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(2004) Nicole Guedj Secrétaire d’Etat aux droits des victimes : 1ères rencontres parlementaires

Mise en ligne : 5 décembre 2004

Texte de l'article :

INTERVENTION
de Madame Nicole GUEDJ,
Secrétaire d’Etat aux droits des victimes,
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LES PRISONS EN FRANCE : UN GRAND CHANTIER POUR LA REPUBLIQUE
1ères rencontres parlementaires sur les prisons françaises
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1er décembre 2004

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames, messieurs,

Il peut paraître surprenant que la secrétaire d’Etat aux droits des victimes que je suis intervienne pour ouvrir ces 1ères rencontres parlementaires sur les prisons françaises.

Paradoxal même diront certains, mais pas illogique, puisque j’ai rempli les fonctions de secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice, pendant deux mois, de fin janvier à fin mars de l’année écoulée. Je sais donc, par la courte expérience qui a été la mienne à ce portefeuille, combien la question des prisons est empreinte de passion et suscite le débat aussi bien sur le champ politique qu’économique ou philosophique.

Je ne vous brosserai pas ici l’historique des constructions pénitentiaires en France, pas plus qu’une liste exhaustive de chiffres et de rapports.

Nous avons tous en tête ces statistiques qui témoignent de la surpopulation carcérale actuelle. Nous connaissons tous les difficultés inhérentes à la condition de détenu, à ce que le fait d’être privé de liberté implique pour le corps, mais aussi pour l’esprit.

Beaucoup ici aujourd’hui s’attendent à ce que nous ne nous "gargarisions pas de mots, de phrases intelligentes et de bonnes pensées vertueuses", pour reprendre les termes utilisés il y a quelques jours dans une tribune publiée par un quotidien du soir.

Mais dès lors, que dire ?

Que les prisons françaises vont mal ? Que d’aucuns ont le sentiment qu’après les deux rapports parlementaires de 2000, rien n’a changé dans les cellules de la République ?
Il est vrai que les rapports des commissions d’enquête de l’Assemblée et du Sénat - dont l’un des deux intitulés ne laissait pas de place à l’équivoque : "prisons, une humiliation pour la République" - avaient lourdement stigmatisé le système carcéral français.
J’ose rappeler que depuis ces rapports, beaucoup a été fait en la matière et, notamment, qu’un programme ambitieux de constructions de plus de 13000 places a été lancé par le Garde des Sceaux pour pallier les carences de politiques publiques antérieures.

Vous le savez, le ministère de la Justice a également lancé tout un ensemble de réformes pour améliorer les conditions de détention non seulement au niveau matériel (cloisonnement des toilettes dans les cellules, augmentation de la provision alimentaire mensuelle portée à 200 euros...) mais également en matière d’offre médicale proposée aux détenus par la création des Unités Hospitalières Sécurisées Inter-régionales et par la sensibilisation particulière des personnels pénitentiaires à la question du suicide en milieu carcéral. Je saisis l’occasion pour rendre hommage au dévouement et au professionnalisme des agents de l’administration pénitentiaire qui doivent subir au quotidien dans l’exercice de leur mission, des conditions de travail particulièrement difficiles.

Pour ma part, j’ai veillé, lors de ce bref passage au secrétariat d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice, à ce que les cahiers des charges des futures constructions respectent une exigence de dignité, notamment pour ce qui est des cellules et des espaces de vie communs.

J’ai également été touchée par la détresse de certains détenus en raison de l’impossibilité pour eux de voir de façon plus intime leur famille. L’expérimentation en cours des Unités de Vie familiale permet en partie d’y répondre, et je crois qu’il faudra se montrer particulièrement attentifs à ces résultats pour en envisager la pérennisation.

Je laisse bien évidemment le soin au Garde des Sceaux de vous exposer, dans son intervention de clôture, toutes les améliorations qui ont pu être mises en place dans le cadre de la détention.

Pour ma part, je voudrais vous livrer mon sentiment personnel et ma vision des choses.

Je suis intimement persuadée que la peine de prison ne doit être qu’une peine privative de liberté. Il n’en reste pas moins qu’entrer dans une prison subordonne l’individu à un certain nombre de règles dérogatoires au droit commun. On ne peut, ainsi que j’ai pu l’entendre, dire que le détenu doit être considéré comme un "usager du service public pénitentiaire" !

Pour autant, le détenu ne perd pas sa qualité de membre de la société du fait de sa mise sous écrou. Son regard, et le nôtre, doivent être tournés vers la sortie, et vers sa réinsertion dans le corps social à l’issue de sa peine. Cette fonction de réinsertion et de prévention de la récidive, notre société ne la remplit qu’avec difficulté.

On me fera sans doute remarquer que tout cela n’est pas nouveau...et je n’aurai évidemment pas de difficulté à le croire. Hélène Dorlhac de Borne, secrétaire d’Etat à la condition pénitentiaire de 1974 à 1976 disait déjà, à l’époque, qu’il était urgent de donner à la prison un véritable rôle éducatif. Je crois fermement en ce rôle de la prison qui est, non seulement de sanctionner l’auteur et de protéger la société, mais plus encore de lui rendre des individus prêts à se fondre à nouveau dans son sein. Je suis persuadée à cet égard, que le projet d’établissements pour mineurs construits autour de la salle de classe, permettra d’offrir une début de solution pour les plus jeunes.

Parallèlement il m’apparaît d’évidence que si nous voulons désengorger les prisons, il convient de développer les peines alternatives, ce d’ailleurs à quoi s’emploie Dominique PERBEN. Je pense bien évidemment à la construction de centres de semi-liberté tournés vers la réinsertion, aux placements en extérieur, aux travaux d’intérêt général, mais également au bracelet électronique. Sur ce dernier point, il m’apparaît indispensable de saisir la chance et les possibilités que nous offrent les innovations technologiques pour humaniser les peines.

Il nous faut en effet, aujourd’hui utiliser de nouveaux moyens, mais également mettre en place et expérimenter de nouvelles formules.
Les expériences de justice restauratrice conduites notamment au Canada et en Belgique constituent, sans doute, de nouvelles pistes à explorer.

Le principe tient à engager dans un mécanisme de responsabilité ceux qui sont impliqués dans l’acte criminel en tant qu’auteur ou en tant que victime. Depuis les années 80, la justice restauratrice a pour but, notamment au Canada, de faire découvrir par les délinquants les conséquences des actes criminels auprès des victimes.

Les expériences étrangères essayent de motiver le délinquant à participer à la recherche d’une solution tout en invitant la victime à participer à cette recherche de solution. La phase de responsabilité vient remplacer, dans cette conception, celle de la stigmatisation ou de l’exclusion.

Allant bien au-delà de la médiation pénale qui se déroule au stade des poursuites, que nous connaissons aujourd’hui en France, ces approches d’une justice restauratrice interviennent pendant la phase de jugement ou pendant la détention. A l’occasion de véritables cours, sont expliqués aux détenus les conséquences de la victimisation. Ils peuvent également comprendre les implications de leur conduite et les conséquences des actes criminels qu’ils ont pu commettre. Les victimes sont invitées à y participer. Elles prennent ainsi conscience également de ce qu’est la peine privative de liberté.

La justice restauratrice au niveau carcéral n’a ainsi pas pour fonction de rappeler sa faute au détenu, ni de l’entretenir dans une sorte de remords permanent. Elle a pour objet de faire prendre conscience aux deux parties, l’une de la gravité de l’acte commis et de ses conséquences pour la victime, l’autre de la sanction, de sa réalité, et lui permettre de se reconstruire en répondant aux questions qu’elle se pose.

Au Canada, la loi permet aux victimes de recevoir certaines informations de la commission nationale des libérations conditionnelles et leur permet également d’assister aux audiences des libérations conditionnelles et de faire des interventions. Les victimes ne peuvent pas se prononcer sur la libération éventuelle - et je crois que c’est heureux - mais elles peuvent intervenir sur l’impact du crime dans ses aspects sociaux, physiques ou financiers...

J’entends d’ici ceux qui pourraient me reprocher de vouloir faire entrer les victimes dans les prisons et de leur permettre d’avoir un œil, voire leur mot à dire, sur l’application de la peine des responsables de leur préjudice. Je tiens à vous rassurer, car tel n’est pas le cas ; d’autant que ces réflexions ne sont que des pistes de travail que je tenais à partager avec vous.

Il est bien évident par ailleurs, et je le perçois tout à fait, que ce système peut considérablement retarder le travail de deuil de certaines victimes et être, par là même, parfaitement contre-productif. Quelques unes d’entre elles seraient peut-être même tentées de le rejeter totalement.

Je crois néanmoins que nous ne devons nous interdire aucune réflexion et que nous gagnerons à nous inspirer des expériences étrangères. Il ne faut en tous cas, d’aucune manière, que l’idée de la réparation et de la victime disparaissent du moment où une peine est prononcée.

Laissez moi vous dire à quel point votre réflexion ne doit pas perdre de vue la prise en compte des victimes. Faussement, et j’ai eu l’occasion de le constater de nombreuses fois dans des circonstances particulièrement dramatiques, la société attribue à la victime, a priori et sans la connaître, une volonté de vengeance. Or, le but de la victime n’est pas que les sanctions soient systématiquement les plus lourdes. Elle souhaite d’abord comprendre et se reconstruire. Elle veut aussi pouvoir savoir compter sur la justice.

A ce titre, et le pragmatisme veut que je revienne à des questions strictement matérielles, si la provision alimentaire mensuelle du détenu a augmenté, vous savez sans doute que le prélèvement pour la part réservée à l’indemnisation des parties civiles a été revue. Le décret, que le Garde des Sceaux et moi-même avons signé le 5 octobre de cette année, module ce prélèvement, qui était fixé à 10%, en trois seuils de 20, 25 et 30 %. L’instauration de cette progressivité doit permettre une meilleure prise en compte des facultés contributives de chaque détenu, tout en offrant aux parties civiles, et donc aux victimes, une indemnisation plus importante.

Je me permettrai pour conclure de citer la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale qui dans son rapport de l’année 2000, disait ceci :
" La prise en compte de la douleur des victimes ou des familles des victimes doit être prioritaire dans la réflexion sur la sanction et dans la décision des magistrats. Elle doivent être informées des décisions prises par le juge d’application des peines à l’égard de l’auteur de l’infraction.
Il serait également erroné de faire du détenu une victime, victime de sa condition sociale, victime de sa détention. Si l’on veut responsabiliser le délinquant pour le préparer à sa future réinsertion, il faut nécessairement le placer lui-même en position d’assumer sa propre responsabilité vis-à-vis de son acte. Faire du détenu une victime ne peut qu’obérer sa capacité à s’amender".

A la lumière de ces remarques, qui sont celles que certains d’entre vous ont formulées il y a de cela quatre ans, je vous souhaite d’excellents travaux, puisque vous êtes appelés à réfléchir aujourd’hui sur le thème du "grand chantier" des prisons.

Je crois en tous cas avoir fait la preuve, en ce qui me concerne, de ce que le droit des victimes a sa place dans vos réflexions et qu’au final, cela n’a rien de paradoxal ni d’anecdotique.

Merci.