CPT/Inf (2003) 40
Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 17 au 21 juin 2002
Le Gouvernement de la République française a donné son accord à la publication du rapport susmentionné du CPT et de sa réponse.
La réponse figure dans le document CPT/Inf (2003) 41.
Strasbourg, 16 décembre 2003
TABLE DES MATIERES
COPIE DE LA LETTRE TRANSMETTANT LE RAPPORT DU CPT
I. INTRODUCTION
A. Dates de la visite et composition de la délégation
B. Contexte de la visite et établissements visités
C. Consultations menées et coopération témoignée
II. CONSTATATIONS FAITES DURANT LA VISITE ET MESURES PRECONISEES
A. Ressortissants étrangers maintenus/détenus sur le site de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle
1. Mauvais traitements
2. Eloignement forcé de ressortissants étrangers par voie aérienne
3. Conditions de détention/maintien
a. locaux de détention de la police aux frontières dans les aérogares et à l’ULE
b. zones d’attente pour personnes en instance (ZAPI)
i. hébergement et activités
ii. prise en charge sanitaire
c. autres questions relatives aux personnes maintenues
4. Garanties fondamentales reconnues aux étrangers privés de liberté
B. Locaux de rétention douanière à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle
Copie de la lettre transmettant le rapport du CPT
Strasbourg, le 28 novembre 2002
Monsieur le Président,
Conformément à l’article 10, paragraphe 1, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, j’ai l’honneur de vous adresser le rapport au Gouvernement de la France, établi par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), à l’issue de la visite qu’il a effectuée en France du 17 au 21 juin 2002. Le rapport a été adopté par le CPT lors de sa 49e réunion qui s’est tenue du 5 au 8 novembre 2002.
Les recommandations, commentaires et demandes d’information formulés par le CPT figurent en caractère gras dans le rapport (cf. les paragraphes 10, 13 à 15, 19 à 24, 26 à 29, 31 à 33, 35 et 37 à 45). Le CPT demande aux autorités françaises de fournir, dans un délai de trois mois, une réponse détaillant les mesures adoptées pour mettre en oeuvre les recommandations formulées dans ce rapport et comportant des réactions et réponses aux commentaires et demandes d’information du Comité. Il serait souhaitable, dans la mesure du possible, que les autorités françaises fournissent copie de leur réponse sur support électronique.
Je reste à votre entière disposition pour toutes les questions que vous souhaiteriez me poser au sujet soit du rapport, soit de la procédure à venir.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de ma haute considération.
Silvia CASALE
Présidente du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
Monsieur Jean-Pierre COCHARD
Président de Chambre honoraire à la Cour de Cassation
9 rue Eugène Manuel - 75116 PARIS
RAPPORT
I. INTRODUCTION
A. Dates de la visite et composition de la délégation
1. En vertu de l’article 7 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après "la Convention"), une délégation du CPT a effectué une visite en France du 17 au 21 juin 2002.
2. La délégation était composée des membres suivants du Comité : Ole Vedel RASMUSSEN (Chef de la délégation), Antoni ALEIX CAMP et Ioanna BABASSIKA. Ils étaient assistés de Bettina LUDEWIG, interprète, et accompagnés de Geneviève MAYER (Secrétaire Exécutive Adjointe) et Cyrille ORIZET, du Secrétariat du CPT.
B. Contexte de la visite et établissements visités
3. Il s’agissait d’une visite qui a paru au CPT "être exigée par les circonstances" (cf. article 7, paragraphe 1, de la Convention). Son but a été d’examiner le traitement de ressortissants étrangers maintenus sur le site de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Depuis novembre 2001, le CPT recevait régulièrement des rapports faisant état du maintien d’étrangers à l’aéroport pendant des périodes prolongées, dans des conditions ne répondant pas aux dispositions de l’article 35 quater de l’Ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers (à savoir, grandes difficultés pour se nourrir, dormir et obtenir des soins). Cette situation avait fait l’objet d’un échange épistolaire entre le CPT et les autorités françaises entre novembre 2001 et mars 2002. En outre, certains rapports reçus comportaient des allégations de mauvais traitements de ressortissants étrangers infligés à l’aéroport, y compris lors de procédures d’éloignement forcé. Au vu des informations à sa disposition, le CPT a décidé d’aller évaluer, sur le terrain, la situation des ressortissants étrangers maintenus sur le site de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Ce fut aussi l’occasion de faire le bilan des mesures prises par les autorités françaises, pour mettre en oeuvre les recommandations formulées par le CPT en ce domaine depuis sa visite de mai 2000 (cf. document CPT/Inf (2001) 10).
Enfin, au cours de cette visite, la délégation du CPT a visité pour la première fois, à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, des lieux de retenue douanière.
4. La délégation a visité les lieux suivants à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle :
- Zones d’attente des personnes en instance (ZAPI) n° 2 et 3
- Aérogares 1 et T9 : postes de police
- Aérogare 2 : postes de police des terminaux 2A (et salle de correspondance), 2C et 2F2 ; cellules de retenue douanière des brigades de surveillance 2 et 4, et des brigades de contrôle et de surveillance 2 et 4
- Unité locale d’éloignement (ULE).
C. Consultations menées et coopération témoignée
5. La délégation du CPT a eu des entretiens fructueux avec Nicolas SARKOZY, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales, des membres de son Cabinet et des hauts fonctionnaires du Ministère. Des entretiens constructifs se sont également déroulés avec des représentants du Ministère des Affaires Sociales, du Travail et de la Solidarité, du Ministère de la Justice, du Ministère des Affaires Etrangères, du Ministère de la Défense, du Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées ainsi que de la Direction Générale des Douanes.
6. A une exception près (cf. paragraphe 7), la délégation du CPT a bénéficié d’une excellente coopération. Le CPT tient à exprimer ses remerciements à Jean-Pierre COCHARD, agent de liaison désigné en vertu de l’article 15 de la Convention, à Michèle DUBROCARD, Sous-Directrice des Droits de l’Homme au Ministère des Affaires étrangères ainsi qu’à toutes les personnes désignées, au niveau national et local, comme agents de contact pendant la visite, pour leur précieuse assistance et disponibilité.
7. Les médecins de la délégation ont été confrontés à des difficultés d’accès aux données contenues dans les constats de lésions traumatiques de personnes privées de liberté, établis par le service médical de la ZAPI n° 3. Les données ne lui étaient accessibles que sous une forme dépersonnalisée, la communication du nom des personnes visées par lesdits constats étant subordonnée à leur consentement.
De plus, nombre des personnes concernées par les constats de lésions traumatiques n’étaient plus maintenues en zone d’attente et il aurait fallu un certain temps pour les retrouver et solliciter leur consentement. La délégation du CPT n’a pas accepté cette procédure lourde, susceptible en outre de bouleverser les intéressés, et dont le succès était, de surcroît, des plus aléatoires, s’agissant des personnes ayant été libérées ou ayant quitté le territoire.
L’approche restrictive retenue par les autorités françaises a considérablement gêné la délégation dans l’accès aux informations qui lui étaient nécessaires pour accomplir au moment voulu sa tâche. Une telle situation n’est pas conforme à l’article 8, 2 (d) de la Convention [1].
8. La question de l’accès aux dossiers médicaux/données à caractère médical, de personnes privées - ou ayant été privées de liberté - est en discussion entre le CPT et les autorités françaises depuis 1996 (cf. paragraphes 9 du document CPT/Inf (98) 7 et 8 du document CPT/Inf (2001) 10), sans qu’une solution satisfaisante n’ait encore été trouvée par les autorités. Afin de faire progresser cet état de choses, la délégation a rencontré le Président du Conseil de l’Ordre des Médecins, seule instance, d’après les autorités françaises, en mesure de trouver une solution pour l’avenir.
Par lettre en date du 30 septembre 2002, le Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins a informé le Chef de la délégation que des propositions en vue de l’accès aux dossiers médicaux des personnes privées de liberté avaient été soumises au Ministre de la Santé et étaient actuellement étudiées par ses services. Le CPT remercie le Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins pour les démarches entreprises. Il est convaincu que cette question sera résolue dans l’esprit de compréhension mutuelle et de coopération qui inspire la Convention.
9. Bien qu’en pratique aucune difficulté n’ait surgi, le Comité souhaite néanmoins évoquer la note de service n° 235/2002 du Directeur de la police aux frontières concernant la visite de sa délégation. Cette note prévoyait que les membres de la délégation "ne pourraient pas pénétrer dans des lieux où des personnes sont entendues dans le cadre d’une procédure judiciaire, ni prendre connaissance de la procédure motivant la garde à vue, sauf à obtenir l’autorisation formelle de l’autorité judiciaire." Le CPT rappelle que cette question s’était déjà posée lors de la visite périodique de 1996 (cf. paragraphe 10 du document CPT/Inf (98) 7) et demande aux autorités françaises de veiller, lors de futures visites, à ce que les instructions données prévoient clairement que, conformément à l’article 8, 2(c) de la Convention, le CPT ait accès immédiatement et directement à tout lieu où se trouvent des personnes privées de liberté, pour quelque motif que ce soit ainsi qu’aux pièces de procédure comportant des informations nécessaires au Comité pour l’accomplissement de sa tâche.
II. CONSTATATIONS FAITES DURANT LA VISITE ET MESURES PRECONISEES
A. Ressortissants étrangers maintenus/détenus sur le site de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle
1. Mauvais traitements
10. La délégation du CPT n’a recueilli aucune allégation convaincante de mauvais traitements physiques de personnes maintenues, attribués au personnel employé dans les ZAPI n° 2 et 3. En revanche, elle a entendu un certain nombre d’allégations de comportement irrespectueux envers les personnes maintenues à la ZAPI n° 3, par exemple, des appels faits par haut-parleur sur un ton incorrect, se moquant de l’origine des personnes et imitant certains accents étrangers.
Les observations faites in situ par la délégation tendent à conférer de la crédibilité à ces allégations. Elle a en effet noté que certains membres du personnel de surveillance avaient tendance à adopter une attitude peu professionnelle dans leurs contacts avec les personnes maintenues.
Le CPT recommande aux autorités françaises de rappeler clairement au personnel de surveillance de la police aux frontières affecté à la ZAPI n° 3 que les personnes maintenues doivent être traitées avec respect.
11. La délégation a recueilli un certain nombre d’allégations de mauvais traitements de ressortissants étrangers de la part de membres des forces de police, à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle (CDG), lors de contrôles passeport ou de demandes d’asile, ainsi que lors de tentatives d’embarquement. Ces allégations visaient des gifles, coups de pied, coups de poings, coups de matraques, le menottage serré, ainsi que des menaces et insultes. En outre, plusieurs personnes maintenues avec lesquelles la délégation s’est entretenue ont aussi déclaré qu’on leur avait scotché la bouche, lors de tentatives d’embarquement.
A cet égard, il convient d’ajouter qu’entre le 1er mai et le 17 juin 2002, le service médical de la ZAPI n° 3 a établi vingt-trois constats de lésions traumatiques de personnes ayant allégué des mauvais traitements physiques à l’aéroport, dont 10 comportaient une description de signes cliniques objectifs, sans toutefois indiquer la compatibilité entre les signes et les allégations faites (cf. paragraphe 33 ci-dessous). A titre d’illustrations récentes, l’on évoquera les suivants :
- un constat établi le 13 juin 2002 sur un mineur maintenu indique que celui-ci a déclaré "avoir été victime d’une agression à l’aéroport CDG par fonctionnaire de police" et qu’il présentait un "traumatisme contusif avant-bras droit" ;
- un constat établi le 3 juin 2002 sur un maintenu déclarant "avoir été victime d’une agression à l’aéroport lors de l’embarquement", décrit les lésions suivantes : "3 larges hématomes intéressant antéro-externes bras droit ; hématome + érosion en regard deltoïde droit ; érosion face postérieur bras gauche ; hématome avant-bras droit + 1/3 sup ; hématome sous orbitaire gauche + hématome frontal gauche ; érosion face antérieure du genou" ;
- un constat établi le 30 mai 2002 sur un maintenu déclarant "avoir été victime d’une agression à l’aéroport CDG par la police" ; décrit les lésions suivantes : "plaie antéro-occipitale ayant nécessité 4 points de suture ; 2 hématomes ; par ailleurs autres lésions cutanées visibles".
12. Le CPT souhaite faire état d’un cas méritant une attention particulière :
- un homme, rencontré par la délégation, a allégué qu’à son arrivée à l’aéroport, début juin 2002, lors d’un contrôle passerelle au cours duquel il a demandé l’asile, il avait été conduit au poste de police d’un terminal. Après une fouille intégrale, un fonctionnaire de police aurait pris la tête de l’intéressé à deux mains pour la frapper violemment contre le mur par deux fois ; ensuite, il lui aurait asséné un coup de poing sur le côté gauche du crâne, et un coup de poing au bas-ventre, ainsi que des coups de pied sur les jambes. Alors que l’intéressé était tombé à terre, ledit fonctionnaire lui aurait asséné un coup de poing au visage, atteignant la mâchoire inférieure. Suite à l’intervention d’un officier responsable, il a été emmené vers des services hospitaliers pour examen et soins, avant d’être transféré en zone d’attente. Le constat de lésions traumatiques effectué par le service médical de la ZAPI n° 3, le lendemain des événements, indique que la personne a déclaré "avoir été victime d’une agression à l’aéroport CDG" et fait état d’une "subluxation de la mâchoire ayant nécessité une contention ; fracture de la 32ème au collet".
Le dossier de l’intéressé, consulté à la GASAI (Groupement d’Analyse et de Suivi des Affaires d’Immigration) confirme la relation des faits de l’intéressé quant à son arrivée à l’aéroport et comporte également la photocopie de la note manuscrite suivante (non signée) : "cas de [X]" [2] :
"Libéré en raison des "circonstances particulières" du dossier. Le magistrat indique l’avoir fait car l’avocat de la victime a produit l’avis à victime mentionnant l’audience prochaine du Tribunal. Je n’avais pas l’intention de dire un mot de l’incident (au vu des pièces de notre dossier), mais l’avis à victime produit m’a contrainte à reconnaître qu’un incident grave s’était effectivement produit, mais sans incidence sur la régularité de la procédure soumise ...".
L’intéressé a déposé plainte auprès de la juridiction compétente pour le traitement subi.
13. La délégation a aussi eu connaissance d’allégations de mauvais traitements physiques qui auraient été infligés au cours de la première quinzaine du mois de mai 2002 à des ressortissants étrangers, lors d’un transfert de personnes de la ZAPI n° 2 vers la ZAPI n° 3 par des membres de l’équipe chargée de leur escorte. Apparemment, ceux-ci demandaient aux ressortissants étrangers s’ils étaient "musulmans ou chrétiens". S’ils répondaient "chrétiens", ils n’étaient pas frappés.
Il a été indiqué à la délégation qu’une enquête interne aurait été diligentée par les services de police pour faire la lumière sur ces allégations. Le CPT souhaite savoir si effectivement une telle enquête interne a été diligentée et, dans l’affirmative, obtenir toutes les informations utiles sur celle-ci (par exemple, objet exact de l’enquête, service menant l’enquête, stade actuel et résultats déjà connus de l’enquête).
14. Le CPT recommande que le Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales fasse rappeler fermement, de manière appropriée et à intervalles réguliers, aux membres des différentes forces de l’ordre intervenant à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle que les mauvais traitements physiques, menaces ou insultes de ressortissants étrangers, pour quelque raison que ce soit, sont inacceptables et que tout abus constaté sera sévèrement sanctionné.
Eu égard plus particulièrement au cas relaté au paragraphe 12 ci-dessus, le CPT recommande de donner des instructions claires aux membres des forces de l’ordre intervenant à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle afin que, à chaque fois qu’ils observent ou ont connaissance d’abus perpétrés sur des ressortissants étrangers, ils en informent immédiatement, par rapport circonstancié, une autorité compétente clairement identifiée.
15. Le CPT souhaite également recevoir pour 2001 et le premier semestre 2002, en ce qui concerne l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le nombre de plaintes pour mauvais traitements déposées à l’encontre de membres de la police aux frontières ou de membres chargés des escortes et des suites données à ces plaintes (éventuelles procédures disciplinaires/pénales).
2. Eloignement forcé de ressortissants étrangers par voie aérienne
16. Lors de cette visite, la délégation du CPT a examiné de façon détaillée les procédures d’éloignement forcé des étrangers par voie aérienne. Elle a notamment assisté à deux missions d’éloignement, respectivement assurées par l’UNESI [3] et l’ULE [4]. Dans les deux cas observés, le déroulement des opérations n’a appelé aucune critique de la part de la délégation. La délégation souhaite plus particulièrement mentionner le comportement professionnel de l’escorte UNESI, face à des personnes non-admises agitées. Après tentative verbale de persuasion d’embarquement, le Chef d’escorte a constaté le refus d’embarquement et a mis fin à la mission.
Nonobstant ces constatations positives, le CPT souhaite revenir sur plusieurs aspects des procédures d’éloignement forcé.
17. Selon les différentes instructions et circulaires fournies à la délégation, y compris le mémento relatif aux "techniques d’éloignement des étrangers par voie aérienne" (note d’instructions DGPN/DICCILEC/DIR n° 96-09872 du 28 novembre 1996), l’éloignement par voie aérienne connaît deux niveaux de sécurité : le départ sans escorte avec accompagnement jusqu’au pied de l’avion et le départ sous escorte jusqu’à destination. Le départ sous escorte jusqu’à destination est obligatoire pour les expulsés [5] ; dans les autres cas (non admis sur le territoire, reconduits aux frontières [6], MICONDEX [7]) la décision d’escorte jusqu’à destination sera prise en fonction des circonstances, sur base d’une circulaire ministérielle NOR INT D94/00034C du 4 février 1994 stipulant que "les personnes réfractaires à leur éloignement et les étrangers, qui en raison de leurs antécédents judiciaires seraient susceptibles d’avoir un comportement violent, dangereux pour la sécurité des voyageurs devront être escortés pendant le voyage".
Les frais de rapatriement et d’escorte des personnes non admises sont à la charge de la compagnie aérienne ayant transporté l’étranger en France, alors que dans les autres cas, elle est à la charge de l’Etat.
18. S’agissant des moyens de coercition et de contrainte autorisés, plusieurs notes d’instruction fournies, datant de 1998 (par exemple, note DGPN/DICCILEC/SDCCT/BE/n° 98-05646 du 9 juillet 1998 sur les embarquements de reconduits à bord des aéronefs, règles à respecter par les personnels d’escorte), rappellent qu’il importe que la force utilisée pour procéder à un embarquement soit en rapport avec l’attitude de la personne à éloigner et qu’il n’est pas opportun de faire accompagner une telle personne par un nombre important de fonctionnaires ou de la menotter si par la suite elle ne sera pas escortée ou dont l’attitude calme ne justifie aucune entrave. "Lorsque les circonstances l’exigent, notamment pour assurer l’exécution de la mission en préservant l’intégrité de l’éloigné, des fonctionnaires et des tiers, la coercition peut être utilisée dans les conditions fixées par la loi, avec l’emploi de la force strictement nécessaire, sans violence physique ni verbale. A cet égard, les seuls moyens matériels qui peuvent être utilisés sont les menottes et les entraves, conformément aux dispositions de l’article 803 du Code de Procédure Pénale..." (note PN/CAB/n° 98-12265 du 1er octobre 1998 relative à l’exécution des décisions judiciaires et administratives d’éloignement du territoire national).
En ce qui concerne l’acheminement à l’avion, le mémento précité relatif aux techniques d’éloignement des étrangers par voie aérienne précise aux fonctionnaires accomplissant des missions d’escorte qu’il "convient d’adapter la force et les moyens utilisés à la dangerosité, au comportement actuel et aux antécédents de l’individu [...]. L’emploi de la force ne signifie pas porter des coups mais maîtriser l’individu". Quant aux moyens matériels, il est indiqué que "les moyens de nature à entraver les membres sans blesser seront privilégiés si l’individu est récalcitrant à l’embarquement. Ainsi les bandes adhésives larges ou même les bandes de type velcro (à deux largeurs, dont la résistance est de 100 kg, et qui permettent si nécessaire de fixer l’individu au siège) qui peuvent être ôtées facilement en cas d’urgence. Les entraves à pouce (poucettes) peuvent également être utilisées. On déconseillera dans la mesure du possible les menottes administratives interdites sur certain vols ou refusées par certains commandants de bord. La présence de toute arme administrative (arme à feu, bombe lacrymogène, bâton de défense) est interdite à bord et doit être prohibée...".
Pendant le vol, "si l’individu est calme, il sera désentravé, mais toujours étroitement surveillé. S’il est agité, et qu’il se calme après le décollage, il sera libéré de ses entraves après la montée en altitude. Dans cette hypothèse mais aussi si les entraves doivent être maintenues en raison de l’attitude toujours agressive de l’éloigné, l’escorte aura veillé à couvrir l’intéressé avec la couverture remise aux passagers de façon à dissimuler ses membres aux autres passagers (prévenant ainsi une éventuelle prise à partie), l’escorte aura fait de même pour éviter toute discrimination. [...]
N.B. : les entraves à privilégier sont les bandes de type velcro pour les raisons évoquées supra [...]."
19. En pratique, en ce qui concerne le recours à la force, les membres des services chargés des opérations d’éloignement rencontrés utilisaient les gestes techniques professionnels d’intervention des forces de police, des menottes et entraves. La délégation a cependant noté avec préoccupation que des membres de l’ULE ne se voyaient pas fournir de bandes adhésives/velcro, mais devaient se les procurer par leurs propres moyens. Le CPT recommande de combler cette lacune.
20. Le CPT ne saurait trop souligner la nécessité de directives précises et contraignantes concernant l’exécution de mesures d’éloignement et les méthodes et moyens à utiliser lors de telles opérations. A cet égard, les actuelles directives devraient être complétées et réactualisées sur un certain nombre de points, comme par exemple, les risques d’asphyxie posturale [8], ainsi que de syndrome dit de la "classe économique" [9], qui ne sont abordés dans aucun des documents communiqués à sa délégation.
En conséquence, il recommande de rediffuser dans les plus brefs délais un ensemble cohérent de directives relatives à l’exécution des mesures d’éloignement (avec ou sans escorte jusqu’à destination), dans lesquelles il conviendrait de :
- dresser une nomenclature précise des gestes techniques professionnels d’intervention autorisés lors de procédures d’éloignement forcé ;
- lister de manière exhaustive les moyens matériels de contention autorisés avec leurs spécifications techniques ;
- énumérer les techniques de contention prohibées. Celles-ci devraient impérativement inclure la prohibition de techniques pouvant obstruer, même partiellement, les voies respiratoires (par exemple, bâillonnement avec de la bande adhésive/sparadrap sur la bouche, postures à proscrire, etc.) et l’entravement des membres à l’aide de ruban adhésif (autre que des bandes velcro) ;
- lister avec précision les moyens de contrainte susceptibles de provoquer une "asphyxie posturale" ou un syndrome dit "de la classe économique" et de ne permettre leur utilisation que de manière exceptionnelle, afin de réduire au minimum les risques pour la santé de la personne concernée ;
- veiller à ce que tout ressortissant étranger à éloigner, impliquant un départ forcé avec ou sans escorte, se voit d’office proposer un examen médical préalablement à l’opération d’éloignement ;
- exiger, dès lors qu’une tentative d’éloignement avec ou sans escorte d’un étranger (quelle que puisse être la classification administrative de la mesure d’éloignement) s’est révélée infructueuse, un examen médical complet de l’étranger, au premier lieu où il est ramené (cf. également paragraphe 33 ci-dessous).
21. Faire quitter le territoire d’un Etat à un étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement et qui est déterminé à rester se révélera souvent une tâche difficile et ingrate. Le CPT l’a déjà reconnu.
C’est une opinion qui a aussi été exprimée par nombre des interlocuteurs des services chargés de telles missions rencontrés qui ont fait valoir le peu de formation spécifique reçue en ce domaine et l’absence de suivi psychologique face aux situations vécues. Chez certains, il y avait un net sentiment d’épuisement professionnel.
Il est apparu que seule l’UNESI disposait d’une formation initiale et continue [10] spécifique aux missions d’éloignement. Cependant, elle était seulement en train d’être mise en place.
Le CPT recommande aux autorités françaises d’accorder une haute priorité au développement d’une formation spécifique aux missions d’éloignement (avec ou sans escorte) des ressortissants étrangers. Cette formation doit s’adresser à toute personne employée à de telles missions, quelle que soit l’entité de rattachement. Il recommande en outre de proposer un suivi psychologique (mesures préventives et de soutien) aux membres chargés de telles missions.
3. Conditions de détention/maintien
a. locaux de détention de la police aux frontières dans les aérogares et à l’ULE
22. A l’exception des postes de police de l’aérogare 9 qui ne disposaient pas de locaux de détention, ceux des autres aérogares avaient déjà fait l’objet d’une visite de suivi en 2000. La description de ces lieux, donnée au paragraphe 50 du rapport relatif à cette visite, reste valable. Le CPT réitère la recommandation formulée au paragraphe 51 de ce rapport, selon laquelle les locaux de détention des aérogares doivent être impérativement réservés à des mesures de maintien de quelques heures ne se prolongeant pas la nuit et ce, quelles que puissent être les circonstances.
En outre, le Comité réitère sa recommandation visant la réduction des taux d’occupation des locaux de détention dans les aérogares, en particulier aux 2 F2 et C. En effet, lors de la visite, la salle de rétention du 2F2, comptait 12 personnes, confinées dans 10 m², dans une atmosphère étouffante (le système d’aération étant de surcroît défectueux). Au 2C, 53 personnes maintenues avaient passé plusieurs heures, pendant la journée, réparties entre deux cellules de 4 m², débordant sur l’espace exigu de travail des fonctionnaires de police. De telles conditions ne peuvent qu’être vecteurs de tension pour tous les intéressés.
23. Il convient également de mentionner le box vitré d’environ 1,7 m² situé au sein de la salle de rétention de l’aérogare du 2F2, destiné au placement de personnes récalcitrantes. Le CPT recommande de supprimer ce box, impropre, de par ses seules dimensions, à toute détention, quelle qu’en soit la durée.
24. Qu’il s’agisse des locaux de détention des aérogares ou de ceux de l’ULE, la délégation a été préoccupée par l’accès des personnes qui y sont placées à l’eau potable et à la nourriture. Le CPT rappelle à nouveau que le fait de ne pas permettre à une personne d’absorber de l’eau peut entraîner des conséquences dommageables pour sa santé et pourrait aisément être assimilé à un mauvais traitement.
Quant à la nourriture, les fonctionnaires de police aux frontières peuvent faire uneréquisition pour obtenir un plateau repas ("plateau tampon") pour les personnes maintenues/détenues. Malheureusement, ce système ne fonctionnait pas de façon idoine ; pour nombre de telles personnes rencontrées (par exemple, ayant quitté les ZAPIS tôt le matin pour un vol dans l’après-midi), aucune réquisition n’avait été faite. En outre, à l’ULE, seuls les étrangers retournés dans les locaux après un refus d’embarquement se voyaient proposer un sandwich.
Le CPT recommande aux autorités françaises de :
- veiller à ce que les personnes maintenues dans les aérogares de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et détenues à l’ULE aient accès à tout moment, aisément à de l’eau potable (la mise en place de points d’eau dans les locaux de maintien/détention pourrait, le cas échéant, être envisagée) ;
- s’assurer du bon fonctionnement des réquisitions pour les plateaux repas à l’intention des personnes maintenues dans les aérogares et étendre ce système aux personnes détenues à l’ULE.
b. zones d’attente pour personnes en instance (ZAPI)
25. Entre juillet 2000 et janvier 2001, les autorités françaises ont ouvert deux lieux d’hébergement pour personnes maintenues en zone d’attente, à savoir les ZAPI n° 2 et 3.
La ZAPI n° 2, d’une capacité de 122 places, est constituée de locaux anciennement utilisés par le centre de rétention administrative adjacent de Mesnil-Amelot. Lors de la visite, l’établissement hébergeait 62 hommes adultes, tous demandeurs d’asile.
La ZAPI n° 3, d’une capacité de 176 places, est un bâtiment moderne situé sur le site même de l’aéroport. Lors de la visite, elle hébergeait 145 personnes non admises sur le territoire dont des demandeurs d’asile (88 hommes et 48 femmes, ainsi que 9 mineurs, soit accompagnés de membres de leur famille, soit non accompagnés, auquel cas, ils étaient âgés de plus de 13 ans) [11]
i. hébergement et activités
26. Les conditions matérielles d’hébergement étaient acceptables à la ZAPI n° 2 et bonnes à la ZAPI n° 3. Les chambres étaient de dimensions convenables (par exemple, de 7 m² à 9 m² pour les chambres doubles et 28 m² pour les chambres familiales comptant six lits), compte tenu en particulier de la politique pratiquée des portes ouvertes. Elles étaient de plus bien équipées, éclairées et aérées et, convenablement entretenues.
En fin de visite, la délégation a cependant porté à l’attention des autorités françaises certains aspects à améliorer, à savoir : dans les deux ZAPIs, prendre des dispositions pour permettre aux personnes maintenues, en situation d’hébergement prolongé, de laver adéquatement leurs vêtements et linges de corps ; à la ZAPI n° 3, de remédier à l’insuffisance de certains éléments de première nécessité (savon, serviettes), et de pourvoir cette zone d’attente d’un minimum de mobilier adapté aux enfants en bas-âge. Le CPT souhaite obtenir confirmation de ce que ces questions sont à présents réglées.
27. Les personnes maintenues bénéficiaient de trois repas quotidiens copieux, variés et équilibrés. Néanmoins, à la ZAPI n° 3, la délégation a recueilli des plaintes selon lesquelles, en cas d’arrivée ou retour tardif, de telles personnes ne se voyaient rien proposer à manger. Le CPT invite les autorités à veiller à ce que les "repas tampons" prévus soient effectivement proposés à toutes les personnes maintenues arrivant à la ZAPI après l’heure du dîner.
28. En outre, à la ZAPI n° 3, de nombreuses plaintes ont été formulées à la délégation concernant les réveils excessivement matinaux (vers les quatre heures du matin) en vue de rassembler des personnes maintenues devant être soit éloignées, soit se rendre pour la journée aux audiences du Tribunal de Grande Instance. De nombreuses plaintes ont aussi été entendues sur le niveau sonore des haut-parleurs, en particulier pendant les heures de sommeil, pour faciliter les rassemblements sus-mentionnés, créant une pression psychologique délétère chez les personnes maintenues.
Le CPT recommande aux autorités françaises de revoir ces pratiques en vue de garantir aux personnes maintenues une période suffisante de sommeil.
29. Dans les deux ZAPIs, les personnes maintenues avaient accès toute la journée à une aire de promenade extérieure. C’est un développement à saluer tout particulièrement. En outre, la ZAPI n° 3 disposait d’une salle de jeux et d’activités récréatives pour les enfants, agréablement aménagée, ainsi que de deux salles de télévision pour les personnes maintenues. Par contre, la ZAPI n° 2 ne bénéficiait d’aucune infrastructure récréative pour les personnes hébergées. Le CPT recommande de remédier à cette lacune.
Il invite en outre les autorités françaises à s’efforcer d’élargir les possibilités d’activités dans les deux ZAPIs par la mise à disposition de journaux et livres, dans les langues les plus usitées, ou d’activités récréatives complémentaires, par exemple, du tennis et football de table.
30. En résumé, de l’avis du CPT, ces deux ZAPIs ont permis une amélioration incontestable des conditions de maintien, comparées à celles prévalant auparavant (cf. CPT/Inf (2001) 10, paragraphes 48 et 49). Ces conditions, sous réserve des améliorations ci-dessus proposées, seraient satisfaisantes pour des périodes n’excédant pas 20 jours.
ii. prise en charge sanitaire
31. Le service de santé, établi dans les locaux de la ZAPI n° 3, était constitué d’un médecin urgentiste à mi-temps et d’une infirmière à plein temps, présente habituellement du lundi au vendredi de 9h00 à 17h00. Toutefois, lors de la visite, cette dernière était absente pour congé annuel et n’avait pas été remplacée. Le médecin et l’infirmière étaient détachés par convention du centre hospitalier Robert Ballanger afin d’assurer la prise en charge sanitaire des personnes maintenues de la ZAPI n° 3 (en pratique, leurs activités soignantes s’étendaient aussi à la ZAPI n° 2, les personnes maintenues de cette ZAPI étant emmenées par les fonctionnaires de police en consultation à la ZAPI n° 3).
En cas de nécessité d’avis spécialisé, les personnes maintenues étaient adressées par le médecin au centre hospitalier Robert Ballanger. En l’absence du personnel soignant, les soins d’urgence étaient prodigués par le Service Médical d’Urgence, basé à l’aéroport et intervenant sur appel des fonctionnaires de police. Les soins médicaux étaient gratuits pour les personnes maintenues.
La délégation a été informée qu’un renforcement infirmier était prévu au mois de septembre.
Il lui a été aussi indiqué qu’un système de télé-médecine reliant les locaux de la ZAPI n° 3 au service d’urgence du centre hospitalier de Robert Ballanger et permettant la réalisation de consultation médicale à distance, devrait prochainement être installé.
Eu égard à la capacité des deux ZAPIs (près de 300 personnes), le CPT recommande aux autorités françaises de mener à bien sans délai le projet de renforcement de l’équipe soignante prévue. Ce renforcement doit, en particulier, permettre de garantir une présence infirmière tous les jours de la semaine toute l’année, fins de semaine incluses. Il doit aussi permettre d’assurer une présence infirmière régulière à la ZAPI n°2.
Par ailleurs, le Comité souhaiterait obtenir des informations complémentaires sur le projet de télé-médecine sus-mentionné.
32. La délégation a constaté qu’aucune des personnes non admises sur le territoire et/ou demandeurs d’asile, majeures ou mineures, hébergées dans les ZAPIs n’était vue systématiquement par un membre du service médical à son arrivée.
De l’avis du CPT, une attention particulière devrait être accordée à l’état de santé somatique et psychologique des personnes hébergées dans les ZAPIs. Elles peuvent en effet avoir connu des situations difficiles ou même avoir été soumises à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements avant leur arrivée en France. De plus, un examen médical à l’arrivée serait également souhaitable sous l’angle de la médecine préventive, entre autres pour le dépistage et le traitement d’éventuelles maladies transmissibles. Le CPT recommande aux autorités françaises de s’assurer que toute personne maintenue, majeure ou mineure, bénéficie d’un entretien et d’un examen clinique par un médecin aussitôt que possible après son arrivée en ZAPI ; un tel contrôle médical peut aussi être effectué par un(e) infirmier(ière) faisant rapport au médecin.
Les résultats d’un tel examen devraient être consignés sur un feuillet individuel à conserver au service médical.
De plus, concernant les entretiens et les examens cliniques, le CPT souhaite souligner que, lorsque le personnel soignant n’est pas en mesure d’établir un diagnostic correct en raison de problèmes linguistiques, celui-ci devrait pouvoir faire appel sans délai aux services d’un interprète qualifié.
33. Aux paragraphes 11 et 20 ci-dessus, les questions concernant respectivement les constats de lésions traumatiques établis par le service médical de la ZAPI n° 3 et de l’examen médical, après une tentative infructueuse d’embarquement ont été exposées. A la lumière de ces développements, le CPT recommande que tout signe de blessure observé sur une personne maintenue, alléguant des mauvais traitements, soit dûment consigné par le médecin, avec les déclarations pertinentes de la personne maintenue et les conclusions du médecin (quant à la compatibilité entre les signes et les déclarations de l’intéressé) sur le formulaire prévu à cet effet. En outre, le médecin devrait remettre copie de ce formulaire à la personne maintenue. De plus, les procédures existantes devraient être revues afin d’assurer que, dès lors que des lésions compatibles avec des allégations de mauvais traitement formulées par une personne maintenue ont été consignées par un médecin, ce constat soit systématiquement porté à l’attention de l’autorité judiciaire compétente.
c. autres questions relatives aux personnes maintenues
34. En ce qui concerne les contacts avec le monde extérieur, le CPT relève avec satisfaction que les personnes maintenues dans les zones d’attente se voyaient remettre par l’Office des Migrations Internationales (O.M.I) une première carte téléphonique gratuite. Des téléphones étaient aisément accessibles dans les deux ZAPIs. Dans les aérogares, les personnes non admises avaient aussi accès au téléphone.
Les personnes maintenues dans les ZAPIs pouvaient aussi recevoir des visites de 8h00 à 20h00, dans des locaux réservés à cet effet.
35. Dans un autre domaine, la délégation a été informée des difficultés auxquelles étaient confrontées les personnes maintenues, libérées tardivement le soir, sans accès à des moyens de transport pour quitter les ZAPIs. Le CPT souhaite obtenir les commentaires des autorités françaises sur cette question.
4. Garanties fondamentales reconnues aux étrangers privés de liberté
36. Dans son rapport relatif à la visite de 2000, le CPT avait fait état d’un certain nombre de préoccupations quant à la mise en oeuvre des garanties prévues pour les personnes placées en zone d’attente (paragraphe 64). Il avait formulé des recommandations (paragraphe 65) afin que de telles personnes soient informées sans délai de leur situation et de leurs droits, bénéficient, quand nécessaire, effectivement de la présence d’un interprète qualifié et aient effectivement droit à l’accès à un avocat à tous les stades de la procédure (y compris à l’aéroport et lors d’auditions par les représentants du Ministère des Affaires Etrangères).
37. Le CPT tient à mettre en avant les réalisations faites par les autorités françaises, depuis sa dernière visite, pour améliorer l’accès des personnes maintenues en zone d’attente à des interprètes qualifiés et l’accélération de l’examen des demandes d’asile (par le renforcement des équipes de représentants qualifiés du Ministère des Affaires Etrangères chargés des auditions sur le site). La mise en place d’une permanence d’interprètes qualifiés (10), depuis août 2001, est une mesure particulièrement importante. Toutefois, compte tenu des difficultés encore observées dans les aérogares et au Bureau de police (27) à la ZAPI n° 3, le CPT invite les autorités françaises à étoffer davantage cette permanence.
En ce qui concerne les auditions effectuées par les représentants du Ministère des Affaires Etrangères, la délégation a noté qu’il était toujours fait recours à l’interprétation par téléphone. Le CPT souhaite savoir si le champ d’intervention de la permanence d’interprète susvisée ne pourrait pas s’étendre à de telles auditions.
38. Les observations in situ de la délégation et les plaintes recueillies de la part de personnes maintenues démontrent que les autorités françaises doivent persévérer dans leurs efforts d’information des personnes maintenues sur leur situation et leurs droits.
En ce domaine, le CPT a noté que, d’après la Convention du 13 mai 1996 passée entre l’Etat français et l’O.M.I et l’annexe du 26 octobre 2001 (conclue entre le Directeur de la Police aux Frontières et le Délégué Régional de l’O.M.I.) sur les conditions pratiques de mise en oeuvre de la Convention pour la zone d’attente de Roissy, l’une des missions de l’O.M.I. consiste à assister les étrangers maintenus dans les zones d’attente et leur donner toutes informations et aides utiles, notamment sur leurs conditions de vie et leurs droits [12]. Le CPT souhaite obtenir des informations sur la manière dont, en pratique, les dispositions de la Convention et de son annexe du 26 octobre 2001 sont mises en oeuvre.
39. S’agissant de l’accès à un avocat, la situation n’avait pas encore évolué dans le sens recommandé par le CPT. Dans leur réponse au rapport relatif à la visite de 2000 (page 28), les autorités françaises précisent que "l’assistance d’un avocat n’est pas prévue au stade des procédures administratives préalables (refus d’admission, audition des demandeurs d’asile). Il n’est pas envisagé à l’heure actuelle de modifier cette législation." Le CPT rappelle que, de la même manière que d’autres catégories de personnes privées de liberté, les étrangers devraient, dès le début de leur privation de liberté, avoir accès à un avocat. Il recommande en conséquence aux autorités françaises de reconsidérer leur position sur ce point.
Par ailleurs, à l’instar de la permanence d’interprètes réalisée, le CPT souhaite obtenir les vues des autorités françaises sur la possibilité d’organiser, à l’aéroport, une permanence d’avocats pour les personnes maintenues.
40. Un certain nombre de personnes maintenues ont fait état d’importantes difficultés auxquelles elles s’étaient heurtées pour faire enregistrer, à leur arrivée aux aubettes des aérogares, leur demande d’asile, ou ne serait-ce que leur présence. De ce fait, elles étaient contraintes de passer des périodes prolongées (certaines jusqu’à dix jours) dans la zone comprise entre le lieu de débarquement et le poste contrôle frontière (dite "zone internationale"), dépendant de la charité de passagers ou du personnel des APD pour pouvoir notamment manger. Par ailleurs, des plaintes similaires de difficultés d’enregistrement des demandes d’asile à la ZAPI n° 3 ont été entendues. D’un entretien avec le service du Ministère des Affaires Etrangères présent sur le site, il semblerait que partie des difficultés d’enregistrement des demandes d’asile serait liée à la surcharge de travail de la police aux frontières.
Le CPT souhaite obtenir les commentaires des autorités françaises sur ces questions.
41. Le CPT avait également soulevé, dans son rapport, la question de l’assistance spécifique des mineurs isolés maintenus en zone d’attente. Suite à une réforme, en vigueur depuis le 5 mars 2002 [13], modifiant l’article 35 quater de l’Ordonnance de 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, le Procureur de la République doit désigner sans délai (c’est-à-dire dès l’entrée en zone d’attente) un administrateur ad hoc pour les mineurs isolés, lequel assure leur représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives au maintien.
Lors de la visite, le décret d’application de la réforme du Conseil d’Etat n’était pas encore intervenu.
Le CPT souhaite savoir si le décret nécessaire est à présent adopté, et dans l’affirmative, en obtenir copie. Il souhaite également savoir si la représentation du mineur par l’administrateur ad hoc englobe aussi le dépôt d’une demande d’asile et le suivi de la procédure éventuelle à envisager.
Le CPT souhaite de plus obtenir des informations précises sur la situation des mineurs de moins de 13 ans isolés, non admis sur le territoire et non placés en zone d’attente, qui seraient hébergés dans des hôtels autour de l’aéroport (Quels sont leurs droits ? Comment peuvent-ils les exercer ? Quelle autorité les prend en charge ? Quels sont les lieux précis pour leur hébergement ?).
B. Locaux de rétention douanière à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle
42. La délégation a visité les locaux de rétention douanière [14] de l’aérogare 2. Aucune personne n’y était alors retenue lors de la visite.
Les cellules individuelles étaient propres. De surcroît, certaines venaient de bénéficier d’une rénovation. Toutefois, ces cellules avaient un inconvénient majeur, à savoir leur petite taille (au maximum 3 m²). Le CPT tient à souligner que des cellules de cette dimension ne peuvent être utilisées qu’à des fins de détention temporaire (c’est à dire au maximum pendant quelques heures).
Elles ne conviennent pas pour une personne qui serait obligée de passer la nuit en détention.
43. L’attention de la délégation a été appelée sur la question du menottage de personnes retenues. En effet, toutes les cellules possédaient un anneau de sécurité scellé dans le mur destiné à l’entrave. Par ailleurs, les agents des douanes ont expliqué à la délégation suivre scrupuleusement les dispositions de l’instruction-cadre n° 1627 du 26 janvier 2002. Celle-ci stipule que : "Seules les personnes qui peuvent être considérées comme dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui, sont susceptibles de faire l’objet d’un menottage ou d’une entrave. A cet égard il est permis de considérer qu’une personne placée en retenue douanière, en raison de la commission d’un délit douanier constitutif dans le même temps d’un délit de droit commun (armes, stupéfiants,...) entre dans cette catégorie...".
De l’avis du CPT, la commission d’un délit douanier et d’un délit de droit commun ne justifie aucunement en soi la nécessité d’un menottage ; la retenue dans une cellule n’exige normalement pas l’utilisation de moyens de contrainte supplémentaires. La nécessité de menotter une personne devrait être appréciée au cas par cas, et être fondée uniquement sur des motifs impérieux de sécurité. Le CPT recommande aux autorités françaises de modifier l’instruction-cadre n° 1627 en conséquence.
44. Enfin, la délégation a également examiné en détail la procédure suivie par les agents des douanes, conformément à l’article 60 bis du Code des Douanes, en ce qui concerne les personnes soupçonnées de transporter des stupéfiants in corpore ("body-pack syndrome").
Le CPT tient à exprimer sa satisfaction concernant les garanties entourant les tests de dépistage (feuillets traduits en plusieurs langues pour recueillir le consentement écrit de la personne concernée afin de pratiquer un test de dépistage urinaire, et le cas échéant, un examen médical - c’est à dire, en pratique, une radiologie de l’abdomen). Cela étant, le CPT est préoccupé par d’autres aspects de la procédure. En effet, en cas de radiographie positive, si le médecin considérait que la santé de la personne était compatible avec la poursuite de la procédure de rétention douanière, celle-ci était alors placée dans une cellule. L’expulsion s’effectuait par voie naturelle basse sans administration de laxatif. Ce n’est qu’après l’expulsion du premier paquet contenant des stupéfiants, que la personne était confiée aux agents de l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (O.C.T.R.I.S.), qui adressait celle-ci à l’hôpital pénitentiaire pour surveillance et expulsion des autres paquets. La délégation a noté que, le plus souvent, plusieurs heures s’écoulaient entre la confirmation radiologique et la prise en charge de la personne par l’O.C.T.R.I.S..
De l’avis du CPT, même si un certificat médical atteste de la compatibilité de l’état de santé avec la poursuite de la procédure douanière, de telles personnes, compte tenu du risque potentiel encouru (risque de perforation de sachet avec intoxication aiguë), devraient, dès la confirmation radiologique ou même avant, dans les cas où celles-ci reconnaissent spontanément transporter des stupéfiants in corpore, être placées sans plus attendre dans une unité médicale. Le CPT souhaite obtenir les commentaires des autorités françaises à ce sujet.
45. Dans son rapport relatif à la visite effectuée en 2000 (paragraphe 41), le CPT avait recommandé de prendre les mesures nécessaires pour que l’ensemble des garanties contre les mauvais traitements des personnes détenues, listées aux paragraphes 31 à 36 dudit rapport (droit d’informer un proche ou un tiers de la mesure de rétention douanière, droits à l’accès à un avocat et à un médecin, y compris du choix de la personne retenue) s’appliquent aux personnes privées de liberté par tous les organes des forces de l’ordre, y compris l’administration des douanes.
Le CPT doit souligner qu’il ne peut souscrire à la thèse développée dans la réponse des autorités françaises [15], pour ne pas reconnaître l’ensemble de ces garanties aux personnes soumises à une retenue douanière. Que la retenue douanière soit une mesure de privation de liberté d’une nature différente de la garde à vue n’est pas un argument convaincant.
En conséquence, il recommande à nouveau aux autorités françaises d’étendre l’ensemble des garanties fondamentales contre les mauvais traitements ci-dessus rappelées aux personnes soumises à u