1. Nécessité d’un nouvel établissement de détention ?
1.1 Portrait général du contexte démographique, criminel et correctionnel
du Québec
Avant de considérer les différents modèles de privatisation et leurs enjeux, il convient préalablement de s’interroger sur la nécessité de construire de nouvelles cellules. Il faut ainsi prendre en compte la situation démographique et l’état de la criminalité au Québec dans le contexte canadien, ainsi que la situation carcérale provinciale.
Le contexte démographique [1]
La population du Québec croît de manière constante, suivant la tendance générale au Canada. Ainsi, la population totale de la province est passée de 6,1 millions en 1971 à 6,7 millions en 1986, puis à 7,3 millions en 2001. Elle représentait à 7,5 millions en 2004.
Évolution de la population du Québec et du Canada, 1971-2004
L’évolution de la population varie suivant les régions correctionnelles du Québec, l’Ouest (les régions du Nord-du-Québec, de l’Outaouais, des Laurentides, de Laval-Lanaudière, de Montréal, du Centre du Québec et de la Montérégie Estrie) voyant sa population augmenter depuis 1991, tandis que l’Est (à l’exception de la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches) et l’Abitibi-Témiscamingue et la Mauricie ont vu leur population diminuer.
Selon les estimations de l’Institut de la statistique du Québec, on constate un vieillissement de la population, phénomène commun à plusieurs pays industrialisés.
En effet, la population des vingt ans et plus augmente alors que la population des moins de vingt ans diminue. Ainsi, les moins de vingt ans représentaient 25% de la population totale en 1996 et représenteraient 23% en 2005 et 19% en 2025 selon ces estimations.
Estimation de la population du Québec selon l’âge
Ces tendances peuvent être expliquées conjointement par l’allongement de la durée de vie et la baisse de la natalité. Elles doivent être prises en compte, car elles peuvent affecter le taux de criminalité et ainsi la situation correctionnelle.
En effet, l’évolution démographique est un des éléments importants permettant d’expliquer la baisse de la criminalité observée au Québec au cours des années 1990 [2].
Le Canada est l’un des pays industrialisés dans lequel le « baby boom » a eu un fort impact et l’importante cohorte née dans les années 1960, qui composait les jeunes adultes dans les années 1980, approche aujourd’hui de la quarantaine. La criminalité étant surtout le fait d’adolescents, de jeunes adultes et d’adultes d’âge moyen, la baisse du taux de criminalité peut ainsi être expliquée notamment par la diminution progressive des groupes d’âge des 18-24 ans, 25-29 ans et 30-34 ans. Le taux de crimes contre la propriété, fortement associé aux adolescents et aux jeunes adultes, a en effet amorcé une tendance à la baisse au cours des années 1980, tandis que le taux de crimes contre la personne, également relié aux adultes d’âge moyen, a diminué au cours des années 1990.
Selon les estimations de l’évolution de la population, une diminution de la clientèle potentielle des Services correctionnels à plus ou moins long terme est donc probable, puisque celle-ci est composée majoritairement de personnes âgées de 18 à 35 ans, qui représentent les groupes d’âge les plus impliqués dans la criminalité.
Le contexte criminel
Le taux de criminalité de l’ensemble du Canada, après avoir augmenté au cours des années 1980, est en baisse depuis 1991 [3]. Cette tendance s’observe pour les différentes catégories d’infractions, les crimes contre la propriété, les crimes contre la personne et les autres infractions au Code criminel.
Évolution du taux de criminalité au Canada, 1980-2002
Ainsi, le taux d’adultes accusés pour des infractions au Code criminel a augmenté entre 1980 et 1990, puis a diminué entre 1991 et 2002, les nombres évoluant de manière similaire pour les hommes et les femmes [4]. Le taux d’adultes accusés pour des crimes contre la propriété a suivi cette évolution, tandis que les taux d’adultes accusés pour des crimes contre la personne et pour d’autres infractions au Code criminel ont connu une légère augmentation entre 1999 et 2001, avant de diminuer à nouveau.
Évolution du taux d’adultes accusés au Canada, 1980-2002
Une analyse de la criminalité au Québec réalisée pour la période de 1997 à 2002 établit que le taux de criminalité suit également une tendance à la baisse, amorcée au début des années 1990 [5]. Le taux d’infractions au Code criminel a ainsi diminué de plus de 14% depuis 1997, malgré une légère fluctuation à la hausse de 1,1% en 2000.
L’évolution de cette dernière décennie est sans précédent depuis le début du Programme de déclaration uniforme de la criminalité en 1962.
Évolution du taux de criminalité au Québec, 1997-2002
La répartition de la criminalité diffère entre les catégories d’infractions, les crimes contre la propriété représentant toujours une part très importante du volume de la criminalité signalée au Québec [6]. Les crimes contre la personne composent une moindre part du volume de la criminalité, la fréquence des infractions étant de façon générale inversement proportionnelle à leur gravité. Ainsi, les voies de fait et les menaces représentent respectivement 9,8% et 3,7% de la criminalité déclarée, tandis que les agressions sexuelles et les homicides représentent respectivement 1% et moins de 0,1% du volume des infractions au Code criminel. Enfin, la catégorie des autres infractions au Code criminel regroupe une faible part du volume de la criminalité enregistrée au Québec.
Répartition de la criminalité au Québec selon les catégories d’infractions
L’évolution de la criminalité varie également selon les catégories d’infractions. Alors que le taux de la criminalité contre la propriété poursuit une tendance à la baisse entre 1997 et 2002, le taux de la criminalité contre la personne, après avoir augmenté entre 1997 et 2000, se stabilise en 2001 et 2002 [7]. Le taux des autres infractions au Code criminel, après avoir diminué entre 1997 et 1999, augmente entre 2000 et 2002.
Évolution du taux de criminalité au Québec par catégories d’infractions, 1997-2002
Les régions de Montréal, de l’Outaouais et des Laurentides présentent des taux de criminalité supérieurs à la moyenne québécoise, tandis que les régions de Chaudière-Appalaches, de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et du Bas-Saint-Laurent ont les taux de criminalité les plus bas de la province [8]. Les régions qui enregistrent les taux de criminalité contre la personne les plus élevés sont les régions du Nord-du-Québec, de Montréal et de l’Outaouais en ordre décroissant, tandis que les régions de l’Estrie et de Chaudière-Appalaches ont les taux de criminalité contre la personne les plus bas de la province.
Par ailleurs, Montréal est la région du réseau correctionnel qui compte le plus d’infractions commises, représentant 34% des infractions commises en 2000 [9]. Les régions de Laval-Lanaudière-Laurentides et de la Montérégie la suivent, avec respectivement 16% et 14% des infractions commises.
À titre indicatif, le taux d’adultes accusés au Québec pour l’ensemble des infractions s’élevait à 1 669 adultes accusés par 100 000 habitants en 2003, ce taux étant de 369 pour les crimes contre la propriété, 369 pour les crimes contre la personne et 430 pour les autres infractions au Code criminel [10].
La criminalité au Québec connaît ainsi une tendance à la baisse, les catégories d’infractions qui présentent une légère augmentation étant celles qui constituent une plus faible part de la criminalité. Le phénomène de vieillissement de la population pourrait influer le maintien d’une telle évolution, les groupes d’âge les plus impliqués dans la criminalité étant moins nombreux. Il est important de tenir compte ce contexte, qui est celui qui influe le plus sur la quantité de services que doit fournir la Direction générale des services correctionnels.
Le contexte carcéral provincial [11]
La capacité des établissements de détention
La capacité totale des établissements de détention présente une légère diminution depuis 1990. Elle a connu une baisse en 1991 puis est remontée jusqu’en 1995. Elle a à nouveau diminué en 1996 et est restée globalement stable jusqu’en 2000, une légère augmentation étant attribuable à la capacité occasionnelle.
Évolution de la capacité totale des établissements de détention, 1990-2000
Entre 1996 et 2000, les régions de l’Abitibi-Témiscamingue et Nord-du-Québec, de l’Estrie, de la Mauricie, du Bas-Saint-Laurent, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord ont conservé le même nombre de places. Les régions de l’Outaouais, de Laval-Lanaudière-Laurentides et de la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches ont connu une légère augmentation de leur capacité, allant de 15 à 39 places supplémentaires. À l’inverse, la capacité des régions de Montréal et de la Montérégie a diminué d’une vingtaine de places.
La capacité totale des différents établissements de détention est restée sensiblement stable entre 1996 et 2000, à l’exception des établissements de Hull et de Saint-Jérôme, qui ont gagné environ 40 places et de l’établissement Maison Tanguay, qui a perdu environ 40 places.
Les admissions
L’évolution des admissions dans les établissements de détention du Québec montre qu’après une période d’augmentation de cinq ans entre 1990 et 1995, un mouvement de baisse peut être observé jusqu’en 2000.
Évolution des admissions dans les établissements de détention, 1990-2000
Les admissions ont diminué dans l’ensemble des régions entre 1996 et 2000. Les régions où cette diminution a été la plus importante sont l’Abitibi-Témiscamingue et Nord-du-Québec (-55%), le Bas-Saint-Laurent (-48%), la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches (-40%), la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (-35%), la Mauricie (-34%), Montréal (-33%), la Montérégie (-33%) et l’Outaouais (-28%).
L’ensemble des établissements de détention du Québec a ainsi connu une baisse significative du nombre des admissions, à l’exception du nouveau centre de détention de Rivière-des-Prairies destiné aux prévenus.
Par ailleurs, le nombre d’admissions de personnes prévenues suit une tendance à la baisse depuis 1991, passant de 40 201 à 34 194 en 1996 et à 28 950 en 2000. Le nombre d’admissions de personnes condamnées, après avoir connu une augmentation entre 1991 et 1996, passant de 20 498 à 28 760, a diminué ensuite, tombant à 14 961 en 2000.
Évolution des admissions selon le statut, 1991-2000
Concernant les admissions de personnes condamnées, la proportion de peines discontinues, qui représentait 19,3% des peines de détention en 1995, a chuté en 1996, pour s’établir autour de 10% au cours des années suivantes.
La durée des sentences globales est restée relativement stable depuis 1996. La durée moyenne des sentences globales est passée de 65,75 jours en 1996 à 68,07 jours en 2000 et la durée médiane de 30 jours à 28 jours, la proportion des courtes et des plus longues sentences restant similaire. Les sentences de moins de six mois représentaient ainsi environ 90% des sentences globales au cours de cette période et les sentences de plus de six mois entre 8% et 10%. La répartition des admissions de personnes condamnées selon la durée de détention en 2000 indiquait que les sentences de moins d’un mois représentaient 51,2% des sentences globales, et les sentences de moins de trois mois 82,1%.
Répartition des admissions de personnes condamnées selon la durée de détention, 2000
Les personnes inscrites et les personnes présentes
Une autre information pour connaître la clientèle correctionnelle est la population moyenne quotidienne présente et inscrite en détention. La population présente inclut les personnes se trouvant dans les établissements à 23h59, tandis que la population inscrite englobe également les personnes à l’extérieur en absence temporaire.
Il apparaît que la population moyenne quotidienne des personnes inscrites diminue, passant de 5 563 en 1996 à 4 293 en 2000, ainsi que la population moyenne des personnes présentes, passant de 3 426 à 3 223.
Évolution de la population moyenne quotidienne des personnes inscrites et des personnes présentes, 1996-2000
La population moyenne quotidienne des personnes présentes reste assez stable ou diminue au cours de cette période dans l’ensemble des directions régionales, à l’exception de la région Laval-Lanaudière-Laurentides où elle a augmenté. La population moyenne quotidienne suit la même évolution concernant les personnes inscrites pour l’ensemble des régions. Les baisses les plus importantes s’observent pour les deux chiffres dans les régions de Montréal et de la Montérégie, ainsi que dans la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches concernant la population quotidienne moyenne des personnes inscrites.
Par ailleurs, la population moyenne quotidienne des personnes présentes et inscrites dans les différents établissements reste assez stable ou diminue, à l’exception du nouveau centre de détention de Rivière-des-Prairies, et des prisons de Québec (secteur masculin) et de Saint-Jérôme où la population moyenne quotidienne des personnes présentes augmente significativement.
Bien que les chiffres d’admissions soient plus importants concernant les personnes admises prévenues que les personnes admises détenues, les personnes prévenues représentant 65,9% du total des admissions, la composition des personnes présentes en 2000 montre que 40% sont prévenues et 60% condamnées.
Enfin, le Québec présente le troisième taux le plus faible d’incarcération au Canada en 1999, concernant la population incarcérée sous responsabilité provinciale. Le taux d’incarcération est de 43 personnes en détention pour 100 000 habitants, le taux canadien étant de 104 personnes pour 100 000 habitants.
Les personnes condamnées
Il s’agit des personnes ayant été condamnées à au moins une peine d’incarcération de nature provinciale et incarcérées dans un établissement du Québec. L’évolution du nombre des personnes condamnées connaît une baisse importante depuis 1996.
Évolution du nombre de personnes condamnées, 1996-2000
L’ensemble des régions présente une diminution notable. Les régions où celle-ci a été la plus importante sont le Bas-Saint-Laurent (-53%), la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (-52%), l’Abitibi-Témiscamingue et Nord-du-Québec (-49%), la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches (-45%), Montréal (-41%) et la Montérégie (-41%).
Il existe une évolution similaire du nombre de personnes condamnées à une sentence de détention dans l’ensemble des établissements, à l’exception du nouveau centre de détention de Rivières-des-Prairies.
Les séjours
Ils décrivent le nombre de personnes présentes dans les établissements à 23h59 pendant un an, permettant d’évaluer la durée totale des séjours des personnes.
Bien que le nombre d’admissions ait diminué en 2000, la durée totale des séjours a augmenté, restant cependant inférieure aux chiffres observés dans les années 1990. En effet, la durée totale des séjours a connu une baisse entre 1996 et 1999, puis est remontée à nouveau en 2000.
Évolution de la durée totale des séjours, 1996-2000
La même évolution d’une diminution suivie d’une augmentation est présente dans les régions de l’Abitibi-Témiscamingue et Nord-du-Québec, de l’Outaouais, de Montréal, de l’Estrie, de la Mauricie, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord. Il existe cependant une augmentation importante de la durée totale des séjours dans les établissements des régions de Laval-Lanaudière-Laurentides, de la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches et du Bas-Saint-Laurent, tandis que celle-ci diminue de manière significative dans la région de la Montérégie.
La durée totale des séjours a augmenté entre 1996 et 2000 dans les établissements d’Amos, Québec (secteur masculin), Centre Henri Bourassa, Havre-Aubert, New Carlisle, Rimouski, Saint-Jérôme et Sept-Îles ainsi que dans le nouveau centre de détention de Rivière-des-Prairies. À l’inverse, la durée totale des séjours a diminué dans les établissements de Baie-Comeau, Québec (secteur féminin), Chicoutimi, Montréal, Havre-Aubert, Maison Tanguay, Roberval, Sherbrooke, Sorel, Trois- Rivières et Valleyfield.
Les absences temporaires
Il s’agit d’un programme qui permet à une personne détenue de s’absenter de l’établissement de détention pour une période limitée, suivant certaines conditions.
Elles sont accordées pour des motifs de réinsertion sociale, médicaux ou humanitaires.
Le nombre total de jours en absence temporaire a été divisé par deux depuis 1996, cette diminution se répartissant de manière assez égale selon les motifs.
Évolution du nombre total de jours en absence temporaire, 1996-2000
Les baisses les plus importantes sont observées dans les régions de Laval-Lanaudière-Laurentides, de Montréal et de la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches, le nombre total de jours en absence temporaire diminuant également dans les autres régions.
Les ressources humaines
Les effectifs de la Direction générale ont diminué de 15% depuis 1993, passant de 3 165 à 2 693 ETC en 2000. Parmi ceux-ci, 2 011 personnes travaillaient en milieu fermé en 2000, dont 1 555 agents des Services correctionnels.
L’évolution des effectifs varie suivant les catégories d’emploi. Le personnel
professionnel, après avoir connu une baisse, a atteint un niveau supérieur à 1995, tandis que le personnel de soutien présente une diminution importante et que le nombre d’agents des Services correctionnels a diminué de 14,5% entre 1995 et 2000.
Les ressources financières
Les dépenses de la Direction générale ont baissé successivement en 1995-1996 et en 1997-1998, tombant à 158,4 millions de dollars, puis ont augmenté à nouveau en 1999-2000 et 2000-2001, atteignant 179,1 millions de dollars. Ces chiffres ne comprennent pas les dépenses de loyers, de télécommunications, d’aménagement et de capital, qui s’élèvent environ à 60 millions de dollars par année.
Le coût moyen d’une journée dans un établissement a augmenté, passant de 149 $ en 1996-1997 à 160 $ en 2000-2001. Bien que la tarification des centres d’hébergements communautaires, des centres résidentiels communautaires, des foyers d’accueil et des ressources d’hébergement en santé mentale et en toxicomanie ait également augmenté, le coût moyen reste très inférieur pour ces ressources, s’échelonnant entre 22 $ et 67 $ par jour.
Par ailleurs, on constate que les crédits accordés aux Services correctionnels ont fait l’objet de compressions importantes.
Évolution des coupes budgétaires [12]
De plus, alors que l’estimation des dépenses des Services correctionnels québécois pour le budget 2002-2003 était 198,7 millions de dollars, le Conseil du Trésor ne leur a accordé que 163,5 millions de dollars.
Les libérations conditionnelles [13]
Le nombre de libérés conditionnels sous responsabilité provinciale au Canada a diminué de manière importante entre 1993 et 2001, tombant de 4 375 à 1 616 personnes [14]. Au Québec, le nombre mensuel moyen de libérés conditionnels sous responsabilité provinciale est passé de 1 332 à 846 au cours de cette période.
Le taux d’octroi de libération conditionnelle de la Commission québécoise des libérations conditionnelles est en baisse depuis 1994, cette diminution s’accentuant au cours des dernières années.
Évolution du taux d’octroi de libération conditionnelle, 1994-2002
Cette évolution peut être attribuée selon la Commission québécoise des libérations conditionnelles à l’alourdissement et à la plus grande complexité des problématiques de la clientèle admissible à la libération conditionnelle.
Cependant, la répartition des taux de réussite sans récidive et des taux de récidive reste relativement stable entre 1994 et 2002, respectivement autour de 92% et 8%.
Le taux de révocations pour bris de condition a lui augmenté, passant de 15,8% en 1994 à 23,4% en 2002. La diminution du taux de réussite sans bris de conditions et sans récidive connue, passant de 76,5% en 1994 à 68,3% en 2002, est attribuable à cette augmentation. Selon la Commission québécoise des libérations conditionnelles, il s’agit d’un indicateur reflétant notamment une bonne qualité de la surveillance des personnes en libération conditionnelle, qui est assurée par les professionnels des Services correctionnels du Québec, assistés dans plusieurs cas par ceux du réseau des ressources communautaires.
D’autre part, le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une décision de la part de la Commission diminue de manière importante depuis 1994.
Évolution du nombre de personnes ayant fait l’objet d’une décision, 1994-2002
Selon la Commission québécoise des libérations conditionnelles, cette évolution peut être expliquée par plusieurs facteurs. Le nombre de personnes purgeant une peine d’emprisonnement de six mois et plus, admissibles à la libération conditionnelle, a diminué en raison de la baisse de la criminalité et d’un plus grand recours des tribunaux à des mesures à caractère communautaire. Il est passé de 4 627 à 3 285 personnes entre 1996 et 2002, et tend maintenant à se stabiliser. Le nombre de personnes renonçant à la libération conditionnelle a lui augmenté, étant considéré comme un des indicateurs de l’alourdissement et de la complexité des problématiques de la clientèle correctionnelle. Il est passé de 328 à 624 personnes au cours de la même période.
Tableaux récapitulatifs concernant la situation des directions régionales et des établissements de détention
Évolution du taux d’occupation par établissements, 1994-1997 [15]
Capacité et population carcérales des directions régionales provinciales en 2000
Capacité et population des établissements de détention provinciaux en 2000
Il ressort que, si la capacité totale des établissements de détention provinciaux a diminué au cours des dix dernières années, le nombre d’admissions a également chuté de manière significative.
De fait, dans un contexte de diminution du taux de criminalité, la population moyenne quotidienne des personnes présentes et inscrites reste assez stable, voir diminue. Le nombre de personnes condamnées à une peine d’incarcération diminue également dans l’ensemble des régions et la durée des sentences globales reste stable, la grande majorité des peines demeurant des sentences de moins de trois mois.
Cependant, le nombre d’absences temporaires accordées a diminué de manière importante, peut-être en lien avec l’évolution de la population des personnes présentes mais également avec un changement de la pratique concernant cette mesure. Le taux d’octroi de libération conditionnelle a également connu une forte baisse, qui peut être un indice de l’alourdissement et de la complexité des problématiques de la clientèle correctionnelle, mais pourrait également révéler une évolution concernant le rendu des décisions. Ces conditions peuvent affecter la situation des établissements carcéraux, induisant un nombre de personnes présentes plus important.
Il existe en effet actuellement un problème de surpopulation dans certains établissements, constaté dans le rapport du Protecteur du citoyen, qui décrit une mauvaise utilisation de la mesure des absences temporaires afin de gérer cette situation [16]. De plus, ce rapport fait état d’un problème de vétusté de certains établissements, les conditions d’hygiène relatives aux installations sanitaires, au système d’aération et au chauffage étant déplorables, notamment dans les établissements de Sorel et de Roberval. Il semble ainsi nécessaire d’améliorer la situation.
On peut cependant s’interroger sur la nécessité de construire un nouvel établissement de détention, dans un contexte de diminution de la population carcérale provinciale et des peines d’incarcération. Il faut s’interroger sur les raisons de ce projet, ainsi que peut-être sur la gestion des établissements et la politique pénale.
1.2 Portrait des personnes contrevenantes
Avant d’envisager la construction d’un nouvel établissement et le recours à la privatisation, il faut également considérer les caractéristiques de la clientèle des Services correctionnels, qui déterminent différents besoins.
Les caractéristiques sociales [17]
En 2000, les hommes représentaient plus de 91% de la population en détention, tandis que les femmes représentaient 9%. Les autochtones étaient proportionnellement surreprésentés, comptant pour 2,8% des personnes admises en détention, alors qu’ils constituent moins de 1% de la population du Québec.
Les personnes âgées de 20 à 39 ans formaient la majorité de la clientèle, 67% des personnes contrevenantes en milieu fermé se situant dans ce groupe d’âge. L’âge moyen était ainsi de 32,8 ans et l’âge médian de 31 ans.
Répartition de la clientèle en milieu fermée selon l’âge, 2000
Une faible proportion de la clientèle a terminé des études postsecondaires, soit 8,8% au cégep et 4,1% à l’université, comparativement à la proportion observée dans la population générale de 42,5% [18]. La majorité a plutôt atteint le deuxième cycle du secondaire, soit les troisième (17,1%), quatrième (16,6%) et cinquième (23,8%) secondaires.
Alors qu’une grande majorité se dit apte au travail, soit 81,4%, seule une minorité a travaillé de manière continue ou régulière, soit respectivement 35% et 26% [19]. Moins de la moitié des contrevenants, soit 46,2%, avait un emploi au moment de leur prise en charge par les Services correctionnels.
Enfin, la répartition de la clientèle admise en milieu fermé selon la région de provenance correspondait globalement à la répartition de l’ensemble de la population.
Cependant, la clientèle originaire de Montréal, représentant 33,8% de la population en milieu fermé, était surreprésentée par rapport à la répartition régionale de 24,8%.
Inversement, 11,2% des personnes admises en milieu fermé provenaient de la région de la Capitale-Nationale-Chaudière-Appalaches, alors que la population régionale représentait 14,5% de la population québécoise.
Les caractéristiques criminelles
Selon le portrait de la clientèle correctionnelle réalisé en 2001, une partie importante de la clientèle avait des antécédents judiciaires, soit 68,7%, ce qui semble indiquer que beaucoup récidivent [20]. Parmi les personnes admises en 2000, 16,5% n’avaient aucun antécédent correctionnel, tandis que 31,6% comptaient plus de dix antécédents correctionnels [21].
La répartition de la clientèle selon les infractions commises indique par ailleurs que le tiers des sujets, soit 34,1%, ont commis un crime contre la personne [22].
Répartition de la clientèle selon les catégories d’infractions commises, 2000
Les problématiques
Le portrait réalisé de la clientèle correctionnelle révèle également plusieurs problématiques, concernant notamment la violence et la santé physique et mentale [23].
La violence conjugale apparaît comme une problématique très présente parmi la clientèle, près de la moitié des personnes y ayant déjà été confrontée, tout comme la violence de nature sexuelle [24].
Bien que 87,5% des sujets se considèrent en bonne santé physique, 66,3% de ceux qui ont consulté un professionnel ont reçu un diagnostic indiquant un problème d’ordre émotionnel ou psychologique [25]. Près de la moitié des contrevenants, soit 49,6%, avait déjà eu des pensées suicidaires et plus du tiers, soit 34,4%, avait déjà fait une tentative de suicide.
Enfin, la consommation d’alcool et de drogues constituait un problème pour près de 40% de cette clientèle, ayant nui à la qualité de leur travail ou à leurs relations [26]. Par ailleurs, plus de la moitié, soit 54%, avait commis un délit sous l’influence de l’alcool ou de la drogue, et presque une personne sur deux avait déjà subi une cure de désintoxication au moins une fois.
Trois phénomènes reliés à la santé physique ou mentale des personnes incarcérées ont fait l’objet d’études plus précises de la part des Services correctionnels ou du Bureau du coroner [27]. Il s’agit de l’aggravation des problèmes de santé mentale, de l’importance de la toxicomanie et du taux élevé de suicide des personnes incarcérées en établissements provinciaux.
Il apparaît que 30% de la population correctionnelle environ souffre de troubles sociaux ou mentaux à divers degrés [28]. Ces personnes présentent également plus d’antécédents judiciaires et ont commis davantage de crimes contre la personne.
Parmi celles-ci, la moitié ont déjà fait une tentative de suicide et ont besoin d’aide en santé mentale.
Lors d’une enquête portant sur la consommation de drogues et d’alcool, la moitié des personnes interrogées ont dit consommer plus de quinze fois par semaine une ou deux substances psycho-actives (alcool, drogues et médicaments) [29]. Les tentatives de suicide sont également plus nombreuses chez ces consommateurs lourds.
Enfin, le rapport d’enquête de la coroner Anne-Marie David établit que pour la période de 1992-1993 à 1995-1996, le Québec présente le taux moyen de suicides dans les centres de détention provinciaux le plus élevé, plus de 60% de l’ensemble des suicides survenus au Canada en établissements de détention provinciaux ayant eu lieu dans les établissements du Québec [30].
Ainsi, les Services correctionnels doivent faire face à une clientèle lourde nécessitant des interventions spécialisées.
En effet, une partie importante a commis des infractions sérieuses et présente des antécédents judiciaires. De plus, beaucoup se trouvent dans une situation d’emploi précaire et présentent plusieurs problématiques, concernant notamment la violence et la santé physique et mentale. Ces caractéristiques déterminent donc des besoins en matière de services et des enjeux concernant l’intervention.
Les problématiques particulières de la toxicomanie, de la santé mentale et du suicide nécessitent notamment d’être prises en charge efficacement par la mise en place de ressources. De plus, dans un contexte où la réinsertion sociale des contrevenants reste une des missions fondamentales des Services correctionnels québécois, il s’agit d’offrir un encadrement et une aide adéquats aux personnes incarcérées, notamment en répondant à leurs besoins et en leur offrant les programmes indispensables. La réinsertion sociale et la réintégration sur le marché du travail sont les meilleures façons de protéger la collectivité en contrant la récidive et les enjeux en arrière des services offerts à la clientèle correctionnelle sont donc importants.
La complexité des problématiques associée à une durée relativement courte de la détention rend plus difficiles la prestation de services et la réhabilitation de cette population criminalisée. On peut se demander si le recours à l’incarcération est la mesure la plus appropriée, les antécédents correctionnels semblant peut-être indiquer que la clientèle demeure dans le système, et si le secteur privé, qui ne possède pas beaucoup d’expertise, est en mesure de répondre aux besoins de cette clientèle.