Saisine no 2004-31
AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité
À la suite de sa saisine, le 17 mai 2004, par M. Jean-Paul Bacquet, député du Puy-de-Dôme.
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 17 mai 2004, par M. Jean-Paul Bacquet, député du Puy-de-Dôme, sur les faits qui se sont déroulés à la maison centrale de Moulins à l’issue de la prise d’otages du 24 novembre 2003.
La Commission a examiné les pièces de la procédure du tribunal de Clermont-Ferrand. Elle a pris connaissance du rapport de l’inspection de l’administration pénitentiaire.
Elle a procédé à l’audition du détenu, M. A. Elle s’est rendue à la centrale de Moulins. Elle a procédé aux auditions du directeur du centre pénitentiaire et du directeur de la maison centrale. Elle a entendu deux chefs de service pénitentiaire, un premier surveillant et le formateur qui avait été pris en otage. Elle a procédé aux auditions de quatre agents des ERIS [1] de Lyon,, le chef des ERIS de Dijon, un gradé des ERIS de Paris. Elle a procédé aux auditions d’un des négociateurs du GIGN, du commandant en second du GIGN et d’un adjudant chef.
- LES FAITS
Le 24 novembre 2003 s’est déroulée à la centrale de Moulins une prise d’otages pour laquelle sont intervenus le GIGN et les groupes des ERIS sur réquisition des autorités compétentes administratives et judiciaires rendues sur place. Une cellule de crise était constituée avec le procureur de la République et les directeurs de l’établissement, dirigée par le préfet de l’Allier. Le GIGN mettait à disposition une soixantaine de gendarmes et la direction de l’administration pénitentiaire les groupes des ERIS de Paris, de Dijon et de Lyon.
Les détenus M. A. et M. B. qui travaillent dans l’atelier de marqueterie ont pris en otage vers 10 h, sous la menace d’un cutter et d’un outil, le formateur puis deux surveillants appelés dans l’atelier pour un détenu qui se plaignait de maux de ventre. Deux gradés ayant pénétré dans l’atelier, le
chef de service pénitentiaire M. D. et le 1er surveillant M. L. sont retenus à leur tour.
Un surveillant, blessé involontairement par M. B., est aussitôt relâché et le chef de service pénitentiaire M. D. réussit à s’extraire. Les trois otages sont enfermés dans le bureau de l’atelier. M. A. et M. B., en possession des clés des ateliers voisins, laissent le choix aux autres détenus de rester ou de regagner leur cellule.
Une dizaine de détenus décident de regagner leur cellule et sont ramenés en détention. Une trentaine de détenus choisissent de rester et observent tout au long de la journée une attitude passive, plutôt neutre.
Très rapidement, les autorités retirent de la situation qu’il ne s’agit pas d’un mouvement collectif. M. A. et M. B. ont principalement des revendications liées à leur situation personnelle dans un contexte général de tensions au niveau de la détention suscitées par la fermeture des portes des cellules.
Une négociation est menée par le GIGN avec M. A. et M. B. et qui, en fin de journée, aboutit à un dénouement par la sortie des détenus « neutres », puis des otages, enfin par la mise en prévention de M. A. et M. B. Lors de la remise par le GIGN aux ERIS des détenus non acteurs de la prise d’otages, un détenu M. D. est l’objet d’une intervention des gendarmes puis est remis aux agents des ERIS. M. D. est conduit au quartier disciplinaire.
Lors de leur conduite au quartier disciplinaire par des agents des ERIS, M. A. et M. B. sont agressés sur le trajet où se tiennent des surveillants de la centrale et des agents des ERIS. M. A. et M. B. font l’objet de violences lors de leur fouille au quartier disciplinaire.
Le médecin de l’UCSA rend visite aux trois détenus le lendemain au quartier disciplinaire. Elle constate sur M. A. des contusions du crâne, égratignures multiples au visage et aux jambes, plaie de l’avant-bras, entorse du pouce, sur M. B. des contusions de la boite crânienne avec céphalées. Un certificat médical relève sur M. D. des hématomes orbitaire gauche importants, de multiples égratignures du visage et des contusions du crâne. Par ailleurs, le médecin saisit aussitôt le directeur M. B. de la situation dans laquelle elle a trouvé ces trois détenus, M. A1 et M. B1, torse nu, en pantalon, sans aucune affaire dans leur cellule, ni linge de toilette, ni papier toilette, et M. D. en caleçon, pieds nus, sans linge de toilette ni papier toilette, « les murs de la cellule maculés d’excréments ».
Dans le cadre de leur audition par le procureur de la République, M. A. et M. B. font état des violences qu’ils ont subies. Ils portent plainte le 27 novembre et sont examinés à la demande du procureur par le médecin du service de victimologie du CHU de Clermont-Ferrand qui a constaté le 27 novembre une ITT de dix jours pour M. A. et deux jours pour M. B., cinq jours pour M. D.
M. A. et M. B. ont été condamnés à quatre ans d’emprisonnement pour la prise d’otage du 24 novembre 2003.
La prise d’otages
1. Le contexte et la gestion de la prise d’otages
Les directeurs présents le 24 novembre 2003 sont M. B., directeur de l’établissement pénitentiaire de Moulins, qui comporte la maison d’arrêt et la centrale, et M. W. qui a en charge la centrale. Ceux-ci ont pris rapidement toutes les dispositions prévues en la matière et des mesures de sécurisation aux abords de l’atelier.
La demande exprimée par M. A. et M. B., les deux preneurs d’otages, est de rencontrer le directeur M. B. pour lui faire part de leurs doléances.
? Les déclarations de M. A.
M. A., condamné à dix ans d’emprisonnement, incarcéré depuis 1995, est arrivé à la centrale de Moulins en novembre 2001. Il a exposé que, depuis plusieurs mois, des activités culturelles proposées aux détenus et certains mouvements étaient suspendus ou restreints. Il y avait beaucoup de tensions en détention, des incidents aux passages des grilles. « Nous discutions avec les surveillants sans rien obtenir. » Plusieurs détenus ont été transférés suite à ces incidents.
Reçu par le directeur M. W., le 21 novembre 2003, M. A. lui fait part de revendications personnelles (sa demande de transfert) mais aussi des conditions générales de la détention. Devant « le refus de tout dialogue de la part du directeur », il dit avoir alors demandé à M. W. une médiation avec le procureur de la République.
Il indique que, deux ou trois jours avant le 24 novembre, suite à un mouvement de mécontentement des détenus à proximité du terrain de sport, un chef de service pénitentiaire avait menacé d’avoir recours aux ERIS s’ils n’acceptaient pas de regagner leurs cellules. Selon M. A., une trentaine d’agents des ERIS étaient arrivés, deux détenus avaient été placés au QD. Ces deux détenus avaient crié par la fenêtre du QD qu’ils avaient été frappés par des agents des ERIS.
? Les auditions des surveillants et du formateur
Selon le chef de service pénitentiaire, M. M., M. A. et M. B. faisaient partie des détenus mécontents de la fermeture des portes mais il n’y avait eu aucun incident grave avec eux. Les relations avec ces détenus étaient bonnes.
Selon le formateur M. S., « les relations étaient excellentes avec les détenus de l’atelier de marqueterie ; je n’avais jamais imaginé qu’une telle chose pouvait arriver ». Le 24 novembre, au début de l’activité, il ressent un état d’agitation chez M. A. et discute avec lui longuement à propos de sa demande de transfert. M. A. disant que « ça n’allait pas, qu’il allait faire une bêtise », M. S. a essayé de le raisonner sur l’intérêt de mener à son terme la formation de marqueterie dont il était un des meilleurs élèves.
Quelques instants plus tard, à l’arrivée des trois surveillants, M. S. s’est retrouvé menacé avec un cutter par M. A.
Selon le chef de service pénitentiaire M. D., arrivé à Moulins le 20 octobre 2003, victime le 29 octobre d’une agression au QD, il y avait une tension importante chez les détenus sur la fermeture des portes. De par sa place de chef de bâtiment, M. D. doit appliquer les consignes de fermeture. « Chaque soir, pour la fermeture des portes, il faut dialoguer, cela ne va pas sans heurts. »
? Les auditions des directeurs de Moulins
Le directeur M. B. a expliqué qu’à la fin 2002 et en 2003 divers incidents traumatisants pour le personnel ont eu lieu à Moulins : agressions, tentatives d’évasion violentes de trois détenus, assassinat d’un personnel administratif par un surveillant. « Ces événements se sont accompagnés d’une reprise en main et notamment le régime des portes fermées. »
Il précise que la centrale accueille des détenus très difficiles, exclus d’autres établissements ou dangereux au niveau du risque d’évasion. Suite à la tentative d’évasion de février 2003, une fouille générale a été menée, des détenus ont chahuté un surveillant d’étage. « J’ai fait fermer les portes de cet étage. Plus tard, le garde des Sceaux et l’administration centrale ont demandé que cette disposition s’applique à toutes les centrales. Le constat de la fermeture est que la majorité des détenus ont exprimé individuellement leur satisfaction (protection contre le racket et le caïdat) ; seule une minorité violente contestait et conteste encore cette mesure. »
M. B. a vu régulièrement le détenu M. A. qui demandait son transfert, s’était plaint du parloir, début novembre.
Le 24 novembre, le directeur M. B. reprenait son poste après une semaine d’absence pour congé. Au début de la prise d’otage, la demande des détenus M. A. et M. B. est de le rencontrer pour discuter, et qu’il se déplace jusqu’à l’atelier. « Leurs demandes sont floues : plus d’écoute, plus de considération. »
M. W., directeur de la centrale, a pris ses fonctions à la centrale, le 15 septembre 2003. Dès son arrivée, il constate que les détenus n’ont pas accepté que les portes des cellules soient refermées depuis plusieurs mois. « De septembre à novembre 2003, il y a des mouvements de contestation individuelle de détenus qui cherchent à faire acter leur désaccord, quitte à passer en commission de discipline. »
Dans les jours qui précèdent la prise d’otages « l’atmosphère est pesante ». Constatant l’absence du matériel indispensable à l’exercice d’une activité culturelle, mécontents, des détenus refusent de regagner leur cellule. M. W. s’est rendu sur place et a discuté avec les détenus à propos de l’insuffisance d’activités culturelles. M. W. estime que cet échange n’a pas abouti « à des propositions collectives fédératrices d’activités ».
M. W. confirme avoir reçu M. A. en audience deux ou trois jours avant le 24 novembre. Selon lui, il s’agissait uniquement de revendications liées à sa situation familiale ; il demandait son transfert immédiat. Selon M. W., M. A. a une personnalité instable. Il dément que M. A. lui ait fait part de plaintes concernant la détention, la fermeture des portes, ou à propos des ERIS.
Questionné par la Commission sur l’intervention éventuelle des ERIS avant le 24 novembre 2003, M. W. a démenti les propos de M. A. selon lesquels il y aurait eu dans la centrale une intervention des ERIS avant le 24 novembre 2003. Un groupe d’ERIS a séjourné à la centrale du 3 au 5 novembre 2003, mais ils étaient en visite et n’étaient pas opérationnels, selon M. W. Puis M. W. a fait une deuxième déclaration à la Commission selon laquelle, le 18 novembre 2003, les ERIS de Dijon et de Paris avaient été dépêchées, suite à un refus d’intégration de détenus qui avaient cassé les cabines téléphoniques de deux cours de promenades. Ces groupes étaient demeurés sur place jusqu’au 20 novembre 2003, renforcées par les ERIS de Lyon dès le 19 novembre 2003. Les ERIS n’ont pas eu à intervenir pendant leur séjour, les détenus n’ayant pas mis leur menace de non-intégration à exécution. « Ils sont restés positionnés à proximité de la détention et il est fort probable que les détenus aient pu en apercevoir quelques éléments. Il n’y a pas eu de contact direct entre les ERIS et les détenus. »
Dans le dispositif du 24 novembre, M. W. est chargé de la gestion de la détention. Il fait des allers et venues entre l’atelier et le bureau du directeur M. B. où se tient la cellule de crise.
2. Le GIGN et les ERIS
Les groupes des ERIS ont été constitués deux mois auparavant, en septembre 2003. Après une sélection, les surveillants candidats ont été formés à l’ENAP, puis avec les gendarmes de Saint-Astier, enfin ils ont passé une semaine avec le GIGN.
Le 24 novembre, les ERIS de Lyon sont arrivées sur place vers 13 heures, suivies un peu plus tard des ERIS de Dijon (9 agents) et de Paris
(16 agents). M. P. D., chef de service pénitentiaire, est le chef des ERIS de Dijon. Son rôle était ce jour-là d’assurer l’interface entre les ERIS et le GIGN. M. E. P. était le plus gradé des ERIS de Paris (le chef du groupe n’était pas présent). M. F. est le chef des ERIS de Lyon.
Le 24 novembre 2003, l’intervention des ERIS doit s’inscrire dans « la coopération avec le GIGN en vue d’une sécurisation de l’établissement ».
Ils sont d’abord installés à côté de la cellule de crise dans le bâtiment de l’administration. Puis des groupes sont constitués, des agents sont positionnés aux abords de l’atelier, à la disposition du GIGN. Le GIGN est sur place vers 14 heures. Une soixantaine de gendarmes dont deux négociateurs, un coordinateur, des groupes d’intervention. Les négociateurs du GIGN, en accord avec les autorités présentes, ont demandé aux directeurs de Moulins de ne pas entrer en contact avec les preneurs d’otages. Après des échanges téléphoniques, les négociateurs ont pris un contact visuel vers 16 heures avec M. A. puis M. B., du haut d’une passerelle attenante à un atelier voisin.
De ces échanges, il ressort, selon M. A., que M. B. et lui-même ont pu exposer aux négociateurs les raisons de leur action, parlé des violences, des ERIS et que les négociateurs leur ont répondu qu’ils allaient en référer à l’autorité compétente, « que ce serait mieux de s’expliquer autour d’une table ». M. A. et M. B. auraient décidé d’en rester là : « Nous avions réussi à attirer l’attention sur nos problèmes. »
Selon un des négociateurs, M. D. a précisé qu’avant toute mise en œuvre des options de négociation il les avait remises au coordinateur (GIGN) qui les a présentées pour validation aux différents autorités et chefs de mission présents : « Les plaintes et les revendications des deux détenus portaient essentiellement sur leur situation personnelle, une demande de rapprochement familial, et il y a eu des propos sur des problèmes liés à la détention, notamment à la fermeture des portes. » Vers 18 h 15, la situation s’est dénouée : « Comme nous nous sommes engagés à prendre en considération leurs demandes, ils (M. A. et M. B.) ont mis fin à la prise d’otages en relâchant les détenus qui ont regagné leurs cellules, puis les otages. »
Sortie des détenus de l’atelier
A - Sur la sortie des détenus non acteurs de la prise d’otages
? Les déclarations du GIGN
Au vu de l’évolution favorable de la situation, le GIGN revoit ses dispositifs et s’articule avec les ERIS pour la sortie des détenus « neutres », puis l’évacuation des otages, enfin la conduite au quartier disciplinaire de M. A. et de M. B.
Les gendarmes du GIGN se tiennent à proximité de la sortie de l’atelier et de la porte X à la porte Y où un long couloir mène vers le portique d’accès aux étages et au quartier disciplinaire.
L’adjudant-chef J. qui a commandé cette opération avait demandé aux agents des ERIS présents (Dijon et Paris) à cet emplacement de rester en base arrière et de prendre en charge les détenus au fur et à mesure de leur remise par un gendarme.
Selon l’adjudant-chef J. des surveillants locaux étaient présents mais il n’a pas souvenir de la présence de gradés de la centrale avant la porte Y. Les détenus ont été menottés avec des « serreflex », mis face au mur par le GIGN pour être fouillés sur les vingt mètres avant la porte Y.
Questionné par la Commission sur l’intervention d’un gendarme sur un des détenus alignés contre le mur, l’adjudant-chef a déclaré avoir entendu une altercation, s’être aussitôt déplacé vers les gendarmes qui procédaient à l’opération. Le détenu (M. D.) était au sol. Un gendarme lui a rendu compte que ce détenu venait de refuser d’obtempérer à l’ordre de garder le visage face au mur. L’adjudant a alors demandé son évacuation immédiate, craignant la contagion de la rébellion.
L’adjudant-chef a exposé que la technique de maîtrise d’un individu réclame l’intervention de deux ou trois gendarmes. Il conteste les éléments apportés par les témoignages de certains personnels de la centrale selon lesquels M. D. aurait été « passé à tabac » par deux ou trois gendarmes ou aurait reçu « une bonne raclée ». Il conteste qu’un gendarme ait pu sortir son arme lors de cette intervention. Concernant l’état de M. D., il indique avoir vu qu’il saignait du nez.
L’adjudant-chef est retourné à son poste, les otages sont sortis de l’atelier et ont été maintenus environ quinze minutes dans un sas après le petit couloir de l’atelier. Puis les gendarmes ont pris en charge les deux preneurs d’otage M. A. et M. B. et les ont remis aux ERIS au niveau de la porte de l’atelier dans le petit couloir. Le GIGN est resté sur place pour procéder à la fouille des ateliers.
Le capitaine M., commandant en second du GIGN, chef de mission le 24 novembre 2003, dont la charge était de donner des instructions aux différents membres du dispositif d’intervention et de négociation a précisé que le GIGN connaît bien la centrale de Moulins pour y être intervenu à plusieurs reprises ces dernières années et y avoir mené des entraînements.
Les agents des ERIS présents le 24 novembre étaient connus de certains gendarmes, le GIGN ayant participé pendant une semaine à leur formation.
Pendant la sortie des détenus de l’atelier, le capitaine M. se tenait à côté de la cellule de crise. Il a été informé par radio qu’il y avait eu un incident avec un détenu pendant l’alignement à la sortie de l’atelier. Quoique n’ayant pas assisté à l’intervention des gendarmes, il estime lui aussi que l’intervention sur M. D. était justifiée par le fait que le refus du détenu de se plier aux injonctions constituait un risque, du danger, avec la possibilité de contagion de son attitude auprès des autres détenus. « L’évacuation des détenus neutres était un moment de tension car il restait les deux preneurs d’otages dans l’atelier et les otages étaient encore à proximité. »
Il précise par ailleurs avoir constaté à ce moment-là que le coordinateur ERIS, présent au début de l’opération, n’était plus à ses côtés. De ce fait, il n’a plus eu de liaison avec les ERIS.
Le lendemain, le GIGN a pris contact avec les autorités de la pénitentiaire et leur a fait part de l’incident avec ce détenu. Il aurait alors appris « qu’un détenu se plaignait d’avoir été malmené. [...] C’est en échangeant avec d’autres gendarmes que nous avons été amenés à penser qu’un des détenus preneurs d’otages avait été l’objet de violences. [...] J’étais sûr que le GIGN n’était pas l’auteur des violences sur ces deux détenus », a-t-il déclaré.
Pendant l’opération de sortie des détenus neutres et des otages, le négociateur M. D. se tient sur une passerelle attenante aux ateliers avec le directeur M. W. « afin de conclure la négociation » avec M. A. et M. B. qui, selon les témoignages, attendent dans le calme d’être pris en charge par les gendarmes du GIGN. La passerelle n’a pas d’accès aux ateliers, ni à cette partie du bâtiment. Le directeur M. W. relate qu’il n’a pu mener à bien cette phase qui visait à ce que le négociateur lui « passe la main » car les gendarmes du GIGN sont entrés dans l’atelier et ont maîtrisé M. A. et M. B. avant qu’il puisse intervenir. De ce fait, il n’a pu assister à la conduite de M. A. et M. B. au quartier disciplinaire. « Le temps que je fasse tout le circuit de la passerelle à l’atelier (très long) les deux détenus avaient été emmenés par les ERIS. »M.W. s’est alors rendu avec le négociateur rapidement au QD où « la fouille de M. A. et de M. B. avaient commencé ».
? Les déclarations des ERIS sur la sortie des détenus non acteurs de la prise d’otages
Le coordinateur des ERIS pour Dijon a précisé que le directeur régional lui avait donné l’instruction que la réintégration des détenus se fasse sans problème, ce qu’il dit avoir retransmis par radio à ses collègues.
Ce sont les ERIS de Dijon et de Paris qui se trouvaient principalement à côté des ateliers et du GIGN. Les ERIS de Lyon se tenant au bout du grand couloir avant la montée vers les étages et le quartier disciplinaire.
Le coordinateur des ERIS de Dijon, qui n’était pas positionné avec ses collègues près de l’atelier, a croisé dans le grand couloir les deux auteurs de la prise d’otages, M. A. et M. B., pris en charge par ses collègues des ERIS de Lyon. Il ne relève aucun problème ou incident à ce moment-là à
cet endroit-là. Il précise qu’en plus des ERIS il y avait du personnel de Moulins « un peu partout ».
L’agent des ERIS de Paris, M. E. P., a précisé qu’il avait placé un de ses agents M. Y. B. au PCI où sont les caméras de surveillance et qui est resté en permanence au PCI [2]. D’abord positionné dans l’administration, il a décidé de rejoindre ses agents vers 18 h lorsque la situation s’est dénouée. Il n’a pas prévenu de sa décision le GIGN. Il a assisté à la sortie des détenus « neutres », aux côtés du GIGN entre la porte X et la porte.
Il a remarqué la présence d’un agent de Moulins qui porte la même tenue que les ERIS, « cagoulé ». Il confirme qu’un détenu s’est montré « récalcitrant », dit avoir perçu chez les autres détenus une agitation, « que l’on perdait la situation ». Les gendarmes sont intervenus pour le maîtriser. « Le détenu a pris un coup ou deux pendant l’intervention, mais il n’a pas reçu de coups directs. [...] Il est possible qu’en tombant il se soit blessé. » Plus tard, il a vu passer M. A. et M. B. conduits par ses collègues ERIS.
? Les déclarations des directeurs M. B. et M. W.
M. B. dit avoir appris de deux de ses gradés, M. M. et M. J., que le détenu D. avait été « gratuitement tabassé » par le GIGN et qu’un officier avait dû intervenir car ils auraient pu le tuer. Il informe la Commission qu’il a signalé ces faits à sa hiérarchie, au parquet et au SRPJ de Clermont-Ferrand, à l’inspection de l’administration pénitentiaire. M. W. dans son audition parle d’une « maîtrise brutale » de M. D. par le GIGN.
B - Sur la conduite de M. A. et de M. B. au quartier disciplinaire
La conduite des détenus M. A. et M. B. a été assurée par les ERIS de Lyon.
? Les déclarations de M. A.
M. A. a déclaré que M. B. et lui-même avaient d’abord été pris en charge par les gendarmes du GIGN dans l’atelier. « Ils sont intervenus dans le calme. » Après les avoir palpés et menottés avec des liens de contention, ils ont appelé les ERIS qui, dès leur entrée dans l’atelier, leur ont donné des coups. M. A. dit avoir reçu un coup de poing au visage. Sur le trajet de la sortie de l’atelier, dans le petit couloir et tout le long du grand couloir qui mène au portique d’accès aux étages, (« une haie d’honneur ») des surveillants de la centrale nous ont donné des coups avec les poings et les pieds, et des ERIS nous ont frappés au passage. « Mains menottés, on appuie sur ma tête et je prends des coups dans la figure, sur le corps. » Il dit avoir été encore frappé dans le couloir d’accès au quartier disciplinaire.
Selon M. A., le directeur et le sous-directeur sont présents et assistent tout le long du parcours au traitement qu’ils subissent. Il relate qu’arrivé au QD, il est jeté au sol. Il est assailli par une dizaine de personnes. On lui a arraché ses vêtements, toujours avec des coups. « Nu, on me touche le sexe, les fesses à plusieurs reprises. Ils me retirent les colliers avec un cutter et je reçois un coup du cutter au poignet droit. » M. B. lui a raconté plus tard qu’« ils lui avaient enlevé les vêtements au cutter ». M. A. dit avoir été laissé nu, sur le béton. On lui a refusé la visite immédiate d’un médecin. Il n’a pas eu de repas, ce soir-là ni le lendemain matin. Le médecin est venu le lendemain et l’a soigné sur place.
? Les déclarations des ERIS
M. F. M. et son collègue M. P. M. ont pris en charge M. A. Puis, « leur chef leur ayant fait signe de venir », les agents M. C. E., M. P. S., M. G. ont pris en charge M. B. Les deux détenus n’ont pas résisté. Les ERIS déclarent avoir rencontré « des problèmes » au bout du grand couloir, au niveau du rez-de-chaussée avant de monter les escaliers. Ils rapportent qu’il y avait beaucoup de monde derrière eux, « des ERIS et des personnels locaux ».
M. A. et M. B. ont alors reçu des coups de pieds, des coups de poing sur le corps. Les agents des ERIS qui les maintenaient ont tenté de les protéger des coups qui s’abattaient sur eux de toute part. « M. A. ne marchait plus, il remontait les jambes pour se protéger. »
Les agents des ERIS, M. F. M et M. M. ont pris aussi des coups de la part de leurs collègues. « Des coups de poing, des coups de pied. Il y a eu des cris. » « Nous avons dû faire cette conduite au quartier disciplinaire le plus vite possible en freinant le monde qui était derrière nous. »
L’agent C. E. qui avait en charge M. B. dit avoir crié « Arrêtez ! », en vain. Les coups ont continué de la part des personnels de l’administration pénitentiaire.
« Ce sont des surveillants de Moulins, pas des ERIS. [...] On a essayé de parer les coups mais il y en avait trop. M. B. en a pris sur tout le corps. » M. P. S. dit avoir réussi à protéger M. B. des coups. « C’est moi qui ai pris. On a accéléré le pas. »
? Les déclarations des surveillants de Moulins sur la sortie des détenus neutres et la conduite de M. A. et M. B. au quartier disciplinaire
Le chef de service pénitentiaire M. M. qui dit s’être tenu au moment de la sortie des détenus neutres dans le grand couloir, après la porte Y, dit avoir assisté à « une bonne raclée » donnée par deux, trois gendarmes à M. D. après qu’il ait refusé de tourner la tête et ait lancé : « Ne jouez pas aux cow-boys. » Cette version est conforme à celle de M. D., chef de service pénitentiaire, qui se tenait selon ses déclarations au même endroit que son collègue gradé et a précisé que M. D. avait été tiré par les pieds et était tombé par terre. « Ils ont été trois à le passer à tabac, coups de poing, coups de pied. Il (M. D.) était méconnaissable, il pissait le sang. » Il a ajouté qu’un gendarme avait sorti son arme de poing et avait braqué les détenus. « Un autre gendarme est intervenu pour faire cesser le tabassage. »
Selon M. D., il y avait du monde partout, des surveillants de Moulins, des ERIS, des gradés, le GIGN. Un autre gradé de la centrale, M.F., 1er surveillant, positionné au bout du grand couloir avant le portique d’accès aux étages, n’a pas assisté à « la maîtrise » de M. D. par les gendarmes du GIGN. De l’endroit où il était, il a vu passer le détenu M. D. : « Il portait des traces de coups au visage ; il était très marqué. » Il a assisté au passage de M. A. et de M. B. conduits par les ERIS et, comme il estimait que M. B., encadré par les ERIS, traînait les pieds, était « décalé par rapport aux deux agents », il l’a alors bousculé, reconnaissant ne pas avoir été professionnel. Il conteste que des coups aient été portés à M. A. et M. B. par des agents des ERIS présents dans le couloir.
Le chef de service pénitentiaire M. M. dit ne pas avoir accompagné la conduite de M. A. et M. B. De son emplacement dans le couloir, il affirme avoir eu vue sur l’ensemble du couloir et n’avoir constaté aucun coup donné aux deux détenus par les ERIS ou les surveillants de la centrale. Il s’est attaché à veiller à ce que les agents regagnent leur poste : « Il y avait du monde partout. »
Il s’est rendu plus tard au QD et dit avoir barré le passage à des agents qui s’y rendaient, exposant que seuls les chefs de service pénitentiaire sont habilités à procéder à la mise en prévention. Il dit avoir assisté, un peu en retrait, aux fouilles intégrales de M. A. et de M. B. Étaient présents cinq autres gradés de Moulins, M. G., 1er surveillant, M. F., 1er surveillant, les chefs de service pénitentiaire M. D. S, M. F. et M. D.
Il indique que ce sont les ERIS qui ont procédé à la fouille à corps. Il y avait trop de monde dans les cellules. « Pour déshabiller les détenus, il n’y avait pas de pinces pour couper les menottes en plastique. Les ERIS ont découpé les tee-shirts avec un cutter. » Selon M. M., les modalités de fouille à corps des ERIS sont différentes de celles des surveillants. Les détenus ont été mis au sol, et déshabillés au sol, un bouclier appuyé sur la tête.
Questionné sur sa passivité pendant ces actes, le gradé M. M. a répondu qu’il avait reçu des instructions de laisser agir les ERIS.
Il dément que des surveillants de la centrale aient procédé à ces fouilles. Il précise que le responsable des ERIS de Lyon était présent à ce moment-là au QD.
Les témoignages des ERIS qui ont conduit M. A. et M. B. au quartier disciplinaire relatent un état de confusion, une atmosphère de grande violence à leur arrivée. Alors qu’ils devaient procéder à une fouille à corps de M. A. et de M. B. qui étaient menottés avec des liens de contention en plastique, ils ont été bousculés ou assaillis par leurs collègues surveillants qui avaient le visage masqué et portaient une tenue proche de la leur.
L’agent F. M. qui avait en charge M. A. avec son collègue P. M. relate que six ou sept personnes sont entrées à leur suite dans la cellule, du personnel local. Le détenu M. A. était sur le ventre lorsque ces personnes ont déchiré ses vêtements, lui ont ôté son pantalon. Son collègue et lui n’ont pu procéder à une fouille correcte. Il dit avoir réussi à maîtriser les jambes de M. A. puis à couper les liens de contention avec son couteau. Il est allé voir le chef de service pénitentiaire M. M., gradé de la prison présent, pour lui dire ce qu’il pensait sur ce qui venait de se passer et « aussi les coups que nous avions reçu de nos collègues ».
Son collègue P. M. explique ne pas avoir eu la maîtrise de la situation : « Tout est allé très vite. Il (M. A.) a été déshabillé, pas par moi ; ses vêtements ont été déchirés. Je me souviens avoir récupéré sa chaîne qui était par terre et l’avoir remise à quelqu’un. Le détenu s’est retrouvé nu. » Il indique que F. M. et lui-même étaient les seuls ERIS présents dans la cellule, les autres étant des personnels de Moulins.
Les agents des ERIS, C. E., P. S. et M. G. avaient la charge de M. B. Le premier relate qu’une fois rendu dans la cellule le détenu posé sur le sol, un groupe d’agents les a bousculés. Il a perdu l’équilibre et « s’est retrouvé sur M. B. au-dessous de la mêlée. M. B. a reçu des coups et moi aussi. [...] J’ai eu du mal à me dégager. Il y avait tant de monde qu’on ne pouvait pas marcher dans la cellule. Je me suis retrouvé sur le lit, je suffoquais et j’ai dû sortir rapidement de la cellule. [...] Les vêtements du détenu ont été arrachés, j’ignore qui a coupé les menottes et comment. [...] À un moment, il a entendu son collègue M. G. crier : “Calmez-vous ! ” C. E. a été marqué par ce qui s’est passé vis-à-vis du détenu et au regard du traitement que nous avons subi de la part de collègues. »
Son collègue a confirmé l’irruption dans la cellule de M. B. de personnes, cagoulées, qui n’étaient pas des agents des ERIS, et ont agi avec brutalité. « Il a fallu le (M. B.) protéger. À un moment, ils ont tiré sur sa veste de survêtement ; j’ai vu que le détenu étouffait. Il était étranglé par le survêtement.
J’ai pris mon couteau et j’ai ouvert la veste volontairement pour qu’il puisse respirer en criant : “Arrêtez vos conneries maintenant, il est en train d’étouffer ! ” » Ayant obtenu un retour au calme, il dit avoir procédé avec son collègue M. G. à une fouille à corps, puis être ressorti après s’être assurés qu’il n’y avait plus de personnels, autres que les ERIS, dans la cellule.
Selon M. P. S., les personnes cagoulées font partie d’une équipe interne composée de surveillants de l’établissement. Ils ont un équipement qui ressemble à celui des ERIS et des cagoules. Il a précisé : « Aux ERIS, nous avons non seulement une déontologie mais nous mettons un point d’honneur à respecter la personne ; notre chef d’ailleurs est particulièrement attentif à ce que nous respections le cadre. »
? Les déclarations des directeurs
Le directeur M. B.
Il est resté en permanence dans la cellule de crise puis a participé en fin de journée à un point presse à l’extérieur. Le soir du 24 novembre, les gradés de la centrale lui ont rendu compte qu’il n’y avait pas eu de problèmes particuliers concernant la conduite des deux détenus au quartier disciplinaire ni sur le trajet ni pendant la fouille à corps dans les cellules disciplinaires
On lui a rapporté que les ERIS avaient fait preuve de « fermeté ».
Selon lui, c’est M. A. qui a refusé la visite du médecin proposée le soir même. Suite à l’appel de médecin de l’UCSA le 25 novembre, il s’est rendu au QD et « n’a rien constaté ni sur M. B. ni sur M. A. qui était sous ses couvertures ». C’est lors de la commission de discipline du 26 novembre où M. A. comparaît qu’il dit avoir entendu parler de « passage à tabac » par les ERIS.
Le directeur M. W.
Il a assisté à une partie des fouilles à corps alors qu’il s’était rendu au quartier disciplinaire avec un des négociateurs du GIGN. « Il a déclaré à la
Commission : “Ce que je vois dans la première cellule où est M. B., c’est que tout se passe correctement, je tenais à le vérifier. ” [...] Les fouilles à corps réalisées par les ERIS ont été toniques mais réglementaires. [...] Six ou sept fonctionnaires procédaient à la fouille à corps, l’un était en protection avec son bouclier, un autre l’immobilisait face contre le sol avec un bouclier. [...] J’estime que les ERIS étaient moins susceptibles de débordement émotionnel et je n’en ai pas observé ce jour-là. »
Concernant la fouille de M. A., il note « un seul problème » : c’est que « les ERIS n’ayant pas une pince spéciale pour couper les liens de contention en plastique, ils ont donc été obligés pour déshabiller les deux détenus de déchirer le haut du vêtement et de le découper avec un cutter ». Questionné par la Commission sur ces actes, M. W. a répondu : « À ce
moment-là, je n’ai pas trouvé cela anormal. » Il dément que M. A. et M. B. aient été laissés nus jusqu’au lendemain. « Dans les dix minutes suivantes », les pantalons et les sous-vêtements, fouillés, leur ont été rendus. Il n’a remarqué aucune trace de coups sur les deux détenus. Il confirme que M. A. n’a pas reçu son repas, le soir du 24 novembre.
Il est à noter que M. W. a constaté l’état de M. D. au quartier disciplinaire, le détenu qui avait été l’objet d’une intervention du GIGN. « M. D. était blessé à la face. » Tandis que M. B. dit ne pas avoir reconnu M. D. « tellement son visage était déformé par les traces de coups ».
Sur l’intervention de surveillants de la centrale, cagoulés, le 24 novembre
Il ressort de l’audition du directeur M. W. qu’un groupe est constitué sur la centrale composé de neuf surveillants, volontaires, qui travaillent au quartier disciplinaire et à l’isolement et qui ont suivi un entraînement spécial
par un formateur local, le 1er surveillant M.G.
Le directeur M. W. confirme avoir déjà fait appel à ce groupe de surveillants à maintes reprises pour « des situations à risques », mais il n’est pas intervenu lors de mouvements collectifs. C’est le directeur ou le chef de détention par délégation et en rendant compte en temps réel qui prend la décision de le requérir.
« À aucun moment, le 24 novembre, je n’ai demandé à ce groupe d’intervenir, ni délégué le chef de service pénitentiaire M. M. »
Ces surveillants revêtent pour leurs interventions une combinaison bleu marine avec des coques de protection, une cagoule et un casque, un bouclier si nécessaire.
Questionné sur le port d’une cagoule pour les surveillants de la centrale, M. W. a répondu : « Cela impressionne les détenus et évite d’être reconnu en détention. »
Questionné par la Commission sur l’intervention possible de ce groupe, le 24 novembre, au quartier disciplinaire sur les détenus M. A. et M. B., le directeur M. W. a répondu : « Ce sont les ERIS qui ont effectué les fouilles à corps. » Il estime possible que les membres de ce groupe aient été présents au quartier disciplinaire mais « encadrés ». Questionné par la Commission, il indique que le « formateur » M. G. et le chef de service pénitentiaire M. M. étaient présents au quartier disciplinaire à son arrivée avec le négociateur mais qu’il n’a remarqué la présence d’aucun autre personnel.
Un des deux négociateurs du GIGN qui ont accompagné M. W. au quartier disciplinaire fait état de la présence d’une quinzaine de personnes, ERIS et surveillants. « Il y avait des vêtements déchirés au sol. Les deux détenus étaient nus, il leur a été donné une couverture avant que je rentre dans la cellule ; on voyait qu’ils avaient été malmenés. »
- AVIS
1. Une procédure judiciaire est en cours, une enquête en cours au SRPJ
de Clermont-Ferrand concernant les plaintes pour violences illégitimes déposées par M. A. et M. B.
2. Sur l’intervention du GIGN, le 24 novembre 2003 : la Commission regrette que la gestion professionnelle de la prise d’otages par le GIGN qui avait trouvé une issue favorable ait été entachée par les faits qui se sont déroulés au moment de la réintégration des détenus.
Elle a recueilli des témoignages divergents de la part des autres acteurs de la sécurité qui disent avoir assisté à l’intervention des gendarmes sur le détenu D. allant d’« une maîtrise » énergique du détenu à un « passage à tabac ».
Des investigations de la Commission, il ressort que le détenu M. D. a été l’objet d’une intervention brutale de gendarmes du GIGN. Il est entendu que les circonstances, le climat et l’instant étaient des facteurs de risques, notamment que la proximité, relative, des otages a pu constituer une priorité pour un rappel à l’ordre. Cependant, la Commission observe que M. D. était menotté et que sa mise à terre par deux ou trois gendarmes, acte qui n’est pas contesté par le GIGN, n’était pas le plus approprié pour sa maîtrise et son évacuation et par ailleurs était susceptible de provoquer le contraire de ce qui, semble t-il, était recherché ici : c’est-à-dire éviter une rébellion des autres détenus. M. D. a été sérieusement blessé au visage.
Enfin, l’intervention violente des gendarmes sur M. D. en présence des agents des ERIS, de fait sous leurs ordres et dont c’était la première grande intervention, aussitôt connue des personnels locaux présents « un peu partout », a pu constituer une amorce pour les dérapages manifestés ultérieurement par ces personnels.
3. Cependant la Commission considère que la responsabilité des nombreux gradés de la centrale présents le 24 novembre 2003 est engagée entièrement concernant les évènements ultérieurs qui ont abouti à des violences injustifiables, inadmissibles sur M. A. et M. B. lors de leur conduite au quartier disciplinaire et à leur arrivée en cellule. Elle retire du témoignage du chef de service pénitentiaire M. M. que les neuf personnels du quartier disciplinaire avaient été réquisitionnés et qu’ils étaient les seuls habilités à procéder à la mise en prévention. Elle retire des déclarations du directeur W. que des dispositions auraient été prises pour que tous les personnels soient encadrés par des gradés.
4. La Commission estime particulièrement graves et indignes les conditions dans lesquelles s’est faite l’intégration de ces détenus au quartier disciplinaire, dans la violence et avec atteinte à la dignité des personnes.
5. Elle tient pour fortement probable que des surveillants de Moulins appartenant au groupe d’intervention local, composé essentiellement de gradés de Moulins, sont intervenus, cagoulés, au quartier disciplinaire sur M. A. et M. B. avec une grande violence, à la fois en représailles de la prise en otages de leurs collègues (l’un d’eux avait été involontairement blessé) et dans une atmosphère délétère de « concurrence » avec leurs collègues des ERIS nouvellement formées.
6. Elle considère que les déclarations réitérées du directeur W. sur les fouilles à corps de M. A. et de M. B. établissent soit sa passivité soit son assentiment à des manquements graves à la déontologie alors qu’il aurait dû intervenir, signaler et sanctionner ces débordements.
7. Dans cette affaire, si la Commission a pu constater des manquements dans l’articulation entre les gradés des ERIS et le GIGN, l’absence d’articulation entre les agents des ERIS et les personnels locaux est flagrante, le 24 novembre.
8. La Commission a été confrontée à certains témoignages délibérément
fallacieux, grossièrement orientés, visant uniquement à discréditer les uns ou les autres des services de sécurité, révélateurs de l’existence d’un contentieux très préoccupant entre les personnels de surveillance de la centrale et les agents des ERIS, sur lequel devra se pencher rapidement l’administration pénitentiaire pour une explicitation des missions et des limites des uns et des autres.
9. Selon l’inspection de l’AP, « les enregistrements vidéo qui proviennent des caméras disposées sur le trajet de l’atelier au quartier disciplinaire ne permettent pas de constater la commission d’actes de violence à l’encontre des détenus ». La traversée du groupe d’agents stationnés à l’extrémité du couloir où les ERIS et les détenus disent avoir été frappés n’apparaît pas dans l’enregistrement. Les caméras au quartier disciplinaire donnent des images du couloir et non des cellules où ont eu lieu les violences.
La Commission qui a visité la centrale et le PCI a bien retiré des explications données sur place que la fonction d’enregistrement des caméras d’observation est actionnée, à volonté, manuellement.
- RECOMMANDATIONS
1. Il appartient à la justice de se prononcer sur les responsabilités individuelles dans cette affaire de violences illégitimes sur des détenus.
La Commission recommande à l’administration pénitentiaire de mener un travail de clarification des domaines de compétence qu’elle souhaite attribuer à ses agents, surveillants de prison et agents des ERIS, dans l’intérêt des personnels concernés et des détenus dont elle a la responsabilité.
2. La Commission demande qu’une enquête soit faite par l’administration
pénitentiaire sur les groupes d’intervention constitués par certains établissements pénitentiaires, que soit notamment précisée aux directeurs, la réglementation qui les concerne et que soient contrôlées leurs modalités d’intervention.
3. La Commission considère que les conditions dans lesquelles s’est effectuée la mise en prévention de M. A. et de M. B. constituent des manquements graves à la déontologie de la part des personnels de l’administration pénitentiaires.
4. La Commission considère que les conditions dans lesquelles se sont
effectuées la conduite et la réintégration au quartier disciplinaire de M.A. et de M. B. constituent des manquements graves à la déontologie de la part des personnels de l’administration pénitentiaire.
Par ailleurs, la violence exercée par des membres du GIGN était excessive sur un détenu.
La Commission transmet la présente recommandation à M. le garde des Sceaux et à Mme la ministre de la Défense en vue de l’exercice des poursuites disciplinaires non seulement contre les agents qui seront identifiés par la procédure judiciaire mais d’abord contre les responsables et gradés de l’établissement dont la passivité a permis les débordements.
Adopté le 13 décembre 2004
Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, dont les réponses ont été les suivantes :
Lire aussi les témoignages directs d’André Allaix (M.A.) et Cyril Bastard (M.B.)
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