Saisine no 2004-11
AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 5 mars 2004, par M. Noël Mamère, député de la Gironde
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 5 mars 2004, par M. Noël Mamère, député de la Gironde, à la demande de l’ACAT, des conditions de détention de M. B. à la maison centrale de Saint-Maur.
La Commission a examiné les pièces de la procédure.
Elle a entendu M. B. Elle a procédé à l’audition de M. P., directeur de l’établissement, et de M. H., directeur adjoint. Elle a visité le quartier disciplinaire et le quartier d’isolement.
! LES FAITS
M. B. est incarcéré depuis 1994 sous le statut de détenu particulièrement surveillé (DPS), et depuis 6 ans à la maison centrale de Saint-Maur.
En septembre 2003, l’établissement mit en application « la fermeture des portes » selon les instructions du garde des Sceaux et de l’administration pénitentiaire. Cette décision vise à mettre fin à l’ouverture des cellules pendant la journée dans les centrales, où sont détenues des personnes condamnées à de longues peines. Cette pratique, présentée comme une tolérance qui permettait aux détenus d’aller et venir à l’étage de la détention, favorisait les contacts et les discussions.
Le directeur M. P. qui, en septembre 2003, prit ses fonctions à Saint-Maur, dit avoir voulu se donner le temps de connaître les personnels de surveillance et l’établissement, des expériences passées d’application de cette mesure ayant été « malheureuses ».
Selon le directeur adjoint M. H., les détenus à Saint-Maur étaient libres jusqu’alors d’aller et venir de cellule en cellule. Lorsqu’ils devaient se rendre à des activités, ils s’avançaient jusqu’à la grille de l’étage et se faisaient ouvrir. Depuis « la fermeture des portes », il faut qu’ils mettent le drapeau pour appeler le surveillant ou attendre qu’il y ait un mouvement collectif de prévu.
La « fermeture » en permanence des cellules a été appliquée le 4 décembre 2003 à Saint-Maur, après la mise en oeuvre d’une centaine de transfèrements (sur 300 détenus), dont deux tiers de détenus « bénéficiaires de mesures d’affectation », puis les détenus connus pour être des opposants déclarés plus ou moins actifs à cette décision, enfin des détenus très difficiles.
Le 5 janvier 2004, à 13 h 30, M. B. veut profiter du quart d’heure de battement d’ouverture de la cellule où les mouvements sont autorisés pour rendre visite à un camarade détenu qu’il ne peut plus voir comme avant, et qui se trouve à ce moment-là au rez-de-chaussée en salle d’activité. Il met le « drapeau » à sa porte, morceau de carton qui concrétise l’appel d’un détenu aux surveillants, le surveillant ouvrant la porte pour s’informer des raisons de la demande.
Quand le surveillant a ouvert la porte, M. B. est sorti aussitôt sur la coursive et a expliqué qu’il allait rendre visite à un camarade en salle d’activité.
Le surveillant, un stagiaire, a répondu à M. B. que les mouvements collectifs des détenus n’avaient pas encore été annoncés et lui a demandé de réintégrer immédiatement sa cellule. M. B. a suggéré au surveillant d’appeler ses collègues pour vérifier qu’ils n’avaient pas oublié de faire cette annonce ou pour voir « s’il n’y avait pas un blocage », situation qui, selon M. B., se présentait régulièrement. Comme M. B. restait sur la coursive, le surveillant a actionné l’alarme.
Selon M. B., des surveillants sont arrivés au bout de dix minutes. M. B. a exposé au premier surveillant la situation et ce dernier l’a alors autorisé à se rendre auprès de son ami. M. B. dit avoir pensé que « le problème était
réglé ».
L’après-midi même, il est informé qu’un rapport d’incident a été fait à son encontre. Il prévient son avocat qui vient l’assister en commission de discipline. Lors de sa comparution, son avocat a fait valoir qu’une condamnation aurait des conséquences sur la situation pénale de M. B. et qu’il espérait que son statut de DPS serait levé. Cette mesure, qui avait été demandée par le directeur précédent, avait été refusée par la commission compétente mais devait à nouveau être présentée en janvier 2005. Le dossier disciplinaire de M. B. était exempt de tout incident, aucune procédure disciplinaire n’avait été lancée à son encontre depuis sa détention à Saint-Maur, son comportement étant jugé exemplaire. Par ailleurs, il était reconnu qu’il n’avait fait preuve, pendant l’échange avec le jeune surveillant, d’aucune agressivité, ni en actes, ni en paroles.
M. B. prend connaissance avec stupeur qu’il est sanctionné de huit jours de quartier disciplinaire dont quatre avec sursis. Le directeur adjoint H. aurait commenté cette décision par le fait qu’on devait appliquer les nouvelles dispositions sur la « fermeture des portes » et que M. B. servirait d’exemple aux autres détenus du fait de sa « notoriété ».
Conduit au quartier disciplinaire, M. B. y passe 24 heures. Un premier surveillant, s’apercevant de son état dépressif, prévient l’infirmerie. Un psychiatre rend visite à M. B. et, à l’issue de l’entretien, établit un certificat d’incompatibilité. M. B. a le sentiment que sa sortie du QD après 24 heures a été mal vécue par le personnel de surveillance qui a considéré que « c’était un passe-droit ». M. B. constate depuis une détérioration de ses relations avec le personnel de surveillance. Il a été soumis à des fouilles
successives. Il a le sentiment d’être l’objet de provocations : « Jusqu’à maintenant, je n’y ai pas répondu », a-t-il déclaré à la Commission.
« L’incident qui a donné lieu à une commission de discipline en janvier 2004 n’a pas été considéré comme remettant en cause son parcours depuis sa détention », a avancé le directeur M. P. La levée du statut de DPS de M. B., refusée l’année précédente, a été reproposée fin octobre 2004 et sera réexaminée en janvier 2005 par la commission nationale compétente en la matière.
Il estime que l’incident avec M. B. « a mis en évidence une fragilité chez ce détenu concernant son besoin de repères ». « Sa détention au QD de 24 heures a révélé un état psychologique de fragilité. L’avis du médecin a été d’y mettre fin. »
Des auditions, la Commission retire que « l’incident » concernant M. B. a eu lieu un mois après l’application de la mesure dite de « fermeture des portes », mesure qui suscitait alors des tensions entre les détenus et les surveillants dans l’établissement.
Le directeur M. P. a exposé que « les enjeux de cette mesure avaient été pour lui de maintenir les salles d’activités, appelées “gourbis”, qui permettaient le regroupement des détenus, par exemple pour faire la cuisine, et une certaine vie sociale, mais en les réorganisant au rez-de-chaussée ». Il a souhaité les préserver, ainsi que les autres espaces de vie, « dont l’accès au téléphone, qui a été maintenu avec un contrôle des modalités par les surveillants ».
Questionné sur les conséquences de la fermeture en permanence des cellules sur la vie des détenus, le directeur M. P. a répondu qu’« il est possible qu’elle ait eu aussi pour conséquence la restriction des liens entre les détenus ». Il comprend que les détenus aient mal vécu de ne plus pouvoir se regrouper en cellule. Cependant, il fait valoir que les liens se sont réorganisés dans les rez-de-chaussée des bâtiments. Les activités socioculturelles, désertées jusqu’alors, ont été revues. Cette réorganisation a permis de mettre à jour une situation de zone de non-droit dans ces lieux. Ainsi, l’activité informatique était-elle alors confisquée par un détenu.
L’établissement a connu pendant cette période « des situations individuelles de confrontation entre les détenus et les surveillants, des refus, des oppositions ». « Si les détenus ont vécu des situations de frustrations » d’un côté, il y a eu de l’autre un « repositionnement de l’autorité ».
Il constate qu’en 2004 à Saint-Maur, « il y a eu moitié moins de procédures disciplinaires, grâce à la baisse des effectifs d’un quart, mais aussi à la modification de la nature des relations conflictuelles qui restent individuelles et qui ne s’inscrivent plus dans un rapport de force avec le
collectif ». Il a précisé que sur les trente-quatre mises à l’écart qui ont précédé la mise en oeuvre de la « fermeture des portes », la moitié des détenus sont revenus et certains ont été libérés.
Le directeur adjoint H., président de la commission de discipline ayant sanctionné M. B., a indiqué à la Commission qu’il n’y a pas eu de réels soucis de discipline avec ce détenu, mais qu’il est connu pour être « hautain, directif, condescendant avec le personnel de base, ce qui ne facilite pas toujours la communication ».
Concernant l’incident du 5 janvier, il expose que « M. B. était à la minute près de ses prérogatives ». « Il était très pointilleux sur l’organisation de son temps. La fermeture des portes a selon moi entraîné une prise de conscience chez lui de sa situation de prisonnier, lui a rappelé le régime
des QHS, selon ses dires. »
Il considère que M. B., le 5 janvier, a refusé de se soumettre à une mesure de sécurité définie par le règlement lorsqu’il a refusé de réintégrer sa cellule suite aux injonctions d’un surveillant.
Plusieurs situations similaires sont survenues entre le 5 décembre et le 8 janvier, où six autres détenus sont passés en commission de discipline et ont été sanctionnés de 10 jours, 8 jours, 4 jours, 10 jours dont 5 avec sursis. Il estime qu’« il n’était pas concevable que M. B. ne soit pas sanctionné alors que les autres détenus l’avaient été ».
Le directeur adjoint dément avoir dit à M. B. que sa condamnation découlait d’une volonté de constituer à travers lui un exemple auprès des autres détenus. Il ajoute que M. B. ne bénéficie d’aucune reconnaissance ni soutien auprès des autres détenus.
Enfin, questionné par la Commission sur l’accès au téléphone pour les détenus, M. H. a expliqué qu’il était libre, que les détenus avaient des cartes, que certains figurant sur une liste étaient enregistrés, les autres appels étant écoutés ponctuellement. Concernant les conversations téléphoniques entre les détenus et leur avocat, il a répondu : « Ils sont écoutés et enregistrés car nous ne savons pas qui ils appellent. »
! AVIS
M. B. a paru à la Commission habité d’un certain sentiment d’incompréhension et d’injustice face à une sanction sévère au regard des faits, dont il craint la répercussion sur l’appréciation qui sera portée sur sa détention, enjeu non négligeable de sa situation pénale future, alors même qu’il n’a eu aucun problème de discipline pendant toutes ses années d’incarcération. La condamnation à 8 jours de quartier disciplinaire (4 avec sursis) lui aurait déjà valu, semble-t-il, la perte de 12 jours de grâce.
La Commission a constaté que M. B., comme toutes les personnes détenues de la centrale de Saint-Maur condamnées à de longues peines, a vu son quotidien, ses repères, un équilibre personnel instauré, bouleversés par le retour à un régime restrictif des échanges humains et une réorganisation de la vie en milieu carcéral plus contrôlée.
Un bénéfice en sécurité tant pour les détenus (protection contre le racket et le caïdat) que pour les surveillants (surveillance et discipline) a été invoqué à la Commission concernant la mesure dite de « fermeture des
portes ».
Cependant, la « fermeture des portes » en permanence aurait eu aussi pour conséquence que des détenus difficiles se sont retrouvés isolés, sans contact avec le reste de la population carcérale, ce qui a pu favoriser des passages à l’acte violents. Certains moments de convivialité vraie (cuisine et repas entre quatre détenus dans une cellule) ont été supprimés. Ces relations humaines en ont certainement pâti.
Lors de son entretien avec le directeur de la centrale de Saint-Maur, la Commission a entendu et ressenti fortement qu’un souci, réel, était pris dans cet établissement, qu’une volonté était exprimée pour que les détenus voient par ailleurs améliorer, valoriser les espaces de sociabilité et d’échanges.
! RECOMMANDATIONS
Si la Commission estime que la « fermeture des portes des cellules » modifie profondément les repères et l’équilibre d’une population pénale en longue détention, elle ne peut que constater qu’en l’état des règles en vigueur dans l’administration pénitentiaire, il n’y a eu aucun manquement à la déontologie.
Adopté le 14 février 2005