niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

 90. En conséquence, il n’y a pas eu violation de cette clause en l’espèce.

 II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

 91. Le requérant se plaint de son maintien en détention et des conditions de celle-ci nonobstant la grave maladie dont il souffre. Il invoque l’article 2 de la Convention.

 92. La Cour estime que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 2, les circonstances invoquées étant les mêmes que pour l’article 3, dont le présent arrêt n’a pas constaté la violation.

 PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Dit, par six voix contre une, qu’il n’ y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;

2. Dit, à l’unanimité, que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 2 de la Convention ; 

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 janvier 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Christos Rozakis

Greffier adjoint Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de Mme F. Tulkens.

OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE TULKENS

 Je ne partage pas l’opinion de la majorité selon laquelle il n’y a pas, en l’espèce, violation de l’article 3 de la Convention.

Au titre des principes généraux, l’article 3 de la Convention impose à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Hurtado c. Suisse, arrêt du 28 janvier 1994, avis de la Commission, pp. 15-16, § 79). Par ailleurs, la Cour a développé dans sa jurisprudence récente le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine et a souligné la nécessité de s’assurer que les modalités d’exécution des mesures privatives de liberté ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérente à la détention. Elle a aussi précisé que, outre la santé du prisonnier, c’est aussi son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement (Kudla c. Pologne, arrêt du 26 octobre 2000, § 94 ; Mouisel c. France, arrêt du 14 novembre 2002, § 40). Enfin, la Cour estime que le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits fondamentaux vaut aussi pour une possible aggravation d’une qualification sous l’angle de l’article 3 et qu’il « s’ensuit que certains actes autrefois exclus du champ d’application de l’article 3 pourraient présenter le degré minimum de gravité requis à l’avenir » (Hénaf c. France, arrêt du 27 novembre 2003, § 55 in fine ). 

L’application de ces principes au cas d’espèce soulève des zones d’ombre. Le requérant a gardé des séquelles d’un accident vasculaire cérébral et il lui est reconnu depuis 1997 un taux d’incapacité de 80 %. Dans ces circonstances, il importe d’examiner si son maintien en détention l’a placé dans une situation qui a atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. 

Or, nous trouvons dans le dossier des certificats et des attestations de médecins qui appartiennent à l’équipe médicale de la prison où était détenu le requérant et qui tous, mois après mois, soulignent la difficulté, voire l’impossibilité, de faire bénéficier le requérant, dans le milieu carcéral, des soins rendus nécessaires par son état de santé. Ainsi, le 7 septembre 1999, le médecin chef de l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (U.C.S.A.) de la maison centrale de Poissy soulignait, entre autres, que « sa prise en charge au niveau de l’U.C.S.A. est difficile en raison de la fréquence de la rééducation fonctionnelle qu’il est impossible de réaliser ainsi que du manque des soins d’orthophonie que nous sommes dans l’impossibilité de réaliser actuellement » (§ 14). Dans un nouveau certificat délivré le 17 janvier 2000, ce même praticien ajoutait : « Les derniers examens réalisés (...) ont montré des graves perturbations de la vascularisation cérébrale dont l’évolution est parfaitement imprévisible. Ceci peut nettement aggraver la symptomatologique séquellaire déjà existante, nécessite une prise en charge quotidienne et impose des mesures de rééducation fonctionnelle tout à fait pointues ; or, la rééducation fonctionnelle existant à l’U.C.S.A. de la maison centrale de Poissy est déjà insuffisante en nombre de séances et surtout les soins d’orthophonie sont irréalisables » (§ 15). Dans un nouveau certificat en date du 16 novembre 2000, le médecin chef de l’U.C.S.A. soulignait à nouveau que « le confort de vie s’en trouve quotidiennement entravé par l’inadaptation de sa cellule ainsi que par le manque de prise en charge optimale de ce genre de handicap au niveau d’une U.C.S.A. (exemple : la prise en charge kinésithérapeutique est insuffisante pour au moins consolider les séquelles). Par ailleurs, l’état vasculaire cérébral est fortement altéré, ce qui rend le pronostic tout à fait aléatoire et probablement très péjoratif à moyen terme » (§ 23). Le même médecin délivra encore un certificat le 14 décembre 2000 dans lequel il insistait sur le fait que : « M. Matencio présente une maladie neurologique grave (...) qui handicape de manière importante sa vie quotidienne. (...) Dans cet état de choses, il est tout à fait nécessaire que M. Matencio puisse bénéficier d’un traitement optimal afin de pouvoir stabiliser l’évolution de la maladie. C’est la raison pour laquelle un traitement et un suivi neurologique et vasculaire est très important. Par ailleurs, dans le cadre de son traitement, il est tout à fait indispensable que M. Matencio puisse bénéficier de séances de kinésithérapie et d’orthophonie régulières, ce qui actuellement n’est pas le cas au niveau de la maison centrale de Poissy » (§ 25). Enfin, dans un dernier certificat du 29 août 2001, ce même médecin indiquait de manière plus nette encore : « Par ailleurs, la prise en charge complète au niveau de la rééducation fonctionnelle adaptée à son état de santé est impossible actuellement au niveau matériel et en personnel. Il nécessiterait également une aide de tierce personne pour certains gestes de la vie quotidienne. La détention me paraît donc de plus en plus inadaptée à l’état de santé de ce malade » (§ 28).

Face à ce diagnostic, la majorité oppose deux arguments principaux. Le premier porte sur la gravité, qu’elle estime relative, de l’état de santé du requérant qui « jouissait dès septembre 1999 d’une autonomie qui lui permettait de s’occuper des gestes quotidiens de la vie, de son hygiène, de son alimentation, mais surtout de pouvoir lire et écrire, ce qui paraît pour lui d’une importance capitale » (§ 83). Cette appréciation me semble sortie de son contexte. Le certificat du 7 septembre 1999 prend soin de préciser que « pour le moment, l’état du malade semble stabilisé », ce qui lui permet une « certaine » autonomie. Par ailleurs, le certificat du 17 janvier 2000 précise que c’est « grâce à un grand désir d’indépendance et une ténacité rare que le malade se prend en charge dans tous les gestes de la vie quotidienne ». Enfin, il apparaît du dossier que l’état du requérant présente « des aggravations et des améliorations passagères », que « le bilan réalisé montre qu’il est impossible de préjuger du pronostic vital de ce malade, il est tout aussi possible que l’état du malade s’aggrave très rapidement ou que le pronostic soit prolongé à moyen terme » (§ 28). Le 22 mars 2000 le directeur de la centrale de Poissy fait état du fait que le comportement du requérant s’est nettement stabilisé mais que néanmoins « il s’agit d’un détenu frappé d’une maladie invalidante grave, ce qui fait qu’il parle et se déplace avec difficulté » (§ 17). 

L’autre argument résulte du fait que les autorités pénitentiaires ont, à deux reprises, présenté au requérant des solutions alternatives et que celui-ci a refusé ces offres (§§ 84 et 88). La première, au début de l’année 2002, était celle d’un transfert du requérant vers l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. Or, le requérant expose que, pendant les seize mois où il y avait déjà séjourné, il n’avait pas bénéficié des soins nécessaires (§ 49), ce que le Gouvernement n’a pas contesté. La seconde offre est celle qui lui a été adressée le 27 juin 2000 par le directeur de la centrale de Poissy qui avait obtenu qu’il puisse rejoindre la maison d’arrêt de la Santé à Paris où un médecin était en permanence présent de jour comme de nuit. Mais le directeur était conscient lui-même « des difficultés qui pouvaient naître d’un retour en maison d’arrêt » puisqu’il prit soin de préciser que « la direction régionale s’était engagée à l’affecter dans une cellule individuelle » (§ 20). On peut dès lors comprendre que, dans ces conditions, le requérant n’ait pas voulu prendre le risque de perdre les habitudes, voire même le réseau social et familial, qu’il avait pu établir depuis 1997 à la maison centrale de Poissy et qui, dans son état d’invalidité, peuvent être d’une importance considérable, d’autant qu’il n’avait aucune garantie de recevoir à la prison de la Santé à Paris des soins plus adaptés à son état (seule la permanence d’un médecin de jour et de nuit étant en effet assurée). Sur cette question des transferts éventuels, la majorité prend aussi appui sur la déclaration de l’Observatoire international des prisons qui a écrit à la direction générale de l’administration pénitentiaire pour préciser que le requérant ne lui avait pas donné mandat pour demander son transfert et qu’il semblait que les traitements et soins dont il bénéficiait à la centrale de Poissy étaient adéquats eu égard à son bilan médical. En ce qui concerne cette dernière observation, elle ne suffit pas, mon sens, à contredire les éléments contenus dans la succession convergente de rapports médicaux qui proviennent de médecins en contact direct avec le requérant à la maison centrale de Poissy et donc mieux placés pour apprécier les possibilités réelles de traitement.

Il y a enfin un dernier élément qui mérite d’être évoqué. Le 26 novembre 2001, la juridiction régionale des libérations conditionnelles examina la demande déposée par le requérant et constata que celui-ci était cette fois dans le délai prévu par l’article 729 du Code de procédure pénale. La décision de le placer sous le régime de la liberté conditionnelle à compter du 14 décembre 2001 fut prise aux motifs que « la procédure établit que Joël Matencio est hémiplégique ; que les répercussions organiques sont extrêmement importantes ; qu’il subit une incapacité de 80% ; qu’il nécessite des soins qui sont d’ores et déjà prévus et dont il ne peut plus bénéficier en milieu pénitentiaire » (§ 30).

Telles sont les raisons pour lesquelles j’estime que, dans le cas l’espèce, les autorités n’ont pas assuré une prise en charge de l’état du requérant, à tout le moins à partir de septembre 1999 jusqu’au 14 décembre 2001, lui permettant d’éviter des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.