II. La santé en prison : un problème crucial, parce que la prison est un lieu de maladies.
A. La proportion des personnes malades au moment de leur incarcération est, à âge égal, plus importante que dans la population générale.
En 2005, plus de 85 000 personnes ont été incarcérées, dont plus de 70% (c’est-à-dire plus de 60 000 personnes) étaient prévenues, présumées innocentes, en détention provisoire dans des maisons d’arrêt. Le nombre de détenus libérés durant l’année (plus de 85 000) est à peu près identique au nombre de personnes incarcérées durant la même année, et les prisons comptaient en moyenne, durant l’année 2005, 59 500 détenus. Leur durée moyenne de détention a été de moins de 9 mois.
Les personnes incarcérées ne reflètent pas la population générale, et présentent des problèmes particuliers de santé.
Elles appartiennent de plus en plus à une population jeune, marginalisée, pauvre, socialement, économiquement et culturellement désinsérée. La proportion de jeunes de 18 à 24 ans est 7 fois plus élevée que dans la population générale. Près d’un tiers des entrants sont toxicomanes, 10% vivent dans un domicile précaire, 5% sont sans abri, plus de 15% sont illettrés, plus du quart ont quitté l’école avant 16 ans, et la moitié ont quitté leurs familles 3 ans plus tôt que les jeunes dans la population générale.
Malgré la mise en place en 2000 de la CMU et de l’aide médicale d’Etat (AME), plus de 13% des personnes incarcérées en 2003 ne bénéficiaient d’aucune protection sociale (un taux 27 fois plus élevé que dans la population générale). Plus de 17% des personnes incarcérées bénéficiaient de la couverture maladie universelle (CMU) au moment de leur incarcération (une proportion 7 fois plus importante que dans la population générale). Le faible niveau de scolarisation des détenus, par rapport à la population générale, est illustré par le fait qu’en 2005, plus de 40% des détenus suivent en prison un enseignement du premier degré.
« La prison est devenu un lieu de prise en charge médicale de ceux que la société peine de plus en plus à intégrer - véritable observatoire de la précarité » [1]. Un an plus tard, un rapport conjoint de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) et de l’IGSJ (Inspection générale des services judiciaires) faisait la même constatation : « le faible accès aux soins de cette population avant qu’elle n’entre en prison et, plus fondamentalement, les situations de précarité et d’exclusion auxquelles elle a été souvent confrontée, en font une population qui cumule les facteurs de risque ».
La nature du lieu de détention, et donc les conditions de vie, sont différentes selon le statut judiciaire des personnes détenues. En 2005, sur les 59 500 détenus, plus de 19 500, c’est-à-dire plus d’un tiers, étaient des personnes prévenues, pour l’essentiel des personnes mises en examen ou en attente de comparution ; seuls près de 3% étant en instance d’appel ou de pourvoi en cassation : toutes ces personnes étaient en détention provisoire dans des maisons d’arrêt, pour une durée moyenne d’un peu plus de 4 mois.
Vingt pour cent (12 000) des détenus sont des personnes condamnées à des peines de moins de 1 an, détenues elles aussi dans des maisons d’arrêt.
Vingt et un pour cent (13 000) sont des condamnés à des peines d’une durée de 1 an à moins de 5 ans, et 23% (14 000) sont des condamnés à des peines de plus de 5 ans (dont 8 000 à des peines de plus de 10 ans) qui sont détenus dans des maisons centrales où s’effectuent les longues peines.
Ce sont les maisons d’arrêt qui posent les problèmes les plus graves en matière de surpopulation, de promiscuité, de conditions de vie, et de protection de la santé.
La question de la protection de la santé en prison est essentielle pour tous les détenus. Mais plusieurs catégories de détenus posent des problèmes particuliers qui nécessitent des efforts spécifiques de prise en charge.
1. Les jeunes, très nombreux. Près d’une personne détenue sur deux en 2005 (environ 25 000 personnes) a moins de 30 ans. Condamnés en moyenne à des peines de moins de 9 mois, ces jeunes détenus risquent, en l’absence de soins et d’éducation à la santé de courir, à leur sortie de prison, les mêmes risques graves, voire encore plus graves pour leur santé que ceux auxquels ils étaient exposés avant leur incarcération.
2. Les personnes âgées de plus de 60 ans. Leur proportion a triplé durant les 15 dernières années pour atteindre 3,5%, soit plus de 2 000 détenus en 2005. En 2003, on recensait plus de 300 septuagénaires et une quinzaine d’octogénaires incarcérés. Si on élargit aux personnes détenues âgées de plus de 50 ans, leur proportion a doublé durant les 15 dernières années atteignant plus de 12%, soit plus de 7 000 détenus en 2005. Ce nombre croissant est notamment dû à l’augmentation des condamnations pour délits sexuels, qui concernent particulièrement ces classes d’âge, et surtout à l’augmentation des condamnations à de longues peines. Ces personnes sont particulièrement exposées aux handicaps et aux maladies du vieillissement.
3. Les personnes handicapées. Au nombre croissant de personnes atteintes de handicaps liés à l’âge qui surviennent en cours de détention en raison de l’augmentation des condamnations à de longues peines s’ajoute le nombre de personnes déjà atteintes de handicap au moment de leur emprisonnement : plus de 5 000 personnes étaient atteintes de handicap en 2003 au moment de leur incarcération. Le plus souvent, il n’existe pas aujourd’hui en prison, de cellule aménagée pour recevoir les personnes handicapées, et la prise en charge véritable du handicap demeure, dans les fait, impossible, notamment dans les maisons d’arrêt, et pourtant, on fait comme si elle était possible.
4. Les femmes. Plus de 3 500 femmes ont été incarcérées en 2005, pour la plupart jeunes (d’une moyenne d’âge de 30 ans), en majorité comme prévenues. Elles doivent pouvoir être respectées dans leur intimité avec la spécificité qu’exige leur condition, et en particulier le respect des liens mère-enfant devrait être assuré. Leur état de précarité (33% sont sans protection sociale) et leurs problèmes de santé, physique et mentale sont non seulement sans commune mesure avec ceux des femmes de même âge dans la population générale, mais aussi plus importants que ceux des hommes incarcérés.
5. Les enfants nés en prison et les enfants en bas âge de mères incarcérées. Pour les mères d’enfants en bas âge incarcérées, ou les femmes ayant donné naissance en prison à un enfant dont elles vont être séparées au bout de 18 mois, aux contraintes de l’incarcération va s’ajouter la douleur de la rupture du lien avec leurs enfants. Tout doit être fait pour que la santé et le bien-être de l’enfant soient protégés, et que la relation entre la mère et l’enfant puisse se développer. Comme le souligne la Convention internationale des droits de l’enfant : « dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » Le fait d’insister sur l’importance du lien entre la mère détenue et l’enfant ne retire rien à la considération qu’il faut porter aussi au lien entre le père détenu et l’enfant.
6. Les mineurs. Plus de 3 300 mineurs ont été incarcérés en 2005, en majorité comme prévenus, avec des problèmes de toxicomanie, de santé mentale et de désinsertion scolaire et sociale importants. Un mineur incarcéré est toujours en situation de grande vulnérabilité.
En l’absence de prise en charge spécifique liée à son âge, c’est en prison bien souvent qu’il apprendra la grande délinquance. C’est donc en amont qu’il faut tout faire pour éviter la prison à un mineur ou, s’il y a emprisonnement, une prise en charge complexe et adaptée à cet âge spécifique doit être mise en place. D’une manière générale la prise en charge de la santé mentale des jeunes pose des questions de la plus haute importance. Les mineurs sont en principe détenus dans des établissements pour mineurs, mais en réalité ils sont souvent incarcérés dans des quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt pour hommes ou pour femmes adultes.
7. Les étrangers. Plus de 20% des personnes incarcérées (12 000 personnes) en 2005 étaient des étrangers. L’absence fréquente de traducteurs pose des problèmes particulièrement difficiles d’accès aux soins.
8. Les personnes en fin de vie
et 9. Les personnes atteintes de maladie mentales graves posent des problèmes spécifiques qui sont détaillés plus bas.
B. La prison est de plus en plus un lieu confronté à la maladie mentale.
La prison devient de plus en plus un lieu d’enfermement des malades psychiatriques : le taux de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé en prison que dans la population générale. En 2004, une enquête épidémiologique demandée par la Direction Générale de la Santé (DGS) et la Direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) révélait la présence de 14% de détenus atteints de psychose avérée (plus de 8 000 détenus) dont 7% (plus de 4 000 détenus) atteints de schizophrénies.
On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison.
L’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves ne peut qu’entraîner une perte de repères et de sens : perte du sens même de la peine et de l’emprisonnement, et en particulier de la notion de responsabilité pénale ; perte du sens même du soin et du rôle de soignant ; et même perte du sens du rôle de surveillant.
Source de souffrances pour la personne malade (« la prison en soi est un facteur d’aggravation des troubles mentaux » soulignait le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ de 2001), la pathologie mentale est aussi source de souffrance et de confusion pour les codétenus confrontés quotidiennement à la « folie », insupportable et contagieuse.
C. La prison est aussi cause de maladie et de mort : c’est un lieu de régression, de désespoir, de violences exercées sur soi-même, et de suicide.
1. Le suicide : les détenus en préventive et les condamnés à de courtes peines.
Plus de 25 ans après l’abolition de la peine de mort, la prison est encore un lieu de mort : 122 suicides en 2005 (un taux 7 fois plus important que dans la population générale). La même année, plus de 950 tentatives de suicide ont eu lieu, ainsi qu’un grand nombre d’automutilations, qui, outre les lésions qu’elles entraînent, constituent souvent une autre forme de tentative de suicide ou sont des signes annonciateurs de suicide.
L’enquête épidémiologique de la DGS et la DAP en 2004 indiquait que 40% des détenus souffraient de dépression.
La moitié des suicides concerne des prévenus, présumés innocents et ont lieu dans les semaines qui suivent leur incarcération (plus de 70% des personnes incarcérées sont des prévenus en attente de jugement).
Le taux de suicide est un peu plus élevé chez les femmes que chez les hommes détenus.
La deuxième cause de suicide est la prise de mesures disciplinaires d’isolement : la mise en cellule d’isolement (le « mitard »), qui peut concerner aussi bien le prévenu que le condamné. En 2003, le taux de suicide était 7 fois plus important en quartier disciplinaire que dans les autres conditions de détention.
Le rapport Jean-Louis Terra sur la prévention du suicide en milieu pénitentiaire remis aux ministères de la Santé et de la Justice le 10 décembre 2003 proposait d’instaurer « un climat propice aux confidences sur leur souffrance pour tous les détenus. Une telle atmosphère impose de réduire au maximum le stress et l’anxiété des personnes détenues notamment grâce à de bonnes relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire, à des conditions de vie décentes, à l’assurance de ne pas être brutalisé, au maintien de liens familiaux ».
2. La demande de mort : les condamnés aux lourdes peines.
Les longues peines peuvent, quant à elles, engendrer une « maladie de l’enfermement » conduisant parfois à une demande de mort qui traduit un besoin de voir reconsidérer leurs conditions insupportables de vie et peut aussi exprimer une réelle envie de mourir s’apparentant alors à une demande d’euthanasie. En témoigne l’appel récent de certains détenus de Clairvaux au rétablissement de la peine capitale comme seule issue à des conditions de vie qui retirent tout espoir à leurs yeux de trouver un sens à leur existence agonisante.
3. « Contraindre le détenu à ne pas mourir ou le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ? »
Dans une circulaire du 29 mai 1998, l’administration pénitentiaire insistait sur le fait qu’une politique de prévention du suicide « n’est légitime et efficace que si elle cherche non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie. »
Mais deux ans plus tard, le rapport de l’Assemblée Nationale décrivait la prison comme « un monde où le détenu est totalement déresponsabilisé et infantilisé ».
Comment parvenir à une telle restauration du détenu « dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie » quand l’état de dépendance absolue dans lequel il est maintenu, l’absence de responsabilisation, le manque d’activité et de véritable politique de réinsertion, la promiscuité, la difficulté à s’exprimer et à être entendu installent une forme de régression et de violence contre soi-même qui conduit à l’automutilation ou au suicide ?
Comment parvenir à une telle restauration quand se conjuguent les carences qui caractérisent la vie en prison : carences en sommeil, carences en liens familiaux et affectifs, troubles dépressifs dont souffre près d’un détenu sur deux, exposition chronique au stress, et à la violence exercée par les codétenus ?
D. La prison peut être encore un lieu de fin de vie, où l’on meurt de maladie et de vieillesse.
La prison est un lieu de mort, de maladie et de vieillesse : outre les 120 personnes qui meurent par suicide chaque année, le Conseil National du Sida indiquait en octobre 2005 que chaque année environ 120 personnes meurent de maladie ou de vieillesse en prison.
Depuis la mise en application en avril 2002 de la Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et jusqu’au 31 décembre 2004, 165 personnes ont bénéficié des dispositions de cette loi permettant une libération pour raison de santé, et ont pu ainsi ne pas mourir en prison.
Pendant cette même période de 2 ans et 9 mois, environ 320 personnes (près du double) n’ont pas bénéficié de ces dispositions et sont mortes en prison.